Merrill, Stuart (1863-1915)
[Bibliographie]
Les Gammes (1887). — Pastels en prose (1890). — Les Fastes (1891). — Les Petits Poèmes d’automne (1890). — Poèmes (les Gammes ; les Fastes ; Petits Poèmes d’automne ; le Jeu des épées) [1897]. — Les Quatre Saisons (1900).
OPINIONS.
Albert Mockel
Stuart Merrill a la science de la ligne décisive, comme il sait onduler toutes les souplesses d’une attitude ; mais, il faut le remarquer, ses formes sont presque toujours en équilibre statique, telles que les fortes et nobles créations de Constantin Meunier, par exemple ; le geste, chez lui, peut s’immobiliser indéfiniment, par cela même qu’il indique plus souvent un état qu’une action, et donne mieux l’impression de la chose qui dure. De plus, si sa ligne est ferme, le trait n’a jamais de dures arêtes, et c’est bien comme les œuvres de peintres italiens, dont les formes très précises ne se découpent jamais cependant avec sécheresse, mais sont harmoniées sur un fond qui participe de leur vie.
Les Fastes ont de l’éclat surtout, mais leur beauté procède encore de plusieurs autres qualités parfois opposées, depuis la douceur nacrée de Watteau jusqu’à la force qui tend les muscles. Et, puisqu’il est toujours bon d’user de comparaisons lorsqu’il s’agit d’un poète, je voudrais dire encore combien je songeais à Stuart Merrill en feuilletant l’album de Walter Crane : Princesse Belle-Étoile.
Ce qui frappe en Stuart Merrill, après la lumière dont il inonde son vers, c’est le sens du légendaire avec le don de suggérer. Ses personnages, nettement accusés comme ceux des gothiques de Cologne, restent pourtant lointains comme eux, et le rêve qui les entoure se communique à nous par l’enchantement de la musique.
Edmond Pilon
Après M. Mallarmé, mais d’une façon lucide, autrement, M. Merrill est, de tous les poètes « mélodistes » de la génération hautaine qui s’est levée, un des plus purs et certainement le plus musical. Pourtant, de cette forme compliquée un peu, sa personnalité n’a pas souffert. C’est que son éducation, formée à toutes les universelles beautés, s’est compliquée, dans l’adoration, à Bayreuth, de Wagner ; en Allemagne et en Italie, des très merveilleux primitifs ; à Londres, des préraphaélites ; et, en France, de la lecture approfondie de Verlaine, de Villiers, de Dierx, de Hugo, de Baudelaire. M. Merrill fut d’abord le frère d’armes des premiers poètes symbolistes, et il reste l’ami de MM. de Régnier, Vielé-Griffin, Verhaeren et Retté. Américain d’origine, il est bien le compatriote de ce suprême et grand Edgar Poë, de celui qui osa penser que la poésie était la création rythmique de la beauté, lorsqu’il écrivit que cette beauté était une des conditions de la parfaite vie « au même titre que la vertu et la vérité ».
Remy de Gourmont
Le poète des Fastes dit, par le choix seul de ce mot, la belle franchise d’une âme riche et d’un talent généreux. Ses vers, un peu dorés, un peu bruyants, éclatent et sonnent vraiment pour des jours de fête et de fastueuses parades, et quand les jeux du soleil s’éteignent, voici des torches allumées dans la nuit pour éclairer le somptueux cortège des femmes surnaturelles… Après de si éclatantes trompettes, les Petits Poèmes d’automne, le bruit du rouet, un son de cloche, un air de flûte dans un ton de clair de lune : c’est l’assoupissement et le rêve attristé par le silence des choses et l’incertitude des heures… M. Stuart Merrill ne s’est pas embarqué en vain, le jour qu’il voulut traverser les Atlantiques, pour venir courtiser la fière poésie française et lui planter une fleur dans les cheveux.
