(1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le duc d’Antin ou le parfait courtisan. » pp. 479-498
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(1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le duc d’Antin ou le parfait courtisan. » pp. 479-498

Le duc d’Antin ou le parfait courtisan.

Il faut étudier chaque chose dans son meilleur exemplaire. Le caractère de courtisan n’est point très noble ni très relevé ; mais le duc d’Antin en a été en son temps un type si accompli, si merveilleux et si fin, qu’il mérite de rester à son rang dans une galerie morale, comme représentant à nos yeux l’espèce. Nous avons d’ailleurs des moyens tout particuliers de l’étudier : il n’a pas eu seulement pour témoin assidu et curieux, pour révélateur impitoyable, le grand observateur Saint-Simon, le duc d’Antin a lui-même écrit des Mémoires, et a laissé comme une confession de ses faiblesses, de sa passion pour la Cour, et de tout ce qu’il a pu se dire pour ou contre dans le secret de sa conscience. Ne nous refusons pas d’y entrer avec lui.

Mais, avant tout, une petite explication est nécessaire sur ce qu’on doit entendre par les Mémoires du duc d’Antin. Il en a écrit de deux sortes et sous deux formes différentes : 1º des Mémoires proprement dits sur les événements historiques auxquels il a assisté, et les affaires politiques auxquelles il a pris part ; ces Mémoires, souvent cités par Lemontey dans son Histoire de la Régence, sont restés manuscrits, et je ne les connais pas ; 2º indépendamment de cet ouvrage, qui paraît être très volumineux, puisque Lemontey en cite à un endroit le tome VIIIe, le duc d’Antin, dans une vue toute morale et de méditation intérieure, avait écrit pour lui seul une espèce de discours de sa vie et de ses pensées, à peu près comme Bussy-Rabutin, qui, en dehors de ses Mémoires, a fait un résumé de sa vie dans un discours destiné à ses enfants sous le titre de L’Usage des adversités. Mais M. d’Antin n’avait fait son résumé, bien plus sincère, que pour lui, je le répète, et à son propre usage. Or, ce petit écrit, qui n’a pas cent cinquante pages, où il n’est qu’un moraliste et presque un pénitent, où il évite surtout l’air d’historien, a été imprimé en 1822 dans le volume des Mélanges de la Société des bibliophiles : comme ce rare volume n’a guère été tiré qu’à une trentaine d’exemplaires, on ne peut s’étonner que ces petits Mémoires de d’Antin soient si peu connus. C’est sur leur témoignage que je m’appuierai surtout ici. Ils offrent l’image la plus fidèle et la plus naïve d’une âme de courtisan, une confession presque ingénue à force de simplicité et d’abandon dans l’esprit de servitude. En voyant d’Antin si humble et si sincère d’aveu, on lui devient presque indulgent.

Louis-Antoine de Pardaillan de Gondrin, marquis et plus tard duc d’Antin, né vers 1665, était fils de Mme de Montespan, et, ce qui fit longtemps son désespoir, il était fils de son père, c’est-à-dire de M. de Montespan, et non pas de Louis XIV ; il était le fils unique né dans le mariage, et avant que Mme de Montespan entrât au lit de Jupiter pour lui donner des demi-dieux. Il se trouvait ainsi, simple mortel, le demi-frère du duc du Maine, du comte de Toulouse, enfin de ces sept enfants qui avaient nom Bourbon, et qui étaient traités comme de la pure race de l’Olympe. C’était lui, fils légitime, dont sa mère rougissait, tandis que les autres, les fils adultérins, s’étalaient par elle avec gloire. D’Antin, de bonne heure, fut un embarras et un inconvénient pour Mme de Montespan ; il fut plus tard son remords et sa pénitence, et elle revint à lui comme mère quand elle voulut se mortifier. Cette situation singulière décida dès l’enfance du tour de ses pensées, et donna le pli à son âme. Une âme fière, généreuse, un cœur haut placé se serait dit : « La honte est dans ma maison, mon père n’a pas su sauver les dehors, et porter son malheur avec calme et dignité ; je soutiendrai mon nom mieux que lui. Ma mère ne me verra point, car ma présence, si elle ne devient une bassesse et une flatterie, lui est une insulte. Je ne profiterai en rien de sa faute ; je tâcherai d’avoir du mérite, et je forcerai l’estime. » La guerre alors offrait aux gens de qualité une ample carrière, et un homme de cœur pouvait y faire ses preuves aux yeux de tous. Mais d’Antin n’était point une âme de cette trempe. Né avec beaucoup d’esprit, beau comme le jour dans sa jeunesse, « il tenait, dit Saint-Simon, de ce langage charmant de sa mère et du gascon de son père », du gascon adouci par « un tour et des grâces naturelles qui prévenaient toujours ». La Cour était son élément, le seul théâtre où il pût exercer et développer ses facultés souples, liantes, patientes, assidues : ce fut son idéal dès ses premières années. Son père l’avait emmené en Guyenne en bas âge ; là, dans son château de Bonnefons, il plaça près de lui un jeune précepteur, qui devint plus tard un prédicateur assez célèbre, l’abbé Anselme, sujet excellent, homme sensé et distingué, d’une piété éclairée, d’une morale exacte, qui donna à son élève les meilleurs préceptes et lui laissa les plus pures impressions : « Ce n’est point sa faute, dit M. d’Antin, si je n’ai pas l’esprit et le cœur faits comme je devrais l’avoir ; il n’y a rien oublié de sa part, ses paroles et ses actions étant toujours de concert. » Mais la nature avait mêlé dans cette âme délicate et molle des goûts de séduction qui ne demandaient que l’éveil. Dans son éducation domestique à Bonnefons, le jeune d’Antin n’avait pas manqué d’apprendre par les gens de la maison, surtout par les femmes de chambre, l’aventure de sa mère :

