Coppée, François (1842-1908)
[Bibliographie]
Le Reliquaire (1866). — Les Intimités (1868). — Les Poèmes modernes (1869). — Le Passant, drame en un acte et en vers (1869). — Les Deux Douleurs, drame en un acte et en vers (1870). — L’Abandonnée, drame en deux actes, en vers (1871). — Fais ce que dois, un acte, en vers (1871). — Les Bijoux de la délivrance (1872). — Le Rendez-vous, un acte, en vers (1872). — Les Humbles, poésies (1872). — Le Cahier rouge (1874). — Olivier, poème (1875). — Une idylle pendant le siège (1875). — Le Luthier de Crémone, un acte, en vers (1876). — Le Trésor (1877). — L’Exilée (1877). — Les Récits et les Élégies (1878). — La Korigane, ballet (1881). — Madame de Maintenon, cinq actes, en vers (1881). — Les Contes en prose (1882). — Severo Torelli, cinq actes, en vers (1883). — Les Jacobites, cinq actes, en vers (1885). — Les Contes rapides (1886). — L’Arrière-Saison (1887). — Le Pater (1889). — Henriette (1889). — Les Paroles sincères (1890). — Toute une jeunesse (1890). — Le Petit Marquis (1891). — La Guerre de Cent Ans (1892). — Mon franc-parler (trois séries de 1893 à 1896). — Contes tout simples (1894). — Pour la Couronne (1895). — Le Coupable, roman (1897). — Les Vrais Riches (1898). — La Bonne Souffrance (1898).
OPINIONS.
Théodore de Banville
Ce poète a un profil digne d’être gravé sur une médaille, car avant qu’il ait
atteint sa trentième année, la pensée, qui visiblement habite son front large et
bien construit, et la bonne déesse pauvreté, qui fut sa première nourrice, lui ont
donné des traits arrêtés à un âge où on n’en a pas encore. Il est d’ailleurs en
bronze florentin, comme le Chanteur sculpté qu’il lui a plu d’animer dans le Passant, et ce teint brun avive le gris bleu de ses yeux
résolus et caressants, bien encadrés par l’arcade des sourcils. Le même hâle
couvrait le maigre visage du Premier Consul, à qui Coppée aurait ressemblé, s’il
l’avait voulu ; mais avec la délicatesse d’un lyrique dont l’âme répugne à toute
allusion trop attendue, il a résolument coupé ses longs cheveux droits, pour
éviter ce lieu commun. Le nez un peu fort, aux arêtes accentuées, aurait occupé
Grandville, qui, à toute
force, voulait trouver dans chaque homme la ressemblance d’un animal, car il
aurait évoqué dans son cerveau l’idée d’un svelte et fringant cheval arabe. Le
visage de François Coppée
est vraiment ovale, ce qui est plus rare qu’on ne pense, et sa bouche bien
dessinée est tout à fait celle du jeune homme qui parle une langue harmonieuse. Sa
tête, presque toujours inclinée en avant, a en général une expression triste, que
parfois éclaire et déchire, en dépit de tout, le confiant sourire de la jeunesse,
et, pour dernier trait, j’ajouterais, si ce n’était abuser même des privilèges
excessifs de l’hypothèse, qu’en le regardant silencieux, je songe irrésistiblement
aux quatrains adressés en 1829 à Ulric G., par Alfred
de Musset : « Toi si plein, front pâli
», etc. ; et
pour trancher le mot, il a, en 1873, quoique avec la simplicité et la tenue
élégante d’un parfait gentleman, quelque chose de foncièrement romantique !
Albert Wolff
Tenez, je voudrais avoir sous la main le manuscrit du Passant pour vous faire partager ma joie. Depuis longtemps je n’ai passé de plus agréable soirée qu’hier ; il y a dans la petite scène que M. Coppée a fait représenter hier à l’Odéon plus de talent que dans cette comédie en cinq actes que je pourrais vous citer, si je ne craignais pas de chagriner l’auteur… Le Passant n’est pas une de ces pièces que l’on raconte ; c’est un poème auquel l’analyse ferait perdre la saveur et la grâce, une pure œuvre d’art que je vous engage à aller voir et que vous applaudirez certainement ; cela dure vingt minutes, vingt-cinq minutes au plus, et tout, depuis le premier vers jusqu’au dernier, vous charmera, je vous le jure… Enfin, voilà un début heureux au théâtre ; si M. Coppée a la volonté et l’énergie voulue pour s’atteler à une œuvre, je ne dirai pas plus importante, car le Passant est un petit bijou, mais plus grande, plus vaste, il aura certainement un bel avenir au théâtre.
