Moréas, Jean (1856-1910)
[Bibliographie]
Les Syrtes (1884). — Les Cantilènes (1886). — Le Pèlerin passionné (1890). — Le Pèlerin passionné, édition augmentée (1892). — Ériphyle (1894). — Iphigénie, tragédie (1900). — Stances (1900).
OPINIONS.
Gustave Kahn
M. Moréas est, avec M. Jules Laforgue, celui qui s’est le plus nettement formulé, parmi ces poètes si bizarrement, naguère, affublés de l’épithète de décadents ; sa poésie peut être partielle et trop exclusivement plastique, mais elle reste une sonore manifestation d’art.
Félix Fénéon
Des poètes d’aujourd’hui, nul n’a mieux méprisé l’arbitraire des décrets qui régissent la prosodie. À côté de l’alexandrin traditionnel, assoupli par les romantiques et purifié par les parnassiens, Paul Verlaine avait le dodécapode tripartite ; mais Moréas répudie toute règle préétablie pour la contexture de ses vers, ne veut pas les jalonner d’équidistantes césures : apparente révolte, qui n’est qu’une soumission plus féale aux lois de la logique, et qui l’astreint à calculer, pour chaque vers, une corrélation entre la position des syllabes toniques, la donnée thématique et les intervalles.
Maurice Barrès
J’aime beaucoup Moréas et je fais grand cas de son talent ; c’est un artiste qui joint aux préoccupations du symbole le plus grand souci de la forme de la langue qu’il voudrait renouveler et, en cela, il prolonge les parnassiens.
Anatole France
M. Jean Moréas est une des sept étoiles de la nouvelle pléiade. Je le tiens pour le Ronsard du symbolisme. Il en voulut être aussi le Du Bellay et lança, en 1885, un manifeste qui rappelle quelque peu la Deffense et illustration de la langue françoise, de 1549. Il y montra plus de curiosité d’art et de goût de forme que d’esprit critique et de philosophie… Son livre, son Pèlerin passionné, vaut qu’on en parle, d’abord parce qu’on y trouve çà et là de l’aimable et même de l’exquis… Pour ma part, la prosodie de M. Jean Moréas déconcerte un peu mon goût sans trop le blesser. Elle contente assez ma raison :
Et mon cœur en secret me dit qu’il y consent.
Quant à sa langue, à dire vrai, il faut l’apprendre. Elle est insolite et parfois insolente. Elle abonde en archaïsmes. Mais, sur ce point encore, qui est le grand point, je ne voudrais pas être plus conservateur que de raison et me brouiller avec l’avenir… Je ne sais si aujourd’hui nous pensons bien, j’en doute un peu ; mais, certes, nous pensons beaucoup ou du moins nous pensons à beaucoup de choses et nous faisons un horrible gâchis de mots. M. Jean Moréas, qui est philologue et curieux de langage, n’invente pas un grand nombre de termes ; mais il en restaure beaucoup, en sorte que ses vers, pleins de vocables pris dans les vieux auteurs, ressemblent à la maison gallo-romaine de Du Bellay, où l’on voyait des fûts de colonnes antiques et des débris d’architraves. Il en résulte un ensemble amusant et bizarre. Paul Verlaine l’a appelé :
Routier de l’époque insigne,Violant des vilanelles.
Et il est vrai qu’il est de l’époque insigne et qu’il semble toujours habillé d’un pourpoint de velours. Je lui ferai une querelle. Il est obscur. Et l’on sent bien qu’il n’est pas obscur naturellement. Tout de suite, au contraire, il met la main sur le terme exact, sur l’image nette, sur la forme précise. Et pourtant, il est obscur. Il l’est, parce qu’il veut l’être ; et s’il le veut, c’est que son esthétique le veut. Au reste, tout est relatif ; pour un symboliste, il est limpide.
Mais ne vous y trompez pas ; avec tous les défauts et tous les travers de son école, il est artiste, il est poète ; il a un tour à lui, un style, un goût, une façon de voir et de sentir.
Hugues Rebell
Jean Moréas a retrouvé le chant pur des ancêtres ! Tandis que la plupart ont l’air de chercher des trésors dans une chambre obscure, Jean Moréas s’en va au soleil cueillir les fleurs des champs. Sa conception d’un poème dont chaque vers n’est pas seulement intéressant par lui-même, mais concourt à une harmonie d’ensemble, il l’a réalisée dans son admirable Pèlerin passionné, fort et gracieux tour à tour comme le savent être les maîtres, plein d’une inspiration noble et naturelle.