Comme elles comptaient que j’en profiterais, dit-il, et, par conséquent, qu’elles en auraient leur part, elles me parlaient toujours, à l’insu de mon père, du roi, de la Cour, des grands biens et fortunes qui m’attendaient. Il n’en faut pas tant pour faire impression sur l’esprit faible d’un enfant ; pareils discours en auraient fait une considérable sur l’esprit d’un homme même raisonnable. Je me laissai donc aller à l’amour des grandeurs ; le penser m’en parut doux, j’y rêvais seul quelquefois, et faisais avec mes femmes mille châteaux en Espagne, qui commençaient, sans que je fusse en état de m’en apercevoir, l’esclavage de mon cœur et de mon esprit.

À travers ce philtre chéri et cet agréable poison que buvait avidement sa nature toute préparée, le jeune d’Antin faisait de bonnes études successivement aux Jésuites de Moulins, au collège des Oratoriens de Juilly, et enfin au collège de Louis-le-Grand à Paris. Pendant ce temps de ses études tant à Paris qu’à Juilly, il ne vit Mme de Montespan que deux ou trois fois, et toujours en cachette ; il sentait bien qu’il était comme proscrit, selon son expression : mais il avait bonne confiance dans son étoile ; toutes les personnes qui le rencontraient lui témoignaient par leur air de considération qu’elles n’y comptaient pas moins que lui, et il se flattait toujours.

Après avoir fait son temps à l’Académie, c’est-à-dire s’être dressé aux divers exercices de corps, au cheval, aux armes, et à tout ce qui constituait un jeune homme de qualité accompli, d’Antin, à l’âge de dix-huit ans, entra au service ; on lui eut une place de sous-lieutenant dans un corps d’élite, dans le régiment du Roi, et il eut la permission, avant de partir, d’aller saluer le roi lui-même à Fontainebleau :

M. le duc de Bellegarde, mon oncle, fut chargé de me présenter. J’allai donc à Fontainebleau le 3 de septembre 1683. Je crus les cieux ouverts quand je me vis à la Cour ; je n’en connaissais guère toutes les amertumes.

D’Antin fût présenté au roi le lendemain 4 ; le roi fut bref avec lui ; d’Antin ne pouvait que lui rappeler une idée désagréable, c’est qu’un autre l’avait précédé. Mme de Montespan avait eu soin d’être absente de la Cour ce jour-là. En la voyant la veille ou l’avant-veille chez Mme de Thianges, d’Antin avait reçu d’elle cent pistoles seulement pour faire sa campagne. Nous avons besoin de nous reporter à la situation et aux idées du temps pour nous apercevoir que ce sont là des marques de rigueur ou de médiocre bienveillance.

Pendant la campagne, d’Antin commence à réfléchir, et il en vient à comprendre que, si porté qu’il semble devoir être par la faveur, c’est encore par ses services et sa conduite qu’il peut espérer le plus d’acquérir cette distinction qui est son ardent désir : il va désormais appliquer tout son esprit (et il en a beaucoup) à se faire une place. Cependant, au siège de Luxembourg, pendant la campagne de 1684, le roi étant venu en personne commander l’armée, « Sa Majesté, dit-il, me fit manger une fois avec elle, quoique sous-lieutenant, ce qui me fit un plaisir sensible : c’étaient autant d’amorces qui m’attiraient dans le piège dans lequel je ne demandais pas mieux que de tomber ». Ce piège, c’était de ne pouvoir plus vivre qu’en vue de la Cour, sous le regard et le rayon du maître, n’attendant, n’espérant rien que de lui, lui sacrifiant tout son être, et ne subsistant que de sa présence : voilà l’unique but de d’Antin, comme l’amoureux qui n’a de pensées que pour sa maîtresse, comme le dévot qui n’a d’autre fin que son Dieu.

