(1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre V. Des ouvrages d’imagination » pp. 480-512
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(1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre V. Des ouvrages d’imagination » pp. 480-512

Chapitre V.
Des ouvrages d’imagination

Il est facile de signaler les défauts que le bon goût fait toujours une loi d’éviter dans les ouvrages littéraires ; mais il ne l’est pas également d’indiquer quelle est la route que l’imagination doit se tracer à l’avenir pour produire de nouveaux effets. Il est de certains moyens de succès en littérature dont la révolution a nécessairement détruit les causes. Commençons par examiner quels sont ces moyens, et nous serons conduits naturellement à quelques aperçus sur les ressources nouvelles qui peuvent encore se découvrir.

Les ouvrages d’imagination agissent sur les hommes de deux manières : en leur présentant des tableaux piquants qui font naître la gaieté, ou en excitant les émotions de l’âme. Les émotions de l’âme ont leur source dans les rapports inhérents à la nature humaine ; la gaieté n’est souvent que le résultat des relations diverses, et quelquefois bizarres, établies dans la société. Les émotions de l’âme ont donc une cause durable qui subit peu de changements par les événements politiques, tandis qu’à plusieurs égards la gaieté est dépendante des circonstances.

Plus vous simplifiez les institutions, plus vous effacez les contrastes dont l’esprit philosophique sait faire ressortir des oppositions frappantes. Voltaire est de tous les écrivains celui dont les ouvrages servent le mieux à démontrer combien un ordre politique raisonnable ôterait de ressources à la plaisanterie. Voltaire met sans cesse en opposition ce qui devrait être et ce qui était, la pédanterie des formes et la frivolité des esprits, l’austérité des dogmes religieux et les mœurs faciles de ceux qui les enseignaient, l’ignorance des grands et leur pouvoir. Enfin la plupart de ses écrits supposent des institutions toujours contraires à la raison, et des institutions assez puissantes pour donner à la plaisanterie qui les attaque le mérite de la hardiesse. Si telle religion n’était pas en autorité dans un pays, il ne serait pas plus piquant de s’en moquer, qu’il ne le serait en Europe de tourner en ridicule les cérémonies des Brames. Il en est de même du préjugé de la naissance, et des abus révoltants qu’il peut entraîner. Les habitants d’un pays dans lequel ces abus n’existeraient pas, accorderaient à peine un léger sourire aux dérisions qui auraient ces préjugés pour objet.

Les Américains sentiraient bien faiblement le mérite d’une situation comique qui ferait allusion à des institutions tout à fait étrangères à leur gouvernement ; ils écouteraient peut-être encore ce qu’on en peut dire à cause de leurs rapports avec l’Europe ; mais jamais leurs écrivains ne penseraient à s’exercer sur un tel sujet. Toutes les plaisanteries qui portent sur les institutions civiles et politiques contraires à la raison naturelle, perdent leur effet dès qu’elles atteignent leur but, la réformation de l’ordre social.

Les Grecs se moquaient de leurs magistrats, mais non pas de leurs institutions. Leur religion poétique enchaînait leur imagination ; ils étaient toujours gouvernés, ou par une autorité de leur choix, ou par un tyran qui les asservissait entièrement. Ils n’ont jamais été, comme les Français, dans cette sorte de situation intermédiaire, la plus féconde de toutes en contrastes spirituels.

La nation française prenait ses propres souffrances pour l’objet de ses plaisanteries, couvrait de ridicule par son esprit ce qu’elle encensait par ses formes, affectait de se montrer étrangère à ses intérêts les plus importants, et consentait à tolérer le despotisme, pourvu qu’elle pût se moquer d’elle-même comme l’ayant supporté.

Les philosophes grecs ne se sont point mis, comme les philosophes des pays monarchiques, en opposition avec les institutions de leur pays ; ils n’avaient pas l’idée de ces droits d’héritage qui fondent la plupart des pouvoirs chez les nations modernes depuis l’invasion des peuples du Nord. L’autorité des magistrats, en Grèce, devait sa force à l’assentiment de la nation même. Rien n’aurait donc paru plus singulier que de chercher à rendre ridicule un ordre politique entièrement dépendant de la volonté générale. D’ailleurs les peuples libres mettent trop d’importance aux institutions qui les gouvernent, pour les livrer au hasard d’une insouciante moquerie.

Si la constitution de France est libre, et si ses institutions sont philosophiques, les plaisanteries sur le gouvernement n’ayant plus d’utilité, n’auront plus d’intérêt. Celles même qui ont pour but, comme dans Candide, de se moquer de l’espèce humaine, ne conviennent point sous plusieurs rapports dans un gouvernement républicain.