Louis de Saint-Jacques
Il est bien entendu que je ne fais pas un grief à M. Merrill d’avoir le souffle court, je le note seulement. Il ne pourra déchaîner ni des orages ni des tempêtes, il ne bouleversera pas, il n’aura rien d’impétueux ni de lyrique. Mais les souffles courts peuvent plaire, si l’on sait en tirer parti. On les modulera en soupirs, qui ne sont pas sans charme, en mélodies tendres, en plaintes frêles. Et ce seront alors des chansons douces, comme d’une teinte effacée, des ballets de Lulli où sourient de mièvres marquises, des brises ailées et des caresses, toute une savante combinaison de syllabes fondues, atténuées, prolongées ou redoublées, des divertissements verbaux exécutés par un rêveur légèrement triste qui fermerait les yeux pour ne pas être distrait par les choses réelles et mieux rêver les rêves qu’il a élus. Non content de ces variations souvent exquises, M. Merrill donne parfois de la trompette. Mais il s’y essouffle vite : le temps d’un sonnet héroïque ou de quelques strophes éclatantes, et c’est tout. Que ce soit pour les Gammes, les Fastes, les Poèmes d’automne ou le Jeu des épées, invariablement il procède de façon qu’en chacun de ces recueils la pièce terminale soit la plus longue : or, elles ne le sont jamais beaucoup. On y sent vite que M. Merrill ne saurait aller très loin et que bientôt l’essoufflement lui serrera la gorge, et cela ne manque jamais.
Yves Berthou
Les vers de Stuart Merrill ont les riches colorations des ciels d’aube et de crépuscule et des ciels nuageux à l’heure des levers de lune. Ils ont l’éclatante sonorité des fanfares. Mais ils ont aussi l’émotion qui vivifie. L’imagination magnifique de ce poète évoque les héros et les pâles princesses de la légende et les fait passer sur de somptueux décors. Et ce sont aussi des âmes voilées errant dans des paysages brumeux.
Tristan Klingsor
Ce dernier recueil (Les Petits Poèmes d’automne) nous montrait M. Stuart Merrill sous un jour nouveau et mélancolique. Il y avait transcrit le charme secret des souvenirs, toute la poésie cachée de l’automne et la tristesse discrète de l’amour oublié. Quelques-uns de ces petits poèmes, Au temps de la mort des marjolaines, entre autres, sont parmi les plus délicieux que je connaisse. Ils font un peu songer à l’adorable Intermezzo, de Heine, mais sans cette nuance d’ironie légère qu’on trouve sans cesse chez l’écrivain allemand. Au contraire de ce qu’on pourrait croire du reste, la spontanéité de l’inspiration ne gêna jamais l’habileté de M. Stuart Merrill. Au lieu d’y perdre, le vers y gagna en douceur et en musique. Devenu plus subtil et plus délicat, son talent se laissa moins voir et devint par là même plus étonnant. Presque toujours la construction de la phrase parallèlement à l’ordre des sensations, le rythme, les sonorités de voyelles et de consonnes, tout cela s’unit harmonieusement pour suggérer une image… Le Jeu des épées qui termine la première série des poèmes de M. Stuart Merrill est composé de pièces écrites à des époques assez distantes, pour qu’on y trouve réunies toutes les qualités, qui caractérisent chacun des livres précédents. Seul, le magnifique Chant de Satan semble indiquer la volonté décisive du poète de se hausser à un art plus violent et plus puissant. C’est du reste ce que montrent aussi quelques fragments de son œuvre future des Quatre Saisons. Ce qu’on y voit encore, c’est un retour vers la campagne, vers la maison de douce solitude… Après avoir chanté les plus glorieuses des légendes dans les Fastes, puis la douceur de l’automne avec les Petits Poèmes, le voici qui chante simplement la beauté des choses.
