Madame de Montmorency
Amédée Renée, Madame de Montmorency.
Amédée Renée continue ses études de femmes au xviie siècle. Après Les Nièces de Mazarin, dont le succès a été brillant et mérité, il publie Madame de Montmorency, qu’il fera suivre, dit-on, d’autres portraits et d’autres biographies. Renée, au milieu des distractions d’une vie politiquement active, est resté littéraire et se maintient tel. Il faut l’en féliciter. Sa Madame de Montmorency 20, dont il s’occupait avec un soin presque religieux, cette histoire qui commence par la Cour, l’éclat et le monde, et qui finit par l’affliction et une cellule, sa Madame de Montmorency a été pour lui pendant longtemps comme une espèce d’oratoire littéraire dans lequel il revenait à la dévotion de toute sa vie : l’amour des choses de l’esprit et des recherches de l’histoire. Encore une fois, ceci nous plaît, mais sans nous étonner. Ceux qui sont les plus dignes des lettres leur sont fidèles dans toutes les fortunes.
Or, pour aller droit tout d’abord au nouveau livre de Renée, quelle est cette madame de Montmorency qu’il a choisie pour nous la représenter avec un pinceau si épris d’elle ?… Dans ce fouillis de gloire qu’on appelle les Montmorency, il doit y avoir, si on fait l’histoire de chaque tombe, bien de hautes vertus, de fières et chastes physionomies de femmes, de destinées sublimes de grandeur et de simplicité, qu’on pourrait nommer aussi : Madame de Montmorency, comme l’héroïne de Renée, et qu’on ne distinguerait pas, à la première vue, sous ce nom collectif porté comme un pavois par soixante générations, et qui nous brouille tout de sa splendeur. Assurément, depuis Denise de Montmorency, qui sous Charles VI défendit si vaillamment le château de son mari contre les Anglais, jusqu’à cette vieille abbesse de Montmorency, qui mourut sur l’échafaud en 1794, après avoir béni, comme si elle avait été dans sa stalle de chœur et la crosse à la main, la religieuse qui portait sa croix et qui mourut après elle, on peut ranger bien des Montmorency, de nom ou d’alliance, qui eurent aussi, comme celle d’Amédée Renée, l’éclat dans la vie, la force de l’âme, le malheur, et le cloître pour dôme à tout cela, — le seul dôme qui aille bien à toutes nos poussières. Le titre du livre de Renée ne dit pas assez de laquelle de ces femmes, couchées et perdues sous la gloire de leur maison comme sous un marbre massif qui les accable de son poids et de son silence, il va nous parler. Il ne nous indique point, avec l’étincelante netteté que doit avoir un titre, la Montmorency, héroïque ou charmante, qu’il s’en va tirer de la gloire de famille où elle est ensevelie et où, si fameuse en son temps, elle est maintenant trop oubliée !
Pour le savoir, il faut ouvrir le livre même. C’est la femme de ce Henry de Montmorency, maréchal de France, qui fut décapité à Toulouse en 1632 pour cause de révolte, le cousin de cet autre Montmorency-Boutteville, décapité aussi, pour cause de désobéissance. Qui ne le sait ? Qui l’a oublié ? Richelieu a fait couler deux fois sur l’échafaud ce sang splendide et chargé de passé des Montmorency, et, à notre avis, les Montmorency lui en doivent obligation et non rancune… Terni, presque souillé par la désobéissance et la révolte, les plus grands crimes sociaux et les plus grands crimes militaires, ce sang reprit son lustre sur l’acier de la hache, tant il était fait pour l’acier !
II
Telle est l’héroïne que Renée a préférée pour nous en raconter l’histoire à toutes les femmes du xviie siècle, de ce temps complet qui commença par les grandes femmes et qui finit par les grands hommes. Née des Ursins, de race pontificale, et Montmorency par mariage, cette femme, qui ne fut jamais qu’une épouse et une veuve chrétienne, a plus attiré son délicat biographe que les gloires tapageuses d’une époque où les femmes se dessinaient, avec plus ou moins de prétentions ambitieuses, des rôles politiques et littéraires. Rambouillet et la Fronde sont sortis de ce temps. L’hôtel de Rambouillet, cette caserne du bel esprit que Molière fit crouler, Jéricho ridicule, sous le son vif de son sifflet, était de fondation féminine ; et la Fronde, cette bataille de dames, cette guerre où les femmes tiraient le canon comme on l’a vu tirer à des serins et à des colombes, était une guerre enrubannée et galante où les villes se prenaient pour les beaux yeux des belles, comme disait le maréchal d’Hocquincourt.
