XXVIII. M. Flourens30
I
Si M. Flourens n’avait qu’une seule importance, — s’il n’était qu’un savant d’un ordre supérieur, enfermé dans la carapace d’une grande spécialité, impénétrable à tout ce qui ne serait pas savant, sinon du même niveau que lui, au moins du même courant d’études, — nous ne nous hasarderions point à vous en parler… Nous laisserions aux livres purement scientifiques ou aux Mémoires de l’Académie, dont il est le secrétaire perpétuel, à vous entretenir de ses découvertes en anatomie et de ses travaux en physiologie et en histoire naturelle. M. Flourens, heureusement pour lui, — encore plus heureusement pour nous, — n’est pas qu’un savant considérable et officiel. C’est aussi un lettré, un lettré autant qu’un de nous. C’est un lettré qui reporte sur la science, pour en adoucir l’austérité et sans rien diminuer de sa beauté profonde, tout ce que le Génie littéraire peut donner à la pensée d’un homme, de clair, d’élégant et de doux. Et ces trois mots caractérisent très bien, je vous assuré, le genre de talent de M. Flourens, — de cet homme qui aurait pu, ma foi ! être pesant, sans se compromettre, tant il savait de choses ! et qui s’en est si bien gardé !
Mon Dieu ! oui, il aurait pu être pesant tout comme un autre. Il est savant. Il a donné à la science toute sa vie, et, vous le verrez tout à l’heure, la science a très bien agréé ses hommages. Elle l’a rendu heureux. Elle ne l’a point traité comme un de ses patiti inféconds qu’elle traîne quelquefois après elle, et cependant il n’a pas eu la fatuité de son bonheur, car la fatuité des savants heureux, c’est la lourdeur… une lourdeur gourmée, épatée, infinie. C’est leur turcarétisme, à eux ! Au contraire, il a été léger, mais léger comme un ignorant charmant qui n’a pas autre chose à faire que d’avoir de la grâce, de temps à autre, et de se montrer spirituel ! M. Flourens n’est point un érudit à l’allemande, quoiqu’il soit de l’Académie de Munich et de bien d’autres Académies. C’est un érudit des plus français, qui n’a pas perdu, comme tant d’autres, en cultivant la science, sa qualité de Français. Originalité mi-partie dont chaque moitié vaut presque un tout. Savez-vous comment il procède ? il enlève la science, cette puissante personne, — à la Rubens, — moins la couleur, il l’enlève dans les bras très fins de sa littérature, et lui ouvre ainsi dans le monde un chemin que, sans cette enlevante littérature, la science peut-être ne ferait pas. Il la vulgarise et la popularise. Il lui fait faire son tour… d’esprits ! Artiste délicat, il lui attache des ailes transparentes qui ne fondent point comme celles d’Icare et qui l’emportent bien loin de tous les malheureux culs-de-plombs qui peuplent les Académies !
Voilà M. Flourens ! et voilà pourquoi aussi les œuvres d’un homme aussi savant que lui attirent notre attention, malgré tout ce qu’on rencontre dans ces œuvres, de particulier, de spécial, de technique, d’effrayant pour nous. La fleur littéraire, qui n’est parfois qu’un brin de muguet, insinue son parfum dans ces livres de nomenclatures et de descriptions anatomiques qui devraient être si secs et parfois st nauséabonds pour tout ce qui n’a pas l’ardente et féroce curiosité du savoir, et cette petite odeur qui surprend là, mais qui plaît partout, invite les esprits les moins enclins à la science à prendre ces livres et à les ouvrir. Le langage facile, pur, agréable, qu’on parle ici, ne rappelle en rien le langage rude, incorrect et parfois opaque que la science, soucieuse seulement de l’exactitude des faits, est accoutumée de parler. Non que la science ne puisse avoir son éloquence, une éloquence à elle, brusque ou calme, mais carrée, didactique, imperturbable, ne craignant d’appuyer sur rien quand elle croit, en appuyant, préciser davantage. Seulement, ce n’est pas là la langue de M. Flourens. La sienne n’a rien de cette substance épaisse et forte. Elle ne ressemble pas au bloc de cristal qui absorbe le jour qu’il renverra plus tard quand il sera taillé et mis sous son arc de lumière. Elle est taillée, elle, mais mince et lumineuse comme la vitre à travers laquelle vous regardez les étagères d’un Muséum, et il faut bien le dire, depuis Fontenelle, — ce léger dans la consistance, comme M. Flourens, — rien de pareil en fait de style scientifique ne s’est vu pour la transparence presque aérienne de la phrase et cette précision, sûre d’elle-même, qui n’a pas besoin d’appuyer.
