Le Brun-Pindare.
Ce poète original et incomplet n’est pas indigne d’un souvenir. Le temps et l’éloignement, en éteignant les préventions, affaiblissent malheureusement aussi l’intérêt qui s’attachait à de pures questions littéraires : cet intérêt pourtant peut se retrouver, et plus durable, dans toute étude vraie qui pénètre jusqu’à l’homme. Il y a vingt-cinq ans, lorsqu’une école lyrique nouvelle s’annonçait en France avec éclat, Le Brun pouvait être étudié comme un précurseur18 : aujourd’hui que cette école lyrique a fourni sa course, et qu’elle a plus ou moins donné tout ce qu’on en pouvait attendre, Le Brun ne se présente plus que comme un mort qu’il s’agit de bien ressaisir en lui-même, sans préoccupation du présent et en toute impartialité.
À ceux qui douteraient de son talent, il suffit, ce me semble▶, de voir son buste pour comprendre à l’instant qu’une pareille tête ne saurait se joindre avec l’idée de facultés vulgaires. Il a du poète mieux que le masque : sa physionomie est frappante, particulière et caractérisée. Long, maigre, décharné même, il a le front sévère et beau, l’arc et la voûte du sourcil faits pour être le siège d’une pensée, le nez long, fin et mince, la lèvre mince également, et qui ◀semble▶ n’attendre que l’instant de décocher le trait cruel. Le menton est avancé et anguleux. Toutes les lignes de cette remarquable figure sont sèches, mais nettes et fermes. Quand on a peu lu Le Brun, et qu’on a simplement entendu parler de lui, puis quand on voit son buste, on accorde sans difficulté que c’était et que ce devait être un poète. Il reste à savoir de quelle manière il l’a été.
Ponce-Denis Escouchard Le Brun naquit à Paris le 11 août 1729 à l’hôtel de Conti
(aujourd’hui l’hôtel de la Monnaie). Il était fils d’un homme « qui était
enfin parvenu à être valet de chambre du prince de Conti »
. Sa
famille appartenait au petit commerce de Paris et se composait d’honnêtes
marchands. Il étudia au collège Mazarin, tout proche l’hôtel de Conti ; il y fit
de brillantes études, et s’annonça, de bonne heure, par son goût pour les vers
français. On en a de lui dès ce temps-là. Il fit une pièce en 1749, à vingt ans,
pour être lue à la distribution des prix. Camarade du jeune Racine, qui était
petit-fils du grand poète, il reçut les conseils de Louis Racine, auteur du
poème de La Religion, et il apprit à se rattacher à la
tradition poétique du xviie
siècle plus
directement qu’on n’avait coutume de le faire de son temps. Les premières odes
de Le Brun sont consacrées à ce jeune ami Racine, qui avait quitté la
littérature pour le commerce ; et qui bientôt périt à Lisbonne dans le
tremblement de terre de 1755. Ce dernier événement inspira Le Brun, qui, à
vingt-six ans, prit place parmi les lyriques. Il fit deux odes à cette occasion,
et une particulièrement Sur les causes physiques des tremblements
de terre. Il s’y annonçait comme un émule de Lucrèce, et il aspirait à
être un peintre de la nature. Jeune, il méditait sur ce sujet
un grand poème,
dont on n’a que des fragments.
Le Brun, de son vivant, ne recueillit point ses œuvres ; il ne publia jamais ses
odes et poésies qu’en feuilles détachées. Celles qui le firent le plus connaître
dans la première partie de sa vie furent les pièces qu’il adressa à Voltaire et
à Buffon.
Le Brun, nommé secrétaire des commandements du prince de Conti et marié depuis un an, rencontra en 1760 une nièce de Corneille, réduite à la misère : on peut dire qu’il la découvrit, puisque ce fut lui qui la signala à Voltaire, et qui commença tout cet éclat dont on a vu les suites, et d’où sortit le Commentaire sur Corneille. Le Brun, qui avait dans le talent des côtés grandioses, et de qui l’instinct lyrique cherchait partout autour de lui des sujets, saisit avidement celui qui lui permettait d’évoquer l’Ombre de Corneille, et de la mettre en face de Voltaire. Il le fit dans des strophes inégales, mais senties, animées d’un souffle généreux et d’une assez belle emphase. Voltaire, ainsi interpellé, tressaillit et vibra : il appela sans retard auprès de lui la nièce de Corneille, et Le Brun resta, dans l’opinion, le médiateur honorable et comme le parrain qui avait amené cette adoption.
