(1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Roederer. — I. » pp. 325-345
/ 3404
(1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Roederer. — I. » pp. 325-345

I.

Ses premières années. — Sa jeunesse ; période d’enthousiasme. — Noble ambition ; sa vocation financière. — Conseiller au parlement de Metz. — Député aux États généraux. — Ses travaux à la Constituante. — Explication avec Mirabeau. — Il est nommé procureur général syndic. — Moment de l’expérience ; épreuve de la démocratie. — Tableau énergique. — Sa conduite au 10 Août et après. — Caché pendant la Terreur.

Le comte Roederer, dont le nom auprès des générations nouvelles ne réveillait guère que l’idée d’un personnage politique mêlé aux grands événements de la Révolution et du Consulat, s’est révélé tout d’un coup comme un écrivain très littéraire par son Mémoire sur la société polie et sur l’hôtel Rambouillet, imprimé en 1835. Ce mémoire, qui n’a pas été mis en vente, mais qui a été donné et distribué en toute bonne grâce, est devenu comme le signal de ce mouvement de retour au xviie  siècle qui n’a fait que s’accroître et se développer depuis. Aujourd’hui le fils du comte Roederer a pensé que le plus digne hommage à rendre à la mémoire de son père était de recueillir ses œuvres, en les présentant sous la même forme d’une demi-publicité qui leur laissât un caractère d’amitié et de famille. Ces Œuvres ne comprendront pas moins de sept ou huit volumes. Le premier, qui est achevé d’imprimer47, contient les comédies historiques, déjà connues, et quelques pièces qui ne le sont pas, des comédies normandes et de campagne qui montrent une finesse d’observation jointe à une veine de gaieté franche. Le volume suivant contiendra les mémoires historiques sur Louis XII, François Ier, et le Mémoire sur la société polie qui, dans la pensée de l’auteur, n’en était que la continuation et le couronnement. Viendront ensuite les œuvres politiques proprement dites, notamment la Chronique des cinquante jours, qui est devenue comme une partie intégrante de l’histoire de la Révolution. L’économie politique ensuite aura sa place ; mais ce qui donnera à cette collection un prix tout particulier, ce seront les mémoires du comte Roederer, composés tant des notices mêmes rédigées par l’auteur en vue de sa famille, que d’un choix entre les notes et lettres nombreuses qu’il a laissées à son fils. Il m’a été permis, grâce à l’obligeante confiance de M. le baron Roederer, d’en prendre à l’avance une idée, et de pouvoir ainsi dessiner avec quelques traits nouveaux une figure historique dont le rang est marqué dans la littérature sérieuse et dans la politique honorable.

Roederer, que nous avons vu mourir le 17 décembre 1835, plein de vigueur encore à l’âge de quatre-vingt-deux ans, était né à Metz, le 15 février 1754, d’un père avocat, nous dit-il, « distingué au barreau comme profond jurisconsulte, dans la magistrature comme ennemi du pouvoir arbitraire, et dans la société comme homme aimable ». Sa famille paternelle était originaire de Strasbourg, et lui-même, jeune, il épousa une demoiselle Guaita de Francfort. C’est, on le voit, un Français qui n’est pas tout à fait du Centre ni de l’Île-de-France, mais qui se sent des frontières et qui a ses origines et ses alliances du côté des Villes libres. Il fit ses études avec distinction à Metz, et alla faire son droit à Strasbourg. On a les extraits et cahiers de ses lectures en ces années ; car il eut de bonne heure l’habitude de lire et de penser plume en main. Il lisait tous les ouvrages de philosophie, de politique, de législation, de morale et d’histoire les plus autorisés de son temps, Locke, Adam Smith, Bonnet, Montesquieu et les économistes. Tout annonçait en lui un élève vigoureux de son siècle, et qui se portait sur tous les points avec ardeur et indépendance. Il eut sa période d’enthousiasme. On a de lui un petit écrit fait à dix-sept ans sur les Verreries de Saint-Quirin, dont il fut plus tard l’un des actionnaires principaux, et dont il célèbre en style animé, un peu romantique, l’industrie créatrice et le site au fond des vallées des Vosges. Destiné par son père à être avocat, il résistait et se sentait contre cette profession si honorée une aversion profonde. On avait beau lui faire lire Loysel, Mézeray à l’article Avocat de son Dictionnaire historique, il répugnait à ces travaux sur des objets de contestation la plupart si ingrats ou si minces. La ville de Metz, en se réunissant à la France sous Henri II, avait réservé ses privilèges ; le droit, en ce pays des Trois-Évêchés, se compliquait de mille questions particulières ; il y avait des exceptions à l’infini, dont la connaissance faisait le principal mérite d’un avocat :