Remy de Gourmont
Lorsqu’il appela un de ses poèmes Le Pèlerin passionné, il donna de lui-même et de son rôle, et de ses jeux parmi nous, une idée excellente et d’un symbolisme très raisonnable. Il y a de belles choses dans ce Pèlerin, il y en a de belles dans les Syrtes, il y en a d’admirables ou de délicieuses, et que (pour ma part) je relirai toujours avec joie, dans les Cantilènes, mais puisque M. Moréas, ayant changé de manière, répudie ces primitives œuvres, je n’insisterai pas. Il reste Ériphyle, mince recueil fait d’un poème et de quatre « sylves », le tout dans le goût de la Renaissance et destine à être le cahier d’exemples où les jeunes « Romans » aiguillonnés aussi par les invectives un peu intempérantes de M. Charles Maurras doivent étudier l’art classique de faire difficilement des vers faciles… M. Moréas a beau, comme sa Phébé, prendre des visages divers et même couvrir sa face de masques, on le reconnaît toujours entre ses frères : c’est un poète.
Maurice Le Blond
Lorsque M. Moréas nous entretient du Pinde ou de l’Eurotas, en termes si délicieux qu’il puisse s’exprimer, cela nous émotionne médiocrement. C’est que ces vestiges de l’antiquité grecque et de l’esprit hellène ne constituent qu’une minime partie de notre patrimoine intellectuel. Il est d’autres traditions que nous ne devons point sacrifier.
Lionel des Rieux
La mort de Verlaine est un événement fâcheux et qu’il convient de regretter avec les Muses.
Mais un si funeste hasard ne change rien à des sentiments que je nourris depuis plusieurs années : aujourd’hui comme hier, M. Jean Moréas, à mon art, demeure le premier poète français.
René Boylesve
Le seul homme actuellement doué du privilège d’écrire le beau vers français est Jean Moréas.
Charles Maurras
Depuis l’apparition du Pèlerin passionné, et surtout depuis les retouches essentielles qu’il a faites à ce beau livre, Jean Moréas, mon maître et mon ami, m’est le signe vivant de la poésie nationale. Il en porte la destinée, et on lui saura gré de l’excellente influence qu’il a prise sur ses disciples et dont je tiens à nommer au moins M. Raymond de La Tailhède. Jean Moréas nous fait remonter à nos sources. Cet heureux Athénien, après nous avoir restauré plus d’un genre lyrique, l’ode, la chanson, l’épigramme, l’épître, même la satire et surtout l’élégie qu’il a rendue si belle, nous promet une tragédie : la première représentation d’une nouvelle Iphigénie, imitée d’Euripide, dont quelques scènes achevées courent déjà de main en main, verra tous ces instincts classiques, refoulés depuis soixante ans aux veines de la France, prendre enfin leur revanche du désastre de Hernani.
Paul Souchon
Je ne crains pas de le déclarer : un grand poète nous est né, un chef-d’œuvre a vu le jour avec le siècle. Comme il y a poète et poète, chef-d’œuvre et chef-d’œuvre, M. Jean Moréas est un lyrique et son livre un recueil d’élégies. Ne demandez donc à M. Moréas que de se chanter lui-même et à ses Stances que de se moduler selon des tons graves et mélancoliques. Vous serez alors de mon avis et, comme moi, ému, charmé et conquis.
Par quelles grâces particulières M. Jean M. Moréas, qui frise la cinquantaine, qui a traversé outre des mers et des nations, les marais du Décadentisme, du Symbolisme et du Romanisme, pour venir jusqu’à nous, qui a fait se méprendre sur son compte tant de monde et lui-même, nous apporte-t-il ces Stances si humaines, si pures, si élevées, qu’elles en sont divines ? Sans doute, par les mêmes grâces qui retinrent silencieuse jusqu’à quarante ans la lyre du bon La Fontaine, puis la firent frémir avec harmonie et suavité.
Qu’importe d’ailleurs, et laissons à d’autres le soin d’expliquer pareille transformation ou d’en rechercher les indications dans les précédents ouvrages de M. Moréas, au travers des bizarreries, des futilités, des absurdités et des essais de toutes sortes.
Une fleur est là, respirons-la.
Chaque Stance (il y en a cinquante au plus, de huit à douze vers) est comme un pleur cristallisé. Quel assemblage de pierres rares ! Nous n’avions jusqu’ici en France aucun exemple de cette poésie. C’est le souffle de Sappho et des élégiaques grecs et latins, Alcée, Alcman, Simonide, Catulle et Tibulle, que nous apporte et que nous rend M. Moréas.
Le souffle et non plus les expressions, comme au temps du Pèlerin passionné. Il est allé cette fois à la source de la vie, et comme la main qu’il tendait était sincère, la source ne lui a pas refusé son onde.