Dès lors, toutefois, des circonstances fâcheuses se mêlèrent à cette action
digne, et vinrent trahir les côtés faibles du caractère de Le Brun. Il avait
fait imprimer son ode (1760), en y joignant ses lettres à Voltaire et la
réponse. Fréron, dans L’Année littéraire, ne manqua pas cette
occasion de critique ; il y raillait l’enthousiasme lyrique du jeune poète,
méconnaissait les beautés réelles de son ode, et disait en propres termes :
« Il m’est passé bien des odes par les mains ; je n’en ai point
encore lu d’aussi mauvaise que celle de M. Le Brun. »
Il finissait
par le renvoyer comme un écolier à un cours de langue française, en lui
indiquant l’adresse du professeur. Quant à ce qui était de Voltaire et de son
entourage :
« Il faut avouer, concluait
Fréron, qu’en sortant du couvent, Mlle Corneille va
tomber en de bonnes mains. »
Je laisse de côté la colère de Voltaire
sur ce propos qu’il jugeait digne du carcan ; mais celle de
Le Brun ne fut pas moindre. Il conçut à l’instant l’idée de plusieurs pamphlets
ou diatribes pour les opposer aux feuilles de Fréron (La Wasprie,
L’Âne littéraire) ; il les écrivit ou les fit écrire par son frère, et
s’occupa de les répandre partout pour démonétiser l’adversaire : « Ne
serait-il pas heureux, écrivait-il à Voltaire, de venger à la fois le bon
goût qu’il offense, et de réduire ce coquin à la mendicité, en attendant
qu’il aille aux galères ? »
Le Brun, dans ces divers petits écrits,
en revenait toujours à justifier et à venger son ode des critiques injustes ;
mais il y marquait un ressentiment outré, et il s’attira de Voltaire lui-même,
si bon juge dès qu’il s’agissait d’un autre, cette leçon de tactique et de
goût :
Il y a des choses bien bonnes et bien vraies dans les trois brochures que j’ai reçues. J’aurais peut-être voulu qu’on y marquât moins un intérêt personnel. Le grand art de cette guerre est de ne paraître jamais défendre son terrain, et de ravager seulement celui de son ennemi, de l’accabler gaiement.
C’est cette gaieté qui manqua toujours aux critiques de Le Brun ; il y est amer, âcre, envenimé et aisément cruel19.
Voilà donc un lyrique, un auteur d’odes, et avide d’inspirations élevées, qui, dès le premier pas, se détourne de sa voie parce qu’il a été critiqué un peu vivement. Cette fâcheuse disposition de Le Brun sera son perpétuel échec, et elle finira par donner le change à son ambition, tellement que celui qui aspirait au rôle d’un Pindare et d’un chantre auguste des grandes pensées publiques ne sera, en définitive, qu’un épigrammatiste excellent.
Disons tout, et reconnaissons les difficultés de divers genres contre lesquelles il eut à lutter. Qu’est-ce que l’ode, à la considérer dans toute son élévation ? C’est un chant destiné à traduire et à exprimer l’ivresse publique, la gloire des vainqueurs, la pompe des noces solennelles ou le deuil des grandes funérailles, quelque sentiment général qui transporte à un moment une nation. Toute ode est, de sa nature, destinée à être chantée. Telles étaient essentiellement celles de Pindare, la couronne et la gloire des Jeux de la Grèce. L’ode, dans Horace, a déjà perdu de ce caractère primordial : quelques-unes de celles où il célèbre les grandes choses romaines ont pu être chantées en effet, mais la plupart n’étaient que des odes de cabinet, et ce charmant Horace, le modèle et le trésor des esprits cultivés, n’est lui-même qu’un lyrique déjà éclectique. Chez les modernes, au Moyen Âge, il y eut un genre lyrique vrai, naturel et vivant. Les troubadours du Midi sortaient chaque année avec le printemps, et faisaient leur tournée dans les châteaux, accompagnés de quelques jongleurs ou musiciens qui les aidaient à mettre en action leur gai savoir. Hors de là, dans l’ordre religieux, l’Église eut aussi ses belles odes sacrées, ses proses : qu’est-ce que le Dies irae, sinon une ode terrible et sublime ? Mais après la Renaissance, et quand on se remit à faire des odes à l’instar des anciens, on tomba dans l’artificiel, Ronsard en tête. Après lui, Malherbe lui-même, tout le premier, n’y put échapper. Quand Racine, dans Esther, nous fait entendre ses chœurs mélodieux, si bien placés dans la bouche des filles de Saint-Cyr, il retrouve un lyrique vrai, naturel, motivé. Mais quand Jean-Baptiste Rousseau s’échauffe dans son ode au comte Du Luc, ou sur une naissance ou sur une mort de prince du sang, il a beau produire quelques tons brillants et harmonieux, le vide des idées et des sentiments se fait aussitôt sentir ; le factice du genre apparaît ; cet auteur qui, de propos délibéré, entre en délire, trouve des lecteurs froids, et il les laisse froids. Là est l’écueil de l’ode moderne. Le Brun le sentait bien ; il aurait voulu associer le public à son inspiration et renouer à quelque degré la chaîne électrique des anciens. Lorsqu’il envoya un exemplaire de son ode au grand tragédien Le Kain, il lui disait :
Quelle sensation n’eût point faite cette ode où parle l’Ombre de Corneille, si vous l’eussiez lue sur le théâtre après Cinna ou Les Horaces ! Cet usage de lire en public et sur la scène des ouvrages nouveaux existait chez les Grecs et les Latins : c’était une source de gloire et d’émulation ;’ j’ai vu M. de Voltaire regretter qu’il soit aboli.