Francisque Sarcey
Les Deux Douleurs sont dans leur ensemble une œuvre de théâtre fort médiocre. — Je conviendrai aisément que M. Coppée possède une habileté de main extrême et que, chez lui, la facture du vers est excellente. Mais ce n’est plus fort rare aujourd’hui, et tous les jeunes poètes de l’école à laquelle il appartient ne le lui cèdent point à cet égard. Ils savent tout aussi bien que lui ce qui est du métier. — Toutes mes critiques n’empêchent pas qu’il y ait chez M. Coppée, en dépit d’un secret penchant à l’imitation, une vraie source de poésie. Elles justifient la sévérité avec laquelle la plupart des journaux ont accueilli les Deux Douleurs. C’est une pièce de théâtre mauvaise ; c’est une assez médiocre élégie.
Francisque Sarcey
Le Gymnase a donné, cette semaine, l’Abandonnée, de M. François Coppée, un petit drame en deux actes et en vers. — Pour M. François Coppée, ce n’est qu’un thème à poésie. Ce qu’il y a dans tout ce bavardage de ciel bleu, d’oiseaux jaseurs, de marguerites dans les prés, de ruisseaux qui murmurent, de regards du bon Dieu, n’est vraiment pas croyable. L’auteur a exhumé du tiroir où elles moisissaient toutes ces fleurs fanées de la vieille poétique des bohèmes de 1840. La sensibilité vraie est aussi parfaitement absente de ce postiche que la gaîté franche. C’est un devoir d’élève de rhétorique, assez fort en vers latins, qui pille Claudien et Stace au lieu d’imiter Virgile. — C’est un très habile homme que ce jeune poète. Il spécule avec infiniment d’adresse sur les faibles du public. À l’époque où la bourgeoisie était la plus acharnée contre les grèves, il écrit le Forgeron ; au moment où les grands mots de régénération et de revanche voltigeaient dans l’air, il fait réciter à l’Odéon Fais ce que dois. C’est un autre truc aujourd’hui et presque aussi, infaillible.
Paul Stapfer
D’une manière générale, son progrès a été de sortir et se dégager du faux pour entrer et pénétrer plus avant dans « ce que le vulgaire appelle des riens », creuser ces riens jusqu’au fond et en extraire la perle de poésie. Quelques-uns des médaillons de dix vers qu’il a intitulés : Promenades et intérieurs, sont de petits chefs-d’œuvre, et telle est la puissance de la forme, que cela existe et palpite de vie et resplendit dans la lumière, bien que la matière qu’il a mise en œuvre se réduise au plus bas minimum possible ; mais l’artiste est vraiment le créateur qui tire des êtres du néant. Quel est le sujet de ces médaillons ? peu de chose :
Des couples de pioupious qui s’en vont par les champs,Côte à côte épluchant l’écorce des baguettes ;
l’éléphant du Jardin des Plantes tendant sa trompe pour « engloutir les nombreux pains de seigle » ; une classe d’école où l’on voit tous les yeux épier
Un hanneton captif marchant sur du papier.
C’est la perfection même dans l’infiniment petit.
J.-K. Huysmans
L’Exilée : « De douces fleurs… mouillées des larmes du
sincère amour »
, voilà, fidèlement décrits par l’épigraphe de Shakespeare, qui les précède,
les nouveaux vers de M. François
Coppée. Ce charmant volume, l’Exilée, renferme
quelques-unes des plus délicates inspirations de l’auteur du Reliquaire
ou des Humbles. Que nous sommes
loin du « Petit épicier de Montrouge », et combien « la Rose de Norvège » a laissé
de parfums frais et ardents à la fois au front de son poète !
Émile Zola
Je rappellerai la pièce de vers qui ameuta les Parnassiens et même une partie du public. Cette pièce, qui se trouve dans le recueil des Humbles, est intitulée : Le Petit Épicier. Elle est restée jusqu’à ce jour le drapeau du naturalisme en poésie ; en la lisant, on est loin de la Charogne de Baudelaire et des vers bibliques de M. Leconte de l’Isle. C’est là une note nouvelle, un écho du roman contemporain. Et l’on aurait tort de croire que la tentative était facile à faire. On ne saurait s’imaginer quelle somme de difficultés vaincues il y a dans cette pièce. Il fallait l’outil si souple et si simple de M. Coppée pour réussir… Selon moi, ce qui distingue M. Coppée, c’est justement le merveilleux outil qu’il emploie. On dirait qu’il n’a passé par le groupe parnassien que pour exercer sa forme et la rompre à toutes les difficultés. Il est le seul qu’aucun mot n’embarrasse ; il fait tout entrer dans son vers. Il a des trouvailles de simplicité adorables, il descend sans platitude aux détails réputés jusqu’ici les moins poétiques.