En effet, il y a, dès les premières pages de ces œuvres complètes, qui renferment non seulement les découvertes de la science, mais les hommes qui les ont faites, et la biographie après l’histoire, il y a, entre M. Flourens et Fontenelle, un rapport qui saute aux yeux, malgré et à travers toutes les différences de philosophie, de sentiment et de destinée, qui existent entre le Secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences du dix-huitième siècle et le Secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences d’aujourd’hui, et ce rapport, c’est l’incomparable diaphanéité de leur Exposition à tous deux. C’est la sveltesse d’un style que le goût littéraire a dégagé et allégé jusqu’à la légèreté d’un Grammont ou d’un Matta, si de tels hommes avaient pu écrire sur les sciences. C’est cette chose dont on peut se passer aussi en France, mais non sans en souffrir : l’agrément ! l’agrément jusque dans les matières qui comportent le moins d’agrément ! l’agrément, ce superflu si nécessaire à l’esprit français ! Fontenelle et M. Flourens, et tous les deux, autant l’un que l’autre, ont introduit et créé le joli dans la science, sans la dégrader.
Pour la première fois, le Corneille a été joli, sans sottise. On a pu dire avec eux et en les lisant : « Une jolie science, une jolie expérience, — une jolie découverte, — une jolie description de physiologie », toutes choses qui, autrefois, faisaient trembler et qui, autre, part que chez eux, rendent encore bien grave. Ils ont été attirants, amusants, attachants, quelquefois brillants, et on a pu se risquer un jour, sur la foi de leurs livres, aux sciences physiques ou naturelles sans avoir la vocation d’un héros, d’un martyr, d’un Lapeyrouse qui n’en reviendra pas et qui croit s’en aller bravement se faire manger par les sauvages !
Certes, il n’y aurait que cela dans M. Flourens, il n’y aurait que cette ressemblance, que ce rapport avec Fontenelle, que ce serait assez pour exciter en nous la plus vive sympathie. Le progrès ne peut pas s’arrêter, c’est bien entendu, et il pullule de rudes ouvriers à la science, des piocheurs et des défricheurs du sublime le plus américain, mais quelqu’un qui ressemble à Fontenelle, mais, au plus épais de la science, deux doigts d’esprit qui tiennent une plume légère, voilà ce qu’on ne voit pas tous les jours !
II
Et il n’y a pas que ces deux doigts d’esprit, dans M. Flourens. Il n’y a pas que le génie littéraire de Fontenelle, retrouvé au fond de sa fonction, comme une chose oubliée à sa place dans l’intérêt de son successeur. Il n’y a pas dans M. Flourens, quoi qu’il y soit aussi, qu’un historiographe d’académie, qu’un tabellion d’éloges officiels, dont l’original reste au greffe et dont la minute est donnée à la postérité, qui aimera à la lire pour la façon dont elle est libellée, je vous en réponds ! Il y a un autre homme qui n’est pas, qui n’a jamais été dans Fontenelle. Fontenelle, lui, quand, de ses deux doigts que j’adore, il a fini d’écrire son Éloge d’Académie ou son Histoire de l’Académie, qui était aussi un éloge, bien digne d’un ancien madrigaliste comme il l’avait été en l’honneur des dames (car les académies sont des dames aussi, quoique composées de plusieurs messieurs), oui, quand Fontenelle a achevé de tourner ce madrigal suprême, et il le tourne bien, ayant eu jusqu’au dernier moment la grâce et la clarté, cette grâce de la lumière ! ayant été, ce vieux Tithon, aimé jusque-là de l’Aurore, alors tout est dit ! Il est épuisé, il a rendu son dernier souffle, l’aimable bonhomme. Il n’est plus que le Céladon, plus passé que ses aiguillettes, d’anciennes bucoliques oubliées, — un pasteur d’Arcadie, enterré en Académie.