Voyez, s’écriait le jeune homme ambitieux d’une plus noble gloire, voyez ce qui reste de ces fameux MM. Vannier, Rulland, etc. Les nomme-t-on encore ? Voyez ce M. Gabriel, qui se consume aujourd’hui à enfanter son commentaire sur les Treize Coutumes du Pays messin. Que le chancelier, d’un trait de plume, rende aujourd’hui, suivant le vœu des gens sensés, ces Treize Coutumes uniformes, à quoi serviront demain ces fruits d’une vieillesse agitée, pénible, plus qu’elle n’est heureuse ? Où sera le monument de l’existence de cet homme si célèbre pour douze de ses confrères ? Aura-t-il été, ce monument, même dans le cœur de ceux à qui il a sauvé la fortune ? Non ; l’homme, sans cesse agité par de nouveaux besoins, de nouvelles crises, oubliant celles qui l’ont autrefois le plus mis à la gêne, oublie avec elles les remèdes et le médecin.

Le jeune Roederer, à cet âge où le jeune homme embrasse d’un coup d’œil tout l’avenir, voulait donc un champ plus vaste à son activité et à ses aptitudes ; il voulait une réputation étendue, sinon la gloire. Ce piétinage difficile, fatigant, par des chemins obscurs et épineux , ne lui allait pas, et surtout une chose l’en eût dégoûté : l’habitude était alors de toucher les honoraires de la main à la main, un écu de trois livres pour une consultation. Sa fierté souffrait de ce mode de paiement ; il en rougissait presque en en parlant longtemps après.

Durant ces premières luttes avec son père sur la profession d’avocat qu’il n’embrassa jamais que provisoirement, il a décrit l’intérieur de son âme et de ses pensées, et a tracé comme sa biographie morale dans des lettres à un beau-frère, M. Ména. Dès sa sortie du collège, Roederer eut un caractère marqué ; il se forma, d’après l’ensemble de ses lectures et de ses réflexions, une idée (sans doute trop embellie) de la vie sociale et des moyens de la réaliser ; il comprit vite, dans son premier contact avec les gens réputés mûrs et sensés, que cette manière de voir était peu agréée ; il se contint et resta enthousiaste au-dedans. Pourtant, comme il avait au fond l’esprit pratique, il ne fut pas sans reconnaître que ces soins d’intérêt, de fortune et d’avancement, qui étaient tout aux yeux de la plupart, avaient aussi quelque fondement, et qu’il ne s’agissait que de les mettre à leur place, de les réduire à leur valeur. Il eut là un moment de pureté encore, d’enthousiasme, mais aussi d’effort sur lui-même, qui lui laissa un vif et parfait souvenir :

Je restai donc enthousiaste, dit-il. Au milieu de ce qu’on regardait comme mon délire, je devins de quelque intérêt pour des gens aimant le bien ; j’en fus aimé et estimé. Alors se marqua l’époque, toujours mémorable pour moi, d’un moment de bonheur que je regretterai toute ma vie : j’étais ivre de l’amour du bien, l’image de la vertu s’était comme réalisée en moi ; je voyais d’un autre côté que la considération dont j’ose dire que je jouissais, était, au moins, en partie, le fruit de mon travail sur moi-même…48.

J’insiste sur ces jours intérieurs qu’il nous ouvre, parce que l’histoire secrète de Roederer fut celle alors de beaucoup d’autres, parce qu’il ne fut pas le seul à avoir ce qu’on peut appeler sa période de Rousseau, et pour qu’on voie aussi à quel degré primitif de chaleur mûrirent tant de qualités solides et fortes que plus tard on apprécia en lui. C’est alors, dans ce second moment d’un enthousiasme plus tranquille, qu’il se remet à embrasser de ses regards l’ensemble de la société et qu’il se fortifie dans ses premières vues.

Je vis que ce qu’on y appelait utile n’était autre chose qu’une influence étroite et précaire sur quelques objets la plupart minutieux, influence qui tirait son principe du sein des abus mêmes ; je répugnai dans cette pensée à des engagements irrévocables dans de pareilles voies. Être utile aux hommes dans ce qui leur est le plus utile, voilà la loi que j’écoutai : une seule idée d’un philosophe, l’expression heureuse d’un sentiment avantageux a peut-être plus fait pour l’avancement de la raison et du bonheur des hommes que les travaux réunis de cent mille citoyens obscurs qui se sont vainement agités.

Telle était la religion du siècle, les jours où le siècle était sérieux ; telle fut celle du jeune Roederer à l’âge de dix-huit ans.

Heureusement pour lui, ces sentiments se rencontrèrent juste avec l’heure mémorable où la vieille société, minée d’abus et incapable de se réparer elle-même, allait demander des remèdes absolus et une simplification dans toutes les branches ; l’occasion était prochaine où il pourrait les appliquer. Mais lorsque ces sentiments qui, à des degrés différents, sont plus ou moins ceux de toute jeunesse, continuent de s’exalter à des époques où il suffirait d’améliorer et de vivre sans avoir à régénérer, il importe qu’on les contienne et qu’on les détourne sans y trop abonder et sans y donner jour en tous sens : autrement la vie sociale ne serait qu’une révolution continuelle, et chaque génération, en y entrant, ferait explosion à son tour. Il n’y aurait plus de régime proprement dit.