La madame de Montmorency de Renée, quoique, par la hauteur de son rang, elle pût partager le vertige des femmes élevées de cette époque de
belles spirituelles et d’amazones, n’en ressentit jamais l’éblouissement et l’ivresse. Italienne et Romaine, c’est-à-dire exclusivement faite pour l’amour et sans les vanités françaises, elle se contenta d’être une vraie femme d’abord, et ensuite une sainte femme, et à aucune époque de sa noble vie elle n’eut le souci ni le goût du célèbre salon bleu d’Artémise, dans lequel le grand Condé lui-même se rapetissait. Renée est si littéraire qu’il semble▶ regretter que madame de Montmorency n’ait pas été une des lionnes (c’est le mot de ce temps-là comme du nôtre) de l’hôtel de Rambouillet, et il écrit, pour s’en consoler : « Il est vrai que les beaux jours de cette société n’étaient pas venus encore, et que l’histoire s’est médiocrement occupée de ces premières années. »
Ah ! tant mieux qu’elle ne s’en soit pas occupée, si nous devions retrouver dans les ombres dissipées de cette époque Marie de Montmorency, l’Artémise chrétienne, changée soudainement en Cathos ! Nous croyons, nous, qu’elle a gagné à ne pas porter ce reflet bleu du salon de Rambouillet sur la rougeur de sa joue chaste, et qu’on voit mieux ainsi la pureté divine de son type, bien au-dessus, par le calme et par la tendresse, des affectations de ce temps.
Elle aima son mari, voilà toute sa gloire ; mais elle l’aima avec l’abandon, la résignation, la grandeur, la simplicité et la fidélité après la mort d’une héroïne de Corneille. C’était une Romaine, nous l’avons dit ; mais une Romaine baptisée, adoucie, attendrie par cette religion qui aurait donné des entrailles à la louve d’airain de Romulus. C’était une Pauline qui eut son martyre et qui ne le tint pas seulement du bourreau. Montmorency lui fut bien infidèle. Il lui perça le cœur bien des fois. Bon de cette bonté qui tue ceux qui aiment, Montmorency la tua tous les jours de sa vie. Il la tuait avec une douceur immense, un respect profond et ce que les indifférents appellent des procédés généraux ; mais rien ne mourut dans ce cœur frappé de tant de coups ! Elle continua d’aimer l’époux auquel Dieu l’avait unie, quoiqu’il fût indigne d’elle, et pour que son destin fût accompli, pour que rien ne manquât à son calice d’amertumes, elle souffrit plus de la mort sanglante de son mari qu’elle n’avait souffert de sa vie, — de sa mort qui fut un crime encore, mais du moins qui ne le fut pas envers elle. Amédée Renée nous a raconté avec toutes les nuances du détail cette vie, cette mort, et enfin ce survivre, le pire des malheurs pour l’âme humaine, a dit un homme qui se connaissait en douleur, et de tout cela il a tiré un chef-d’œuvre d’intérêt légitime qui ne sera peut-être pas compris à cette époque d’adultère, mais qui, s’il l’était, aurait l’éloquence d’une leçon.
Et il n’y a pas que cette touchante histoire d’une femme qui aima, dans la Madame de Montmorency de Renée. À ce cœur qui palpite au fond se rattache tout un long fragment du règne de Richelieu, qui acheva de tourner vers Dieu ce cœur déchiré, en lui arrachant son idole et en la jetant à l’échafaud. Cette partie du livre, plus extérieure et plus générale, est traitée avec une incontestable habileté. On y reconnaît la plume d’un homme fait pour mieux que pour écrire des biographies, si réussies qu’elles soient, et très capable de lutter contre les grands sujets historiques et leurs excitantes difficultés. La politique de Richelieu que nous rencontrons ici, non pas dans son ensemble, mais dans une des particularités les plus formidables de son action, est une des difficultés qu’aucun historien n’a, selon nous, jusqu’ici vaincue. Presque tous saisis par la fierté du geste, dupes de l’éternelle duperie de l’attitude, ils ont consenti la grandeur de l’homme, même ceux qui l’ont insultée ; mais nul d’entre eux n’a dit une fois pour toutes le vrai, le pur, l’exact jugement. L’impérieux génie de Richelieu a traité la gloire comme la France. Il a fait obéir l’Histoire… Amédée Renée n’a pas plus définitivement jugé que les autres la politique du grand Cardinal. Il ne le pouvait pas, du reste, dans le cadre étroit où le choix de son sujet le place et devait le retenir. Seulement, si l’ardente sympathie qu’il éprouve pour madame de Montmorency lui donne le courage de regarder, les yeux bien ouverts, cette robe rouge qui les fait ordinairement baisser, tant elle est rouge, trempée du sang des Montmorency ! — pourpre contre pourpre ! — cette robe, éclatante et terrible, n’a-t-elle pas quelque peu troublé son regard ?
