(1824) Ébauches d’une poétique dramatique « De la comédie chez les Anciens. » pp. 25-29
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(1824) Ébauches d’une poétique dramatique « De la comédie chez les Anciens. » pp. 25-29

De la comédie chez les Anciens.

La comédie, qu’on peut définir l’art de faire servir la malignité humaine à la correction des mœurs, est presque aussi ancienne que la tragédie ; et ses commencements ne sont pas moins grossiers.

La comédie ne fut d’abord qu’un tissu d’injures adressées aux passants par des vendangeurs barbouillés de lie ; mais Cratès, à l’exemple d’Epicharmus et de Phormis, poètes siciliens, l’éleva sur un théâtre plus décent et dans un ordre plus régulier.

Alors la comédie prit pour modèle la tragédie, inventée par Eschyle ; et ce fut là proprement l’origine grossière de la comédie grecque, dont on distingue trois époques remarquables, qui la divisent en ancienne, moyenne et nouvelle.

La comédie parut d’abord une satyre publique, injurieuse, licencieuse, bouffonne et outrée, où les personnages étaient nommés sans ménagement, avec les qualifications les plus odieuses et les charges les plus ridicules. Telle fut la comédie dite ancienne, dont le trop fameux Aristophane, poète grec, vivant vers l’an du monde 3680, est regardé comme le fondateur, ne respectant ni les mœurs, ni les lois, ni les vertus, ni la société. Il eut le malheureux talent de servir le fanatisme des prêtres d’Athènes, et de leur livrer pour victime le sage Socrate, dont ces prêtres redoutaient le plus la morale et la raison. Les Athéniens réprimèrent bientôt cette licence, et punirent les coupables. Les poètes continuèrent alors la comédie moyenne, dans laquelle ils se contentèrent de désigner les objets de leur censure, dont ils adoucirent l’âcreté. Enfin, cette ressource étant encore interdite aux poètes comiques, Ménandre et ses contemporains cherchèrent à intéresser le spectateur par une intrigue attachante et par la peinture des mœurs générales : c’est ce qu’on appelle la comédie nouvelle, que Plaute et Térence offrirent aux Romains.

La comédie dégénéra ensuite à Rome. Il faut passer au quinzième siècle, pour en voir la renaissance en Italie. Des baladins allaient de ville en ville jouer des farces qu’ils appelaient comédies, dont les intrigues sans vraisemblance et les situations bizarres ne servaient qu’à faire valoir la pantomime italienne.

La véritable comédie doit être composée des mêmes parties que la tragédie, c’est-à-dire, exposition, nœud, dénouement. Elle est soumise aux mêmes règles, aux unités de temps, de lieu, d’action, d’intérêt, de dessein. Les moyens seuls sont différents.

On divise ordinairement la comédie en deux espèces, la comédie d’intrigue et la comédie de caractère.

La comédie d’intrigue est celle où l’auteur place ses personnages dans des situations bizarres et plaisantes qui naissent les unes des autres, jusqu’à ce que

D’un secret, tout à coup la vérité connue,
Change tout, donne à tout une face imprévue,

et amène le dénouement.

On peut distinguer deux sortes de comédies d’intrigue.

Dans la première, aucun des personnages n’a dessein de traverser l’action, qui semble devoir aller d’elle-même à sa fin, mais qui néanmoins se trouve interrompue par des événements que le pur hasard paraît avoir amenés.

Cette sorte d’intrigue est celle qui produit un plus grand effet, parce que le spectateur, indépendamment de ses réflexions sur l’art du poète, est bien plus flatté d’imputer les obstacles qui surviennent, au caprice du hasard, qu’à la malignité des maîtres ou des valets.

Amphytrion est le modèle des pièces de ce genre. Il offre une action que les personnages n’ont aucun dessein de traverser ; c’est le hasard seul qui fait arriver Sosie dans un moment où Mercure ne peut le laisser entrer chez Amphytrion. Le déguisement de Jupiter produit une brouillerie entre Amphytrion et Alcmène : l’action est toujours conduite ainsi, jusqu’au moment où la présence des deux Amphytrions amène le dénouement et oblige Jupiter à se déclarer. Il ne manque à cette comédie que la simplicité dans le principe de l’action : celui des Ménechmes est encore plus vicieux.

Dans l’autre espèce d’intrigue, beaucoup plus commune, tous les incidents sont prémédités. C’est, par exemple, un fils amoureux de la personne que son père veut épouser, et qui imagine des ruses pour arriver à son but ; c’est une fille qui, étant destinée à un homme dont elle ne veut point, fait agir un amant, une soubrette ou un valet, pour détourner ses parents de l’alliance qu’ils lui proposent, et parvenir à celle qui fait l’objet de ses désirs. Ici, tous les événements sont produits par des personnages qui ont dessein de les faire naître ; et souvent le spectateur prévient ces événements : ce qui diminue infiniment son plaisir.

Mais de tous les inconvénients qui sont attachés à cette sorte d’intrigue, le plus considérable est le défaut de vraisemblance, défaut qu’entraînent les déguisements et la plupart des ruses employées en pareil cas dans les comédies.

La seconde espèce est la comédie de caractère : c’est celle qui est la plus utile aux mœurs et la plus difficile. Elle ne présente pas les hommes comme le jouet du hasard ; mais comme les victimes de leurs vices ou de leurs ridicules ; elle leur présente le miroir, et les fait rougir de leur propre image.

Dans la comédie de caractère, l’auteur dispose son plan de manière que les situations mettent en évidence le caractère qu’il veut peindre : expressions, sentiments, actions, incidents, épisodes, tout doit se rapporter à cet unique but.

Mais c’est en traitant de la Comédie chez les Modernes, que l’on donnera une connaissance plus étendue des principes de ce bel art, et des moyens imaginés pour varier l’instruction et les amusements que la bonne comédie doit offrir à la société chez une nation policée.

Dans la comédie ancienne, il y avait un chœur, que l’on nommait grex. Ce n’était d’abord qu’un personnage qui parlait dans les entr’actes ; on en ajouta successivement deux, puis trois, enfin tant de personnages, que ces comédies anciennes n’étaient presque qu’un chœur perpétuel, qui faisait aux spectateurs des leçons de vertu. Mais les poètes ne se continrent pas toujours dans ces bornes : les chœurs furent composés ensuite, ou de personnages satiriques, ou de personnages qui recevaient des traits de satire qui rejaillissaient indirectement sur les principaux citoyens. L’abus fut porté si loin en ce genre, que les magistrats supprimèrent les chœurs dans la comédie dite ancienne, et on n’en trouve point dans la comédie dite nouvelle.