(1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Contes — XVIII. La bague aux souhaits »
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(1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Contes — XVIII. La bague aux souhaits »

XVIII. La bague aux souhaits

(Peuhl)

Au pays de Sahel, il y avait un chasseur maure, nommé Ahmed, qui possédait pour tout bien un chien et un chat. Un jour qu’il était à la chasse, il a rencontré une guinnârou, dont les cheveux tombaient jusqu’à terre. Il s’est tout doucement approché d’elle sans qu’elle semblât l’apercevoir. Il lui voit au doigt une jolie bague d’or. Alors l’idée lui vient de tuer la guinnârou pour lui voler sa bague. Il charge son fusil… Mais la guinné n’ignore pas un seul de ses mouvements. Elle se retourne et lui dit : « Pourquoi me tuer, Ahmed ! Viens près de moi ». Ahmed obéit.

Je sais, continue-t-elle, ce qui se passe dans ton cœur. Tu es pauvre et tu veux me tuer pour me prendre ma bague, mais cela ne t’enrichirait guère ! Je vais te fournir les moyens de devenir vraiment riche. »

Elle entre dans sa case et en ressort aussitôt : « Voici dit-elle le grigri que je t’ai promis ». Elle ouvre le coffret qu’elle a apporté et en retire une bague d’argent : « Tu vas mettre cette bague à ton doigt. Chaque fois que tu désireras obtenir quelque chose, tu te l’ôteras du doigt et tu la poseras à terre. Ensuite, étendant ta main au-dessus d’elle, tu demanderas à Allah ce que tu voudras avoir. Tu passeras de nouveau la bague à ton doigt et, le lendemain matin, tu verras que tu possèdes déjà ce que tu auras demandé à Dieu. »

Le Maure rentre dans son village. Pendant la nuit il a ôté sa bague et l’a posée à terre, selon les indications de la guinnârou. Il prie Allah de lui faire gagner de l’argent. Puis il s’endort et, pendant son sommeil, la guinnârou qui le protège enterre dans le sol une marmite pleine d’or.

A son réveil, Ahmed gratte la terre, en retire la marmite et s’approprie l’or qui y est contenu.

Il a acheté des bœufs, des chevaux, des moutons, tout ce qu’il lui faut avec cet or là. Puis il s’est construit un tata.

Il va ensuite se marier. Avant qu’il le fasse, la guinnârou lui dit : « Ahmed, une fois marié, il ne faut pas laisser voir ta bague à ta femme. Sinon elle agira de telle façon que tu redeviendras malheureux ».

Ahmed s’est marié et un long espace de temps s’écoule sans que sa femme voie la bague. Elle sait seulement qu’il en a une. Mais, un jour, Ahmed a oublié d’enlever l’anneau pour le ranger dans le coffre : il se couche avec sa femme et, quand il s’est endormi, la femme aperçoit la bague. Elle la lui ôte et en fait cadeau à son kélé176.

La femme dit au kélé : « J’ai entendu que cette bague fait avoir tout ce qu’on lui demande. C’est une guinnârou qui accorde ce que l’on a souhaité. Si c’est exact, je te demande de faire saisir mon mari, son chien et son chat et de les faire jeter de l’autre côté du fleuve ».

Le kélé a exprimé ce souhait. La guinnârou vient aussitôt, saisit Ahmed et ses animaux et les dépose sur la rive opposée du cours d’eau. Ce fleuve est très large et il fourmille d’animaux malfaisants. Personne ne peut le passer à cet endroit-là et jamais on n’a osé y risquer une pirogue.

La femme a installé son kélé dans la case d’Ahmed.

Le lendemain matin, vers 6 heures, Ahmed se réveille et s’aperçoit qu’il est dans la brousse sur l’autre rive du fleuve. Alors il commence à s’effrayer, en songeant qu’il n’a ni fusil ni rien. Il se demande comment il va faire pour se procurer de la nourriture. Une heure se passe dans ces angoisses.

La guinnârou alors s’en vient trouver Ahmed : « Le jour où je t’ai donné la bague, lui reproche-t-elle, je t’ai recommandé de ne pas laisser ta femme s’en emparer : Maintenant il te faut rester ici trois mois. Je vais te donner un fusil et de la poudre de chasse. Chaque matin, tu tueras deux poissons. Tu mangeras l’un le matin et l’autre le soir. Le dernier jour de ce délai arrivé, avant de tirer ton dernier coup de fusil, tu viendras me trouver et je te donnerai quelque chose ».

Ahmed a suivi les instructions de la guinnârou.