Quand le despotisme existe, il faut consoler les esclaves, en flétrissant à leurs yeux le sort de tous les hommes ; mais l’exaltation nécessaire à la liberté républicaine doit inspirer de l’éloignement pour tout ce qui peut tendre à dégrader la nature humaine. Dégoûter de la vie, ce n’est point fortifier le courage. Ce qui importe, c’est de placer au-dessus d’elle les jouissances de la vertu, et de donner à tous les sentiments de l’âme une grande valeur, pour relever d’autant plus le sentiment suprême, l’amour du bien et des hommes.

Le secret de la plaisanterie est, en général, de rabattre tous les genres d’essor, de porter des coups de bas en haut, et de déjouer la passion par le sang-froid. Ce secret sert puissamment contre l’orgueil et les préjugés ; mais il faut que la liberté, il faut que la vertu patriotique se soutiennent par un intérêt très actif pour le bonheur et la gloire de la nation, et vous flétrissez la vivacité de ce sentiment ; si vous inspirez aux hommes distingués cette sorte d’appréciation dédaigneuse de toutes les choses humaines, qui porte à l’indifférence pour le bien comme pour le mal.

Lorsque la société marche dans la route de la raison, c’est le découragement surtout qu’il faut éviter ; et ces plaisanteries qui, après avoir utilement détruit la force des préjugés, ne pourraient plus agir que sur la puissance des sentiments vrais, ces plaisanteries attaqueraient le principe d’existence morale qui doit soutenir les individus et les hommes. Ainsi donc Candide et les écrits de ce genre qui se jouent, par une philosophie moqueuse, de l’importance attachée aux intérêts même les plus nobles de la vie, de tels écrits sont nuisibles dans une république, où l’on a besoin d’estimer ses pareils, de croire au bien qu’on peut faire, et de s’animer aux sacrifices de tous les jours par la religion de l’espérance.

Il existe sans doute, dans les ouvrages d’esprit, un autre genre de gaieté que celle qui tient presque uniquement à des plaisanteries sur l’ordre social ou sur la destinée humaine ; c’est l’observation juste et fine des passions et des caractères. Le génie de Molière est le plus sublime modèle de ce talent supérieur. Voltaire n’a pu produire en ce genre aucun effet théâtral, quelque piquante que soit la tournure habituelle de son esprit. Il reste donc à examiner quels sont les sujets de comédie qui peuvent le mieux réussir dans un état libre.

Il y a deux sortes de ridicules très distincts parmi les hommes, ceux qui tiennent à la nature même, et ceux qui se diversifient selon les différentes modifications de la société. Les ridicules de ce dernier genre doivent être en beaucoup moins grand nombre dans les pays où l’égalité politique est établie ; les relations sociales se rapprochant davantage des rapports naturels, les convenances sont plus d’accord avec la raison. On pouvait être un homme de beaucoup de mérite sous l’ancien régime, et cependant se rendre ridicule par une ignorance absolue des usages. Les véritables convenances, dans un état libre, ne peuvent être blessées que par les défauts réels de l’esprit ou du caractère.

Souvent il fallait, sous la monarchie, savoir concilier sa dignité et son intérêt, l’extérieur du courage et le calcul secret de la flatterie, l’air de l’insouciance et la persistance de l’intérêt personnel, la réalité de la servitude et l’affectation de l’indépendance. Toutes ces difficultés à vaincre pouvaient rendre très aisément ridicule celui qui ne connaissait pas l’art de les éviter. Plus de simplicité dans les manières et dans les situations fournirait aux écrivains, sous la république, beaucoup moins de scènes de comédies.

Parmi les pièces de Molière, il en est qui se fondent uniquement sur des préjugés établis, telles que Le Bourgeois gentilhomme, George Dandin, etc. ; mais il en est aussi, telles que L’Avare, Le Tartufe, etc. qui peignent l’homme de tous les pays et de tous les temps ; et celles-là pourraient convenir à un gouvernement libre, si ce n’est dans chaque détail, au moins par l’ensemble.

Le comique qui porte sur les vices du cœur humain est plus frappant, mais plus amer que celui qui retrace de simples ridicules ou de bizarres institutions. On éprouve un sentiment confus de tristesse dans les scènes les plus comiques du Tartufe, parce qu’elles rappellent la méchanceté naturelle à l’homme ; mais quand les plaisanteries se portent sur les travers qui résultent de certains préjugés, ou sur ces préjugés eux-mêmes, l’espoir que vous conservez toujours de les corriger, répand une gaieté plus douce sur l’impression causée par le ridicule. L’on ne peut avoir ni le talent, ni l’occasion de ce genre de gaieté légère dans un gouvernement fondé sur la raison, et les esprits doivent plutôt se tourner vers la haute comédie, le plus philosophique de tous les ouvrages d’imagination, et celui qui suppose l’étude la plus approfondie du cœur humain. La république peut exciter une émulation nouvelle dans cette carrière.