Mais M. Flourens, après ses Éloges, est toujours M. Flourens, c’est-à-dire ce qu’il a été toute sa vie, un anatomiste, un naturaliste, un physiologiste, un professeur ! Ce n’est pas seulement qu’un secrétaire perpétuel d’académie. Il est perpétuel de talent, en son propre nom, ce qui vaut bien mieux ! Il y a là, dans cette publication de chez les frères Garnier, huit à dix volumes qui ne sont que la fleur d’un panier très plein et très profond, dans le fond duquel je ne plongerai pas mes mains indignes, mais je me permettrai de toucher, sans appuyer, au velouté de toute cette fleur. Je me permettrai de vous faire remarquer cette poudre étincelante, tombée des ailes de cette érudition d’abeille, qui a le vagabondage de l’abeille, qui en a le miel, mais qui n’en a pas l’aiguillon !
Et d’abord, voici trois à quatre volumes de Notices qui sont certainement la partie la moins considérable et la moins travaillée de cet esprit facile à qui rien ne semble coûter, tant il est éveillé et preste ! et dont plusieurs (celles sur M. de Blanville, Léopold de Buch et les Jussieu) sont de petits chefs-d’œuvre d’appréciation attique. Puis, après ces Notices, voici une Histoire de la circulation du sang, à travers laquelle le lecteur et même la lectrice verront circuler le leur dans leurs veines. C’est peut-être dans cette histoire que M. Flourens a le plus exhalé sa petite odeur de muguet littéraire, quand, de savant en savant, il est arrivé jusqu’à Guy Patin, cette excellente figure, ce Boileau Despréaux de la médecine, qui aurait donné très bien la monnaie de sa pièce à l’autre Boileau, le railleur de la Faculté. Ici le naturaliste, le physiologiste devient presque un critique comme l’un de nous. C’est un clair de lune de M. Sainte-Beuve, mais c’est un clair de lune limpide ! Après cette Histoire de la circulation du sang, vous avez l’Instinct et l’intelligence des animaux, une question qu’un fils de Buffon, comme M. Flourens, devait traiter dans un de ses ouvrages, car vous savez si M. Flourens est le fils de Buffon et s’il mérite de porter le nom de Buffonet que Buffon donnait à son fils ! Puis encore un Examen de la phrénologie, très court, comme il convient, le mépris ayant une expression brève quand il n’est pas silencieux, et le mépris étant tout ce que mérite cette doctrine, qui n’est plus qu’une amusette de salon depuis que Broussais, ce tribun médical, n’est plus là pour la défendre de sa voix âpre.
M. Flourens, qui ne pèse sur rien, a donné à cela sa chiquenaude, et la chiquenaude a suffi pour enfoncer les protubérances, mais il n’en a pas moins fait justice à Gall, quand il s’agit des services rendus par cet homme, en dehors de son système, à l’anatomie. Enfin voici le livre qui a fait tant de bruit et qui, je le crois, a été pour M. Flourens la queue du chien d’Alcibiade : le Livre sur la longévité ! L’Alcibiade de la physiologie se devait de couper la queue de son chien, et il l’a coupée en homme qui sait se servir du scalpel et de l’esprit français. Mais j’ai gardé pour le dernier le meilleur et le plus intéressant des livrés de M. Flourens, celui-là qu’il a intitulé : de la Vie et de l’Intelligence, et sur lequel je crois nécessaire de m’arrêter.
III
Quand nous avons rendu compte, dans ce volume, de l’Histoire des manuscrits de Buffon, que M. Flourens a dernièrement publiée, nous avons dit que nous reviendrions sur les services, rendus, par l’éminent commentateur du grand naturaliste, à la philosophie générale. Eh bien ! c’est ce livre de la Vie et de l’Intelligence qui fait le mieux mention de ces services. Philosophiquement, M. Flourens, ce rayon intellectuel qui glisse plus sur la métaphysique qu’il ne la pénètre, M. Flourens est cartésien. À toute page il vante la Méthode de Descartes, et trop, selon nous. Il admire l’axiome assez vulgaire de cette méthode « qu’il ne faut admettre pour vrai que ce qu’on connaît évidemment pour tel. » Comme si ce moyen de connaître évidemment le vrai, la méthode de Descartes l’avait donné jamais à personne ! Il est vrai que M. Flourens dit que Descartes oublie sa méthode en physique. En est-elle donc meilleure pour cela ?