Le premier effet de cette ambition, bientôt si légitimée, était qu’il ne pouvait se déterminer à suivre simplement l’honorable profession de son père et à se ranger à son côté dans la même voie. Il a confessé ce sentiment avec une vive énergie ; c’est au moment où, ses études de droit terminées, et se sentant homme déjà, il rentre dans sa famille et s’y retrouve traité un peu en enfant :

Sans existence propre, dit-il, je vis que, quelle que fût la tendresse de mon père pour moi, je ne paraîtrais jamais, ou du moins de longtemps, dans les sociétés qui pouvaient un peu fixer mon ambition, que sous l’ombre de ce même père qui m’y présentait. Je vis cette ombre s’étendre au loin autour de moi et marquer partout mon néant 49

Ici un découragement moral s’empara de lui et le fit peu à peu déchoir de cette hauteur vertueuse où il n’est pas donné à la jeunesse stoïque de se maintenir :

Il n’y a qu’un principe de vices pour un homme bien né et à qui la raison a parlé, disait-il à ceux de sa famille avec qui il s’épanchait, c’est l’ennui, le dégoût des circonstances auxquelles il est soumis, c’est le néant du cœur ; au nom de Dieu, ne me laissez pas plus longtemps exposé à cet état.

Il obéit pourtant à son père et devint avocat, mais en se réservant de sortir du barreau dès qu’il le pourrait. Il y parvint neuf ans après (1780), et acheta une charge de conseiller au parlement de Metz. Dans cette position nouvelle, distingué aussitôt par la compagnie, il fut chargé de la plupart des rapports dans les procès criminels, de la rédaction des remontrances qui revenaient alors assez fréquemment, et fut presque toujours choisi pour commissaire dans les affaires publiques. Il rendit de notables services à la cité, et s’attira le respect même de son père qui, par un touchant retour, honorait en lui le fils qui s’était si généreusement émancipé. Malgré ses succès dans cette magistrature, elle n’était encore pour Roederer qu’un premier pas, et son ambition (l’Ancien Régime subsistant) eût été de devenir maître des requêtes, puis intendant de province : car c’était du rang des intendants que sortait et s’élevait le plus souvent le contrôleur général. Ses études approfondies en économie politique et en finances lui montraient de ce côté un noble but qu’il se sentait capable d’atteindre. Au milieu de ses aptitudes si nombreuses et si variées, la capacité financière, en effet, demeura encore la vocation la plus manifeste de Roederer, celle dont il a donné le plus de preuves et d’applications durables soit à l’Assemblée constituante, soit au Conseil d’État, comme aussi plus tard dans le royaume de Naples et dans le grand-duché de Berg.

Lorsque la Révolution de 89 éclata, Roederer avait trente-cinq ans ; sa vie antérieure était déjà pleine de services, et surtout d’études et de travaux en tout genre, il nous représente bien à sa date, et dans sa province, ce que pouvait être un homme éclairé de cette génération qui portait en elle l’idée et les principes d’un ordre nouveau. Il prenait part à tous les sujets sérieux, traités ou proposés par l’Académie de Metz, dont il était un des membres dirigeants ; il pensait à concourir pour l’Éloge de Louis XII, proposé par l’Académie française, et se prenait dès lors pour ce roi, père du peuple, de cette prédilection presque paradoxale qui, dans ses heures de loisir, dominera désormais tous ses points de vue sur l’histoire et la société française des derniers siècles. Dans ses voyages à Paris, il était consulté par M. de Malesherbes sur l’état des Juifs ; par le maréchal de Beauvau, ami de M. Necker, sur les questions relatives à la convocation des États généraux. En novembre 1788, sous le titre : De la députation aux États généraux, il publiait une brochure où il exposait ses principes, et où l’on trouve le type de toutes les opinions qu’il allait professer à l’Assemblée :

Je m’étais fait, disait-il après des années en se jugeant lui-même, une théorie de l’État social bien ordonné, d’après les écrits philosophiques les plus accrédités alors, et d’après mes propres réflexions. Mon esprit s’était fixé sur des principes absolus ; et, quand je fus dans l’Assemblée nationale, j’en poursuivis toutes les conséquences, j’en voulus toutes les applications, avec toute la rigidité d’une logique opiniâtre, qui est, je crois, une des qualités de mon esprit, et peut-être avec la roideur qui est dans mon caractère…