Ce qu’on se plaît à tourner en dérision, sous une monarchie, ce sont les manières qui font disparate avec les usages reçus ; ce qui doit être l’objet, dans une république, des traits de la moquerie, ce sont les vices de l’âme qui nuisent au bien général. Je vais rappeler un exemple remarquable des sujets nouveaux que peut traiter la comédie, et du nouveau but qu’elle doit se proposer.

Dans Le Misanthrope, c’est Philinte qui est l’homme raisonnable, et c’est d’Alceste que l’on rit. Un auteur moderne, développant ces deux caractères dans la suite de leur vie, nous a fait voir Alceste généreux et dévoué dans l’amitié, et Philinte avide en secret et tyranniquement égoïste. L’auteur a saisi, je crois, dans sa pièce, le point de vue sous lequel il faut présenter désormais la comédie : ce sont les vices pour ainsi dire négatifs, ceux qui se composent de la privation des qualités, qu’il faut maintenant attaquer au théâtre. Il faut signaler de certaines formes derrière lesquelles tant d’hommes se retirent pour être personnels en paix, ou perfides avec décence. L’esprit républicain exige des vertus positives, des vertus connues. Beaucoup d’hommes vicieux n’ont d’autre ambition que d’échapper au ridicule ; il faut leur apprendre, il faut avoir le talent de leur prouver que le succès du vice prête plus à la moquerie que la maladresse de la vertu.

Depuis quelque temps, on appelle un caractère décidé celui qui marche à son intérêt, au mépris de tous ses devoirs ; un homme spirituel, celui qui trahit successivement avec art tous les liens qu’il a formés. On veut donner à la vertu l’air de la duperie, et faire passer le vice pour la grande pensée d’une âme forte ; il faut que la comédie s’attache à faire sentir avec talent que l’immoralité du cœur est aussi la preuve des bornes de l’esprit ; il faut qu’elle parvienne à mettre en souffrance l’amour-propre des hommes corrompus, et qu’elle fasse prendre au ridicule une direction nouvelle. On aimait jadis à peindre la grâce de certains défauts, la niaiserie des qualités estimables ; mais ce qui est désirable aujourd’hui, c’est de consacrer l’esprit à tout rétablir dans le sens vrai de la nature, à montrer réunis ensemble le vice et la stupidité, le génie et la vertu.

Quels seront nos contrastes, dira-t-on, et d’où naîtront nos effets ? Il en doit sortir de très inattendus de ce nouveau genre. On n’a cessé, par exemple, de nous présenter au théâtre la conduite immorale des hommes envers les femmes, avec l’intention de se moquer des femmes trompées. La confiance que peuvent avoir les femmes dans les sentiments qu’elles inspirent, peut être, avec raison, l’objet de la raillerie ; mais le talent se montrerait plus fort, le sujet serait pris de plus haut, si c’était au trompeur que s’attachât le ridicule, si l’on savait le faire porter sur l’oppresseur, et non sur la victime. Il est facile d’attaquer sérieusement ce qui est coupable en soi ; mais ce qui est piquant, c’est de jeter habilement sur l’immoralité le vernis de la sottise ; et cela se peut.

Les hommes qui veulent faire recevoir leurs vices et leurs bassesses comme des grâces de plus, dont la prétention à l’esprit est telle qu’ils se vanteraient presque à vous-même de vous avoir habilement trahi, s’ils n’espéraient pas que vous le saurez un jour, ces hommes qui veulent cacher leur incapacité par leur scélératesse, se flattant que l’on ne découvrira jamais qu’un esprit si fort contre la morale universelle est si faible dans ses conceptions politiques, ces caractères si indépendants de l’opinion des hommes honnêtes, et si tremblants devant celle des hommes puissants, ces charlatans de vices, ces frondeurs de principes élevés, ces moqueurs des âmes sensibles, c’est eux qu’il faut vouer au ridicule qu’ils préparent, les dépouiller comme des êtres misérables, et les abandonner à la risée des enfants. Ce n’est rien que de tourner contre eux la puissance énergique de l’indignation ; il faut savoir leur ôter jusqu’à cette réputation d’adresse et d’insolence sur laquelle ils comptaient, comme compensation de la perte de l’estime.

Dans les pays où les institutions politiques sont raisonnables, le ridicule doit être dirigé dans le même sens que le mépris. Il faut livrer le vice élégant, le vice réservé, le vice habile aux sarcasmes de la moquerie, seul vengeur qui s’introduise au milieu même de la prospérité des méchants, seule arme qui blesse encore celui qui ne connaît plus ni la honte, ni les remords.

Ce qui pervertit la moralité en France, c’est le besoin de faire effet d’une manière quelconque, et surtout par son esprit. Quand les qualités qu’on possède ne suffisent pas pour atteindre à ce but, l’on a recours au vice pour se faire remarquer ; il donne des formes confiantes, une sorte d’assurance et de fermeté, du moins contre le malheur des autres, qui peut faire quelque illusion. La comédie doit combattre cette disposition détestable, en lui faisant manquer son objet. L’indignation attaque le vice comme une puissance. La comédie doit le ranger parmi les faiblesses du plus misérable esprit.

