Le comte du Verger de Saint-Thomas
Nouveau Code du Duel.
I
C’est presque un livre de circonstance. Sous cette république, si peu romaine, dont nous avons le bonheur de jouir, — car sous la république romaine on ne se battait pas, — sous cette république inconséquente, où l’on continue de se battre comme sous la détestable monarchie, et où l’austère républicain Dufaure rumine sur le duel une loi lente à venir, voici un homme, d’une exécution plus rapide, qui publie, lui, non pas une loi, mais tout un Code nouveau du Duel 30. Il y en avait d’anciens déjà et en grand nombre. Les législations n’ont jamais manqué en France sur cette chose plus forte qu’elles et contre laquelle toutes, en définitive, ont été impuissantes. Il y a eu des législations positives, émanées des pouvoirs, qui avaient droit et devoir de les promulguer, et il y a eu aussi des législations d’initiative individuelle et de bonne volonté.
Ce livre-ci est une de ces dernières. L’auteur du Nouveau Code du Duel, ancien officier supérieur de cavalerie dans l’armée piémontaise, le comte du Verger de Saint-Thomas, qui, en matière de question d’honneur et de duel, a tout à la fois l’expérience et l’autorité, a voulu traiter et réglementer à sa manière ce difficile sujet du duel, si profondément ancré dans nos mœurs qu’il a résisté à toutes les législations, et même aux plus terribles… En ces derniers temps, le comte de Saint-Thomas a été précédé par le comte de Château-Villars, qui a écrit aussi un Code du Duel, et je crois bien que, dans l’avenir, il pourra être suivi de quelque autre codificateur encore ; car le duel, en France, a la vie assez dure pour enterrer plus d’une génération d’ambitieux codificateurs.
Et Verger de Saint-Thomas doit le savoir, du reste. Avant de légiférer pour son propre compte et en son privé nom, il nous a donné, en abrégé, l’histoire du duel en France, et cette histoire démontre, à toute page, l’inanité des législations quand il s’agit de changer et de modifier des mœurs toujours victorieuses d’elles… L’esprit moderne, dont la manie est de croire aux constitutions, qui sont les créations de son orgueil et que le vent de cette girouette a bientôt emporté, l’esprit moderne, qui méprise si outrageusement et si sottement le passé, apprend ici, une fois de plus, que tout dans l’histoire ne se fait pas de main d’homme, et que les coutumes ne s’arrachent pas du fond des peuples comme une touffe de gazon du sol… Saint-Thomas, dont le bon sens (heureusement pour lui) ne me fait point l’effet d’être dévoré par l’esprit moderne, semble▶ l’avoir compris. Son livre implique, en effet, l’impossibilité d’atteindre actuellement à la racine de ce mal social qu’on appelle le duel ; et même il en reconnaît la nécessité, puisque, législateur par supposition, dans son livre il le codifie au lieu de le supprimer.
Il a accepté la coutume sans la discuter. Ce législateur, pratique et d’une application immédiate » n’a fait du duel qu’une question d’histoire, — et peut-être, à bien y regarder, n’est-il que cela ?… Il n’a mis en tête de son livre aucun prolégomène philosophique sur la légitimité ou l’illégitimité du duel. Il l’a pris simplement où il l’a trouvé, c’est-à-dire dans des mœurs incorrigibles, et il n’a pas songé — ce n’était pas à lui, d’ailleurs, d’y songer, — à couper cette queue de monarchie qui traîne fièrement encore dans ce siècle de république si peu fière. Il ne s’est pas soulevé de l’indignation vertueuse, qui pouvait bien cacher une épouvante, contre la bête féroce, comme ce pied-plat philosophique de Rousseau. Il n’est point, lui, un philosophe, cet officier de cavalerie, qui contient très bien sa philanthropie dans son ceinturon militaire. C’est un homme d’épée et de bonne maison, élevé dans cette idée, dont Montesquieu a fait un dogme : c’est que la monarchie est fondée sur l’honneur, comme les républiques sur la vertu, — ce qui est moins sûr, car cette vertu-là n’a pas encore remplacé l’honneur monarchique, sur lequel des républicains, sans vertu, vivent toujours !
