(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — C — article » pp. 2-5
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(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — C — article » pp. 2-5

1. COLARDEAU, [Julien] Procureur du Roi à Fontenai-le-Comte en Poitou, mort en 1641 ; Poëte qui ne mérite point assurément l’obscurité où il est aujourd’hui. Le premier devoir de l’équité est de rendre justice à ces Auteurs injustement confondus dans la foule, qui n’ont d’autre tort aux yeux de la postérité, que d’être remplacés par des gens qui ne les valent pas. On a de celui-ci un Poëme de huit cents vers, dédié à Madame la Duchesse d’Aiguillon, où la force de la poésie & l’aisance de la versification annoncent le vrai talent de l’Epopée, dans laquelle il eût réussi mieux que bien d’autres qui ont osé courir cette carriere. Le sujet du Poëme n’est autre chose que la Description du Château de Richelieu ; mais dans cette Description, l’Auteur a l’art de déployer, d’une maniere aussi féconde que naturelle, toutes les richesses de la poésie. Ses vers paroissent au dessus de son siecle, par l’énergie & la pureté du langage qui s’y font remarquer. Nous en citerons des morceaux qui ne dépareroient pas le style du Siecle de Louis XIV. Il peint ainsi deux Captifs de marbre qui portent un balcon :

On voit roidir leurs nerfs, on voit grossir leurs veines.
Vois ce col détourné, ce pied droit suspendu,
Ce coude replié, ce bras gauche étendu ;
La cruauté de l’Art fait plaindre la Nature
De tenir si long-temps leurs corps à la torture….
Leurs yeux sont gros de pleurs, & leur visage exprime
La grandeur de leur peine & l’horreur de leur crime.

Voici comme il décrit le Colosse de Rhodes :

Que l’Isle où le Soleil chaque jour se récrée,
Ne vante plus l’image à ce Dieu consacrée,
Ce superbe Colosse en qui l’art des humains
Consomma tant de jours, & lassa tant de mains,
Dont la tête élevée au delà du tonnerre,
Et les pieds embrassant & la mer & la terre,
Sembloient, en leur stature épouvantable aux yeux,
Joindre ensemble la mer, & la terre & les cieux.

Qui ne sentira la beauté de ce morceau, où le Poëte, d’après un des tableaux de l’antichambre du Cardinal de Richelieu, peint la Vérité que le Temps découvre !

D’un abîme sans fond & plein d’obscurité,
Le Temps, pere des Dieux, tire la Vérité.
Dans les bras de ce Dieu, cette Déesse nue
Dissipe l’épaisseur d’une profonde nue,
Et paroît, à nos yeux, telle que le Soleil,
Sur les bords d’Orient, au point de son réveil :
Son teint blanc & vermeil montre son innocence ;
Les Princes & les Dieux redoutent sa puissance :
C’est elle qui confond l’artifice & l’erreur,
Qui rend aux bons l’amour, aux méchans la terreur.

Il entre ensuite dans la galerie, où il suppose consacrées sur la toile toutes les actions mémorables du regne de Louis XIII, dont il rapporte la gloire au Cardinal. Ici, c’est la prise de la Rochelle ; là, le siége de Casal. Tout est peint avec un feu, un génie & une fraîcheur d’expression qui étonnent. Ce qui surprend encore plus, est le courage avec lequel il loue le Duc de Montmorency dans la Description du combat de Castelnaudary, qui lui fut si funeste. Après avoir fait voir les deux armées aux prises, & avoir peint d’une maniere énergique la défaite du Duc, il lui adresse ainsi la parole :

Grand Héros, qu’un excès d’amour & de valeur
Engage aveuglément dans le dernier malheur,
Tous tes autres exploits ont mérité de vivre ;
Ils vivront à jamais sur le marbre & le cuivre :
Tes sublimes vertus, dignes d’un meilleur sort,
Effacent, à nos yeux, la honte de ta mort ;
Et les siecles futurs, francs de haine & d’envie,
Ne doivent pas juger de l’état de ta vie,
Par l’instant malheureux qui surprit tes beaux jours
D’une éclipse fatale au milieu de leur cours.

Julien Colardeau a fait encore un autre Poëme, intitulé les Victoires de Louis XIII, que nous n’avons pu nous procurer. S’il est de la même force que celui dont nous venons de parler, on ne peut trop répéter que ce Poëte a droit de se plaindre de l’oubli général où ses Ouvrages sont ensevelis.