La littérature des pays libres a été, comme je l’ai dit, rarement célèbre en bonnes comédies, la facilité de réussir par des allusions aux circonstances du moment, et le sérieux des grands intérêts politiques, ont également nui tour à tour, chez divers peuples, à l’art de la comédie. Mais en France, la puissance de l’amour-propre conserve une telle activité, qu’elle fournira pendant longtemps encore aux combinaisons des comédies. Horace a peint l’homme juste restant debout sur les ruines du monde. Il en est ainsi de l’opinion qu’un François a de lui-même. Elle survit intacte à toutes les fautes qu’il commet comme à tous les bouleversements qui l’environnent. Tant que ce trait du caractère national ne sera point effacé parmi nous, les auteurs comiques auront toujours des sujets piquants à traiter, et le ridicule sera toujours une puissance qui peut servir aux progrès de la philosophie, comme la raison et le sentiment.

La tragédie appartient à des affections toujours les mêmes ; et comme elle peint la douleur, la source de ses effets est inépuisable. Néanmoins elle est modifiée, comme toutes les productions de l’esprit humain, par les institutions sociales et les mœurs qui en dépendent.

Les sujets antiques et leurs imitateurs produisent moins d’effet dans la république que dans la monarchie : les distinctions de rang rendaient encore plus sensibles les peines attachées aux revers du sort, elles mettaient entre l’infortune et le trône un immense intervalle que la pensée ne pouvait franchir qu’en frémissant. L’ordre social qui, chez les anciens, créait des esclaves, creusait encore plus avant l’abîme de la misère, élevait encore plus haut la fortune, et donnait à la destinée humaine des proportions vraiment théâtrales. On peut s’intéresser sans doute aux situations dont on n’a pas des exemples analogues dans son propre pays ; mais néanmoins l’esprit philosophique qui doit résulter à la longue des institutions libres et de l’égalité politique, cet esprit diminue tous les jours la puissance des illusions sociales.

La royauté avait été souvent bannie, souvent détruite par les gouvernements anciens ; mais de nos jours elle a été analysée, et c’est ce qu’il peut y avoir de plus contraire aux effets de l’imagination. La splendeur de la puissance, le respect qu’elle inspire, la pitié qu’on ressent pour ceux qui la perdent quand on leur suppose un droit à la posséder, tous ces sentiments agissent sur l’âme, indépendamment du talent de l’auteur, et leur force s’affaiblirait extrêmement dans l’ordre politique que je suppose. Déjà même l’homme a trop souffert comme homme pour que les dignités, le pouvoir, les circonstances enfin qui sont particulières à quelques destinées seulement, ajoutent beaucoup à l’émotion causée par le malheur.

Il faut cependant éviter de faire de la tragédie un drame ; et pour se préserver de ce défaut, on doit chercher à se rendre compte de la différence de ces deux genres. Cette différence ne consiste pas, je le crois, uniquement dans le rang des personnages que l’on représente, mais dans la grandeur des caractères et la force des passions que l’on sait peindre.

Plusieurs tentatives ont été faites pour adapter à la scène française des beautés du génie anglais, des effets du théâtre allemand ; et si l’on en excepte un très petit nombre64, ces essais ont obtenu des succès momentanés, et nulle réputation durable. C’est que l’attendrissement dans les tragédies, comme le rire dans la comédie, n’est qu’une impression passagère. Si vous n’avez pas acquis une idée de plus par la cause même de votre impression, si la tragédie qui vous a fait pleurer ne laisse après elle ni le souvenir d’une observation morale, ni celui d’une situation nouvelle tirée du mouvement même des passions, l’émotion qu’elle excite en vous est un plaisir plus innocent que le combat des gladiateurs ; mais cette émotion n’agrandit pas davantage la pensée et le sentiment.

Il y a dans un ouvrage allemand une observation qui me paraît parfaitement juste, c’est que les belles tragédies doivent rendre l’âme plus forte après l’avoir déchirée. En effet, la véritable grandeur du caractère, dans quelque situation douloureuse qu’on la représente, inspire aux spectateurs un mouvement d’admiration qui les rend plus capables de braver l’adversité. Le principe de l’utilité se retrouve dans ce genre comme dans tous les autres. Ce qui est vraiment beau, c’est ce qui rend l’homme meilleur ; et sans étudier les régies du goût, si l’on sent qu’une pièce de théâtre agit sur notre propre caractère en le perfectionnant, on est assuré qu’elle contient de véritables traits de génie. Ce ne sont pas des maximes de morale, c’est le développement des caractères et la combinaison des événements naturels qui produisent un semblable effet au théâtre ; et c’est en prenant cette opinion pour guide, qu’on pourrait juger quelles sont les pièces étrangères dont nous pouvons nous enrichir.

