Préface de 1828
Odes et Ballades, in Œuvres complètes de Victor Hugo. Poésie, tome I, Paris, Imprimerie nationale, Librairie Ollendorff, 1912, p. 29-32.
Ce recueil n’avait été jusqu’ici public que sous le format in-18, en trois volumes. Pour fondre ces trois volumes en deux tomes dans la présente réimpression, divers changements dans la disposition des matières ont été nécessaires ; on a tâché que ces changements fussent des améliorations.
Chacun des trois volumes des précédentes éditions représentait la manière de l’auteur à trois moments, et pour ainsi dire à trois âges différents ; car, sa méthode consistant à amender son esprit plutôt qu’à retravailler ses livres, et, comme il l’a dit ailleurs, à corriger un ouvrage dans un autre ouvrage, on conçoit que chacun des écrits qu’il publie peut, et c’est là sans doute leur seul mérite, offrir une physionomie particulière à ceux qui ont du goût pour certaines études de langue et de style, et qui aiment à relever, dans les œuvres d’un écrivain, les dates de sa pensée.
Il était donc peut-être nécessaire d’observer quelque ordre dans la fusion des trois volumes in-18 en deux in-8°.
Une distinction toute naturelle se présentait d’abord, celle des poëmes qui se rattachent par un côté quelconque à l’histoire de nos jours, et des poëmes qui y sont étrangers. Cette double division répond à chacun des deux volumes de la présente édition. Ainsi le premier volume contient toutes les Odes relatives à des événements ou à des personnages contemporains ; les pièces d’un sujet capricieux composent le second. Des subdivisions ont ensuite semblé utiles. Les Odes historiques, qui constituent le premier volume, et qui offrent sous un côté le développement de la pensée de l’auteur dans un espace de dix années (1818-1828), ont été partagées en trois livres. Chacun de ces livres répond à un des volumes des précédentes éditions, et renferme, dans leur ancien classement, les Odes politiques que ce volume contenait. Ces trois livres sont respectivement l’un à l’autre comme étaient entre eux les trois volumes. Le second corrige le premier ; le troisième corrige le second. Ainsi le petit nombre de personnes que ce genre d’études intéresse pourra comparer, et pour la forme et pour le fond, les trois manières de l’auteur à trois époques différentes, rapprochées, et en quelque sorte confrontées dans le même volume. On conviendra peut-être qu’il y a quelque bonne foi, quelque désintéressement à faciliter de cette façon les dissections de la critique.
Le deuxième volume contient le quatrième et le cinquième livre des Odes, l’un consacré aux sujets de fantaisie, l’autre à des traductions d’impressions personnelles. Les Ballades complètent ce volume, qui, de cette manière, est, comme l’autre, divisé en trois sections. Les poëmes sont le plus souvent rangés par ordre de dates.
Pour en finir de ces détails, peut-être inutiles et à coup sûr minutieux, nous ferons observer que les préfaces qui avaient accompagné les trois recueils aux époques de leur publication ont été imprimées, avec celle-ci, également par ordre de dates. On pourra remarquer, dans les idées qui y sont avancées, une progression de liberté qui n’est ni sans signification ni sans enseignement.
Enfin dix pièces nouvelles, sans compter l’Ode à la colonne de la place Vendôme, ont été ajoutées à la présente édition.
Il faut tout dire, les modifications apportées à ce recueil ne se bornent pas peut-être à ces changements matériels. Quelque puérile que paraisse à l’auteur l’habitude de faire des corrections érigée en système, il est très loin d’avoir fui, ce qui serait aussi un système non moins fâcheux, les corrections qui lui ont paru importantes ; mais il a fallu pour cela qu’elles se présentassent naturellement, invinciblement, comme d’elles-mêmes, et en quelque sorte avec le caractère de l’inspiration. Ainsi, bon nombre de vers se sont trouvés refaits, bon nombre de strophes remaniées, remplacées ou ajoutées. Au reste, tout cela ne valait peut-être pas plus la peine d’être fait que d’être dit.
Ç’aurait sans doute été plutôt ici le lieu d’agiter quelques-unes des hautes questions de langue, de style, de versification, et particulièrement de rhythme, qu’un recueil de poésie lyrique française au dix-neuvième siècle peut et doit soulever. Mais il est rare que de semblables dissertations ne ressemblent pas plus ou moins à des apologies. L’auteur s’en abstiendra donc ici, en se réservant d’exposer ailleurs les idées qu’il a pu recueillir sur ces matières, et, qu’on lui pardonne la présomption de ces paroles, de dire ce qu’il croit que l’art lui a appris. En attendant, il appelle sur ces questions l’attention de tous les critiques qui comprennent quelque chose au mouvement progressif de la pensée humaine, qui ne cloîtrent pas l’art dans les poétiques et les règles, et qui ne concentrent pas toute la poésie d’une nation dans un genre, dans une école, dans un siècle hermétiquement fermé.
Au reste, ces idées sont de jour en jour mieux comprises. Il est admirable de voir quels pas de géant l’art fait et fait faire. Une forte école s’élève, une génération forte croît dans l’ombre pour elle. Tous les principes que cette époque a posés, pour le monde des intelligences comme pour le monde des affaires, amènent déjà rapidement leurs conséquences. Espérons qu’un jour le dix-neuvième siècle, politique et littéraire, pourra être résumé d’un mot : la liberté dans l’ordre, la liberté dans l’art.