Jules Lemaître
Avant tout, M. François Coppée est un surprenant versificateur, non qu’il n’ait peut-être quelques égaux dans l’art de faire les vers, mais cet art, à ce qu’il me semble, se remarque chez lui plus à loisir, comme s’il était plus indépendant du fond. Volontiers, j’appellerais l’auteur du Reliquaire et des Récits et élégies le plus adroit, le plus doué de nos rimeurs… M. Coppée n’en a pas moins ce grand mérite d’avoir, le premier, introduit dans notre poésie autant de vérité familière, de simplicité pittoresque, de « réalisme » qu’elle peut en admettre. Les Humbles sont bien à lui, et, dans une histoire du mouvement naturaliste de ces vingt dernières années, il ne faudrait point oublier son nom.
Paul Ginisty
On serait peut-être en droit d’attendre de M. François Coppée une œuvre plus
importante que cette Arrière-Saison, qu’il vient de publier,
encore qu’il y ait là des pages gracieuses et d’un sentiment bien humain. C’est la
mélancolique aventure d’un vieux garçon, qui croit son cœur usé et flétri,
lorsqu’il rencontre, une fillette qui lui donne des émotions sur lesquelles il ne
comptait plus guère. Elle « n’a pas toujours été sage »
.
Auguste Dorchain
La poésie de détail, voilà, en effet, ce que représente excellemment M. François Coppée. Il est venu après Victor Hugo comme Téniers après Rubens, comme Gérard Dou après Rembrandt. Pareil à ces « petits maîtres » flamands et hollandais avec lesquels il a tant de ressemblances, il a rapproché l’art de la foule sans l’éloigner des artistes. Il plaît aux simples par la simplicité vraie de ses conceptions, aux raffinés par le raffinement merveilleux de son faire ; et c’est pourquoi — rare exception ! — il est de ceux dont la popularité ne saurait diminuer la gloire.
Anatole France
Celui-là a beaucoup aidé à aimer. Ce n’est pas par méprise qu’on l’a admis dans l’intimité des cœurs. C’est un poète vrai. Il est naturel. Par là il est presque unique, car le naturel dans l’art est ce qu’il y a de plus rare ; je dirai presque que c’est une espèce de merveille. Et quand l’artiste est, comme M. Coppée, un ouvrier singulièrement habile, un artisan consommé qui possède tous les secrets du métier, ce n’est pas trop, en voyant une si parfaite simplicité, que de crier au prodige. Ce qu’il peint de préférence ce sont les sentiments les plus ordinaires et les mœurs les plus modestes. Il y faut une grande dextérité de main, un tact sûr, un sens raisonnable. Les modèles étant sous les yeux, la moindre faute contre le goût ou l’exactitude est aussitôt saisie. M. François Coppée garde presque toujours une mesure parfaite. Et comme il est vrai, il est touchant. Voilà pourquoi il est chèrement aimé. Je vous assure qu’il n’use pas d’autre sortilège pour plaire à beaucoup de femmes et à beaucoup d’hommes. S’il suffit d’une médiocre culture pour le comprendre, il faut avoir l’esprit raffiné pour le goûter entièrement. Aussi son public est-il très étendu.
Bernard Lazare
Si les élégiaques déshonoraient les petits oiseaux, comme a dit un ingénieux critique, il (François Coppée) sut déshonorer mieux que cela, et sur le tombeau de la sensiblerie, il sut faire pousser les plus fameux tubercules.
Marcel Fouquier
Plusieurs de ces poèmes de genre, de ces quadri, de ces croquis, sont enlevés de verve, avec une grâce très délicate ou une malice très « lyrique ». La gloire du poète est ailleurs. En laissant de côté son théâtre, la Guerre de Cent ans, ce drame shakespearien non représenté, où les spectres jouent un grand rôle et ne feraient peut-être pas sourire, le Luthier de Crémone et même le Passant, M. François Coppée n’a-t-il pas écrit de vrais chefs-d’œuvre dans cette note moderne et émue qui est la sienne ? Le poème d’Olivier épris douloureusement d’un amour virginal et qui voit son rêve flétri par le souvenir des débauches passées, aurait charmé le Sainte-Beuve analyste des Pensées d’août.
Henri de Régnier
En y regardant de près, on s’aperçoit qu’il n’y a en M. Coppée ni large sympathie pour les petits, ni douce commisération pour les patients, et qu’il n’y a là qu’un cas de mauvaise littérature, rien de plus ni rien de moins, et que l’appréciation qu’on en peut faire relève uniquement du bon goût.