Il ne suffit pas de remuer l’âme ; il faut l’éclairer ; et tous les effets qui frappent seulement les yeux, les tombeaux, les supplices, les ombres, les combats, on ne peut se les permettre, que s’ils servent directement à la peinture philosophique d’un grand caractère ou d’un sentiment profond. Toutes les affections des hommes pensants tendent vers un but raisonnable. Un écrivain ne mérite de gloire véritable, que lorsqu’il fait servir l’émotion à quelques grandes vérités morales.

Les circonstances de la vie privée suffisent à l’effet du drame, tandis qu’il faut, en général, que les intérêts des nations soient compromis dans un événement, pour qu’il puisse devenir le sujet d’une tragédie. Néanmoins, c’est bien plutôt dans la hauteur des idées et la profondeur des sentiments que dans les souvenirs et les allusions historiques, que l’on doit chercher la dignité tragique.

Vauvenargues a dit que les grandes pensées viennent du cœur . La tragédie met en action cette sublime vérité. La pièce de Fénelon est fondée sur un fait qui est entièrement du genre du drame : cependant il suffît du rôle et du souvenir de ce grand homme pour faire de cette pièce une tragédie. Le nom de M. de Malesherbes, sa noble et terrible destinée, seraient le sujet de la tragédie du monde la plus touchante. Une haute vertu, un génie vaste, voilà les dignités nouvelles qui doivent caractériser la tragédie, et plus que tout encore le sentiment du malheur, tel que nous avons appris à l’éprouver.

Il ne me paraît pas douteux que la nature morale est plus énergique dans ses impressions que nos tragiques français, les plus admirables d’ailleurs, ne l’ont encore exprimée. Toutes les splendeurs qui dérivent des rangs suprêmes introduisent dans les sujets tragiques une sorte de respect qui ne permet pas à l’homme de lutter corps à corps avec l’homme ; ce respect doit jeter quelquefois du vague dans la manière de caractériser les mouvements de l’âme. Les expressions voilées, les sentiments contenus, les convenances ménagées supposent un genre de talent très remarquable ; mais les passions ne peuvent être peintes au milieu de toutes ces difficultés, avec l’énergie déchirante, la pénétration intime que la plus complète indépendance doit inspirer.

Sous un gouvernement républicain, ce qu’il doit y avoir de plus imposant pour la pensée, c’est la vertu, et ce qui frappe le plus l’imagination, c’est le malheur. Je ne sais si la gloire même, seule pompe de la vie que l’esprit philosophique puisse honorer, je ne sais si le tableau de la gloire même remuerait aussi puissamment des spectateurs républicains, que la peinture des émotions qui répondent à tout notre être par leur analogie avec la nature humaine.

L’esprit philosophique qui généralise les idées, et le système de l’égalité politique, doivent donner un nouveau caractère à nos tragédies. Ce n’est pas une raison pour rejeter les sujets historiques ; mais il faut peindre les grands hommes avec les sentiments qui réveillent pour eux la sympathie de tous les cœurs, et relever les faits obscurs par la dignité du caractère ; il faut ennoblir la nature, au lieu de perfectionner les idées de convention. Ce n’est point l’irrégularité ni l’inconséquence des pièces anglaises et allemandes qu’il faut imiter ; mais ce serait un genre de beautés nouvelles pour nous, et pour les étrangers eux-mêmes, que de trouver l’art de donner de la dignité aux circonstances communes, et de peindre avec simplicité les grands événements.

Le théâtre est la vie noble ; mais il doit être la vie ; et si la circonstance la plus vulgaire sert de contraste à de grands effets, il faut employer assez de talent à la faire admettre, pour reculer les bornes de l’art sans choquer le goût. On n’égalera jamais, dans le genre des beautés idéales, nos premiers tragiques. Il faut donc tenter, avec la mesure de la raison, avec la sagesse de l’esprit, de se servir plus souvent des moyens dramatiques qui rappellent aux hommes leurs propres souvenirs ; car rien ne les émeut aussi profondément65.

La nature de convention, au théâtre, est inséparable de l’aristocratie des rangs dans le gouvernement : vous ne pouvez soutenir l’une sans l’autre. L’art dramatique, privé de toutes ces ressources factices, ne peut s’accroître que par la philosophie et la sensibilité : mais, dans ce genre, il n’a point de bornes ; car la douleur est un des plus puissants moyens de développement pour l’esprit humain.

La vie s’écoule, pour ainsi dire, inaperçue des hommes heureux ; mais lorsque l’âme est en souffrance, la pensée se multiplie pour chercher un espoir, ou pour découvrir un motif de regret, pour approfondir le passé, pour deviner l’avenir, et cette faculté d’observation, qui, dans le calme et le bonheur, se porte presque entièrement sur les objets extérieurs, ne s’exerce dans l’infortune que sur nos propres impressions. L’action infatigable de la peine fait passer et repasser sans cesse dans notre cœur des idées et des sentiments qui tourmentent notre être en dedans de nous-mêmes, comme si chaque instant amenait un événement nouveau. Quelle inépuisable source de réflexions pour le génie !