Une idée qui vint d’abord à d’Antin, c’est que, pour plaire au roi, il fallait être magnifique et faire de la dépense ; pour y subvenir, à défaut des secours de Mme de Montespan, il s’appliqua au jeu, et il en tira de grosses sommes. Cela dura des années. Bien longtemps après, quand Mme de Montespan, tombée en disgrâce et dans une entière retraite, eut pris ce fils légitime comme une partie de sa pénitence et qu’elle se fut mise, par manière de réparation, à vouloir lui fonder une fortune régulière, elle exigea de lui qu’il ne jouerait plus ; croyant mieux l’y obliger, elle obtint qu’il chargeât le comte de Toulouse, son demi-frère, de dire expressément au roi que lui, d’Antin, renonçait au jeu pour toute sa vie : sur quoi le roi fit cette réponse bien naturelle, mais désespérante d’indifférence : « À la bonne heure ! Mais qu’est-ce que ça me fait que d’Antin joue ou qu’il ne joue pas ? » Il fallut bien des années à d’Antin pour vaincre cette indifférence glaciale du roi à son égard, et qui était son secret tourment. Ce ver rongeur, comme il l’appelait, lui dura vingt-quatre ans, avant qu’un jour de soudaine faveur l’en guérît.

D’Antin, n’étant pas aussi appuyé qu’il l’avait espéré, ne faisait que redoubler de zèle et d’industrie : « Il était beau, l’esprit vif, et gascon sur le tout : on n’est pas honteux avec ces qualités-là », a dit de lui l’abbé de Choisy. Il sut plaire même au misanthrope Montausier, qui lui donna en mariage Mlle d’Uzès, sa petite-fille. Avec cela il était devenu d’emblée colonel d’un nouveau régiment dit de l’Île de France. Sa mère le fit nommer menin de Monseigneur, du Dauphin, fils de Louis XIV. Une gravure du temps nous représente dans cet âge de première jeunesse « M. le marquis d’Antin, fils unique de M. le marquis de Montespan, et l’un des seigneurs nommés pour être assidus auprès de Monseigneur ». Il est en habit du matin, chapeau à trois cornes, debout dans une des allées de Versailles ; beau, fin, délicat de visage, élégant de taille, de port, de geste, la jambe bien faite ; c’est un très joli portrait, et qui contraste agréablement avec celui que Rigaud fit plus tard du grand seigneur, du duc et pair arrivé au faîte des honneurs, dans toute la maturité et dans toutes les largesses de la vie, portrait à grand fracas, à perruque solennelle, où la cuirasse et l’armure sont à demi noyées sous l’hermine, mais où la physionomie plus pleine exprime bien de la force et de la beauté. En voyant ces deux aspects d’un même personnage, je mettais en regard dans ma pensée les deux portraits que Saint-Simon a tracés également de d’Antin, l’un au début (t. V, p. 414), quand l’ambitieux, jeune encore et non rassasié, s’insinue, se pousse et aspire ; l’autre au faîte de la vie (t. XIII, p. 255), quand l’homme heureux se sent arrivé de tout point et repu. Sous ces formes diverses, nos Mémoires secrets nous aident à saisir le lieu continu et l’intime ressemblance.

Sitôt qu’il est placé auprès de Monseigneur, c’est-à-dire auprès de l’héritier présomptif et de celui qui, selon toute apparence, sera roi un jour, d’Antin s’exerce à l’assiduité : il est sage par tempérament et peu livré aux emportements de la jeunesse d’alors, ce qui lui laisse tout son temps pour remplir ses devoirs et pour faire sa cour, « à quoi, dit-il, on me trouvait beaucoup de talent ». Ce qui doit nous donner de l’indulgence pour d’Antin, dans ce métier avoué qui en lui-même n’a rien de bien honorable, c’est qu’insensiblement, et en même temps que son intérêt l’y attache, il y met son amitié, son affection, son cœur, et qu’aussi il ne fait jamais sa cour avec malignité ni aux dépens des autres. Les Mémoires que nous lisons, et qui ne sont guère qu’un examen moral et chrétien de conscience, nous le montrent au fond meilleur à bien des égards que ne le jugeait le monde et que les observateurs sévères ne le soupçonnaient.

Ceux qui croiraient de loin que d’Antin était un oisif se tromperaient beaucoup. Si, pendant les hivers, il ne quittait pas Monseigneur d’un pas, l’été, durant les campagnes, il se donnait une peine infinie pour se rendre propre à la guerre et pour y acquérir l’estime. Il paraît qu’il avait de grandes qualités pour les parties savantes de l’art militaire, la géographie, la topographie, la levée des plans, les subsistances ; c’était un homme très utile que d’Antin sous un Luxembourg ou sous un Boufflers, un bon officier d’état-major, comme nous dirions. Il ne lui manquait qu’une vertu pour faire un guerrier, c’était, assure-t-on, la bravoure personnelle, et encore il dissimulait si bien, il prenait tellement sur lui, qu’on fut assez longtemps avant de voir à nu le défaut. Les étés, les hivers étaient ainsi employés par d’Antin à la poursuite laborieuse de sa fortune : dans le parfait idéal où il se la peignait toujours, il ne croyait pas encore l’avoir atteinte. La guerre ayant recommencé en 1701, il fut nommé pour servir en Flandre ; il devint, en 1702, lieutenant général, et continua d’être employé les années suivantes. Au retour des campagnes, il ne bougeait de Meudon où était Monseigneur, et il réalisait le miracle d’être vu en plusieurs lieux à la fois ; car on ne rencontrait que lui à Versailles : « Je ne manquais à rien, à l’égard du roi, de tout ce que l’envie de plaire peut suggérer à un courtisan éveillé. » Pour mieux gagner dans l’estime du roi, il mettait sa délicatesse à ne lui rien demander, et visait, par une sorte de platonisme courtisanesque, à n’acquérir que la considération de son maître : c’était le but de toutes ses espérances.