Spectacle étrange ! n’est-il pas vrai ? et frappante leçon ! Ils ont beau, en effet, s’obstiner à vouloir être des républicains de pied en cap, c’est-à-dire des hommes de la chose publique, ils restent les hommes de la chose très particulière qui se nomme la fierté, la dignité, l’honneur, — sentiments individuels qui tiennent aux racines même de l’homme, et qui furent absolument inconnus à l’Antiquité. Lorsque à Rome les Horaces se battaient contre les Curiaces, ils se battaient pour la patrie ; ce n’était là nullement un duel à la façon du duel au Moyen-Âge, où la personnalité humaine s’était agrandie et accomplie sous l’influence de ce christianisme qui a rejeté au creuset et refondu le monde déformé et usé par les siècles. Il faut bien en convenir, quelque horreur qu’il inspire à présent, le christianisme a mis dans le monde ce qui n’y était pas, c’est-à-dire des âmes. Jusqu’à lui, il n’y avait que des forces, qui s’absorbaient les unes dans les autres. Il n’y avait que le nombre, — le nombre, qui s’efforce, par ce temps de suffrage universel et de matérialisme rétrograde et païen, de reprendre la place des âmes. Mais l’âme ne se tue pas si vite qu’il n’en demeure encore dans les hommes quand on croit qu’il n’y en a plus ! Voilà pourquoi les républicains impies de l’heure présente gardent, en eux et malgré eux, non seulement quelque chose de l’honneur monarchique, mais quelque chose de chrétien, qu’ils ne sont pas capables de législativement exterminer. Ils vont essayer. Eh bien, nous allons voir !
II
Auront-ils plus de force, ces républicains nés d’hier dans notre histoire ? atteindront-ils un résultat plus heureux et plus durable que les tout-puissants rois de France, avec l’action une et continue d’un pouvoir, sur cette question éternellement désobéie, pendant une succession de siècles ? Justement effrayés du développement que prenait cette coutume du duel, d’origine religieuse, — puisque les jugements de Dieu, qui furent les premiers duels, partaient de l’idée (mal entendue, il est vrai), mais de l’idée de sa justice, — les rois, en France, ne cessèrent, depuis Louis IX jusqu’à Louis XIV, de s’opposer à ce développement et de le combattre. Ce fut inutile. Ils ne réussirent pas à le supprimer. Une fois plantée dans les mœurs d’une race militaire, de cette race mêlée de Gaulois et de Francs, guerrière des deux côtés, cette coutume du duel, chrétienne au début, ne s’affaiblit pas quand la France, l’ardente chrétienne du Moyen-Âge, peu à peu se déchristianisa… Devenu mondain, le duel s’exaspéra, au contraire. L’homme fut plus implacablement batailleur quand il ne se crut plus le bras vivant et visible de Dieu et quand on n’eut plus affaire qu’à son orgueil. Le point d’honneur devint tout l’honneur ; — et, pour peu qu’un homme mit bravement sa vie au bout d’une épée, il avait assez d’honneur comme cela… Ce n’était pourtant pas assez, en réalité, pour qui pense ; mais c’était l’illusion d’une race si profondément militaire qu’à ses yeux la magie du combat et d’un duel brillant couvre tout encore, fait trembler le châtiment sur la tête du coupable et empêche le mépris, même mérité !
Et il n’y avait pas là que l’instinct militaire de la race dans cette persistance de la coutume du duel, en un pays où la crânerie, en toutes choses, est la poésie de l’action et du caractère. Il y avait aussi la vanité aristocratique du peuple le plus aristocratique et le plus égalitaire, par fureur d’aristocratie, qui ait peut-être jamais existé. Il y avait encore cette disposition contradictoire et indisciplinée de l’esprit d’une nation qui aime à se moquer de tout pouvoir établi, et qui fait de la France le pays de la terre le plus facilement anarchique. Tel était le faisceau de sentiments innés qu’eurent à briser les législateurs. Tous s’y efforcèrent, mais tous n’y déployèrent pas la même énergie. Même en sévissant contre le duel, ces âmes, amoureuses plus ou moins de la guerre, se sentaient pour cette coutume guerrière des entrailles. Il ne fallut rien moins que la mort de son favori La Chasteigneraie, tué par Jarnac dans un combat auquel Henri II et toute sa cour avaient solennellement assisté, pour que ce prince — tué lui-même plus tard dans un tournoi — défendît expressément le duel… Défense bientôt foulée aux pieds ! Charles IX la renouvela, mais ce forgeur d’épées ne put pas les briser, et Henri III, cette reine amazone de ses mignons, leur laissa tout faire, et on sait s’ils furent des duellistes enragés. Henri IV, plus ferme, publia l’édit de Blois contre les duels, mais ne pouvant s’empêcher d’être tendre aux braves, même quand ils abusaient de la bravoure, il infirma son édit par des Lettres de grâce qui suivaient les condamnations Depuis 1589 jusqu’en 1608, on expédia seulement sept mille lettres de grâce, ce qui suppose la mort de sept mille gentilshommes. Le règne d’après, si Richelieu, moins sentimental que Henri II, et qui n’avait pas perdu de favoris parmi les sept mille tués sous Henri IV, frappa plus cruellement le duel que personne, ce fut moins sagesse et moralité du législateur que politique à la Tarquin, qui abat les têtes de pavot aristocratiques, non plus avec une baguette, mais avec la hache du bourreau. Dans la pensée de Richelieu, le cardinal équestre du siège de la Rochelle, dont l’âme était certainement belliqueuse, le duel ne fut guères qu’un prétexte pour casser des épées toujours prêtes à sortir du fourreau contre la royauté. Seul de tous les souverains, Louis XIV, dont Richelieu et Mazarin avaient préparé la besogne de roi absolu, fut noblement désintéressé dans son action contre le duel, et seul il se montra, dans toute la prudente et sévère beauté de cette fonction auguste, un véritable législateur !