Ce que je veux conclure de tout ceci, c’est que, pour être véritablement vivante, une ode politique ou religieuse ne doit être que la voix harmonieuse et vaste de tout un peuple assemblé, qui y reconnaît et y salue son âme, et s’y exalte en l’écoutant : tel était le chœur antique. Or, chez les modernes, à part de très rares circonstances, une telle réunion de sentiments, un tel accord sympathique n’a guère lieu que dans le genre de la chanson, à table et au dessert. Le sublime peut s’y glisser (et on l’a vu), mais seulement à petite dose.
Ce n’était pas le compte de Le Brun, qui, sans dédaigner l’anacréontique, visait plus habituellement au sublime. De là un désaccord qui frappe tous les gens de bon sens. Ce coquin de Fréron n’avait donc pas tout à fait tort lorsqu’il montrait le poète au moment où il avait imaginé d’attendrir, en faveur de la nièce de Corneille, la belle âme de M. de Voltaire :
Comme apparemment, disait-il, on n’émeut bien les poètes que par des vers, M. Le Brun s’est frotté la tête, a dressé ses chevaux, froncé le sourcil, rongé ses doigts, ébranlé par ses cris les solives de son plancher, et, dans un enthousiasme qu’il a pris pour divin, a fait sortir avec effort de son cerveau rebelle une ode de trente-trois strophes seulement, qu’il a envoyée aux Délices.
Il sera toujours difficile de répondre à ce genre de plaisanterie,
et même de n’y pas prendre part, lorsqu’on relit de sang-froid les odes, même
célèbres, des modernes, où il entre tant d’emphase, de grands mots, d’images
fastueuses, eu disproportion avec la réalité, et où il faut, pour se mettre au
ton, imiter tout d’abord, en les récitant, ce qu’on a appelé le mugissement
lyrique. « La poésie est tenue de faire ouvrir de grands yeux »
,
répétait souvent le célèbre lyrique italien Chiabrera, le type des modernes
Pindares. Cela dit, acceptons le genre comme un genre littéraire artificiel, et
voyons-y Le Brun.
Ses plus belles odes, selon moi, sont celles qu’il adresse à Buffon. Il avait de
bonne heure, et par une sorte d’instinct qui l’honore, choisi cet illustre
écrivain pour son grand homme de prédilection et pour l’objet de son culte. Il
avait compris que « de tous les genres de poésie, c’était l’ode sûrement
qui avait le plus droit de lui plaire, parce qu’elle avait plus de rapport
avec l’élévation de ses idées et la hauteur de son style »
. La
solennité du genre devient en quelque sorte une convenance naturelle en
s’appliquant à Buffon. S’agissait-il de célébrer, par exemple, le livre des Époques de la nature, Le Brun avait droit de s’écrier :
Au sein de l’Infini ton âme s’est lancée ;Tu peuplas ses déserts de ta vaste pensée.La Nature, avec toi, fit sept pas éclatants ;Et, de son règne immense embrassant tout l’espace,Ton immortelle audaceA posé sept flambeaux sur la route des Temps.
Dans l’ode où on lit cette belle strophe, Le Brun déplore la
maladie de Buffon, qui avait perdu Mme de Buffon l’année
précédente, et qui avait été lui-même en danger de la suivre. Cette ode se
compose de trois parties, qui forment comme, trois modes différents. Les sept ou
huit premières strophes sont consacrées à peindre le génie dans la profondeur de
ses découvertes et dans la majesté de ses systèmes : « Tel éclatait
Buffon… »
— Puis paraît l’Envie, ameutant les puissances odieuses,
et elles essayent de ravir ce favori et ce peintre auguste de la nature à
l’honneur de ses immortels travaux. Dans la troisième partie, l’Ombre de Mme de Buffon, morte à la fleur de l’âge et de la beauté,
nous est représentée s’adressant à la Parque pour la fléchir, et obtenant la
guérison de son époux. Buffon, en entendant réciter cette ode, se surprit à
verser des pleurs ; et il s’y mêle, en effet, une impression touchante à travers
la machine lyrique et la magniloquence du ton.
Une autre ode de Le Brun à Buffon, fort belle, est celle où il l’exhorte à mépriser l’envie et à poursuivre sa carrière sans s’arrêter aux détracteurs. Il respire dans cette pièce un profond sentiment de la justice que la postérité accorde aux œuvres durables et aux monuments élevés avec lenteur :
Flatté de plaire aux goûts volages,L’Esprit est le dieu des instants.Le Génie est le dieu des âges :Lui seul embrasse tous les temps.