Une personne de ses amis, et qui s’intéressait à lui, le voyant dans ce train d’ambition raffinée qu’il fallait soutenir par une vie de dépense et de ruine, lui dit un jour, après s’en être expliquée avec lui :

« Mon ami, vous êtes un fou ; il n’y a point de place, le cœur du roi est rempli ; vous courez après une idée chimérique dont vous serez sûrement la dupe. » — J’étais trop enivré, ajoute d’Antin, pour croire de si bons conseils ; et moins je recevais de grâces, plus je redoublais de soins et d’assiduité à la Cour et à la guerre.

Les années 1706 et 1707 amenèrent une crise dans la vie de d’Antin. Il se trouva brusquement réformé et retranché du service au commencement d’avril 1707, à l’âge de quarante-deux ans ; il ne fut pas des lieutenants généraux désignés pour la campagne qui allait s’ouvrir. Sa conduite, l’année précédente, à la désastreuse bataille de Ramillies, perdue par le maréchal de Villeroi, lui avait été reprochée. On l’accusait, lui et quelques autres officiers généraux, d’avoir faibli dans cette rude journée et d’être allé derrière un buisson. J’ai lu à la Bibliothèque nationale, dans le Recueil dit de Maurepas, toutes les chansons satiriques qui ont trait à cette affaire et auxquelles le récit de Saint-Simon vient prêter appui : elles sont la plupart trop plates ou trop ordurières pour pouvoir être citées. Ce sont là, d’ailleurs, des points délicats où il nous est impossible, à cette distance, de venir prononcer un jugement. Le fait est que d’Antin, connu et apprécié pour des talents militaires distingués, n’était point un foudre de guerre. Il n’en souffrit pas moins cruellement de l’affront qui lui était fait ; et alors, non pas, comme on l’a cru, par hypocrisie et pour complaire au roi, mais par un réveil naturel des sentiments religieux de sa première éducation, il songea à Dieu dans sa disgrâce, et il essaya s’il ne pourrait pas guérir son cœur en le tournant vers ce qui ne change point. Cette pensée seule est honorable ; et, même lorsqu’elle demeure inutile et vaine comme elle le fut ici, elle témoigne d’un effort non vulgaire. Retiré à la campagne, à Bellegarde, au mois d’avril 1707, il épanche, dans ce premier moment de douleur, ses réflexions sur l’homme, sur la destinée, sur ce que sont pour nous fatalement la naissance, l’éducation première, sur le peu qu’est la raison dans notre conduite et sur l’inefficacité de ses conseils quand nos goûts et nos passions la contrarient ; et il se prend lui-même à partie pour sujet de démonstration et pour exemple. Ces Mémoires de d’Antin ressemblent par moments à un sermon, mais à un excellent sermon de l’élève de l’abbé Anselme.

On parle souvent de la différence d’esprit qui règne entre les différents siècles. C’est ainsi que les disgraciés et ceux que frappait le malheur raisonnaient et réfléchissaient au xviie  siècle : tantôt, comme M. de Bellefonds, comme M. de Tréville, ils entraient dans la retraite et la pénitence pour n’en plus sortir73 ; tantôt, comme d’Antin, ils en essayaient seulement en secret pour retomber bientôt au courant de leurs goûts mondains et de leurs faiblesses : mais c’était déjà quelque chose que d’essayer. Au xixe  siècle, dans ce monde positif et où, de plus en plus, la pensée spiritualiste est comme naturellement absente, je doute que, parmi ces victimes de la fortune, ces déchus du pouvoir, comme nous en voyons si souvent, il en soit beaucoup, il en soit un seul qui ait de telles idées de retraite intime et de recours à la pensée de l’éternité. Les plus sages même agissent comme s’il n’y avait rien de réel que ce monde, comme s’il n’y en avait pas un autre invisible plus certain et permanent. Tous ces déchus du pouvoir anticipent de leurs vœux l’heure de leur rentrée en scène, et les plus sages se bornent à l’attendre.