L’année précédente (1787), il avait publié un écrit d’un intérêt plus local, ce semble, mais d’une importance toute française, concernant Le Reculement des barrières. Metz et la province des Trois-Évêchés, de même que l’Alsace et la Lorraine, malgré leur réunion politique au royaume, étaient restés assimilés à l’étranger en ce qui était du commerce ; de telle sorte que leurs communications, libres du côté de l’Allemagne, étaient aussi entravées que celles des Allemands mêmes du côté de la France. Roederer, par cet écrit et par les démarches dont il l’appuyait, était désigné comme le futur libérateur du commerce de ces trois provinces. Quarante-huit ans après, c’était le même homme qui publiait son Mémoire sur la société polie ; ce qui faisait dire à M. de Talleyrand, parlant au fils de l’auteur : « Il y a une chose remarquable dans la vie de votre père, et qui n’est peut-être arrivée à personne avant lui, c’est qu’à cinquante ans de distance il a publié deux ouvrages, dont le premier a fondé sa réputation, et dont le second vient de la couronner. »

En même temps et aux approches de 89, Roederer avait l’habitude et le besoin d’écrire sous forme plus courante et plus brève sur toutes les questions du jour, sur les événements ou conflits qui occupaient à Metz l’attention publique : en un mot, comme Franklin, il était par nature et par goût journaliste ; il le sera pendant une grande partie de sa vie, et conciliera, tant qu’il y aura moyen, ce genre de publication avec les hauts emplois et les dignités même de l’État. Ces petits écrits de l’année 89 étaient lus à Metz avec avidité ; le Parlement ne le trouvait pas bon, et, dans un entretien que Roederer nous a conservé (car il notait aussi par écrit les conversations intéressantes auxquelles il avait part), le premier président se plaignait à lui, en disant :

Monsieur, tout le monde, dans la compagnie, rend justice à votre intégrité, à votre droiture ; on rend aussi justice à vos talents : vous en avez de grands ; mais il ne faut pas en rendre l’usage désagréable à tout le monde ; il ne faut pas croire que vous seul ayez tout l’esprit du monde… Depuis quelque temps vous vous êtes rendu le dispensateur du blâme et de l’estime publique.

Tel était déjà l’homme en Roederer quand il fut envoyé par Metz aux États généraux, non pas dès les premiers jours, mais à une réélection qui eut lieu en octobre 1789. Il n’assista pas aux premiers actes mémorables ni à la séance du Jeu de paume, où David d’ailleurs a bien fait de le placer : on sait d’avance en quel sens il aurait marché, et, dès son entrée, il prit rang dans l’Assemblée à côté des plus actifs et des plus utiles, et comme le premier lieutenant de Sieyès.

Raconter en détail les travaux de Roederer à la Constituante, ce serait en grande partie repasser toute l’histoire de cette Assemblée même. Ses principes étaient absolus, il nous l’a dit ; ses conséquences furent logiques et rigoureuses. Pourtant aucune mauvaise passion ne s’y mêla, et s’il fut de ceux, comme il en convint ensuite, qui contribuèrent à trop énerver et à trop désarmer le pouvoir, il n’eut jamais l’intention de désorganiser l’ordre et la société. Il resta pur de toute pensée et de toute ambition factieuse.

Pour bien juger des hommes de ce temps, pour faire équitablement la part de l’éloge ou du blâme, pour ne pas appeler sage tel acte ou telle résistance isolée qui, en son lieu, n’était qu’imprudence et folie, il importe (et Roederer l’a dit dans une très belle page, mais trop longue pour être rapportée) de se bien rendre compte du courant général, immense, qui entraînait alors la nation. La méprise de l’Assemblée constituante fut de suivre et de favoriser de toutes ses forces ce courant, comme s’il n’y avait rien eu à craindre au lendemain, comme si l’on n’avait eu qu’à appliquer en temps paisible les conséquences rigoureuses de la raison politique, et de ne pas voir le flot de la démocratie qui montait, qui s’élevait de toutes parts, et qui allait l’emporter elle-même avec sa Constitution et ses lois : tellement que pour que la partie salutaire et juste de ces lois pût s’appliquer en réalité et être sentie de tous, il fallut qu’auparavant on repassât par l’autorité d’un seul, c’est-à-dire par ce que la Constituante avait le plus méconnu. Les meilleurs actes civils, administratifs, de la Constituante n’eurent leur pleine vigueur et leur précision d’action que lorsqu’ils eurent été repris par le Conseil d’État du Consulat.