Les préceptes de l’art tragique ne mettent pas aux sujets que l’on peut choisir autant d’entraves que les difficultés mêmes attachées à l’exigence de la poésie. Ce qui serait sensible et vrai dans la langue usuelle, peut être ridicule en vers. La mesure, l’harmonie, la rime, interdisent des expressions qui, dans telle situation donnée, pourraient produire un grand effet. Les véritables convenances du théâtre ne sont que la dignité de la nature morale ; les convenances poétiques tiennent à l’art des vers en lui-même, et si elles augmentent souvent l’impression d’un genre de beautés, elles mettent des bornes à la carrière que le génie, observateur du cœur humain, pourrait parcourir.

On ne croirait pas, dans la réalité, à la douleur d’un homme qui pourrait exprimer en vers ses regrets pour la mort d’un être qu’il aurait beaucoup aimé. Tel degré de passion inspire la poésie : un degré de plus la repousse. Il y a donc nécessairement une profondeur de peine, un genre de vérité que l’expression poétique affaiblirait, et des situations simples dans la vie que la douleur rend terribles, mais que l’on ne peut soumettre à la rime, et revêtir des images qu’elle exige, sans y porter des idées étrangères à la suite naturelle des sentiments. On ne saurait nier cependant qu’une tragédie en prose, quelque éloquente qu’elle pût être, n’excitât d’abord beaucoup moins d’admiration que nos chefs-d’œuvre en vers. Le mérite de la difficulté vaincue, et le charme d’un rythme harmonieux, tout sert à relever le double mérite du poète et de l’auteur dramatique. Mais c’est la réunion même de ces deux talents qui a été l’une des principales causes des grandes différences qui existent entre la tragédie française et la tragédie anglaise.

Les personnages obscurs de Shakespeare parlent en prose, ses scènes de transition sont en prose ; et lors même qu’il se sert de la langue des vers, ces vers n’étant point rimés, n’exigent point, comme en français, une splendeur poétique presque continue. Je ne conseille pas cependant d’essayer en France des tragédies en prose, l’oreille aurait de la peine à s’y accoutumer ; mais il faut perfectionner l’art des vers simples, et tellement naturels, qu’ils ne détournent point, même par des beautés poétiques, de l’émotion profonde qui doit absorber toute autre idée. Enfin, pour ouvrir une nouvelle source d’émotions théâtrales, il faudrait trouver un genre intermédiaire entre la nature de convention des poètes français et les défauts de goût des écrivains du Nord.

La philosophie s’étend à tous les arts d’imagination, comme à tous les ouvrages de raisonnement ; et l’homme, dans ce siècle, n’a plus de curiosité que pour les passions de l’homme. Au dehors, tout est vu, tout est jugé ; l’être moral, dans ses mouvements intérieurs, reste seul encore un objet de surprise, peut seul causer une impression forte. La tragédie, toute puissante sur le cœur humain, ce n’est point celle qui nous retracerait les idées communes de l’existence vulgaire ; ni celle qui nous peindrait des caractères et des situations presque aussi loin de la nature que le merveilleux de la féerie : ce serait celle qui pourrait entretenir l’homme dans les sentiments les plus purs qu’il ait jamais éprouvés, et rappeler l’âme des auditeurs, quels qu’ils soient, au plus noble mouvement de leur vie.

La poésie d’imagination ne fera plus de progrès en France : l’on mettra dans les vers des idées philosophiques, ou des sentiments passionnés ; mais l’esprit humain est arrivé, dans notre siècle, à ce degré qui ne permet plus ni les illusions, ni l’enthousiasme qui crée des tableaux et des fables propres à frapper les esprits. Le génie français n’a jamais été très remarquable en ce genre ; et maintenant on ne peut ajouter aux effets de la poésie, qu’en exprimant, dans ce beau langage, les pensées nouvelles dont le temps doit nous enrichir.

Si l’on voulait se servir encore de la mythologie des anciens, ce serait véritablement, retomber dans l’enfance par la vieillesse : le poète peut se permettre toutes les créations d’un esprit en délire ; mais il faut que vous puissiez croire à la vérité de ce qu’il éprouve. Or, la mythologie n’est pour les modernes ni une invention, ni un sentiment. Il faut qu’ils recherchent dans leur mémoire ce que les anciens trouvaient dans leurs impressions habituelles. Ces formes poétiques, empruntées du paganisme, ne sont pour nous que l’imitation de l’imitation ; c’est peindre la nature à travers l’effet qu’elle a produit sur d’autres hommes.