III
Voilà la question et voilà notre seul reproche. Malgré le tact, qui est très fin et le plus souvent très sûr chez Renée, l’historien est en lui, évidemment, d’inclination pour Montmorency contre Richelieu ; et, même avant que le Cardinal ne se lève dans cette biographie, d’abord intime et domestique, Renée est encore et toujours trop pour Montmorency. Montmorency, en somme, est vulgaire. Il a la bravoure d’un soldat et la beauté d’un capitaine, mais c’est tout. Il n’a pas d’esprit, et peu importe pour nous, d’ailleurs, qu’on l’eût trouvé sans conversation à l’hôtel de Rambouillet, s’il avait eu la délicatesse, cette fleur des âmes bien nées qui vaut mieux que l’intelligence ! Mais il était grossier. Tout l’atteste, même Renée, qui cite de lui des mots adressés à Bassompierre, gros comme les poings d’un gendarme et aussi lourds dans leur brutalité. Renée nous dit quelque part que madame de Montmorency aimait tellement le duc son mari que, le cœur dévoré par la jalousie, elle sentait un involontaire attrait pour les femmes qui le rendaient infidèle, et qu’il lui fallait toute la dignité de l’épouse outragée pour se roidir et résister à la pente qui l’entraînait vers elles. Eh bien, Renée a un peu ce sentiment pour son héroïne ! Il aime aussi un peu trop tout ce qu’elle aimait. Les peines qu’il se donne, dans la première partie de son récit, sont incroyables quand il s’agit de créer une importance, une valeur, une poésie quelconque à ce beau buste vide. C’est du dévouement à la duchesse, mais c’est aussi de l’illusion, comme s’en font les hommes qui ont une palette. On n’est véritablement soulagé pour Renée que quand ce bel insignifiant de Montmorency se met enfin à vivre, et devient quelque chose à l’heure de mourir !
Il est des vies qui n’ont, en effet, que la mort, et ces vies-là ne sont pas rares dans l’Histoire. Presque de nos jours, n’avons-nous pas eu Louis XVI et Marie-Antoinette, dont la mort sera la vraie vie devant la postérité ? Au xviie siècle, Henry de Montmorency, si admiré et si brillant comme grand seigneur et comme homme de guerre, oublié maintenant ainsi que tant d’autres, sans sa mort, historiquement, n’aurait pas vécu. Les services qu’il avait rendus, très comptés par l’État, et d’ailleurs récompensés par le rang qu’il tenait dans le royaume, n’auraient pas suffi cependant pour lui valoir ces deux lignes d’histoire qui empêchent un nom de périr. Sa révolte contre son souverain, son opposition au gouvernement de Richelieu, sa prise d’armes enfin et sa défaite, l’Histoire les aurait flétries, en passant, de ce mot d’équipée qui déconsidère jusqu’au crime, et complice de Gaston, le duc d’Orléans, et de sa turbulence de cadet, elle l’aurait couvert du mépris qu’elle a pour Gaston. Parmi les remuements des impuissants d’alors contre la forte main qui tenait la France, ce ne serait qu’un mouvement de plus réprimé. Poussière soulevée et retombée qu’on ne verrait plus ! La mort seule de Montmorency a donné une mémoire à ces choses. Il fut coupable, mais par sa mort il racheta sa faute, car il ne la nia pas, et il mourut bien.