Au dernier jour du troisième mois, il ne lui restait plus qu’un coup de fusil à tirer. La guinnârou est venue la nuit pendant qu’il dormait. Elle appelle le chat et le chien et leur dit : « Mettez-vous à l’eau immédiatement, traversez le fleuve et rendez-vous à la case de votre maître. Vous y trouverez porte close, mais cela ne fait rien ! vous entrerez quand même. La femme d’Ahmed va faire cette nuit ce qu’elle n’a pas encore fait depuis l’enlèvement de son mari. Elle dormira avec la bague au doigt. Vous lui prendrez la bague et me la rapporterez ».

Le chat est parti avec le chien qui reste à faire le guet devant la porte. Il vole la bague et tous deux reprennent leur chemin pour revenir à la guinné. Arrivés au fleuve, le chat grimpe sur le chien qui va le passer à la nage mais, quand ils sont au milieu de l’eau, le chien lui dit : « Montre-moi cette bague ; moi aussi je veux la voir. » Le chat prend la bague pour la faire voir à son camarade, mais elle lui échappe et tombe à l’eau. Un poisson se trouvait ; là il avale la bague177.

De retour près de la guinnârou, le chien et le chat lui racontent la chose : « C’est bon ! dit la guinné, je vais vous préparer un grigri pour retrouver le poisson qui a avalé l’anneau. Demain je ferai passer ce poisson près d’Ahmed. Celui qui sera tué par le premier coup de fusil ne sera pas ce poisson-là ; ce sera le deuxième seulement et dans son corps se trouvera la bague ».

La guinnârou a ainsi parlé au chien sans qu’Ahmed sache rien de ce qui s’est passé. Puis elle s’en est allée.

Ahmed se réveille : « Ah ! se dit-il, je n’ai plus qu’un coup de fusil à tirer et, après, plus moyen de me procurer de quoi manger ! » Il vient au bord du fleuve et aperçoit deux poissons. Il tire et les tue tous les deux. Il les saisit, l’un après l’autre, et les dépose sur la rive.

Le chien sait ce qu’il a à faire et le chat aussi puisque la guinnârou le leur a enseigné ; mais tous deux restent muets.

Ahmed ouvre le premier poisson, puis le second ; il en jette les boyaux. Alors le chat et le chien se précipitent dessus, les saisissent par leurs extrémités et tirent, chacun de son côté. La « saleté » se déchire et la bague tombe à terre.

« Prends ta bague » disent-ils à Ahmed. Et ils lui racontent comment la guinnârou les a envoyés pour reprendre la bague dérobée, comment le poisson l’a avalée et ce que la guinnârou leur a prescrit.

Ahmed attend jusqu’à la nuit. Il retire alors la bague de son doigt et formule un souhait. La guinnârou vient les prendre, lui et ses animaux, et les dépose entre la femme et le kélé. Le chat se place près du lit et le chien devant la porte à l’intérieur de la case.

Après avoir regardé la femme et le kélé, Ahmed sort doucement et va appeler ses captifs : « Gardez bien les issues du tata, leur commande-t-il, que personne ne puisse sortir ! »

Il revient ensuite se coucher à la place où la guinnârou l’avait tout d’abord déposé.

Pendant la nuit, la femme d’Ahmed cherche le kélé pour ce que l’on devine ; c’est Ahmed qu’elle touche et il fait des manières. Il refuse. La femme lui demande alors : « Pourquoi es-tu fâché aujourd’hui ? — Oh ! répond Ahmed, aujourd’hui je veux rester tranquille ». — La femme a beau lui demander pardon et insister pour qu’il se prête à son désir. — « Non, dit-il, je ne le veux pas ».

Alors la femme se fâche et se retourne de l’autre côté. Ils sont restés ainsi jusqu’à quatre heures du matin.

A ce moment le kélé veut saisir la femme dans la même intention. Il pose sa main sur la poitrine d’Ahmed et s’aperçoit qu’elle est velue. Il regarde mieux alors et reconnaît Ahmed. Il est pris d’une violente terreur.

A six heures Ahmed sort. Il envoie ses captifs convoquer les hommes du village « Comment va-t-on mettre à mort ces deux là ? » demande-t-il.

Il appelle sa femme et lui dit : « Mon bengala avait beau être gros, il n’y en avait pas assez pour toi. Tu es allé chercher un kélé et tu m’as fait toutes les misères possibles. Eh bien ! avant que je te tue, il faut que tu t’accouples avec lui devant tout le monde ».

La femme et le kélé ont été bien forcés d’en passer par là. Ensuite Ahmed a fait venir ses captifs et trois hommes armés de fusils. On a fait un « feu de salve » et les coupables sont morts. On les a enterrés tous deux à cet endroit là.

Depuis lors, et maintenant encore, les hommes ne doivent pas se fier aux femmes.

Conté par OUSMANN GUISSÉ.

Interprété par GAYE BA;

ÉCLAIRCISSEMENT

Comparer la vengeance de l’amoureux évincé dans « Affront pour affront ».