Il a été donné à Roederer de faire les deux parts et de mettre également la main au nivellement hardi et à la correction, à la réparation organisatrice. Ainsi, dans son audace première il voulait d’abord en tout et partout le triomphe du principe électif ; il voulait l’élection des juges, celle des dépositaires du Trésor et du corps même des finances : ces dépositaires du Trésor eussent été nommés par l’Assemblée et responsables devant elle ; il voulait que l’armée fût assermentée à la nation, toutes conditions reconnues depuis incompatibles avec la Constitution monarchique. Dans la dernière partie de sa carrière, l’Assemblée constituante essaya de revenir, par le moyen de la révision, sur ce qu’avaient eu de trop absolu ses premiers décrets ; Roederer résista :

Je soutins, dit-il, que pour que la Constitution répondît au titre qu’on lui avait donné de Constitution représentative, et pour que ce titre ne fût pas une imposture, il fallait que les fonctions administratives dans les départements, les districts, les municipalités, fussent déclarées constitutionnellement, c’est-à-dire irrévocablement électives. — Je me détrompai en 1793 de mon opinion, par l’expérience que j’acquis comme procureur général syndic du département de Paris. Dans mes rapports avec la Commune de Paris, je reconnus que c’était un énorme contresens de faire conférer par le peuple aux administrateurs l’investiture de fonctions instituées pour l’exécution des ordres du gouvernement, comme si on avait voulu que les ordres venant du centre aux extrémités heurtassent pour l’exécution contre les oppositions naturelles aux extrémités contre le centre.

Mais là où il ne se trompa point, ce fut dans les questions de finances qui se rapportaient aux contributions publiques. Nommé de ce comité avec le duc de La Rochefoucauld, Dupont de Nemours, Adrien Duport, Talleyrand, Defermon, il se distingua entre tous par ses connaissances positives, l’étendue de ses vues, la fertilité ingénieuse de ses moyens et procédés. Il s’agissait de remplacer une quantité de droits divers, abusifs, souvent arbitraires et d’une comptabilité compliquée, et d’établir un système général de contributions de manière à en distribuer le poids le moins inégalement possible. Roederer fut le rédacteur de plusieurs lois, de celle du timbre, de celle des patentes ; il fut le principal auteur de la contribution foncière et de sa combinaison avec la mobilière. Rapporteur ordinaire du comité, ce fut lui qu’on chargea de soutenir la discussion et de répondre à tout devant l’Assemblée. Il le fit avec un talent que les hommes spéciaux sont seuls autorisés à bien louer, et avec un plaisir évident qui est déjà un signe d’heureuse application et de succès aux yeux de tous.

Sur ces questions, ainsi que sur beaucoup d’autres, Roederer, qui aimait la discussion et qui la provoquait volontiers, n’admettait pas le travestissement de son opinion ; et l’on va voir avec quelle vigueur et même quelle roideur il releva Mirabeau, un jour qu’il croyait avoir à se plaindre de lui. Je cite ces lettres, parce qu’on y voit se dessiner un trait de son caractère, et en même temps l’estime qu’il inspirait.

L’on vient de m’apprendre, écrivait Roederer à Mirabeau, que M. de Mirabeau axait dit ce matin à l’Assemblée au sujet des folies de M. d’Éprémesnil, qu’elles avaient découvert le secret de ceux qui ne veulent point d’assignats.

Je ne veux pas d’assignats pour plus de 200 millions ; et M. de Mirabeau sait très bien, du moins je m’en flatte, que le secret de mon opinion n’est pas dans des vues malhonnêtes ou contraires à la Révolution. Ce n’est pas non plus dans de pareilles vues qu’il faut chercher les motifs de l’opinion de M. l’abbé Sieyès, de M. de La Rochefoucauld et de plusieurs autres.

L’amitlé, au défaut de la justice, aurait dû retenir M. de Mirabeau lorsqu’il s’est senti entraîné à employer un moyen que nous avons souvent blâmé d’un commun accord, d’un moyen dont M. de Mirabeau lui-même a manqué d’être la victime, celui d’attirer les orages sur la tête des personnes qui ont une opinion particulière. L’amitié aurait dû lui faire sentir que sa phrase était à la fois une dénonciation et une calomnie pour M. Sieyès et pour moi, qui, ecclésiastique et magistrat, pouvons être aisément soupçonnés, et même accusés sans soupçons, de vouloir faire revivre l’Ancien Régime.

Ma liaison avec M. de Mirabeau ne peut qu’accréditer l’idée qu’il a surpris mon secret ; je tiens cette liaison pour rompue, afin qu’elle ne m’expose pas au même danger pour la suite.

Mirabeau s’empressa de lui donner toute satisfaction par une lettre écrite de l’Assemblée :

Je vous réponds, mon cher Roederer, par écrit afin que vous puissiez montrer ma réponse. Je n’étais point à l’Assemblée lorsque d’Éprémesnil a fait ses lubies : je suis arrivé quand on en était aux couteaux. J’ai fini l’insurrection par une malice qui n’a fait que faire rire. J’ai dit, non pas la phrase que l’on vous a répétée, mais une dont je ne me rappelle pas les mots exacts, et qui peut aisément être travestie ainsi, mais seulement pour les gens de mauvaise foi qui ne voudraient pas se rappeler que j’ai dit en toutes lettres hier que rien n’était si simple que d’avoir deux opinions dans une si grande question d’économie politique, et qui, par conséquent, voudraient douter, etc.