III
En effet, il en fut un sublime. Son édit de 1679, daté de Saint-Germain-en-Laye, est un acte législatif d’une magnificence incomparable. Rien de plus médité, d’une raison plus haute, plus politique et en même temps plus chrétienne dans la pensée. Rien de plus ample et de plus élevé dans l’exposition des motifs, rien de plus généreux et de plus vigilant pour prévenir ce ravage du duel qui, depuis le xve siècle surtout, trouait la société française à la poitrine, et finalement rien de plus nettement résolu, de plus terrible mais de plus justifié, que le châtiment. Les peines édictées, qui sont « la mort et la confiscation des biens » au profit des hôpitaux, pour les DEUX combattants, pouvaient être d’autant plus sévères que, dans cet édit de 1679, le législateur créait ce fameux tribunal d’honneur composé des maréchaux de France, qui devaient juger en dernier ressort et punir les injures de l’honneur outragé… Le législateur avait fait de sa loi une espèce de filet, tissé de précautions et de peines, dans lequel il pût prendre tous ceux qui participaient à un duel d’une manière quelconque : combattants, seconds, témoins, porteurs de cartels ou d’appels, même jusqu’aux laquais qui, le sachant, porteraient une lettre de provocation de leurs maîtres, — condamnés par ce fait seul au fouet et à la fleur de lys, et, si récidive, aux galères à perpétuité ! — même jusqu’aux spectateurs volontaires du duel, privés pour toujours de leurs dignités et pensions s’ils en possédaient ! Il faut lire dans le livre de Saint-Thomas tout cet édit de 1679, qui donne plus que n’importe quel acte de sa vie la mesure de la grandeur de Louis XIV… Jamais loi ne fut plus complète, plus largement assise, plus bâtie à chaux et à sable, à ce qu’il ◀semblait, puisque c’était Louis XIV qui tenait la truelle ! et cependant, malgré sa puissance et la splendeur de sa loi, malgré cette superbe invention d’un héroïque tribunal d’honneur qui, la France constituée comme elle l’était alors, était une idée de génie, ce tribunal d’honneur n’empêcha pas ce qu’il devait empêcher, et les épées incoercibles passèrent à travers cet édit, qui est un chef-d’œuvre, et qu’elles déchirèrent. Le duel immortel résista sous Louis XIV, qui mourut, lui… et sous Louis XV et sous Louis XVI, et jusqu’à la Révolution française, on se battit, comme si l’édit de Saint-Germain-en-Laye n’avait jamais existé !
La Révolution ne put rien non plus contre ce duel vivace. Il est vrai qu’elle en avait un avec toute l’Europe, et qu’entre ses batailles à la frontière et ses échafauds dans le cœur du pays elle était trop occupée pour penser au duel d’homme à homme, grêle chose pour elle qui tuait en masse ! Mais la patrie, qu’elle croyait avoir inventée et dont elle parlait toujours avec une si grande bouche, n’absorbait pas si bien les âmes que l’honneur, le vieil honneur à la manière de la vieille France, ne passât quelquefois par-dessus la patrie ! Quand il s’agissait de l’honneur, on n’économisait pas sa vie, on ne la gardait pas pour le service exclusif du pays, et même en face de l’ennemi les officiers et les soldats de la République se battaient très bien entre eux, comme les officiers et les soldats de la Monarchie. Révolutionnaires dans tout le reste, indestructiblement monarchistes en cela !… Quand les grandes préoccupations d’échafaud cessèrent, — sous le Directoire, par exemple, — la politique fut une cause nouvelle de duels, et depuis ce temps-là elle le fut toujours et elle l’est encore ; mais ce n’est pas pour la politique qu’on se battait, en ces duels soi-disant d’opinion, c’était pour l’injure qui s’adressait à la personne, et dont la politique n’avait été que l’occasion. On se battait pour son honneur à soi ; pas pour autre chose ! Dans ce pays, qui en avait fini avec cet abus des ancêtres, — qui se vantait de n’avoir plus d’ancêtres, — dans ce pays qui voulait tuer l’histoire du passé avec l’histoire du présent, on se battait comme les ancêtres, et pour les mêmes raisons que ces ancêtres méprisés !