Quand les anciens personnifiaient l’amour et la beauté, loin d’affaiblir l’idée qu’on en pouvait concevoir, ils la rendaient plus sensible, ils l’animaient aux regards des hommes, qui n’avaient encore qu’une idée confuse de leurs propres sensations. Mais les modernes ont observé les mouvements de l’âme avec une telle pénétration, qu’il leur suffit de savoir les peindre pour être éloquents et passionnés ; et s’ils adoptaient les fictions antérieures à cette profonde connaissance de l’homme et de la nature, ils ôteraient à leurs tableaux l’énergie, la nuance et la vérité.

Dans les ouvrages des anciens même, combien ne préfère-t-on pas ce qu’on y trouve d’observations sur le cœur humain, à tout l’éclat des fictions les plus brillantes ? L’image de l’Amour prenant les traits d’Ascagne pour enflammer Didon en jouant avec elle, peint-elle aussi bien l’origine d’un sentiment passionné, que les vers si beaux qui nous expriment les affections et les mouvements que la nature inspire à tous les cœurs ?

Tout ce qui environnait les anciens leur rappelant sans cesse les dieux du paganisme, ils devaient en mêler le souvenir et l’image à toutes leurs impressions ; mais quand les modernes imitent à cet égard les anciens, on ne peut ignorer qu’ils puisent dans les livres des ressources pour embellir ce que le sentiment seul suffisait pour animer. Le travail de l’esprit se fait toujours apercevoir, avec quelque habileté qu’il soit ménagé ; et l’on n’est plus entraîné par ce talent, pour ainsi dire involontaire, qui reçoit une émotion au lieu de la chercher, qui s’abandonne à ses impressions au lieu de choisir ses moyens d’effet. Le véritable objet du style poétique doit être d’exciter, par des images tout à la fois nouvelles et vraies, l’intérêt des hommes pour les idées et les sentiments qu’ils éprouvaient à leur insu ; la poésie doit suivre, comme tout ce qui tient à la pensée, la marche philosophique du siècle.

Il faut étudier les modèles de l’antiquité pour se pénétrer du goût et du genre simple, mais non pour alimenter sans cesse les ouvrages modernes des idées et des fictions des anciens : l’invention qui se mêle à de semblables réminiscences, est presque toujours en disparate avec elles. À quelque perfection que l’on portât l’étude des ouvrages des anciens, on pourrait les imiter ; mais il serait impossible de créer comme eux dans leur genre. Pour les égaler, il ne faut point s’attacher à suivre leurs traces ; ils ont moissonné dans leurs champs : il vaut mieux défricher le nôtre.

Le petit nombre des idées mythologiques des poètes du Nord sont plus analogues à la poésie française, parce qu’elles s’accordent mieux, comme j’ai tâché de le prouver, avec les idées philosophiques. L’imagination, dans notre siècle, ne peut s’aider d’aucune illusion : elle peut exalter les sentiments vrais ; mais il faut toujours que la raison approuve et comprenne ce que l’enthousiasme fait aimer66.

Un nouveau genre de poésie existe dans les ouvrages en prose de J. J. Rousseau et de Bernardin de Saint-Pierre ; c’est l’observation de la nature dans ses rapports avec les sentiments qu’elle fait éprouver à l’homme. Les anciens, en personnifiant chaque fleur, chaque rivière, chaque arbre, avaient écarté les sensations simples et directes, pour y substituer des chimères brillantes ; mais la Providence a mis une telle relation entre les objets physiques et l’être moral de l’homme, qu’on ne peut rien ajouter à l’étude des uns qui ne serve en même temps à la connaissance de l’autre.

On ne sépare pas dans son souvenir le bruit des vagues, l’obscurité des nuages, les oiseaux épouvantés, et le récit des sentiments qui remplissaient l’âme de Saint-Preux et de Julie, lorsque sur le lac qu’ils traversaient ensemble, leurs cœurs s’entendirent pour la dernière fois.

La nature féconde de l’île de France, cette végétation active et multipliée que l’on retrouve sous la ligne, ces tempêtes effrayantes qui succèdent rapidement aux jours les plus calmes, s’unissent dans notre imagination avec le retour de Paul et Virginie revenant ensemble, portés par leur nègre fidèle, pleins de jeunesse, d’espérance et d’amour, et se livrant avec confiance à la vie, dont les orages allaient bientôt les anéantir.

