Deroulède, Paul (1846-1914)
[Bibliographie]
Juan Strenner, drame en un acte et en vers (1869). — Les Chants du soldat (1872). — Les Nouveaux Chants du soldat (1875). — L’Hetman, drame en cinq actes et en vers (1877). — La Moabite, drame en cinq actes et en vers (1880). — Les Marches et Sonneries (1881). — De l’Éducation nationale (1882). — Monsieur le Uhlan et les Trois couleurs (1884). — Le Premier Grenadier de France (1886). — Le Livre de la Ligue des patriotes (1887). — Refrains militaires (1888). — Histoire d’amour, roman (1890). — Messire Duguesclin, pièce en trois actes et en vers (1895). — Poésies militaires (1896). — La Mort de Hoche, drame en prose en quatre actes (1898). — La Plus Belle Fille du monde, conte dialogué en vers libres (1898).
OPINIONS.
Francisque Sarcey
M. Déroulède est tout jeune ; il a de l’esprit, il manie l’alexandrin avec facilité ; il a écrit son Juan Strenner avec un soin infini de la forme ; les tirades abondent en vers aisés et spirituels.
Paul Stapfer
Il y a un poète encore plus soldat que littérateur, et qui justement, pour ce motif, a trouvé la vraie note guerrière : c’est M. Paul Déroulède. Son petit livre mérite d’être distingué.
Armand de Pontmartin
La poésie de Paul Déroulède est prise dans les entrailles mêmes des sujets qu’elle traite ; elle en a les ardeurs, les fiertés, les tristesses viriles, l’humeur guerrière, le patriotisme invincible. Elle reste militante quand le pays ne se bat plus ; elle est l’intrépide sentinelle des lendemains de la défaite. C’est une poésie toute d’action, conçue dans la douleur, née dans l’orage, familiarisée dès le berceau avec l’odeur de la poudre, le sifflement des obus et le bruit du canon, ayant eu pour langes le lambeau d’un drapeau troué de balles ou le linceul d’un mobile mort en criant : « Vive la France ! »
Paul de Saint-Victor
Le talent est grand, mais l’inspiration est plus haute encore. Le poète se soucie moins de ciseler ses vers que de les tremper. Leur éclat est celui des armes, leur cadence semble réglée sur celle d’une marche guerrière. Il n’entre que du fer dans les cordes de cette lyre martiale ; c’est de l’héroïsme chanté.
Gustave Larroumet
Je suis de ceux qui, en 1872, lurent avec émotion les Chants du soldat. Saignants comme notre patriotisme, fiers de la patrie et confiants en elle, tandis que l’ennemi vainqueur campait encore sur notre sol, ils étaient écrits dans une chambre de sous-lieutenant, par un poète qui venait de se battre, par un frère blessé en sauvant son frère, par un jeune homme qui, riche, épris de littérature et pouvant compter sur de prompts débuts, préférait, à cette carrière facile, l’honneur laborieux de son métier d’occasion. Ainsi le jeune officier commençait sa carrière aussi bien que Vauvenargues et mieux que Vigny. Le poète, incomplet et inégal, se rattachait, aussi peu que possible, à l’école alors régnante des Parnassiens. Il savait mal son métier ; ses rimes étaient pauvres et, parfois, se réduisaient à la simple assonance. Il y avait de l’a peu près dans ses termes, et au lieu du sens net et plein qu’exigent les vers, de médiocres équivalences. Mais l’inspiration, haute et sincère, dominait et emportait ses faiblesses. Dans ce petit livre, que terminait un appel éloquent à Corneille, les accents cornéliens ne manquaient pas…
Vous retrouverez dans les Chants du paysan l’impression des Chants du soldat, le même patriotisme et la même flamme ; et aussi la même supériorité de la pensée sur l’expression, quoique celle-ci soit souvent neuve et pleine. C’est un vrai poète qui a trouvé cette comparaison devant une carte de France :
Et les contours sacrés de son vieux territoireComme un portrait d’aïeul sont fixés dans mes yeux.
Joachim Gasquet
Un jour d’hiver, nous étions bloqués par les neiges dans un des forts de la Corniche. Un exemplaire des Chants du soldat traînait sur un lit de la chambrée. Un sergent, je crois, l’avait oublié là. À cette époque, comme beaucoup de jeunes intellectuels, je méprisais les vers de M. Paul Déroulède, ne les ayant jamais entendus que braillés par des commères tricolores de café-concert. Pourtant, je pris le livre. Ma surprise fut profonde. Dans cette casemate, au milieu de ce paysage de la Turbie, où Banville lui-même chanta jadis son amour du laurier, parmi ces braves gens qui fumaient, dormaient ou jouaient aux cartes autour de moi, et que j’avais lentement appris à connaître depuis trois ou quatre mois, les mots, même les plus simples, avaient pris un nouveau sens, plus vivant, plus humain, s’étaient gonflés pour moi d’une sève nouvelle, d’une substance plus française, plus noble et plus populaire à la fois. Je m’en aperçus en lisant. Tout ce qu’il y a de sang gaulois dans le cœur du petit livre de M. Paul Déroulède battait soudain entre mes mains et dans ma voix avec le rythme tout populaire de ses vers :
Il fait nuit ; la diane a sonné, tout s’éveille ;Les hommes sont sortis des lentes qu’on abat ;La soupe est sur le feu, le vin dans la bouteille,Et, chantant et riant à la flamme vermeille,Ces diables de Français commencent leur sabbat.C’est le joyeux lever d’un matin de combat…
Je récitais ces vers à haute voix. Mes camarades se groupèrent autour de mon lit. Et, ce jour-là, nous comprimes toute la force de notre métier. Les vers, vierges de toute littérature, étaient allés droit à l’âme des simples, et, grâce à ces chants modestes, tous ces braves gens s’étaient sentis soudain liés à la vie de leurs compagnons, à l’avenir de leur régiment, aux destinées de leur pays. Je le vis à leurs regards, en écoutant les conversations qui suivirent et à la joyeuse fraternité qui ne cessa depuis d’emplir notre chambrée.