Et, contradiction qui dure toujours et qui n’est pas près d’être finie ! on se battra comme eux longtemps encore, malgré les progrès, philosophique, philanthropique et patriotique, et, ce qui est une meilleure raison pour ne plus se battre que le dévouement de tout son être à la République, malgré l’affaiblissement de l’esprit militaire, depuis si longtemps insulté, et la décadence même physique de la race, visible maintenant à tous les yeux. C’est que, si décadente qu’elle soit, cette race a en elle (nous l’avons dit plus haut) ce qui ne périt pas sur les ruines de tout : la vanité, — la vanité aristocratique, et égalitaire par aristocratie, qui veut jouer encore de l’épée parce qu’il n’y avait autrefois que les gentilshommes qui pussent la porter et en jouer… Or, il n’est pas d’idée philosophique, philanthropique, patriotique, il n’y a pas d’amour de la patrie et d’amour de la République auxquels on puisse immoler cette grande ou cette petite vanité. Voilà pourquoi le duel, cette barbarie d’un siècle de ténèbres, comme disent les philosophes, subsiste et résiste dans un siècle de lumières et de progrès. Il s’y pratique moins violemment, à coup sûr, que sous la monarchie détruite. Nous n’en sommes plus aux sept mille tués du règne de Henri IV ! On se blesse maintenant plus qu’on ne se tue. On a le geste de l’épée, mais l’épée va moins à fond. Seulement, frottée par les journaux, cette bague au doigt d’un duel reluit, et on veut l’y mettre ! et les républicains de cet âge de raison ne sont ni assez conséquents ni assez virils pour se passer de ce bijou-là !
IV
Et, s’il en est ainsi, l’auteur du Nouveau Code du Duel a eu raison de ne voir dans le duel qu’un fait historique qui défie toute législation et qui a vaincu les plus puissantes. Or, ce n’est pas à présent, quand les pouvoirs publics perdent de leur autorité et en sacrifient chaque jour davantage, ce n’est pas quand le droit criminel, si sévère autrefois, est presque devenu, à force de s’adoucir, le droit au crime, quand des législateurs collectifs ont remplacé par l’irresponsabilité du nombre la responsabilité du législateur unitaire, qu’on peut espérer contre le duel la loi efficace qui, en France, a toujours manqué. Serait-il même possible de prévoir l’espèce de loi qu’ils décréteraient contre le duel, pour rester modernes et républicains, dans ce temps si béatement humanitaire et si pourri d’indulgence, qui a aboli la confiscation comme trop dure, et qui va peut-être demain abolir la peine de mort contre les assassins ?… Aux époques, lointaines déjà, où le point d’honneur était tout et l’emportait sur tout, des penseurs qui se préoccupaient du duel, comme Verger de Saint-Thomas, inventaient contre le duel, pour le supprimer, des pénalités qu’ils infligeaient au sentiment de l’honneur même. Il y en eut, par exemple, qui proposèrent de faire souffleter l’homme qui s’était battu par la main du bourreau. Mais l’opinion et les mœurs, dans ce temps-là, auraient effacé l’infamie du soufflet et de la main qui l’aurait donné, et on l’eût porté sur sa joue comme une glorieuse balafre. Mais à une époque où le point d’honneur, qui s’obstine, a perdu néanmoins du rayonnement qu’il avait autrefois, et où l’argent, par exemple, cet instrument de toutes les jouissances et de toutes les corruptions, est plus fort que lui et règne en maître, l’amende peut-être, mais l’amende dans des proportions énormes et ruineuses, — car si elles n’étaient pas énormes l’amende ajouterait la vanité du luxe à la vanité du duel, — pourrait avoir l’efficacité si difficile à trouver et que la confiscation n’eut pas, dans un temps où l’exaltation du point d’honneur dominait toutes les autres considérations de la vie Seulement, qu’on y prenne garde ! précisément en raison de l’importance sacrée de l’argent dans nos mœurs actuelles, avides et dépensières, les législateurs, qui sentent le bonheur d’en avoir et qui ont si peur des peines sévères, oseraient-ils jamais se servir de la seule peine laissée maintenant au législateur pour réprimer et pour punir ?… L’auteur du Nouveau Code du Duel a-t-il bien agité ces questions au fond de lui-même avant de le rédiger ? S’est-il bien rendu compte des difficultés inouïes qui cernent le problème du duel ?… Il ne le dit pas ; mais c’est bien probable Aussi, démantelé de tout ce qui faisait la force des législateurs du passé, appartenant, hélas ! à une époque irréligieuse qui ne s’appuie plus sur l’autorité de l’Église, laquelle est péremptoire comme la vérité et a condamné le duel, sans rémission et sans fléchissement, par la voix de son concile de Trente, il a, lui, abandonné comme impossible la suppression du duel, et s’est réfugié dans l’empirisme consolateur de ceux qui voient que l’absolu, en tout, n’appartient qu’à Dieu !
