Gregh, Fernand (1873-1960)
[Bibliographie]
La Maison de l’enfance (1896). — La Beauté de vivre (1900).
OPINIONS.
Maurice Le Blond
Pourquoi chérissons-nous cette Maison de l’enfance, et pourquoi des esprits aussi divers que M. Coppée, M. de Régnier ou M. Retté s’en sont-ils tour à tour épris ? Est-ce seulement à cause de la joliveté des musiques qui s’y assourdissent, pour le charme effacé des images et des tableaux qui s’y évoquent ? Peut-être. Quant à moi, si ce livre me passionne, c’est surtout parce qu’il résume une époque de vie et qu’il traduit, de manière quasi définitive, une heure sentimentale. Pudeur craintive des instants de puberté, pudeur, toute rose devant les roses et les lèvres, défaillances, souffrances voluptueuses qui ne siègent point dans l’âme, mais dont tout l’organisme semble être envahi ; troubles puérils, sommeils lourds, rêves fleuris où chantent, silencieuses, les danses évanouies des temps jadis ; c’est de ces émois-là que Fernand Gregh a composé son livre.
François Coppée
Je ne suis ni devin ni somnambule extra-lucide. Je ne sais pas si Fernand Gregh sera, un jour, cm grand poète. Mais lisez Rêve, lisez Voyages, lisez tant d’autres pièces, sans oublier ce Menuet, déjà célèbre, et vous direz avec moi : « Voilà un vrai poète !… » Oui, Baudelaire, Verlaine, les influences ?… C’est convenu, et j’entends d’ici clabauder les petits camarades. Mais le charme printanier, le parfum de jeunesse que ces poèmes de rêve et d’amour vous fourrent brusquement sous le nez, comme une de ces bottes de giroflées que la Parisienne achète dans la charrette à bras, au bord du trottoir, cela, c’est bien de Fernand Gregh, à lui tout seul, et c’est enivrant.
Léon Blum
M. Gregh est un poète heureusement doué ; c’est un travailleur qui aime son art ; c’est un ouvrier habile. Il garde heureusement, pour en rajeunir la tradition classique, dont il est imbu, la trace des hardiesses récentes. On les retrouve en lui transparentes et filtrées. Au souvenir des poètes qui, depuis Hugo, ont rajeuni la lyre française, il n’a pas enrichi sa métrique mais plutôt son inspiration. Et si je disais de M. Gregh que sur des pensers des plus nouveaux il a fait des vers antiques, ce pédantisme de collège ne laisserait pas de marquer avec justesse son attitude et son goût.
Ce qui lui manque le plus, c’est, à mon gré, et si l’on veut limiter le mot à son sens lyrique, l’inspiration. Il a plus de goût que de force, et plus de souplesse que de souffle. Il est exactement ce que M. Muhlfeld nommerait un élégiaque ; et, par Desbordes-Valmore et Sainte-Beuve, il se rattache aux minores classiques ; il excelle dans les pièces courtes où un sentiment léger peut laisser une image exacte et circonscrite. C’est un poète d’anthologie. Et par là il peut être assuré de laisser une œuvre et un nom.
Adolphe Retté
M. Gregh appartient à cette famille d’esprits qu’épouvante la grande lumière de midi sur notre jardin des rythmes. Telle tendresse, telle fragilité de sentiments, dont Verlaine, M. Fernand Séverin, M. Stuart Merrill en ses Petits poèmes d’automne, donnèrent de si parfaits exemples, veulent, pour s’épanouir, des parterres clos sous les fines brumes d’avril, le calme des crépuscules ou la candeur indécise du petit jour. C’est pourquoi les vers de M. Gregh chantent à mi-voix et racontent volontiers des souvenirs d’enfance quasi éteints et très exquis.
Paul Léautaud
Déjà collaborateur à la Revue de Paris, M. Fernand Gregh, de son côté, y publia (nº du 1er février 1896) et sous le titre : Paul Verlaine, quelques pages au cours desquelles il reproduisait, en indiquant bien qu’il en était l’auteur, le court poème intitulé : Menuet, et qu’on trouvera après ces lignes. Et du temps passa. Et le jour vint pour M. Gaston Deschamps de réunir en volume, avec d’autres écrits, son article sur Paul Verlaine. Voulant sans doute l’augmenter de citations nouvelles, le critique du Temps, hâtivement, et peut-être même parmi la correction de ses épreuves, parcourut alors quelques-unes des études publiées sur le poète qu’il connaissait si mal. Et lisant les pages de la Revue de Paris, et prenant comme étant de Paul Verlaine le Menuet de M. Fernand Gregh, en le qualifiant de menu chef-d’œuvre, il l’inséra dans son article (La Vie et les Livres, 3e série). Erreur charmante, qui ne nuisait en rien au mort — tant le Menuet est le pastiche de la pièce : Chanson d’automne dans les Poèmes saturniens — et qui devait être si bienfaisante pour le jeune écrivain un moment frustré. Car cette erreur, M. Fernand Gregh ne voulut point la permettre. Par une lettre rectificative adressée à l’Écho de Paris et parue dans ce journal au numéro du 30 août 1896, honnêtement il la révéla. Et tout de suite aussi, M. Fernand Gregh rassembla ses vers, les uns épars dans des revues, les autres épars en cartons, et nous offrit cette Maison de l’enfance d’un ton à la fois juvénile et grave, et qui, en révélant chez son auteur une grande habileté, donnait beaucoup d’espoir.