(1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Appendice — I. Sur M. Viennet »
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(1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Appendice — I. Sur M. Viennet »

I. Sur M. Viennet

L’article suivant, qui a paru dans le Constitutionnel du 8 juin 1866, ne messiéra peut-être pas en regard de celui qui précède sur l’Académie française. C’est M. Viennet qui va en faire les frais. Est-il nécessaire d’ajouter que la signature sous laquelle il fut publié dans le journal n’est qu’un prête-nom ? M. Sainte-Beuve (cela se sent bien) l’avait dicté tout entier à son secrétaire, Si l’on y remarque un peu de complaisance, c’est que M. Sainte-Beuve, qui n’avait pas voulu refuser ce petit service à M. Viennet, ne fit écrire et insérer, sous le nom de son secrétaire, les quelques lignes qu’on va lire, que sur la demande de M. Viennet lui-même, qui un jour d’Académie, un jeudi, lui annonça ce grand événement qu’il ne pouvait plus retenir, une nouvelle Histoire des Papes, comptant bien que son cher confrère allait emboucher pour lui, à cette occasion, toutes les trompettes du Constitutionnel, comme disait M. Sainte-Beuve en riant :

« M. Viennet est et sera l’une des originalités littéraires de ce temps-ci : “Je suis le seul homme, disait-il un jour gaiement, qui se soit relevé d’une chose dont on meurt ordinairement en France, du ridicule.” Il fut un temps où il paraissait de bon goût de railler l’auteur de Clovis et d’Arbogaste. Ce temps est passé. Les hommes qui savent durer ont leur lendemain et leur revanche : “On aura beau dire, disait encore M. Viennet, j’ai deux béquilles qui me soutiendront pour aller à la postérité, mes Fables et mes Mémoires.” Les Mémoires, on ne les connaît pas encore ; les Fables, on les sait par cœur. Il n’y a pas de bonne séance générale de l’Institut sans quelque Fable de M. Viennet. M. Viennet est le poète du temps le plus agréable à l’Institut assemblé. La fête n’est jamais complète sans lui. Il se lève, toutes ces graves figures se dérident ; il commence, on a souri. Il n’a pas lancé encore son dernier trait que les applaudissements éclatent à triple salve. Qu’on ne vienne plus dire que l’École poétique moderne a triomphé sur toute la ligne ; que Lamartine plane d’en haut ; que Victor Hugo, de son rocher de Guernesey, règne dans son soleil couchant et triomphe avec sa Légende des siècles ; M. Viennet, debout, se retourne, regarde et de cet air militaire qu’il a toujours, et qui lui sied, il répond fièrement : “Je vis, la poésie classique n’est pas morte.” Des poètes classiques, M. Viennet n’en reconnaît guère que huit avant ce temps-ci, avant l’invasion des novateurs. La liste est courte ; elle est imposante : “Malherbe, Corneille, Racine, Molière, La Fontaine, Boileau, Regnard et Voltaire.” C’est de ce dernier, lui-même, de ce Voltaire immortel, qu’il prétend procéder ; et l’on conviendra qu’il tient le drapeau d’une main ferme et qu’il n’a pas l’air d’un vaincu. Honneur donc à cette verte et généreuse vieillesse ! Aujourd’hui, c’est d’Histoire qu’il vient nous entretenir et, s’il vous plaît, d’Histoire ecclésiastique, M. Viennet est fort instruit, ce qu’on ne saurait dire de tous les poètes. Là encore, il est de l’École de Voltaire, de l’auteur de l’Essai sur les mœurs. De tout temps il s’est plu à étudier la puissance des papes, à en méditer la naissance, l’accroissement, à en signaler les excès. Il y a un Dictionnaire de la Conversation et de la Lecture, où il avait pour domaine spécial tout ce qui concerne la papauté. M. Viennet y a fait la biographie de cent cinquante papes, c’est le chiffre ; et le tout a passé sans anathème ni excommunication. L’ouvrage qu’il publie aujourd’hui et où il a résumé en un corps de récit toute son Étude ecclésiastique et politique depuis saint Pierre jusqu’à Innocent III, depuis la barque du pêcheur jusqu’aux gloires du Vatican, n’eût peut-être jamais paru, si l’auteur n’avait en quelque sorte été provoqué et piqué personnellement. M. Viennet n’est pas de ceux qui se plaisent à attaquer les faibles et les grandeurs qui semblent en péril. Mais certain bref ou certaine encyclique, lancée, il n’y a pas deux ans, contre la Franc-Maçonnerie dont il est un des chefs et des grands maîtres, lui fit monter la rougeur à la joue, à lui déiste sincère et qui abhorre les doctrines athées. C’est d’athéisme, cependant, que lui et ses compagnons de Loge se trouvaient accusés à la face du monde. Sa bile s’est émue. Il s’est cru dégagé, comme il l’explique dans sa Préface, d’un scrupule excessif et il publie ce livre : l’Histoire de la puissance pontificale 179, lequel, d’ailleurs, ne renversera rien, mais instruira les esprits sérieux qui aiment, sans trop de détail, à se rendre compte de la suite des choses et à s’expliquer les résultats. Nous pourrions détacher quelques chapitres de l’ouvrage qui sont d’un récit animé et qui offrent de rapides tableaux. Nous aimons mieux y renvoyer les lecteurs que ces questions intéressent, et ils ne laissent pas d’être nombreux aujourd’hui. »