J’abrège l’explication un peu confuse, et qui nous intéresse peu. Mirabeau continue :

Je ne sais pas trop ce que j’écris dans ce tumulte, mon cher Roederer ; mais ce que je sais, c’est qu’il suffit que l’abbé Sieyès et vous soyez d’un avis pour que je sois sûr, même sans examen, que l’on peut honnêtement et raisonnablement avoir cet avis. L’abbé Sieyès est un homme de génie que je révère et que j’aime tendrement. Je ne puis pas vous parler de vous ; mais j’espère qu’il est assez connu combien je vous estime et vous aime, et combien je m’en honore. Croyez, mon cher Roederer, que sous tous les rapports, dans l’Assemblée nationale, mon amitié sera plus sévère en votre faveur que la vôtre ne l’exigerait de moi. Et si vous trouvez cette explication aussi loyale et aussi sensible que je désire qu’elle le soit en effet, dites-moi bien vite que vous ne pensez plus à la fin de votre lettre échappée à un juste moment d’humeur, et que vous serez plus fidèle à mon assignation ordinaire demain qu’à nos assignats. Je vous prie de communiquer ma lettre à notre cher maître (Sieyès), si vous lui avez montré la vôtre. Vale et me ama.

Mirabeau l’aîné.

Dans la discussion au sujet du marc d’argent qu’on imposait pour condition aux éligibles, et que Roederer eût trouvé plus juste d’imposer aux électeurs, M. de Talleyrand lui écrivait : « Vos réflexions, monsieur, sont excellentes ; elles appartiennent à un homme qui médite avec l’esprit le plus et le mieux philosophique. »

Après l’Assemblée constituante, Roederer nommé par le collège électoral de la Seine procureur général syndic de ce département se trouva, comme administrateur, à même de sentir la faiblesse de l’instrument que l’autorité avait en main contre l’anarchie ou plutôt contre la démocratie organisée. Son désabusement commença. Comme procureur général syndic, il était le représentant, l’homme d’action du département, lequel avait autorité sur le maire et sur la municipalité de Paris : dans le cas de résistance de cette municipalité, l’administration du département était en droit de requérir, pour la réduire, toutes les autres forces de ce département, c’est-à-dire, en ce qui était de la Seine, toutes les forces de Saint-Denis, Sceaux, Bourg-la-Reine et de la banlieue. Une telle autorité était donc illusoire, aussi illusoire que celle du maire et de la municipalité elle-même en face de la Commune de Paris. C’était une gradation de faiblesses échelonnées, en quelque sorte, jusqu’à ce qu’on atteignît au niveau populaire et à la couche démocratique, où était alors la seule organisation réelle et la seule force. Roederer, dans les premiers mois de son administration, s’appliqua d’abord, comme eût pu le faire en temps régulier un bon préfet de la Seine, à établir et à mettre en pratique le nouveau système de contributions qu’il avait si activement travaillé à introduire. Mais faire marcher l’administration et l’ordre public, faire fonctionner la machine au lieu de l’entraver et de la désorganiser, c’était déjà se rendre suspect aux yeux des démagogues50. Les insurrections vinrent bientôt l’occuper d’une manière passive et pénible, et qui pesa longtemps sur sa destinée. Je ne reviendrai pas sur ces tristes époques : il faudrait être un Tacite pour parler avec intérêt et puissance de ces horribles temps, et tant de gens qui ne sont pas des Tacite s’en sont constitués les historiens. Roederer, dans sa Chronique des cinquante jours, a fait ce qu’il y a de mieux à défaut du burin vengeur : il a raconté le vrai, jour par jour, par ordre chronologique, « sans art, sans arrangement, sans ambition d’effet oratoire, logique, dramatique, romantique ». En écrivant cela, il prévoyait déjà ce que de faux esprits et de prestigieux talents devaient en faire.

Pour tout lecteur impartial, il est aujourd’hui évident que Roederer, au 20 Juin et au 10 Août, se conduisit en magistrat probe, exact, peu royaliste sans doute d’affection, mais honnête, strict et consciencieux ; que, dénué de pouvoir et chargé de responsabilité, il usa des faibles moyens légaux qu’il avait entre ses mains, et que, les trouvant souverainement inefficaces, il prit le seul parti qui pouvait éviter dans cette dernière journée un malheur immédiat : il conduisit, en les assistant et les protégeant de sa personne, le roi et sa famille, du château déjà envahi, au sein de l’Assemblée désormais responsable.

