Pastorales et paysages de Boucher.
Quelles couleurs ! quelle variété ! quelle richesse d’objets et d’idées ! cet homme a tout, excepté la vérité. Il n’y a aucune partie de ses compositions qui séparée des autres ne vous plaise ; l’ensemble même vous séduit. On se demande, mais où a-t-on vu des bergers vêtus avec cette élégance et ce luxe ? quel sujet a jamais rassemblé dans un même endroit, en pleine campagne, sous les arches d’un pont, loin de toute habitation, des femmes, des hommes, des enfants, des bœufs, des vaches, des moutons, des chiens, des bottes de paille, de l’eau, du feu, une lanterne, des réchauds, des cruches, des chaudrons ? que fait là cette femme charmante, si bien vêtue, si propre, si voluptueuse ? et ces enfants qui jouent et qui dorment sont-ce les siens ? et cet homme qui porte [du] feu qu’il va renverser sur sa tête, est-ce son époux ? que veut-il faire de ces charbons allumés ? où les a-t-il pris ? quel tapage d’objets disparates [!] on en sent toute l’absurdité ; avec tout cela, on ne saurait quitter le tableau. Il vous attache. On y revient. C’est un vice si agréable. C’est une extravagance si inimitable et si rare. Il y a tant d’imagination, d’effet, de magie et de facilité ! Quand on a longtemps regardé un paysage tel que celui que nous venons d’ébaucher, on croit avoir tout vu. On se trompe. On y retrouve une infinité de choses d’un prix ! Personne n’entend comme Boucher l’art de la lumière et des ombres. Il est fait pour tourner la tête à deux sortes de gens ; son élégance, sa mignardise, sa galanterie romanesque, sa coquetterie, son goût, sa facilité, sa variété, son éclat, ses carnations fardées ; sa débauche, doivent captiver les petits-maîtres, les petites femmes, les jeunes gens, les gens du monde, la foule de ceux qui sont étrangers au vrai goût, à la vérité, aux idées justes, à la sévérité de l’art ; comment résisteraient-ils au saillant, au libertinage, à l’éclat, aux pompons, aux tétons, aux fesses, à l’épigramme de Boucher. Les artistes qui voient jusqu’où cet homme a surmonté les difficultés de la peinture et pour qui c’est tout que ce mérite qui n’est guère bien connu que d’eux, fléchissent le genou devant lui. C’est leur dieu. Les autres n’en font nul cas. Au reste ce peintre est à peu près en peinture ce que l’Arioste est en poésie. Celui qui est enchanté de l’un est inconséquent s’il n’est pas fou de l’autre. Ils ont ce me semble, la même imagination, le même goût, le même style, le même coloris. Boucher a un faire qui lui appartient tellement, que dans quelque morceau de peinture qu’on lui donnât une figure à exécuter, on la lui restituerait sur-le-champ.