D’Antin, tout plat courtisan qu’il est, a donc une idée morale supérieure ; et, puisque j’en suis ici, non pas à le réhabiliter, mais à le montrer au vrai et sans que nous en puissions tirer orgueil, qu’on sache bien que la forme du courtisan n’a fait que changer ; elle a changé comme la forme même du souverain. Le flatteur du peuple, en quoi, je vous prie, diffère-t-il du flatteur du roi ? Est-il plus noble, plus indépendant, plus désintéressé, et, à le bien voir, moins misérable ? Je ne voudrais point ici évoquer des noms et faire comparaître les Cléons de la populace athénienne en regard des d’Antin de la cour de Louis XIV. Il y a longtemps qu’Aristote a remarqué que les deux espèces de flatteurs se ressemblent et ont, au fond, des traits identiques. Tenons-nous-en à d’Antin, le plus poli.

Sa disgrâce, en 1707, après vingt-quatre ans de service, lui semble donc complète, et il la déplore avec des accents où la servilité elle-même se déguise sous des airs de sentiment :

Mon malheur est sans exemple… Ce qu’il y a de plus épouvantable pour ce qui me regarde, c’est que le roi a toujours paru content de moi et touché de mes soins ; il l’a dit en son particulier même à qui l’a voulu entendre ; j’ai toujours été favorablement traité, même avec privauté et distinction ; un mois même avant ce dernier coup, il me dit tout haut dans son cabinet, devant toute la Cour, que j’avais toujours bien fait ; et cependant en voilà la récompense !

Il s’afflige bien moins encore de l’arrêt de sa fortune que de cette sorte d’ingratitude qu’il croit rencontrer au cœur du maître ; et c’est ici que nous trouvons chez d’Antin ce qui le caractérise dans l’espèce et ce que j’ai déjà appelé le platonisme du courtisan. Il en voulait au cœur du roi avant tout, il filait à la Cour le parfait amour, et c’est l’endroit aussi par où il est le plus blessé :

Un homme sage, dit-il, peut se passer de la fortune, surtout quand il a fait abondamment ce qu’il faut pour la mériter. Mais que l’on ne puisse jamais espérer de plaire et de mériter la moindre part dans l’amitié de quelqu’un à qui vous êtes attaché uniquement, que vous servez avec dévouement, auprès duquel vous passez votre vie entière dans un abandon total de vous-même, et occupé jour et nuit de ce qui peut lui être plus agréable ; en vérité, c’est un état trop douloureux pour les gens qui ont le malheur d’avoir le cœur sensible.

On voit combien d’Antin prenait au sérieux un regard plus ou moins clément de Louis XIV ; rappelons-nous que Racine ne le prenait pas moins à cœur et qu’il en mourut.

En nous peignant, à ce moment, la vie du courtisan comme un homme désabusé du métier, et qui fait effort pour rompre sa chaîne, d’Antin ne fait presque que paraphraser dans sa prose le charmant monologue de Sosie au début de l’Amphitryon :

Sosie, à quelle servitude
Tes jours sont-ils assujettis !…

Il nous rappelle aussi le poète La Motte, qui, après une chute au théâtre, se retira quelque temps à La Trappe : « Il se croyait pénitent, a-t-on dit, parce qu’il était humilié. »

D’Antin ne va pas jusqu’à songer à La Trappe. Cherchant à rassembler dans sa raison toutes ses forces et tous ses motifs de renoncement, il se dit qu’il n’a guère plus de quarante ans ; qu’il y a moyen, après avoir consacré sa jeunesse au service du roi et de sa patrie, de vivre chez soi en honnête homme ; il se trace le plan d’une vie heureuse et privée : « Avoir du bien honnêtement, n’avoir rien à se reprocher (et, pour cela, commencer par payer toutes ses dettes), avoir mérité d’avoir des amis, et savoir s’amuser des choses simples. » Toutes ces conditions pourtant ne laissent pas d’être difficiles à rencontrer dans le même homme, et il suffit d’une seule qui échappe, ou d’un goût étranger qui se réveille, pour faire tout manquer, et pour corrompre ce tranquille bonheur.

Après avoir essayé de tous les raisonnements à la Sénèque, après s’être proposé des perspectives de loisir riant comme Atticus, d’Antin pose la plume pour cette fois, et il ne la reprend que quinze mois plus tard en revenant aux mêmes lieux, à ce château de Bellegarde ; mais quel changement dans l’intervalle ! et que les serments du courtisan, du poète, de l’ivrogne et de l’amoureux sont peu de chose !