Accusé à l’instant même par les violents de la Commune, comme plus tard par ceux du parti opposé, il dut se livrer à une apologie qui a perdu de son intérêt avec les passions qui l’avaient rendue nécessaire. Caché après le 10 Août jusqu’à ce qu’on eût levé le scellé mis sur ses papiers, il resta quelque temps en prudence et ne se montra point. Cependant son besoin d’écrire et d’occuper son activité le porta presque aussitôt à rendre compte dans le Journal de Paris des séances de la Convention commençante. On lui fournissait des notes, et le compte rendu qu’il faisait et qu’il signait était mêlé de ses propres réflexions. Par la manière dont il présente le procès du roi et les diverses opinions qui s’y produisent, il laisse percer, avec toutes les discrétions et les gênes que la liberté républicaine comportait alors, que son opinion n’est pas pour la rigueur. (Voir notamment le Journal de Paris du 14 novembre 1792.) — Tout au contraire, à mesure que le procès marche, il appuie et favorise les propositions qui ouvraient la voie à une solution d’humanité (Journal de Paris du 6 janvier 1793). — Il soulève et indique les objections contre les votes irréguliers qui condamnent (12 janvier). C’est tout ce que la presse pouvait se permettre en un tel moment.

Dans les mois qui précédèrent la chute des Girondins, Roederer avait reparu, et il faisait à l’Athénée un cours dans lequel il réfutait les écrivains qui attaquaient la propriété ; il s’appliquait à en démontrer le fondement d’après des notions positives et prises de moins haut qu’on ne l’a fait depuis. Mais toutes ces réfutations, empruntées à l’ordre économique ou à l’ordre providentiel, sont également vaines quand la société n’a pas la force en main pour appuyer les raisons. La chute des Girondins, parmi lesquels il avait pour amis particuliers Ducos et Vergniaud, l’avertit qu’il n’y avait plus de sûreté pour lui51. Dès le 28 mai 1793, jour où l’insurrection contre eux commençait à gronder, il renonça à toute participation au Journal de Paris, c’était assez marquer sa ligne ; et, après leur mort, il s’ensevelit dans une retraite profonde. Caché au Pecq sous Saint-Germain, il s’occupait d’y traduire Hobbes. En tête de cette traduction, restée manuscrite, il disait (janvier 1794) :

J’entreprends la traduction de ce livre (De Cive) sans savoir si j’aurai le temps ou le courage ou la volonté de le finir. Voici mes motifs : 1º l’occupation de traduire convient mieux que toute autre à ma situation. Elle applique assez pour distraire ; elle n’exige pas assez d’application pour être impossible à un homme dont le malheur n’a pas affaibli la raison. 2º Depuis longtemps je désirais m’exercer à la langue latine que j’ai mal apprise dans ma jeunesse : ce que je comprends de Tacite, de Tite-Live, de Salluste, d’Horace et de Virgile m’a donné une grande curiosité pour le reste. 3º Hobbes m’a paru avoir un mérite éminent comme écrivain politique, etc.

Ici, dans la retraite et sous la pression de l’expérience, il se fit dans la manière de voir de Roederer une modification analogue à celle que Sieyès subissait dans le même temps. Jamais il n’abjura le fonds d’idées de 1789 ni la conquête de certains résultats civils, politiques, auxquels sa raison ne pouvait renoncer ; il continua d’être le citoyen résolu d’une société sans privilèges : mais il devint plus méfiant dans sa poursuite du mieux ; sa logique, inflexible apprit à connaître les obstacles, les limites ; il ne fit plus abstraction de la nature et des passions des hommes dans cet art social qui s’applique avant tout aux hommes mêmes, qui opère sur eux et par eux. C’est à cette lecture de Hobbes qu’il emprunta la conclusion et peut-être l’inspiration d’une admirable page sur la démocratie dont j’ai parlé précédemment sans la citer, mais dont je veux ici extraire la partie la plus saillante. Roederer veut démontrer que, dès 1792, l’autorité n’était nulle part ailleurs que dans le peuple ; qu’à force de se mettre en garde contre le pouvoir arbitraire, de le battre en brèche, de le mater et de le mutiler, l’Assemblée constituante obéissant à l’esprit du temps avait laissé grandir autour d’elle et en dehors une puissance formidable d’une tout autre nature, non moins arbitraire et mille fois plus tyrannique. Écoutons-le, écoutons l’homme qui a vu de plus près Louis XVI au dernier moment critique de la royauté et dans toute sa faiblesse :