Descartes a toujours fait des efforts enragés pour sortir du moi et il y est resté. Moins heureux que le renard de la fable, il n’a pas trouvé d’échine de bouc pour s’aider à sortir du puits dans lequel il était descendu et qui n’est pas le puits de la vérité. M. Flourens, fils de Buffon, est le petit-fils de Descartes. Il a grandi entre deux hypothèses, mais l’observation et l’expérimentation l’ont parfois arraché aux influences de sa naissance et de son éducation, et de l’aperçu il est monté jusqu’à la découverte. Or il a fait deux découvertes surtout, qui seront ses deux meilleurs titres d’honneur, dans la tradition scientifique. La première est celle de la formation des os démontrée à l’aide d’expériences très ingénieuses et très concluantes, et la seconde, c’est la localisation de l’intelligence dans le cerveau, dont il prouva physiologiquement l’unité. Avec sa théorie expérimentale sur les os, M. Flourens jetait aux Bichats de l’avenir, pour le développer, le germe d’une nouvelle chirurgie, et ce n’était là qu’un profit de la physiologie ; mais la théorie posant l’axiome superbe : « la matière passe et les forces restent »
, frappait le matérialisme, d’un premier coup, au ventre même.
Ventrem feri !
Seulement, au second, la bête s’abattait, et ce second coup mortel et qui en finissait, fut la localisation de l’intelligence dans le cerveau !
Rien de plus curieux que la démonstration de M. Flourens, rapportée avec beaucoup de détails dans le livre de la Vie et de l’Intelligence, et avec cette clarté qui est le don de son talent. C’est là qu’il faudrait la chercher. Lui, l’anatomiste cartésien, il n’invoqua pas la pensée, la spiritualité, la conscience, cette ligne solitaire et impossible à joindre de l’asymptote éternelle ! Non, il prit tout simplement et tout brutalement le cerveau, le découvrit, le disséqua, et, sous la pointe de ce scalpel, qui est le seul instrument de vérité pour les matérialistes, il montra que le cerveau était le siège exclusif de l’intelligence ; que l’ablation d’un de ses tubercules déterminait la perte du sens de la vue, mais que l’ablation d’un lobe laissait la sensation et détruisait seulement la perception. Il établit que l’un était un fait sensorial, l’autre un fait cérébral, et que la sensibilité n’était et ne pouvait jamais être l’intelligence, pas plus que l’idée, la sensation.
Contrairement à la théorie de Locke et de Condillac, mères de toutes les autres théories sensualistes, il prouva que penser est si peu sentir qu’on peut couper le cerveau par tranches, — et il le coupa, — sans produire aucune douleur, la sensibilité n’existant que dans les nerfs et dans la moelle épinière, et l’intelligence étant le cerveau, où n’est pas la sensibilité. Et il alla plus loin encore ! Il démontra que sentir n’est pas même percevoir et que le cerveau seul perçoit. Enfin il analysa expérimentalement les facultés, les fonctions, les forces, et donna la preuve sans réplique à ses adversaires (car c’était une preuve physiologique) de l’unité de l’intelligence, concluant que la physiologie répétait le témoignage du sentiment, et qu’elle le confirmait, en le répétant.
Telle est, sauf les développements, qui sont très lumineux et dont on ne peut donner ici la longue chaîne logique, la grande démonstration faite par M. Flourens contre le matérialisme, et qui, selon nous, doit finir et emporter le débat. C’est, comme on le voit, le dernier mot philosophique, prononcé dans un ordre d’idées qu’il forclôt, et contre lequel nulle objection ne peut désormais se relever. C’est la dernière raison, — ou bien mieux ! c’est le dernier fait sous lequel s’enterrera le Matérialisme et cette philosophie de la Sensation, qui a longtemps régné et qui se raccroche en ce moment au Panthéisme, pour ne pas tout à fait périr et pour retrouver plus tard le moyen de vivre.