Il n’a donc été qu’un empirique, mais avec les qualités d’observation des empiriques qui savent leur métier. Son Code du Duel est de la médecine expectante appliquée à ce mal du duel qu’il ne pense pas à guérir, mais à diminuer. Ce mal, qu’il étudie, d’ailleurs, n’est pas particulier à la France, et il en donne la nosographie partout où il existe, en Angleterre, en Belgique, en Autriche-Hongrie, en Italie, en Prusse, en Russie, et même en Amérique, où les Européens, dont elle est la fille, l’ont porté. Le remède que l’auteur du Code nouveau emploie contre ce mal du duel, qu’il étudie dans ses développements historiques et dans son état actuel, est aussi général que le mal lui-même. Le livre de Verger de Saint-Thomas, qui n’a point visé à l’extraction du duel, n’est que l’effort courageux d’un excellent esprit pour atténuer les férocités de cette coutume qui fut souvent féroce, et pour diminuer la fatalité des conséquences qu’elle peut avoir. C’est enfin, comme le code du comte de Châteauvillars, dont il invoque parfois l’autorité, un essai de moralisation par une organisation supérieure de cette institution primitivement barbare du duel, qu’il s’agit, pour l’honneur de la civilisation, de civiliser. Toutes les questions relatives au duel et qui le constituent : l’offense, l’appel, la nature des armes, les témoins et leurs devoirs, les différentes espèces de duels, les duels ordinaires et exceptionnels, sont examinées et discutées dans ce livre avec une compétence profonde.
L’idée, du reste, qui plane au-dessus du livre tient dans l’épigraphe d’un des plus importants chapitres. C’est un de ces aperçus, frappés comme une médaille par ce moraliste aigu et mordant d’Alphonse Karr, qui en a gravé ainsi quelques-uns, jetés par lui dans la circulation et qui ne doivent plus jamais en sortir. « Ce ne sont pas les épées et les balles qui tuent, ce sont les témoins. »
Cette phrase à la Montesquieu résume, en effet, tout le livre du comte de Saint-Thomas, et donne l’esprit des lois qu’il a écrites dans son Code du Duel. Verger de Saint-Thomas, qui n’est pas Louis XIV pour imposer sa législation, a ramassé en pièces l’idée de Louis XIV et l’a appliquée, comme il a pu, à une société qui n’a plus les hiérarchies sociales du temps de Louis XIV, et qui est nivelée et rongée par l’égalité et l’individualisme modernes. Il a cherché à reconstituer, avec les témoins de nos duels, le tribunal d’honneur que Louis XIV avait constitué avec les maréchaux de France… Certes ! on tombe rudement de haut, quand on tombe de ces maréchaux et de la fonction dont ils étaient investis par le Roi à l’intervention, sans caractère public et obscurément paternelle, de témoins choisis par les combattants qui se fient à eux ; mais, il faut bien le dire, c’est encore le meilleur moyen de moraliser le duel et d’en prévenir les conséquences désastreuses… Pour mon compte, à moi, j’aime à voir refaire la seule législation qui soit possible sur le duel au xixe siècle, libéral et républicain, avec les miettes de la législation brisée de ce despote de Louis XIV, comme on fait une petite maison avec les débris d’un palais… Mirabeau disait un jour, à propos d’un duel qu’il avait refusé : « J’ai refusé mieux ! » Mais ici, en matière de législation sur le duel, il n’y a pas mieux.