On a appelé anarchie, dit-il, la situation de la France en 1792 ; c’était tout autre chose. L’anarchie est l’absence du gouvernement et la volonté de chacun substituée à la volonté générale ; en 1792, il y avait une volonté générale, unanime ; il y avait une organisation terrible pour la former, la confirmer, la manifester, la faire exécuter ; en un mot, il existait une démocratie, ou, si l’on veut, une ochlocratie52 redoutable, résidant en vingt-six mille clubs correspondant ensemble et soutenus par un million de gardes nationales. Il y avait des écrivains et des orateurs pour toutes les opinions, pour toutes les passions démocratiques ; les écrits, les harangues s’envoyaient du midi au nord et du nord au midi. Au centre, c’est-à-dire dans l’Assemblée nationale, les clubs et les assemblées sectionnaires de Paris avaient leurs orateurs ; la tribune nationale servait de tocsin général du parti. C’était là, assurément, une machine montée pour la résistance et pour l’attaque. Les historiens de la Révolution, s’il en est qui méritent ce nom, ont attribué tous les mouvements de la Révolution aux impulsions de la tribune nationale ; c’est une étrange bévue. Les orateurs de la tribune nationale, quelque emportés, quelque violents qu’ils fussent, n’étaient pas les orateurs de la multitude ; encore une fois, chaque assemblée populaire avait les siens, et un qui excellait par-dessus tous les autres. Il s’était élevé en France une multitude d’hommes d’une éloquence forte et barbare, tels que notre fabuliste nous représente le Paysan du Danube, qui avaient bien mieux découvert que les orateurs des Assemblées nationales les voies de la persuasion et de l’entraînement, qui entraient bien plus avant dans les pensées, dans les passions, dans les préjugés, dans les intérêts imaginaires ou réels des dernières classes du peuple, qui sont les plus nombreuses. Ils montraient aux prolétaires la France comme une proie qui leur était assurée s’ils voulaient la saisir. Ils promettaient l’égalité absolue, l’égalité de fait, les magistratures, les pouvoirs. Et dans quelles circonstances repaissaient-ils ainsi l’imagination du pauvre ? C’était dans un temps où les subsistances se dérobaient au besoin, qui ne pouvait les payer que par du papier avili. La détresse générale aidait puissamment à échauffer la multitude contre l’autorité, contre la richesse, contre la propriété. Les orateurs n’avaient qu’à s’adresser à la faim pour avoir la cruauté : ils étaient sûrs de la réponse. C’était aussi au moment que l’ennemi envahissait le territoire et menaçait d’apporter en France la vengeance implacable et l’extermination des hommes qui avaient pris les armes en 1789. Que dirai-je enfin ? on vit alors se réaliser, se renouveler ce qu’on avait vu dans la Révolution de 1648 en Angleterre. Le publiciste Hobbes, qui défendait dans son ouvrage De Cive le système monarchique contre les partisans de la démocratie, disait à ceux qui objectaient la possibilité de voir le régime monarchique placer sur le trône un Caligula, un Néron : « In democratia tot possunt esse Nerones quot sunt oratores qui populo adulantur. Simul plures sunt in democratia, et quotidie novi suboriuntur. (Dans la démocratie il peut y avoir autant de Nérons qu’il y a d’orateurs qui flattent le populaire ; il y en a plusieurs à la fois, et tous les jours il en sort de nouveaux de dessous terre.) »

Et Roederer insistait sur la force de cette expression suboriuntur, viennent de dessous les autres et de plus bas 53. Puis récapitulant tous les pouvoirs affaiblis qui se flattaient alors de gouverner, et la Cour qui espérait toujours regagner par ruse et par achat des consciences ce qu’elle avait perdu, et les orateurs de l’Assemblée qui se croyaient forts de ce qu’ils avaient conquis en applaudissements, et la municipalité de Paris, le maire en tête, qui se croyait maître de la Commune, et les chefs même les plus populaires, Pétion, Marat, dont les noms retentissaient dans toutes les bouches :

Pétion, Marat même, concluait-il, étaient gouvernés par la multitude. Marat n’était qu’un de ses organes. La démocratie était la puissance dominante. C’était elle, et non un vil déclamateur qui tonnait, qui foudroyait. — La démocratie ! la démocratie ! voilà l’infernale puissance de cette époque. Un Marat de plus ou de moins (et le fait l’a bien prouvé) ne changeait rien à cette redoutable puissance.

C’est ainsi qu’il jugeait, pour l’avoir vue à l’œuvre, la démocratie en elle-même, organisée par en bas, aux vingt-six mille clubs, aux vingt millions de têtes.

Cette page de Roederer est très belle. Elle est d’un sentiment, d’un accent énergique et plein d’élévation. En général, il ne condense pas et ne grave pas de la sorte sa pensée : mais cette fois la vivacité de l’impression, l’effroi des souvenirs, et aussi cette forte idée de Hobbes, lue et méditée auparavant dans la retraite, et se résumant en un style concis, ont servi à l’inspirer.

Nous le verrons sortir de sa retraite tout à fait mûri, dévoué à la restauration de l’esprit public et de l’ordre social, sans abjuration de rien d’essentiel. Il suivra encore une fois Sieyès dans ses évolutions principales, mais il le suivra de son propre mouvement, par ses raisons propres et sans servilité. Quand l’heure sera venue, il contribuera avec lui, et à côté de lui, à détrôner ce pouvoir directorial usé, qui était bien véritablement l’anarchie, rien que l’anarchie ; et il pourra, après le 18 Brumaire, dire avec orgueil ce mot qui résume les deux grands moments de sa vie historique : « J’ai passé auprès de Louis XVI la dernière nuit de son règne, j’ai passé auprès de Bonaparte la première nuit du sien. »