Et d’abord, dans le courant de l’été de 1707, Mme de Montespan mourut aux eaux de Bourbon. M. d’Antin, averti, accourut à temps près d’elle et l’assista dans ses derniers jours. Après l’avoir vue mourir, il se retira quelque temps à Bellegarde ; puis, ayant paru à la Cour, il reçut, à cette occasion, de Louis XIV, des témoignages qui le rengagèrent, à l’instant, de plus belle : « Je reçus en arrivant beaucoup d’honnêtetés du roi, elles me parurent sincères. Je suis bien persuadé que, malgré toutes mes résolutions et mes chagrins, je cherchais à les trouver telles. » Les compliments, les assurances de services qui lui pleuvent de toutes parts, lui sont un prétexte ; tout conspire avec son secret désir ; il se laisse reprendre plus que jamais au train de la Cour. Monseigneur, dans ses chasses à la forêt de Sénart, fait à d’Antin l’honneur de s’arrêter plus d’une fois à sa terre de Petit-Bourg, et Louis XIV (faveur insigne !) veut bien lui dire qu’il y couchera en allant à Fontainebleau. C’est ici que d’Antin se surpasse et que l’art du courtisan, en lui, atteint à des recherches et à des délicatesses dont on n’avait pas eu l’idée jusque-là. Il n’avait, avant l’époque annoncée de la visite du roi, que cinq semaines pour s’y préparer ; dans ce court intervalle il métamorphosa Petit-Bourg, qui n’était, dit-il modestement, qu’une chaumière, et il en fit un lieu où le roi avec sa Cour se trouva en arrivant comme chez lui (13 septembre 1707). On avait copié dans le détail jusqu’aux moindres particularités de l’appartement intérieur de Mme de Maintenon à Versailles. Le roi se promena, visita le parc, loua tout, hors une belle allée de marronniers qui masquait la vue de sa chambre. Le lendemain au réveil, regardant à sa fenêtre, il fut bien étonné d’avoir la plus belle vue du monde. L’allée entière avait disparu la nuit, sans bruit aucun, et comme par enchantement : « Sire, comment vouliez-vous qu’elle osât encore paraître devant Votre Majesté ? elle vous avait déplu. » On ajoute que Mme de Maintenon ne put s’empêcher de dire en partant qu’elle se trouvait heureuse de n’avoir pas déplu au roi le soir, car elle voyait bien, de la façon dont y allait M. d’Antin, qu’elle aurait risqué d’aller coucher sur la grande route. On a raconté aussi que plus tard, dans un séjour de Louis XIV à Fontainebleau, le roi ayant blâmé un bois qui masquait la vue, la même scène se renouvela avec quelque variante : peu de jours après l’observation du roi, d’Antin, alors directeur des Bâtiments, avait préparé avec art son coup de théâtre : il avait fait scier tous les arbres près de la racine ; des cordes étaient attachées aux troncs, et toute une armée de bûcherons invisibles attendait en silence. Le roi ayant dirigé sa promenade de ce côté, renouvela sa remarque ; d’Antin dit que le roi n’avait qu’à ordonner à la forêt de disparaître, et qu’il serait obéi. À l’instant, au signal d’un coup de sifflet, on vit tomber toute la forêt comme dans une décoration d’opéra. — « Ah ! Mesdames, s’écria la duchesse de Bourgogne qui était présente, si le roi avait demandé nos têtes, M. d’Antin les aurait fait tomber de même. » Je n’oserais affirmer qu’un peu de légende ne se soit pas glissé dans ces deux histoires qui se répètent un peu, en renchérissant l’une sur l’autre. D’Antin, en homme modeste, n’en dit rien dans ses petits Mémoires.

Au reste, le mot et l’impression de la duchesse de Bourgogne, choquée comme l’avait été Mme de Maintenon, s’expliquent bien. M. d’Antin avait pour Louis XIV de ces imaginations galantes qu’il n’était permis d’avoir, même alors, en France, que pour une maîtresse.

Ainsi la mort de Mme de Montespan, par un singulier effet, et comme si l’on eût voulu réparer le passé, devient pour d’Antin le signal inespéré de la faveur. Peu de jours après cette visite à Petit-Bourg, le roi, qu’il avait suivi à Fontainebleau, lui donna le gouvernement de l’Orléanais, qui était venu à vaquer. « Me voilà dégelé ! » s’écria d’Antin en essuyant ce premier rayon de grâce. C’était le premier bienfait proprement dit, qu’il eût reçu depuis vingt-cinq ans qu’il faisait sa cour. Ce qui toucha d’Antin en cette circonstance, c’était moins encore la chose que la manière ; et, repassant tous les événements si contraires qui s’étaient succédé depuis son affront en avril 1707, jusqu’à ce retour bienveillant en septembre de la même année, il écrivait naïvement dans son Journal : « Jamais le cœur humain n’a reçu tant de secousses différentes. »

Ce n’est pas la vie de d’Antin que j’écris, je ne fais que profiter de l’ouverture et du jour que lui-même, par ses aveux, nous a donné sur ses pensées. Les faveurs pour lui se succèdent. À la mort de Mansart, surintendant des Bâtiments, il demande au roi sa place, « sur le pied, dit-il, de m’être toujours mêlé de jardinage et d’avoir un peu de goût pour les maisons ». Quoique cette place ne semblât point faite pour honorer un homme de sa condition, il la désirait surtout par le motif de l’accès qu’elle procurait auprès du roi, et de l’assiduité qui était pour d’Antin la vie même. Il l’obtint sous le titre de directeur général, et, bravant les quolibets de quelques railleurs, il la remplit à la satisfaction de tous, et de manière à ne pas faire regretter l’habile homme auquel il succédait. Mansart, sans commettre de malversation, avait laissé s’introduire des désordres : d’Antin établit une comptabilité plus exacte :

