(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — D. — article » pp. 179-181
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(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — D. — article » pp. 179-181

DINOUART, [Joseph-Antoine-Toussaint] Chanoine de St. Benoît, de l’Académie des Arcades de Rome, né à Amiens en 1716 ; successivement Poëte Latin, Poëte François, Traducteur, Commentateur, Historien, Compilateur, Journaliste, sans qu’on puisse dire qu’il ait réussi dans aucun genre.

Les moins mauvais de ses Ouvrages sont des compilations, parce qu’elles contiennent peu de choses de lui. De ce nombre sont sa Rhétorique du Prédicateur, son Traité de l’Eloquence du corps, deux Ouvrages où se trouve réuni, sans méthode & sans goût, ce que Cicéron, Quintilien, & parmi nous Fénélon, Rollin, le Pere Lami, Sanlecque, Lucas, l’Abbé de Villiers, l’Abbé Mallet, ont écrit sur ces matieres si fort rebattues. On y reconnoît sans peine ce que M. l’Abbé Dinouart y a ajouté. Il seroit difficile de douter, par exemple, que les remarques & les expressions suivantes, tirées du Traité de l’Eloquence du corps, ne soient de sa façon. « Une taille trop haute est, dit-il, une difformité dans un Orateur. Ces figures colossales ont quelque chose d’effrayant & qui choque la vue. On ne peut croire que la Nature, qui donne à tous les hommes une mesure ordinaire de bon sens, leur en ait dispensé à proportion de leur taille ; on y suppose toujours du vide. Je ne crois pas qu’on puisse louer beaucoup cet avantage, qui ne peut être estimable que dans les poutres ». Pour engager les Prédicateurs à tenir la tête droite, il les avertit très-élégamment, qu’une tête baissée déplaît, parce que cette contenance est commune aux dévotes. Pour joindre à ses préceptes des motifs plus pressans encore, il veut qu’on redresse les Orateurs, en leur plaçant la pointe d’une épée sous le menton. Il faut cependant prendre garde, en relevant la tête, ajoute-t-il, d’imiter le mouvement des oiseaux qui boivent. Selon ses judicieuses remarques, le front haut marque la paresse ; le petit, la légéreté ; le rond, la colere. « Il faut bien se garder encore d’ouvrir les yeux ni trop, ni trop peu, de cligner ni de clignoter, de faire comme quelques Prédicateurs, qui ouvrent la bouche avec tant d’effort, qu’ils semblent vouloir y faire entrer leur Auditoire, & d’en imiter certains qui remuent la mâchoire inférieure avec tant de force, qu’ils paroissent croquer des noix. Je ris, poursuit-il encore, de voir ces Orateurs, qui, boursoufflés comme des Maures, ouvrent la bouche comme s’ils vouloient parler à leurs oreilles, & dont les mâchoires se choquent dans la colere comme deux beliers. A l’égard de leurs doigts, il faut qu’ils soient près les uns des autres, pour éviter la patte d’oye. J’aime mieux une main un peu ardente, que celle qui est engourdie, & qui paroît toujours avoir la crampe aux doigts. Mais craignez d’imiter ces doigts volages, qui semblent tracer en l’air toutes les lignes de Mathématiques ». On comprend aisément combien des préceptes sentis & annoncés de cette maniere sont propres à se faire goûter. Ne croit-on pas voir Arlequin donner des leçons & des exemples de gravité ?

Il en est à peu près de même des autres Ouvrages de M. l’Abbé Dinouart. Il a le secret de pervertir les genres ; & le Journal Ecclésiastique, qu’il a fait succéder au Journal Chrétien, dont son style a hâté la ruine, se ressent encore plus de la fatalité de sa plume.