Georges Pioch
Parce qu’il participe de la vie par cet amour qui souffre et jouit d’homme à femme, parce qu’il la surpasse en bonté et la domine par le pardon, ce livre (Les Quatre Saisons), qui nous vient avec le printemps, peut-il être admiré et chéri comme le commentaire généreux d’une année ; mieux même : de l’Année… Le goût littéraire y cueille des joies rares : celles qu’un art hautain et délicat procure et que fortifie le rayonnement d’une libre pensée ; celles, aussi, d’une surprise. Docile à l’exemple de presque tous les poètes et, de plus, excipant de la supériorité esthétique de ces joyaux : les Gammes, les Fastes, le Jeu des épées, et ce délicieux cantique païen : Petits Poèmes d’automne, M. Stuart Merrill aurait pu refaire ses premiers livres. C’eût été bien. Il ne l’a point voulu. C’est mieux. Son inspiration, apparaît-il, se recueillit en une maison de bon accueil, sise sur la lisière d’un menu village et que veille la gloire sonore, aromatique et ténébreuse d’une forêt :
C’est ici la maison de douce solitudeDont le vantail de bois ne s’entr’ouvre, discret,Comme à l’appel de Dieu, qu’au cri d’inquiétudeDu vagabond venu du fond de la forêt.
Au gré des saisons, elle musa de la nature proche à l’humanité ambiante, épelant des âmes au miroir peu limpide des faces frustes, pénétrant les tâches du village, son trantran passif, héroïsant les piètres destins qui s’y accomplissent, et les confrontant, pour un résultat de magnification harmonieuse, avec l’autorité némorale.
Quelquefois, le poète se retourne par le souvenir et l’angoisse devers la grande ville quittée. Et c’est alors, en lui, comme un remords. Sans doute, est-il, là-bas, des tâches nécessaires — révolte, gestes de justice — qu’il ne faut point délaisser :
Ô mon Dieu, je m’agenouille au coin du feu ;Et j’ose vous demander où est mon vrai devoir :Est-ce dans la joie de votre création, ô Dieu,Ou là-bas dans la ville où le soleil est noir ?
Ou bien son rêve s’élance « vers les villes qu’on ne voit pas encore à l’horizon ». Alors, c’est en lui la révolte de cette spontanéité, que j’ose qualifier de contre-nature et contre-Dieu, qui chante en lui et l’a voué depuis toujours à l’amour, à la bonté. Grondante en ces admirables poèmes : On se bat au bout du monde, Le Veilleur des graines, en d’autres encore ; elle s’affirme en celui-ci, Les Poings à la porte, — le plus beau du livre, à mon avis, — comme la signification suprême de l’effort poétique de M. Stuart Merrill ; la dernière altitude idéale qu’il a gravie et où il veut se maintenir :
J’irai, heureux de croire à mon âme,Sous le signe céleste de ténèbres et de flammes,Qui annonce la vie ou la mort aux veilleurs,Détruire, pour les rebâtir, les remparts trop vieux,Où se déferleront, demain, les étendards de Dieu.
Tout cela, et l’intimité d’amour qui l’adoucit et l’éclaire de ses grâces, M. Stuart Merrill le confie par le moyen d’un verbe, moins brillant, certes, que celui des Gammes et des Fastes, mais d’une authenticité presque impeccable et qui, toute singularité inutile élaguée, se déroule dans une perpétuelle euphonie.
A. Van Bever
Disciple fervent de la Beauté, il le fut non moins de la Justice, et pendant que ses vers, en France, faisaient le charme d’une élite, il organisait les groupes socialistes américains à New York. Magicien fastueux, faisant revivre dans des décors d’enchantement les gracieuses figurines des légendes abolies, il prenait sa part dans la vie contemporaine en lui apportant une idée de consolation. Depuis, M. Stuart Merrill s’est éloigné de la lutte ; plus impérieusement enfermé dans son art, — sans renier toutefois ses convictions, — il a tenu à s’affirmer, par ses visions et son rythme, celui que d’aucuns avaient pressenti. La nécessité de s’exprimer noblement ne tend-elle point d’ailleurs à la réalisation d’un grand rêve social, puisqu’elle impose la plus grande part de perfection humaine.