Personne, dit-il, n’était payé dans les Bâtiments, les ouvriers maltraités ; les trésoriers, les maîtres soutenant qu’ils étaient en avance de quatre ou cinq cent mille francs chacun. Je leur fis rendre compte, et en six mois je leur fis rapporter plus de cent mille écus comptant, dont ils étaient redevables au roi, ce qui me mit en bonne odeur dans les Bâtiments.

La langue écrite de d’Antin est négligée, mais elle est pleine de ces locutions qui nous plaisent comme sentant la façon de dire de son siècle.

Tous les succès de d’Antin à la Cour et la félicité où il nage en ces années 1709-1710 ne l’empêchent pas de revenir de loin en loin à son Journal, pour y consigner ses regrets, ses moralités, ses scrupules même de conscience : il semble qu’il ait eu, de temps en temps, besoin de s’administrer de petites leçons morales, des admonestations dont il sait bien qu’il tient trop peu de compte dans sa conduite : mais il espère toujours que, la grâce aidant, le moment viendra finalement d’en profiter. Il dit du mal de la Cour et nous en déduit le fort et le faible, mais il a la bonne foi d’en avouer tout l’attrait :

Il faut cependant avouer qu’il est difficile de quitter ce pays-là quand on y a passé une partie de la vie ; et, malgré tous les vices et les défauts que j’y ai remarqués, il y a un petit nombre d’hommes et de femmes avec qui on peut passer agréablement sa vie, et mieux qu’ailleurs, par la difficulté de les assembler.

Les malheurs arrivent ; le meilleur maître et le plus tendre protecteur de d’Antin, Monseigneur, est enlevé par la petite vérole (avril 1714). Moins d’un an après (1712), le duc et la duchesse de Bourgogne et leur fils aîné sont enlevés en quelques jours : il se fait « une terrible moisson de personnes royales » ; et d’Antin lui-même a perdu son fils aîné, âgé de vingt-deux ans. Voilà, certes, de quoi le détacher du monde et de la Cour, et le reporter à ces déterminations sages et religieuses qu’il avait comme entrevues en 1707. Mais le naturel est plus fort : d’Antin n’en tire qu’un motif de plus de s’attacher, s’il se peut, davantage au roi par une assiduité dont on ne citerait « que peu d’exemples ». Il sent autant que personne la fragilité des choses et le néant de l’ambition ; il se dit tout ce qu’on peut dire, et il rencontre même certains accents élevés et d’éloquence :

J’ai vu par là, dit-il (après l’énumération des malheurs de 1712), j’ai vu culbuter mille et mille projets, les soins et les peines de vingt années, mille fortunes mêlées à cela ; la désolation de la première famille du monde ; un deuil universel. À quoi tout cela m’a-t-il servi ? Un si grand bouleversement m’a-t-il détaché de choses aussi périssables ? En suis-je devenu plus sage et plus occupé des choses permanentes, exemptes de vicissitudes ? Non ; il faut m’avouer au moins à moi-même toute ma turpitude et ma folie.

J’ai vu tous ces événements comme dans un tableau : j’ai ressenti les mouvements de la nature, j’ai pleuré mon fils amèrement, j’ai regretté très sincèrement Mme la Dauphine ; les malheurs à venir de ma patrie m’ont touché ; j’ai été attendri de l’horreur d’un spectacle comparable à rien : voilà tout ; je n’ai rien changé à ma conduite. Je n’ai pas eu moins d’attachement pour les mêmes choses, pour la Cour et pour tous les objets qui m’ont enivré depuis mon enfance, et dont rien ne m’a pu guérir, voyant et connaissant cependant mon extravagance ; chose étrange et qui m’humilie terriblement !

Voilà, ce me semble, des accents. D’Antin y insiste ; il ne perd aucune occasion de se représenter dans les vicissitudes de ces années (1712-1715) la misère des espérances mortelles ; la chute de Mme des Ursins lui rafraîchit cette amère leçon : « Je regarde comme une gorge-chaude, dit-il avec plus d’énergie qu’à lui n’appartient, toutes les occasions où je peux me convaincre de la légèreté et de la bizarrerie de la fortune. » Quand le chancelier, M. de Pontchartrain, se retire et va méditer sur une vie meilleure, il y voit un bel exemple et qu’il voudrait avoir le courage d’imiter : « Heureux ces prédestinés, s’écrie-t-il, qui savent se couper dans le vif et mettre une distance raisonnable entre la vie et la mort ! »