Le Brun ne perd aucune occasion d’exprimer son dédain suprême pour
le jargon des petits vers de société, si en vogue à son moment, « ces
petits vers
mièvres et délicieux dont on
surcharge les sophas jonquille »
. Il vise lui-même à remplir
quelques-unes de ces conditions difficiles qu’il impose au génie ; il sait
qu’une muse n’atteindra jamais aux beautés sévères, « si elle n’a point
le courage d’acquérir dans le silence littéraire cette mâle vigueur que ne
sauraient énerver ni le bon ton ni la bonne
compagnie :
Ceux dont le présent est l’idoleNe laissent point de souvenir :Dans un succès vain et frivoleIls ont usé leur avenir.Amants des roses passagères,Ils ont les grâces mensongèresEt le sort des rapides fleurs :Leur plus long règne est d’une aurore ;Mais le Temps rajeunit encoreL’antique laurier des neuf sœurs.
Il est fâcheux que ces neuf sœurs viennent là finalement affaiblir d’une locution usée une pensée si ferme. — Après Buffon, celui que Le Brun admirait le plus dans son siècle, c’était Montesquieu : il l’a rangé quelque part avec Bossuet au premier rang des génies lyriques, si tous deux avaient voulu l’être. Peignant l’Envie s’attaquant à Montesquieu vivant, il ajoute :
Mais quand la Parque inexorableFrappa cet homme irréparable,Nos regrets en firent un dieu.
Cet homme irréparable ! c’est une de ces
expressions neuves, de ces alliances hardiment heureuses, comme Le Brun les
cherche toujours et les rencontre quelquefois. C’est ainsi qu’il a dit encore
des « âmes de gloire effrénées »
, des « navires
effrénés »
, et tant d’autres expressions qui lui ont été reprochées
si souvent. Mais ici, en parlant de Montesquieu, il est à la fois dans le vrai
de la
poésie et de la langue. Il dira dans la même
ode, et toujours dans le même sentiment :
Vivant, nous blessons le grand homme ;Mort, nous tombons à ses genoux :On n’aime que la gloire absente ;La mémoire est reconnaissante,Les yeux sont ingrats et jaloux.
Voilà de beaux vers, surtout les derniers, et qui se gravent
d’eux-mêmes. Le Brun, qui y vise tant, a trop peu de ces mots pleins, faciles et
« amis de la mémoire »
. Honneur pourtant à lui, quoi qu’on
puisse dire bientôt à sa charge, et quoi que nous allions dire nous-même,
honneur au poète pour avoir conçu, en ce siècle de raisonnement et de bel
esprit, à cette époque de cabale et d’enrôlement universel, une telle idée d’une
vocation calme, sereine et recueillie ! Il avait terminé en 1787 cette ode qu’on
imprime d’ordinaire à la fin des siennes, et qu’il appelait son Exegi monumentum. Il s’y promet l’immortalité comme s’il devait
sûrement y atteindre, et il a mérité, ne fût-ce que par ce cri énergique, de n’y
pas demeurer étranger. Il sentait, du reste, tout ce qu’il y avait de discordant
dans un tel lieu rapproché des circonstances où il le proférait :
« Comment parler d’avenir, disait-il, à des gens que le présent
dévore ? »
Quand on n’a lu que ces quelques strophes de Le Brun, on s’explique peu la stérilité générale de son œuvre, l’avortement de tant de hauts desseins, et on a besoin d’en chercher les raisons autre part encore que dans son talent. Osons toucher et sonder ses plaies : elles sont dans sa vie et dans son caractère.
Il s’était marié, ai-je dit, en septembre 1759, avec une femme d’esprit (Marie-Anne de Surcourt), qu’il a célébrée dans ses élégies sous le nom de Fanny. Il avait alors trente ans. Mais une année à peine s’était écoulée, que les procédés de Le Brun envers sa femme dénotèrent des défauts et même des vices de nature, dont toute sa destinée s’est ressentie. Nous avons les détails de son intérieur, et quel intérieur !
Né avec un caractère violent, infatué de son propre mérite, il comptait pour rien tout ce que sa femme faisait pour lui : c’était une dette dont il recevait le paiement sans reconnaissance ; et, à la plus légère contradiction, il s’irritait comme d’un attentat à son autorité. Alors le mépris, la fureur, la haine éclataient : les expressions les plus avilissantes sortaient de sa bouche, et presque toujours étaient accompagnées de traitements barbares.
J’extrais ces paroles d’un factum ou Mémoire publié par Mme Le Brun en 1781, dans le procès qu’elle soutenait contre son mari depuis le mois de mars 1774. Accusée elle-même, elle se défend, et mon dessein n’est pas de pénétrer dans les particularités de cette triste et vilaine affaire, ni d’y établir les torts de part et d’autre : il me suffira d’en tirer quelques conséquences incontestables.