Par le Panthéisme, en effet, le Matérialisme a toujours un pied et une main dans la philosophie contemporaine, et ce n’est pas le Spiritualisme, réduit à ses seules forces, qui coupera jamais ce pied et cette main-là. Il l’a essayé, au commencement du siècle, ce spiritualisme vain qui, en dehors des idées chrétiennes, a l’insolence et l’ingratitude de se croire quelque chose. C’était l’heure où la société n’en pouvait plus, changeait d’erreur et se tournait de l’autre côté, sur sa paillasse de sophismes. Mais M. Cousin, qui discutait Locke, n’empêcha pas Broussais. D’ailleurs, il faut bien en convenir, quelle que soit la doctrine dont il est question, ce n’est jamais par des arguments tirés d’un ordre d’idées déterminé, qu’on peut enfoncer et ruiner les arguments tirés d’un bon ordre d’idées contraires, et tout de même que le Spiritualisme ne peut mourir que sous des raisons spiritualistes, tout de même le Matérialisme ne peut périr et crouler que sous des raisons, tirées de lui-même : or l’honneur de M. Flourens, est d’être venu nous les donner !
IV
Encore une fois, voilà le vrai mérite de M. Flourens ! Voilà la gloire sérieuse de cet esprit, léger seulement par l’expression, qui a porté dans la science un sourire inconnu et charmant. Un jour il a été terrible et il a souffleté le matérialisme avec un scalpel ! Puis, il a repris son sourire, dans lequel aucun scepticisme ne se joue. L’historien de Magendie a l’originalité d’être convaincu. Non seulement il est spiritualiste, puisqu’il est cartésien, et nous avouons que jamais ce spiritualisme-là ne nous a paru très formidable et très auguste ; mais il est chrétien, et il a toujours mis sa science derrière le christianisme, ce qui est sa place, malgré les rébellions insolentes de quelques savants ! Sur la création, il est pour Moïse, et sur l’unité de la race dans le genre humain ; il croit aux causes finales, mais, comme il le dit, avec un sens délié et profond, il ne conclut pas « le dessein suivi, des causes finales, mais les causes finales du dessein suivi. » Il n’est guère possible de dire plus juste et de penser plus fin.
Finesse et justesse, ce sont, en effet, les qualités supérieures de M. Flourens, c’est de justesse dans l’expression et de finesse dans la pensée qu’est faite sa lucidité, car M. Flourens n’est pas seulement un esprit lucide, c’est mieux que cela, c’est une lucidité. Nous n’avons pas entendu M. Flourens, comme professeur, mais il doit porter dans son enseignement les qualités qui font de l’exercice du professorat quelque chose comme une création continuée, car, éclairer les esprits, c’est les créer une seconde fois. C’est même, dirons-nous, — et c’est la seule critique que nous oserons contre ces livres amusants, comme s’ils n’étaient pas savants, et savants comme s’ils n’étaient pas amusants, — c’est même l’habitude du professorat qui donne à ces livres la tache de ces répétitions de faits ou d’idées, qu’on prendrait pour des négligences et qui sont plutôt des scrupules de clarté. M. Flourens, qui ferait la classe avec beaucoup d’imposance à des hommes comme lui, la ferait tout aussi bien aux jeunes filles des Oiseaux ou de l’Abbaye-aux-Bois, comme Bossuet faisait le catéchisme aux petites bonnes gens de la ville de Meaux, et, comme on le sait, Bossuet n’en était pas plus petit. L’auteur de la Vie et de l’Intelligence n’est donc pas moins fort, parce qu’il est gracieux ; il n’est pas moins docte, parce qu’il est agréable et que tout le monde peut lire ses livres et les goûter.
Nous croyons à la providence des noms comme y croyait Sterne, et M. Flourens est l’homme de son nom. Il a mis la plus belle rose de son jardin des Plantes au corsage un peu épais de la Science, et il en ferait bien d’autres ! Tout ce qu’il touche, il le fleurit !