Bossuet, [Jacques-Benigne] Evêque de Meaux, de l’Académie Françoise, né à Dijon en 1627, mort à Paris en 1704, le premier modele que nous ayons eu d’une éloquence égale & quelquefois supérieure à celle des plus célebres Orateurs Grecs & Latins.
Son Discours sur l’Histoire universelle est un chef-d’œuvre, qui réunit tout à la fois ce que le génie a de plus sublime, la politique de plus profond, la morale de plus sage, le style de plus vigoureux & de plus brillant, l’art de plus étonnant. Il n’est point d’Ouvrages chez les Anciens, où le caractere d’une raison supérieure se fasse mieux sentir. Le sujet en est grand, le dessein vaste, le rapport des parties bien combiné, l’expression toujours proportionnée à la dignité de la matiere.
Malgré les difficultés qui se présentoient dans un Discours dont le but est de développer le chaos des temps, de suivre, pour ainsi dire, pas à pas la marche de la Sagesse divine, de rapprocher les événemens pour en faire connoître les ressorts & le terme, de présenter enfin le tableau du genre humain dans sa naissance, dans ses erreurs, dans ses crimes, dans le progrès de ses lumieres, dans sa législation, dans la réformation de ses mœurs, dans les révolutions des Empires ; le génie de Bossuet est toujours égal au sujet qu’il embrasse, & embellit les objets que leur propre grandeur sembloit mettre au dessus de l’esprit de l’homme. Quelle rapidité dans la narration ! quel ordre dans la marche ! quelle étendue & quelle profondeur dans les vues ! quelle sagacité dans les réflexions ! Que la Religion est respectable, lumineuse & consolante sous son pinceau ! On diroit qu’elle s’explique elle-même par sa plume. Semblable à ces vastes réservoirs destinés à entretenir de leur superflu les canaux qui en dépendent, l’éloquence de l’Orateur Historien répand une riche abondance sur toutes les matieres qu’il traite*
Les Oraisons funebres de Bossuet sont un nouveau
triomphe pour sa gloire, ajoutons, pour celle de la Religion. Bien loin
d’imiter ceux qui l’avoient précédé dans ce genre d’éloquence, son génie
sut s’élever au dessus des sentimens vulgaires, & se tracer une
route nouvelle. C’est là que cet Orateur déploie toute la dignité de son
ministere. Présenter des tableaux qui touchent, qui épouvantent, qui
éclairent ; annoncer la vérité, confondre l’orgueil, apprécier les
grandeurs, ne point dissimuler les foiblesses ; instruire les
vivans au milieu des trophées de la mort ; voilà quel
doit être le but de ces sortes de Discours, &
celui que l’Evêque de Meaux a rempli avec une supériorité qu’il
conservera peut-être toujours. Son éloquence y est soutenue, mâle,
abondante & naturelle ; elle dédaigne le faux brillant des
antitheses, ces tours emphatiques qui ne prouvent que la sécheresse de
l’imagination & la disette de l’esprit, ces details recherchés, ces
portraits fantastiques, plus faits pour plaire que pour corriger ;
elle s’abandonne à la chaleur qui l’enfante, & n’emprunte de l’art
que ce qu’il faut pour l’embellir, ou plutôt elle embellit l’art même.
Du feu, de la vie dans les tableaux, de grandes idées dans les images,
des mouvemens rapides dans les sentimens, des élans d’imagination qui
étonnent, des traits sublimes dans le langage, qui séduisent, sont pour
lui des ressorts familiers qui font éprouver à l’ame des secousses qui
la maîtrisent, la captivent, l’arrachent à elle-même, & la
remplissent de cet enthousiasme que le vrai génie peut seul communiquer.
L’Oraison funebre de la Reine d’Angleterre,
veuve de Charles I, réunit éminemment tous ces
caracteres. On sait que celle de Madame, enlevée à la
fleur de son âge, & morte entre ses bras, arracha des sanglots à ses
Auditeurs, qui l’obligerent de s’arrêter lui-même après ces paroles
foudroyantes : « O nuit desastreuse ! nuit
effroyable ! où retentit tout-à-coup, comme un éclat de
tonnerre, cette épouvantable nouvelle : Madame se
meurt, Madame est morte » !
Il est facile de reconnoître, dans ses Ecrits de Controverse, un esprit lumineux, une mémoire heureuse, un discernement sûr, qui le mettent à portée de combiner les systêmes, de rapprocher les objets, d’exposer les opinions, & de réfuter les erreurs.
Dans ses Ouvrages de piété, c’est une onction noble & touchante, qui remue & pénetre les ames les moins sensibles. Les sentimens que l’Ecrivain leur inspire, surtout dans ses Elévations & ses Méditations, semblent agrandir & multiplier leur existence, & sont bien supérieurs aux, froids mouvemens que peut exciter une imagination péniblement exaltée, ou une vaine fermentation philosophique.
Quoique M. Bossuet fût né avec les plus heureuses dispositions pour l’Eloquence, son éloquence dut cependant beaucoup aux travaux assidus de sa jeunesse. Ils lui procurerent cette multitude de connoissances si propres à aider la fécondité naturelle de l’esprit. Dans tous ses Ouvrages on remarque une plénitude de savoir qui donne du nerf à ses idées, de la vigueur à ses raisonnemens, de l’embonpoint à son style, & lui fournit ces preuves abondantes & solides qui naissent du concours des autorités.
Il n’est pas étonnant que les Philosophes modernes aient fait leurs efforts pour associer à leur Secte un génie aussi supérieur. M. de Voltaire, entre autres, n’a pas craint d’avancer que Bossuet avoit des sentimens philosophiques bien différens de sa Théologie. Mais cet Ecrivain a hasardé tant de faits, & ces faits sont si opposés aux idées reçues, que cette anecdote ne trouvera pas plus de créance dans les esprits raisonnables, que mille autres de cet Auteur, que personne n’a voulu adopter. Nous nous contenterons de dire qu’il étoit aussi peu fondé à insinuer que Bossuet avoit des sentimens philosophiques différens de sa Théologie, que nous le serions en assurant que M. de Voltaire a eu des sentimens théologiques différens de sa philosophie.
Ce qu’on a débité sur le prétendu mariage de Bossuet avec Mlle Desvieux, est aussi chimérique. Faut-il que dans un siecle de lumieres, où l’on paroît s’attacher chaque jour à détruire les erreurs, on avance des absurdités que le sens commun rejette avec indignation ! Telle est cependant la bonne foi des Esprits forts d’aujourd’hui : ils s’efforcent de réhabiliter des hommes justement décriés, & de ternir la mémoire de ceux qui ont les droits les plus légitimes à notre respect & à nos éloges. Peuvent-ils espérer, après cela, d’abuser long-temps encore d’une si humiliante crédulité ?
Bouchenu de Valbonnai, [Jean Pierre] Premier Président de la Chambre des Comptes du Dauphiné, né à Grenoble en 1651, mort en 1730, seroit inconnu dans la République des Lettres, si M. de Voltaire ne l’eût placé dans la liste des Ecrivains du siecle de Louis XIV. Il lui attribue des Mémoires sur le Dauphiné, que nous n’avons pu nous procurer, & dont par conséquent nous ne pouvons rien dire.