Ce qu’on ne lit nullement dans les pièces du procès et ce qui a été beaucoup dit dans le temps, c’est que Le Brun avait vendu sa femme au prince de Conti de qui il dépendait. Quand il serait vrai qu’un tel marché honteux eût été conclu, et que le prince eût, dans les premiers temps, acheté ou obtenu de Le Brun le droit du seigneur, toute allusion de la part du mari ou de la femme, dans le procès, devenait impossible à cause de l’inviolabilité du personnage sérénissime. Mais on n’a pas même besoin d’en venir à cette conjecture infamante pour juger Le Brun bien sévèrement ; il ressort du factum et des dépositions des témoins que, quels qu’aient pu être les torts de la femme, ceux du mari furent tels qu’aucun honnête homme, aucun homme bien né ne s’en permettra jamais de semblables, soit en paroles, soit en actes. La grossièreté, l’injure ordurière, les coups, étaient son procédé ordinaire dans le ménage, et ne cessèrent pas durant près de quatorze ans. Ce qui reste presque plaisant, et ce qui ne laisse pas de donner une petite leçon littéraire, c’est que les vers, les petites élégies galantes, s’entremêlaient fort bien aux injures, au moins dans les commencements :
Dans les premiers temps, ses torts ◀semblaient être involontaires. Revenu à lui-même, il affectait toute la vivacité du repentir le plus sincère. Voici des vers qu’il fit en 1760 à la suite d’une scène et pour obtenir son pardon :
À toi.
Si nous versons des pleurs, si de légers nuagesMenacent de troubler nos destins les plus doux,Un Zéphyr enchanteur, apaisant ces orages,Calme aisément des flots qui grondaient sans courroux.Qu’un regard de Misis dissipe tes alarmes,Chère amante ! crois-en Misis à tes genoux, etc.Mais bientôt il dédaigna de jouer un rôle qui coûtait à son amour-propre. Il se livra de nouveau à toutes ses fureurs, et il ne songea plus à les expier par des larmes. Déjà il n’est plus Misis, la dame Le Brun n’est plus Fanny 20.
Notez que Le Brun, dans son Mémoire judiciaire, argumentait de ses vers et de ses chansons pour prouver qu’il rendait sa femme heureuse :
Qu’un enfant des neuf sœurs est facile à tromper !
s’écriait-il ingénument. Je me suis demandé quelquefois, en lisant les Élégies de Le Brun, comment il se peut qu’elles soient si sèches, si dénuées de vraie sensibilité. On comprend maintenant pourquoi : il avait trop logé en lui la haine et l’injure pour laisser place à la tendresse et à l’accent d’une délicate volupté !
Dans ce fatal procès qui rompit la carrière de Le Brun et envenima son âme, une circonstance bien singulière et unique, ce fut de voir sa propre mère et sa propre sœur venir déposer en justice pour sa femme et contre lui. Aussi, rien n’égala la fureur du poète, et il en a consacré l’expression dans une pièce atroce À Némésis, qu’on a placée à la fin du premier livre de ses Élégies. Il y ramasse tous les exemples mythologiques qui peuvent attiser sa colère : Méléagre, victime de son effroyable mère ; le frère de Médée, massacré et mis en lambeaux par sa sœur ; les époux des Danaïdes égorgés par leurs femmes, et il ajoute :
Mais aucun d’eux n’a vu, dans ses derniers abois,Épouse, et mère, et sœur, le frapper à la fois.
Puisqu’il fait appel à l’Antiquité, nous dirons que Le Brun, dans
ces vers odieux, nous rappelle un ancien poète grec, d’un bien vilain nom,
Hipponax, « dont la médisance, dit Bayle, n’épargna pas même ceux à qui
il devait la vie, qui etiam parentes suos
allatravit »
. Ce qu’on a dit de cet affreux Hipponax se trouve
vérifié de nouveau, à la lettre, dans Le Brun.
Ce qui manqua donc à Le Brun pour aider son génie lyrique naturel et pour le
nourrir dignement, nous le voyons, ce fut une vie chaste et pure au sens
poétique, une vie studieuse et recueillie au sein de laquelle il aurait invoqué
dans le silence des nuits, non les Furies, mais les Muses. Un second coup d’un
autre genre qu’il éprouva et qui acheva de rompre ses projets de poèmes et de
longs travaux, fut la banqueroute du prince de Guémené, chez qui il avait placé
sa modique fortune (1783). Il y eut un moment où il se vit réduit à l’exacte
pauvreté : même quand il allait dans le monde, il était vêtu misérablement.
M. de Vaudreuil, homme d’esprit, ambitieux, généreux, et qui aspirait sous
Louis XVI à un rôle de Mécène, ayant rencontré
Le Brun, s’éprit de son talent, comme il avait fait de celui de Chamfort.