Renée a supérieurement raconté cette mort, dont il a senti la grandeur et dont il a fait admirablement ressortir le caractère. C’est une mort de grand seigneur d’une espèce perdue, qu’il faut apprécier avec l’esprit des anciens jours. Le génie chrétien de sa race assista Montmorency à son heure suprême, et lui communiqua une idéale beauté morale dont le beau superficiel ne se doutait pas ! Montmorency, en face du billot, ne houssina pas la hache comme Charles Ier ; il ne se fit point superbe avec elle. Il fut doux. Il regardait le coup qu’elle allait frapper comme une délivrance. Hélas ! il avait toujours été si heureux qu’il avait sans doute le sentiment du néant de la plus belle vie ! Il ne chicana point la sienne. Il ne sophistiqua même pas avec lui-même. Il convint de tout et qu’il méritait bien sa peine, quoique dans ces têtes de gentilshommes qui faisaient la guerre au roi pour le roi, ces ultras armés, la notion de patrie ne fût pas établie comme dans la nôtre, ce qui rendait le crime moins grand. Ce fut donc d’un laisser-aller magnifique que cette fin de Montmorency. Pour lui, mourir fut aussi simple que de changer sa veste de couleur musc d’Espagne contre la veste blanche dans laquelle il voulut marcher à l’échafaud, par une dernière coquetterie. La mort, qui le combla de ses bontés, le fit même ce qu’il n’avait jamais été : pour une minute spirituel. Il légua au cardinal de Richelieu son tableau du martyre de saint Sébastien. Mais, si c’était une ironie, ce fut aussi une fatuité.
Il n’y avait pas de martyr, en effet, et de martyr d’aucune espèce, dans Henry de Montmorency ; il y avait un homme justement condamné. Renée a écrit le mot de justice — justice orgueilleuse, il est vrai, — à la page 144 de son livre. Pourquoi, à la même page, a-t-il accusé ce moine (Richelieu fut un prêtre) de couper par haine et par envie la tête du plus grand seigneur de France ?… Nous non plus, comme Renée, nous ne croyons pas à l’impersonnalité de Richelieu ; nous ne croyons à l’impersonnalité de personne… pas même à celle de Dieu ! « Richelieu — dit Renée — fut jaloux, ingrat, vindicatif, implacable. »
Cela est vrai souvent, mais ce n’est pas ici, et il fallait le reconnaître. Renée ne le reconnaît pas : « La raison d’État — nous dit-il — n’avait pas toujours été une religion pour Richelieu… Sa foi datait de son entrée au ministère. »
Mais un homme aussi apte et aussi accoutumé aux choses de l’Histoire que l’auteur de Madame de Montmorency ne sait-il donc pas à quel point
la Fonction ouvre, élargit et élève le regard, et que de ce sommet de la Fonction on voit ce qu’on ne voyait pas encore du bas de la vie ? Encore une fois, voilà la tâche d’un livre qui pour nous est une perle. Il est évidemment trop conçu en vue de la diminution de Richelieu, figure ambiguë — nous en convenons — dans sa grandeur et dans sa force. Mais le lion a le pas oblique, et il n’en est pas moins le lion ! Richelieu, moins grand que Louis XI, continue Louis XI après Henri IV, et prépare Louis XIV ; et cet entre-deux dans l’Histoire est bien suffisant pour qu’il y soit à jamais respecté. D’ailleurs, ce grand faucheur, qui avait pris au sérieux la méthode de Tarquin, n’abattit point de fleurs innocentes ; toutes, plus ou moins, étaient empoisonnées, et si « les successeurs de Richelieu — nous dit Renée dans un dernier trait — n’eurent pas besoin de cette politique de sang pour réussir »
, c’est que la besogne avait été bien faite. Ils n’eurent à recueillir que l’héritage du sang, sans le sang par lequel il avait fructifié, et que Richelieu, lui, n’a pas craint de prendre à sa charge, devant les hommes et devant Dieu !
IV
Et c’est là ce que l’Histoire ne cessera d’honorer. L’aimable et spirituel historiographe de Madame de
Montmorency a vu Richelieu à travers les larmes de la plus touchante des femmes affligées, mais qu’y a-t-il de plus décomposant que les larmes ?… D’un esprit politique trop ferme pour ne pas comprendre la grandeur de Richelieu, tout en l’accusant, il a été entraîné, charmé, par son sujet ; mais il reprendrait tout son regard demain, s’il rencontrait Richelieu ailleurs qu’entre l’échafaud de Montmorency et la cellule de sa femme. Après la mort de son héros, cette noble infortunée, qui n’avait jamais, hélas ! été une heureuse, cette sainte de l’amour, comme dit Renée, eut le courage de devenir une sainte tout à fait. Au moment de mourir, Montmorency lui avait écrit : « Mon cher cœur (et c’était bien son cœur, en effet !), je vous conjure, par le repos de mon âme… de modérer vos ressentiments et de recevoir de la main de notre doux Sauveur cette affliction. »
Deux fois soumise, et à Dieu et à son époux, son autre Dieu, elle obéit à cette consigne donnée presque du fond de la mort. Persécutée d’abord à cause du nom qu’elle portait, et des influences qu’on lui savait dans cette province du Languedoc que son mari avait gouvernée, elle ne sortit de prison, quand la persécution se détourna d’elle, que pour se retirer à Moulins, dans le couvent de Sainte-Marie, où elle garda pendant quelque temps sa maison.