On n’a jamais mieux senti qu’en lisant d’Antin ce que c’est proprement que la trempe de l’âme ; la sienne était souple et molle comme cire. Un abbé de Rancé s’était dit autrefois ces mêmes choses, et du jour où il se les était dites sérieusement, tout pour lui avait changé. Une fois saisi de l’idée d’éternité, il ne s’en était plus séparé, et il avait été gravissant de jour en jour vers les sommets d’une pénitence austère. D’Antin, qui saisissait par l’esprit et même par le cœur bien des lueurs de sagesse et de vérité, avait l’âme muable, facile, ouverte et abandonnée à toutes les choses qui passent, et y reprenant sans cesse. Au reste, il se connaissait à merveille, et il nous a dit son dernier mot dans le passage qui suit, et où il se pourchasse lui-même dans ses replis et ses déguisements :

Au bout de tout cela, j’entre dans ma cinquantième année (1714). La goutte, les rhumatismes, les fatigues de la guerre, tout attaque la bonne santé dont j’ai toujours joui ; je vois le vide de la vie que je mène ; je ne désire aucune fortune plus que celle que j’ai ; je n’ai aucune démangeaison de me mêler des affaires publiques, et cependant je demeure courtisan, et je m’y ruine par toutes sortes de dépenses, plus encore pour satisfaire mon goût que pour plaire au roi, quoiqu’il en soit le prétexte.

Voilà l’homme connu ; après un tel aveu que pourrait-on ajouter ?

La nature comme la fortune l’avait destiné à servir et à demeurer bon gré mal gré dans les cours. Il était de ceux que les maîtres qui se succèdent tiennent à s’attacher, car ce sont de ces acteurs rares et soumis qui remplissent parfaitement les rôles secondaires, et dont les aptitudes et les capacités, dans leur juste mesure, se dirigent à tout. Louis XIV mourait, et le duc d’Orléans devenait la puissance du jour. C’était lui qui avait dit de d’Antin ce mot décisif : « Voilà comme un vrai courtisan doit être, sans humeur et sans honneur. » Il semblait que d’Antin eût fait son temps, et il se disposait à pratiquer enfin sa morale de retraite :

Je voyais, dit-il (dans les huit jours qui précédèrent la mort du roi), je voyais tout le monde courre au soleil levant ; les gens attachés de longue main à M. le duc d’Orléans épanouissaient leur visage. Ceux qui n’avaient point encore découvert leur attachement pour lui commençaient à lever la tête ; on allait, on venait, on s’assemblait ; on réglait tout, on partageait tout. Je demeurais comme une bête, sans mouvement, ne me croyant pas permis d’avoir une autre conduite, à l’agonie de ce cher maître, que celle que j’avais eue de son vivant.

Notez en passant cette poussée de beau langage ! — Le duc d’Orléans le choisit toutefois pour entrer dans le nouveau gouvernement, et d’Antin, qui ne savait pas dire non à celui qui régnait, se laissa faire. Pauvre homme ! il s’arrangeait pour une disgrâce, et il retrouva une carrière. Ainsi jusqu’à la fin. C’est le courtisan incurable et qui mourra dans l’impénitence finale.

Il devient un personnage presque comique à force de réitérer ses mea culpa :

Je répète toujours la même chose, dit-il, mais je ne saurais trop la répéter jusqu’à ce que j’en fasse un bon usage. La chose du monde que je comprends le moins, c’est qu’un homme se conduise comme je fais, et qu’il soit aussi convaincu que je le suis de toutes les vérités que je mets sur le papier.

Sa conduite sous la Régence appartient à l’histoire. On l’a fort accusé d’avoir fait ses affaires dans les opérations de Law. Placé d’abord à la tête d’un des Conseils institués par le Régent, membre du Conseil de régence, d’Antin ne cessa point d’avoir la direction des Bâtiments ; il y portait de la magnificence et du goût. Il mourut le 2 novembre 1736, à l’âge de soixante et onze ans. Son caractère est pour nous plus intéressant que sa vie. Il est de ceux qui, mieux connus, regagnent quelque chose dans l’estime ou du moins dans la pitié. Cette servilité et cette bassesse d’âme, que ne saurait couvrir tout l’art industrieux du courtisan, s’ennoblit un peu et se relève chez d’Antin par la profession du christianisme, et, dans ces moments, elle devient simplement de l’humilité. En peignant si à nu sa défaite et l’infirmité de la raison aux prises avec les inclinations les plus chères, il nous désarme nous-mêmes et nous force, par un retour secret, à nous demander : « Et qui donc d’entre nous sait assez résister à ses propres passions pour lui jeter la première pierre ? — J’ai pensé qu’on ne lirait pas sans intérêt cette analyse imprévue que nous a permis de faire de son caractère intime et de sa nature si particulière, le plus assidu, le plus raffiné courtisan de Louis XIV, celui qui, par une convenance heureuse, a mérité de laisser son nom au plus élégant des quartiers de Paris.