Commençant par l’essentiel, il lui envoya délicatement, « sans se faire
connaître, un grand coffre rempli de linge et d’habits »
. Il le
prônait partout ; il lut de ses vers à la reine ; il le poussa auprès de
M. de Calonne. Celui-ci, à son tour, s’enflamma pour le poète, et, au moment où
l’on convoqua l’Assemblée des notables, il lui envoya le plan, non pas d’une
réforme de finances, mais d’une ode ou d’un dithyrambe destiné à célébrer ce
grand moment. Quand on a lu ce plan de poésie ministérielle, adressé
« au poète vertueux que j’admire et que
j’aime »
, c’est-à-dire à Le Brun, on trouve que celui-ci l’a
exécuté presque avec indépendance, bien qu’il n’ait pu s’empêcher de comparer
M. de Calonne à l’aigle :
Le hibou peut-il voir de son regard timideCe que l’aigle et Calonne ont vu d’un œil rapide ?
Mais pouvait-il faire moins pour celui qui le saluait vertueux ? Chose plus étrange ! Le Brun comparait aussi M. de Calonne à Sully, en même temps qu’il comparait Louis XVI à Henri IV :
Digne sang de Henri, puis-je te méconnaître ?Que dis-je ? il vit encore, et Sully va renaître.
N’oubliez pas que, trois mois auparavant, il recevait 2 000 livres de pension du contrôleur général, pour l’encourager dans cette bonne voie.
Cette pièce de vers de Le Brun dégoûta dans le temps par l’indécence de
l’adulation. Il dut s’en justifier, et il le fit par une sorte de madrigal dans
lequel il disait qu’en célébrant Calonne, il avait, « au défaut du
bonheur »
, voulu chanter l’« espérance »
.
C’est vers cette (époque qu’eut lieu chez l’aimable
peintre Mme Lebrun (laquelle n’était nullement parente du
poète) un souper improvisé qui fit bruit, et où tout se passa à la grecque. Le
Voyage du jeune Anacharsis venait de paraître, et le beau
monde raffolait du brouet noir. Mme Lebrun, qui attendait ce
soir-là de fort jolies femmes, imagina de costumer tout son monde à l’antique
pour faire une surprise à M. de Vaudreuil : « Mon atelier, dit-elle,
plein de tout ce qui me servait à draper mes modèles, devait me fournir
assez de vêtements, et le comte de Parois, qui logeait dans ma maison rue de
Cléry, avait une superbe collection de vases étrusques. »
Chaque
jolie femme qui entrait était à l’instant même déshabillée, drapée, coiffée en
Aspasie ou en Hélène. « Le Brun-Pindare entre ; on lui ôte sa poudre, on
défait ses boucles de côté, et je lui ajuste sur la tête, dit Mme Le Brun, une couronne de laurier, avec laquelle je
venais de peindre le jeune prince Henri Lubomirski en Amour de
la Gloire. Le comte de Parois avait justement un grand manteau
pourpre, qui me servit à draper mon poète, dont je fis en un clin d’œil
Pindare, Anacréon. Puis vint le marquis de Cubières, etc. »
Ce
n’était là qu’une fantaisie de femme artiste et l’amusement d’une soirée ; mais
ce qui me frappe, c’est que, dans plus d’une ode de Le Brun, le travestissement
est plus durable et subsiste encore. On sent trop jusque dans son talent cette
parodie sérieuse et guindée de Pindare ou d’Anacréon.
Le Brun n’avait pas moins de soixante ans : la Révolution vint faire subir à son caractère une dernière épreuve, dont il sut moins que personne se tirer avec honneur et avec pureté ; il était en avance et en fonds du côté de la haine. Son talent sans doute, dans ces circonstances publiques enflammées, rencontra quelques vrais accents, et quatre ou cinq strophes de l’ode sur le vaisseau Le Vengeur et sur ce naufrage victorieux sont ce qu’a produit poétiquement de mieux l’époque républicaine ; mais à quel prix ces énergiques élans furent-ils achetés ? Le Brun, comme le peintre David son ami, trempa son pinceau à plaisir dans les couleurs sanglantes et livides. Les strophes les plus exécrables qu’on puisse citer d’alors sont de lui, du chantre et du pensionné de Calonne : et à la fois, oubliant ces gages publics qu’il avait donnés si récemment encore, il se proclamait un républicain de tous les temps ; il prenait son humeur invétérée pour des principes. Il avait fait autrefois un certain vers par lequel il qualifiait un roi
L’insecte usurpateur qu’on nomme Majesté !
Il s’armait de ce méchant vers comme d’une preuve de sa conviction invariable depuis trente ans. Le Brun disait de Louis XVI captif, à la fin de 1792 :
Venez voir, conseillers sinistres,Un roi sans peuple, sans amis !Vous seuls fûtes ses ennemis,Vils courtisans, lâches ministres !
Mais de quels ministres parlait-il donc, encore une fois, lui qui avait comparé Calonne à Sully ? Il disait de Louis XVI au Temple, et en le dévouant à l’échafaud du 21 janvier :
Il pouvait régner sur les cœurs,Ce monarque faible… et parjure !Il prétend régner sur des morts !Vainement la pitié murmure :Le ciel veut plus que des remords.