Elle y était venue, attirée par son amie madame de Chantai, qui en était supérieure, et elle y resta, captivée par la règle de ce François de Sales qui savait
mêler à tout un miel divin. C’est là qu’elle apaisa son âme, qu’elle la modéra, comme le lui avait recommandé son époux ; c’est là qu’elle put trouver la force de pardonner au lâche et imbécile Gaston, à Louis XIII le Juste, et enfin, même, à Richelieu ! Ce fut là sans doute son dernier pardon. Mais il y eut pour elle plus difficile que de détacher les haines de son âme, ce fut d’en détacher son amour, d’en ôter un à un tous les rêves et les souvenirs de sa vie. Il le fallait pourtant, et, Dieu aidant, cela arriva. Elle se dépouilla des derniers songes, et, quand ce fut fini, cette veuve de saint Paul, à la fidélité immortelle, ne crut pas manquer de foi à son époux, cet époux sanglant du billot de Toulouse qu’elle avait toujours dans la pensée, en choisissant un autre époux, sanglant aussi, le divin Époux de la Croix. Elle devint religieuse. Le livre de Renée nous fait assister à sa vie cloîtrée, avec autant de renseignement et d’animation qu’il nous avait fait assister à sa vie du monde. Sans avoir deux manières, l’habile et souple écrivain est de taille et d’aisance avec les deux peintures que la vie de madame de Montmorency lui a permis d’exécuter, et on voudrait que la dernière durât plus longtemps. Malheureusement, madame de Montmorency ne vieillit pas. L’encens consumé monta vite. L’amie de madame de Chantai, qui l’avait remplacée, ne porta pas loin sa charge d’âmes ! Épuisée d’amour et de vie, transfigurée déjà, elle alla bientôt parachever sa transfiguration dans le ciel.
« Ce fut le 5 juin 1666 — nous dit Renée — que cette belle âme, honneur de son siècle, quitta la terre. Elle n’avait souhaité que le silence et l’oubli ; son vœu devait être exaucé, car son nom est à peine resté dans la mémoire des hommes. C’est que le monde se prend surtout par les contrastes. La Vallière a l’attrait de ses fautes pour faire aimer sa vertu. Saint Augustin nous touche de plus près que les autres Pères de l’Église ; il ◀semble que sa sainteté se détache et ressort mieux sur l’orage de ses passions. Entre les femmes célèbres par le dévouement et l’amour, il n’y en a pas de plus grande que la veuve de Montmorency, mais sa vertu n’a pas eu d’ombre, et s’est ensevelie dans sa perfection. »
Telles sont les pénétrantes paroles par lesquelles finit un volume qui nous prend l’âme avec une main tout à la fois puissante et douce, et dont on sent autour de son cœur l’empreinte longtemps. Nous avons voulu les citer et terminer aussi par elles. Qu’aurions-nous dit de mieux et de plus ?… Et même, pour donner une idée de l’accent de l’auteur, qu’y avait-il ?… Dans ce livre, il ne s’agit pas seulement du mûrissement complet d’un talent qui a toujours fait l’effet d’être mûr, tant il avait de saveur et de goût. Il s’agit d’une faculté plus rare, la faculté d’être entièrement pénétré par le sujet qu’on traite, que n’ont pas, certes ! tous les talents, et même les talents supérieurs. Selon nous, rien de plus délicieux. Le talent d’Amédée Renée a été perméable à l’âme de madame de Montmorency, et il la respire comme ces haleines de femme qui gardent l’odeur de la fleur qu’elles ont respirée. Madame de Montmorency fut parfaite et oubliée. Nous n’avons pas dit que ce livre n’eût pas d’ombre, et nous en avons trouvé une. Mais il a pourtant aussi sa perfection, ce livre de pureté dans le style et dans la pensée, d’attendrissement contenu, de reflets charmants et même d’intelligence chrétienne. Seulement, sa perfection, à lui, sera plus heureuse que celle de madame de Montmorency, qui s’est ensevelie dans la sienne. Il ne s’y ensevelira pas.