(1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Mystères. » pp. 35-37
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(1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Mystères. » pp. 35-37

Mystères.

Mystères : terme consacré aux farces pieuses jouées autrefois sur nos théâtres ; en voici l’origine.

Il est certain que les pèlerinages introduisirent ces spectacles de dévotion. Ceux qui revenaient de la Terre Sainte, de Sainte-Reine, du Mont-Saint-Michel, de Notre-Dame-du-Puy, et d’autres lieux semblables, composaient des cantiques sur leurs voyages, auxquels ils mêlaient le récit de la vie et de la mort de Jésus-Christ, d’une manière véritablement très grossière, mais que la simplicité de ces temps-là semblait rendre pathétique. Ils chantaient les miracles des saints, leur martyre, et certaines fables auxquelles la créance des peuples donnait le nom de visions.

Ces pèlerins, allant par troupes et s’arrêtant dans les places publiques, où ils chantaient, le bourdon à la main, le chapeau et le mantelet chargés de coquilles et d’images peintes de différentes couleurs, faisaient une espèce de spectacle qui plut, et qui excita quelques bourgeois de Paris à former des fonds pour élever un théâtre où l’on représenterait ces moralités les jours de fêtes, autant pour l’instruction du peuple que pour son divertissement. L’Italie en avait déjà montré l’exemple ; on s’empressa de l’imiter.

Ces sortes de spectacles parurent si beaux dans ces siècles ignorants, que l’on en fit les principaux ornements des réceptions des princes, quand ils entraient dans les villes ; et comme on chantait noël, noël, au lieu des cris de vive le roi, on représentait dans les rues la Samaritaine, le Mauvais Riche, la Conception de la sainte Vierge, la Passion de Jésus-Christ, et plusieurs autres mystères, pour les entrées des rois.

On allait au-devant d’eux en procession avec les bannières des églises ; on chantait à leur louange des cantiques composés de passages de l’écriture sainte, cousus ensemble pour faire allusion aux actions de leurs règnes.

Telle est l’origine de notre théâtre, où les acteurs qu’on nommait Confrères de la Passion, commencèrent à jouer leurs pièces dévotes en 1402. Cependant, comme elles devinrent ennuyeuses à la longue, les confrères, intéressés à réveiller la curiosité du peuple, entreprirent, pour y parvenir, d’égayer les mystères sacrés. Il aurait fallu un siècle plus éclairé pour leur conserver leur dignité ; et dans un siècle éclairé, on ne les aurait pas choisis. On mêlait aux sujets les plus respectables les plaisanteries les plus basses, et que l’intention seule empêchait d’être impies ; car, ni les auteurs, ni les spectateurs, ne faisaient une attention bien soutenue à ce mélange extravagant, persuadés que la sainteté du sujet couvrait la grossièreté des détails. Enfin, le magistrat ouvrit les yeux, et se crut obligé, en 1545, de proscrire sévèrement cet alliage honteux de religion et de bouffonnerie.

Alors naquit la comédie profane, qui, livrée à elle-même et au goût peu délicat de la nation, tomba, sous Henri III, dans une licence effrénée, et ne prit le masque honnête qu’au commencement du siècle de Louis XIV.