Il poursuivait Marie-Antoinette en des vers non moins hideux, qu’il faut rappeler à jamais pour le flétrir :
Oh ! que Vienne aux Français fit un présent funeste !Toi qui de la discorde allumas le flambeau,Reine que nous donna la colère céleste,Que la foudre n’a-t-elle embrasé ton berceau !
Combien ce coup heureux eût épargné de crimes !Ivre de notre sang, désastreuse beauté,Femme horrible !……… ………………
Et c’était le même qui, dans des vers adressés à Voltaire lors de son dernier voyage à Paris (1778), avait dit :
Oh ! qu’il te sera doux, aux jeux de Melpomène,De voir Aménaïde en pleursIntéresser à ses douleursLes larmes de ta jeune reine !Les grâces, triomphant sur le trône des lys,Ont ramené les arts à la Cour de Louis.
C’était le même qui, le jour où il avait reçu sa pension de Louis XVI, rimait un remerciement qui finissait par ces deux vers :
Larmes que n’avait pu m’arracher le malheur,Coulez pour la reconnaissance !
C’était le même enfin qui, dans ce fameux Exegi monumentum, parlant de la Seine, s’était écrié d’un ton de prophète :
Mais tant que son onde charméeBaignera l’empire des lys,………………………………Elle entendra ma Lyre encoreD’un roi généreux qui l’honoreChanter les augustes bienfaits !
Honte et dégoût ! De sa même trompette lyrique, en 92, Le Brun demandait, dans une strophe infernale, que les tombes royales de Saint-Denis fussent violées :
Purgeons le sol des patriotes,Par des rois encore infecté :La terre de la LibertéRejette les os des despotes.De ces monstres divinisésQue tous les cercueils soient brisés !…
Mais qu’avons-nous à apprendre à ceux qui ont lu son ancienne invocation À Némésis, et quelle rage pourrait étonner de sa part après l’imprécation contre sa mère ?
J’ai cru devoir étaler la plaie sans réserve. Je ne sais si le talent poétique de Le Brun eût jamais été susceptible de se développer et de grandir en des régions plus heureuses ; mais à coup sûr, par une telle habitude de sentiments et de pensées, il s’en était interdit les moyens ; il avait tari en lui les sources jaillissantes et fécondes. Toute la douceur compatible même avec la puissance avait fui dès longtemps de son âme.
Comme lyrique, il a du souffle, mais aride ; il a l’amour ou plutôt la recherche
des beaux mots, il en a surtout la fatigue et l’abus. De la roideur, de
l’inégalité, de la sécheresse et de la maigreur, nulle grâce ni mollesse, les
rochers plus que les vallons du Parnasse (comme le disait de lui Bernardin de
Saint-Pierre), le voilà dans l’ode. Il n’a pas le détail fertile ni riant aux
yeux de l’esprit. Il manque d’idées. Il n’est pas nombreux avec suite ni d’une
manière soutenue ; ses jets de talent sont isolés et attestent une force
ingrate, à laquelle le ciel ni les parents n’ont jamais souri…
Cui non risere parentes.
Ce jugement général souffrirait quelque exception, si l’on examinait son ode intitulée Le Triomphe de nos paysages, où il y a des peintures assez fraîches, et celle qui a pour titre Mes souvenirs ou les Deux Rives de la Seine, où il a mis quelque sensibilité, mais de cette sensibilité où l’on n’a que soi-même pour objet21.
Le Brun, vieillissant et presque aveugle, avait obtenu du gouvernement un
logement au Louvre en face le pont des Arts, tout à côté du peintre David. Il
contracta, sous le Directoire, un second mariage, ignoble et malheureux, qui le
punit des torts qu’il avait eus dans le premier. Sa servante devint sa femme ;
elle le trompait22 et le maîtrisait. Lorsque le
gouvernement retira aux gens de lettres les logements du Louvre, Le Brun
alla23 se loger au Palais-Royal, maison du café de Foy,
dans les combles. Il réunissait volontiers chez lui quelques gens de lettres,
même quelques femmes sensibles à l’esprit. Sa conversation était toute
littéraire et sur les matières de poésie : l’histoire, la politique l’occupaient
peu, ou, s’il touchait à la politique, c’était uniquement pour en tirer quelque
occasion d’ode ou d’épigramme. Comme tant de poètes vieillissants, il aimait à
parler de lui-même et s’y renfermait. Galant de
tout
temps auprès des femmes, il avait le madrigal24
aussi prompt que l’épigramme. Sa vraie, son incomparable supériorité était dans
ce dernier genre. Il en a trop fait ; mais on tirerait des siennes un choix
varié et excellent. Je n’en citerai aucune après celle que j’ai rappelée l’autre
jour à l’occasion de La Harpe (« Ce petit homme à son petit
compas… »
) : c’est ce qu’on peut appeler la reine des
épigrammes.