Tout se lie dans la nature, dès qu’on en bannit le merveilleux ; et les écrits doivent imiter l’accord et l’ensemble de la nature. La philosophie, en généralisant davantage les idées, donne plus de grandeur aux images poétiques. La connaissance de la logique rend plus capable de faire parler la passion. Une progression constante dans les idées, un but d’utilité doit se faire sentir dans tous les ouvrages d’imagination. On ne veut plus de mérite relatif, on ne met plus d’intérêt même aux difficultés vaincues, lorsqu’elles ne font avancer en rien l’esprit humain. Il faut analyser l’homme, ou le perfectionner. Les romans, la poésie, les pièces dramatiques, et tous les écrits qui semblent n’avoir pour objet que d’intéresser, ne peuvent atteindre à cet objet même qu’en remplissant un but philosophique. Les romans qui n’offriraient que des événements extraordinaires, seraient bientôt délaissés67. La poésie qui ne contiendrait que des fictions, les vers qui n’auraient que de la grâce, fatigueraient les esprits avides, avant tout, des découvertes que l’on peut faire dans les mouvements et dans les caractères des hommes.

Le déchaînement des passions qu’amènent les troubles civils, ne laisse subsister qu’une seule curiosité, celle que font éprouver les écrits qui pénètrent dans les pensées et dans les sentiments de l’homme, ou servent à vous faire connaître la force et la direction de la multitude. On n’est donc curieux que des ouvrages qui peignent les caractères, qui les mettent en action de quelque manière, et l’on n’admire que les écrits qui développent dans notre cœur la puissance de l’exaltation.

Le célèbre métaphysicien allemand, Kant, en examinant la cause du plaisir que font éprouver l’éloquence, les beaux-arts, tous les chefs-d’œuvre de l’imagination, dit que ce plaisir tient au besoin de reculer les limites de la destinée humaine ; ces limites qui resserrent douloureusement notre cœur, une émotion vague, un sentiment élevé les fait oublier pendant quelques instants ; l’âme se complaît dans la sensation inexprimable que produit en elle ce qui est noble et beau ; et les bornes de la terre disparaissent quand la carrière immense du génie et de la vertu s’ouvre à nos yeux. En effet, l’homme supérieur ou l’homme sensible se soumet avec effort aux lois de la vie, et l’imagination mélancolique rend heureux un moment, en faisant rêver l’infini.

Le dégoût de l’existence, quand il ne porte pas au découragement, quand il laisse subsister une belle inconséquence, l’amour de la gloire, le dégoût de l’existence peut inspirer de grandes beautés de sentiment ; c’est d’une certaine hauteur que tout se contemple ; c’est avec une teinte forte que tout se peint. Chez les anciens, on était d’autant meilleur poète, que l’imagination s’enchantait plus facilement. De nos jours, l’imagination doit être aussi détrompée de l’espérance que la raison : c’est ainsi que cette imagination philosophe peut encore produire de grands effets.

Il faut qu’au milieu de tous les tableaux de la prospérité même, un appel aux réflexions du cœur vous fasse sentir le penseur dans le poète. À l’époque où nous vivons, la mélancolie est la véritable inspiration du talent : qui ne se sent pas atteint par ce sentiment, ne peut prétendre à une grande gloire comme écrivain ; c’est à ce prix qu’elle est achetée.

Enfin, dans le siècle du monde le plus corrompu, en ne considérant les idées de morale que sous le rapport littéraire, il est vrai de dire qu’on ne peut produire aucun effet très remarquable par les ouvrages d’imagination, si ce n’est en les dirigeant dans le sens de l’exaltation de la vertu. Nous sommes arrivés à une période qui ressemble, sous quelques rapports, à l’état des esprits au moment de la chute de l’empire romain, et de l’invasion des peuples du Nord. Dans cette période, le genre humain eut besoin de l’enthousiasme et de l’austérité. Plus les mœurs de France sont dépravées maintenant, plus on est près d’être lassé du vice, d’être irrité contre les interminables malheurs attachés à l’immoralité. L’inquiétude qui nous dévore finira par un sentiment vif et décidé, dont les grands écrivains doivent se saisir d’avance. L’époque du retour à la vertu n’est pas éloignée, et déjà l’esprit est avide des sentiments honnêtes, si la raison ne les a pas encore fait triompher.

Pour réussir par les ouvrages d’imagination, il faut peut-être présenter une morale facile au milieu des mœurs sévères ; mais au milieu des mœurs corrompues, le tableau d’une morale austère est le seul qu’il faille constamment offrir. Cette maxime générale est encore susceptible d’une application plus particulière à notre siècle.

Tant que l’imagination d’un peuple est tournée vers les fictions, toutes les idées peuvent se confondre au milieu des créations bizarres de la rêverie ; mais quand toute la puissance qui reste à l’imagination consiste dans l’art d’animer, par des sentiments et des tableaux, les vérités morales et philosophiques, que peut-on puiser dans ces vérités qui convienne à l’exaltation poétique ? Une seule pensée sans bornes, un seul enthousiasme que la réflexion ne désavoue pas, l’amour de la vertu, cette inépuisable source, peut féconder tous les arts, toutes les productions de l’esprit, et réunir à la fois dans un même sujet, dans un même ouvrage, les délices de l’émotion et l’assentiment de la sagesse.