Ferdinand Brunetière
Lisez le Petit Épicier lui-même, Un fils, En province, l’Enfant de la balle, les Boucles d’oreilles. Cette poésie bourgeoise et populaire, intime et vécue, que Sainte-Beuve avait rêvée, vous vous le rappelez, dont il n’y avait quelques accents avant lui que dans la chanson de Béranger peut-être, M. Coppée, lui, l’a réalisée ; il y est d’abord passé maître ; et c’est le souvenir qu’éveille d’abord son nom. Moins politique que Béranger ; moins subtil et moins précieux, moins alambiqué que Sainte-Beuve ; plus sincère, comme connaissant mieux les choses dont il parlait, les ayant observées de plus près, plus attentivement, les goûtant, les aimant davantage, il a vraiment, en ce sens, étendu le champ de la poésie contemporaine ; il y a comme acclimaté des sujets qu’on en croyait indignes pour leur simplicité ; et il a surtout, en les traitant, presque toujours évité l’écueil du prosaïsme ou celui de l’insignifiance.
Romain Coolus
Des vers de M. Coppée je
ne dirai rien, sinon qu’il en est que Camille Doucet ne désavouerait pas.
Le médecin
l’a dit : il faut que vous sortiez !
rappelle le célèbre
alexandrin du Fruit défendu :
Léon, je te
défends de brosser ton chapeau !
Me blâmera-t-on de ne point aimer les romantiques tirades où éclatent des douzaines de pieds de cette sorte :
Ce sang qui rend ma main froide comme un tombeau.Je me serais coupé ta langue avec les dents !Murailles, croulez donc, etc. ?
Suis-je coupable d’estimer chevillé un vers comme celui-ci :
J’avais quelques bijoux, inutile richesse.
Surannées les apostrophes aux portraits de famille et aux armures d’ancêtre ; accessoires fanés et racornis les serments, bénédictions et autres balançoires mélodramatiques !
Gustave Larroumet
Artiste toujours soucieux de perfection, et pourtant romancier et journaliste, en même temps que poète, M. François Coppée n’a pas écrit moins de quinze comédies ou drames, entre le Passant et la pièce (Pour la Couronne) qui vient de se jouer à l’Odéon. Le théâtre a donc provoqué une part très considérable de son effort. Cependant, malgré le rang unique mérité par plusieurs de ses pièces, comme le Passant et le Luthier de Crémone, malgré l’importance exceptionnelle d’œuvres comme Severo Torelli et Pour la Couronne, il se pourrait que M. Coppée ne fût pas apprécié à sa valeur comme poète dramatique. En lisant les appréciations de la critique sur son dernier drame, j’étais frappé de ce que beaucoup d’entre elles exprimaient ou supposaient de réserves, disaient ou ne disaient pas, en constatant, du reste, ce grand succès, le plus grand de ses vingt-cinq dernières années.
Outre ce que les motifs personnels ou les rivalités d’école apportent toujours de restriction dans l’éloge, l’auteur en cause fût-il, comme celui-ci, particulièrement « sympathique », M. Coppée porte la peine au théâtre de son rang dans les autres genres. Poète, il est un des quatre ou cinq qui, depuis Victor Hugo, représentent quelque chose d’essentiel dans le développement de la poésie française. Le conteur, sans égaler le poète, a donné des pages exquises. Depuis trois ans, le journaliste ajoute une originalité de plus, et très marquée, à ces originalités diverses. Enfin, des Jacobites à Pour la Couronne, il y a un intervalle de douze ans, et il faut un mérite bien solide pour maintenir son rang et retrouver toute son action après une aussi longue retraite.
Ce rang et cette action sont de premier ordre. Auteur dramatique, M. Coppée l’est au même degré que d’autres qui ne sont que cela. À cette heure, il est seul, avec deux ou trois poètes, à maintenir une haute forme d’art. Non seulement il nous donne à nous, ses contemporains, un plaisir dramatique que nous ne connaîtrions plus sans lui, mais il est certain que la postérité prêtera grande attention à la part de son œuvre oh ce parnassien a continué le mouvement romantique. Si, comme il est à craindre, le drame en vers ne devait pas survivre à notre siècle, M. Coppée serait digne d’en être le dernier représentant, en compagnie des maîtres et dans la même lignée.
Jules Lemaître
Le drame de M. François Coppée, Pour la Couronne, représenté à l’Odéon avec un si éclatant succès, a d’abord un mérite. C’est d’être, à un degré qui rend la chose originale en ce temps de septentriomanie, — peut-être, il est vrai, finissante, — un beau drame français, écrit en français, avec une ingénuité, une générosité, une chaleur et une clarté toutes françaises, par un Parisien de Paris.