Si Le Brun en faisait de bonnes et même de médiocres ou de mauvaises, il en essuyait aussi, et qui n’étaient pas des pires. Dans son duel prolongé avec le poète-grammairien Urbain Domergue ou avec Baour-Lormian, il n’eut pas toujours l’avantage ; il avait appris son secret à ses adversaires. Un jour qu’il avait été tout simplement grossier en disant et redisant sur tous les tons :
Sottise entretient la santé ;Baour s’est toujours bien porté.—Sottise entretient l’embonpoint :Aussi Baour ne maigrit point.
Baour-Lormian ripostait plus gaiement et avec plus d’esprit, cette fois, que de coutumeg :
Le Brun de gloire se nourrit ;Aussi voyez comme il maigrit !
Le Brun, qui s’appelait l’homme des revanches, n’eut pas la sienne ce jour-là25.
Ces jeux d’esprit trouvaient beaucoup de curieux et d’oisifs qui s’en amusaient chaque matin sous le Consulat et sous l’Empire. On se serait cru revenu aux beaux jours de la petite guerre d’épigrammes entre Scarron et Gilles Boileau, et c’était le temps d’Austerlitz ! J’allais oublier de dire que Le Brun s’était tout à fait, et dès le premier jour, rallié à Bonaparte, qui lui avait accordé une grosse pension (6 000 francs). Il a loué le héros, comme il avait loué déjà indifféremment Louis XVI, Calonne, Vergennes, Robespierre1, sans préjudice des petites épigrammes qu’il se passait dans l’intervalle et qui ne comptaient pas.
Le Brun mourut le 2 septembre 1807, à l’âge de soixante-dix-huit ans. Comme
presque tous ses confrères de l’Institut avaient été plus ou moins atteints par
lui, c’était à qui n’irait pas à ses funérailles. Le cardinal Maury fut plus
généreux, et, bien qu’un des plus blessés, il donna le signal de l’oubli des
injures. Pendant que le cortège s’avançait, Andrieux qui en faisait partie
remarquait avec étonnement qu’il était le seul peut-être des membres présents
contre qui Le Brun n’eût pas fait d’épigrammes, et il le disait à son voisin,
quand celui-ci lui repartit aussitôt : « Eh quoi ! vous ne savez pas la
vôtre ?
Sœur Andrieux, contez, contez, entendez-vous ?Si vous ne dormez pas, ma sœur, endormez-nous. »
C’était, cette fois, bien innocent. On ajoute qu’Andrieux, qui voulait faire un discours sur la tombe, garda son cahier en poche ; mais je n’en crois rien26.
Lorsque Ginguené, ami de Le Brun dans tous les temps, se chargea de faire le recueil des Œuvres du poète, il trouva, dit-on, dans les papiers jusqu’à dix épigrammes contre lui-même, et il s’y piqua : ce qui ne l’empêcha point d’accomplir très fidèlement sa mission d’éditeur. Mais il n’eut pas le suprême bon goût de donner une au moins des dix épigrammes.
Une des choses auxquelles il est le plus difficile de s’accoutumer en jugeant les
hommes, c’est de maintenir la part de leurs talents ou de leurs qualités, après
qu’on a reconnu celle de leurs défauts ou de leurs vices. On éprouve une
impression pénible de ce genre à propos de Le Brun. Cette élévation qu’il
n’avait ni dans le cœur ni dans le caractère, il faut bien pourtant reconnaître
qu’elle s’était par moments réfugiée dans son imagination. Il avait de certaines
idées qui pouvaient être vagues ou exagérées, mais qui n’étaient ni petites ni
basses. Dans le seul voyage qu’il fit, il était allé jusqu’à Marseille et y
avait vu la mer : « J’ai donc vu la mer, écrivait-il, ou plutôt je n’ai
fait que la revoir, car mon imagination me l’avait mille fois représentée,
même plus imposante et plus vaste. L’homme a dans sa pensée le
coup d’œil de l’Univers. »
Jusqu’au terme de sa vieillesse,
il conserva une fermeté rare ; la cécité,
quand il en
fut totalement menacé, ne l’affligeait pas, et il en a parlé avec sérénité et
presque avec magnificence dans son ode sur La Vieillesse :
La nuit jalouse et passagèreDont le voile ombrage mes yeux,N’est qu’une éclipse mensongèreD’où l’esprit sort plus radieux.
Il croyait donc au triomphe de l’esprit et à une immortalité, au
moins poétique et terrestre. « Je ne meurs pas, disait-il, je sors du
temps »
. Dans cette absence de tout principe d’honneur et de
dignité, il poursuivait encore avec fierté je ne sais quels fantômes et quelles
idoles qui lui parlaient d’un monde supérieur. C’est par ce seul côté qu’il
subsiste et qu’il mérite aujourd’hui le regard.