Préface de 1853
Les Châtiments, in Œuvres complètes de Victor Hugo. Poésie, tome IV, Paris, Imprimerie nationale, Librairie Ollendorff, 1910, p. 3-4.
Il a été publié, à Bruxelles, une édition tronquée de ce livre, précédée des lignes que voici :
« Le faux serment est un crime.
« Le guet-apens est un crime.
« La séquestration arbitraire est un crime.
« La subornation des fonctionnaires publics est un crime.
« La subornation des juges est un crime.
« Le vol est un crime.
« Le meurtre est un crime.
« Ce sera un des plus douloureux étonnements de l’avenir que, dans de nobles pays qui, au milieu de la prostration de l’Europe, avaient maintenu leur Constitution et semblaient être les derniers et sacrés asiles de la probité et de la liberté, ce sera, disons-nous, l’étonnement de l’avenir que, dans ces pays-là, il ait été fait des lois pour protéger ce que toutes les lois humaines, d’accord avec toutes les lois et divines, ont dans tous les temps appelé crime.
« L’honnêteté universelle proteste contre ces lois protectrices du mal.
« Pourtant, que les patriotes qui défendent la liberté, que les généreux peuples auxquels la force voudrait imposer l’immoralité, ne désespèrent pas ; que, d’un autre côté, les coupables, en apparence tout-puissants, ne se hâtent pas trop de triompher en voyant les pages tronquées de ce livre.
« Quoi que fassent ceux qui règnent chez eux par la violence et hors de chez eux par la menace, quoi que fassent ceux qui se croient les maîtres des peuples et qui ne sont que des tyrans de consciences, l’homme qui lutte pour la justice et la vérité trouvera toujours le moyen d’accomplir son devoir tout entier.
« La toute-puissance du mal n’a jamais abouti qu’à des efforts inutiles. La pensée échappe toujours à qui tente de l’étouffer. Elle se fait insaisissable à la compression ; elle se réfugie d’une forme dans l’autre. Le flambeau rayonne ; si on l’éteint, si on l’engloutit dans les ténèbres, le flambeau devient une voix, et l’on ne fait pas la nuit sur la parole ; si l’on met un bâillon à la bouche qui parle, la parole se change en lumière, et l’on ne bâillonne pas la lumière.
« Rien ne dompte la conscience de l’homme, car la conscience de l’homme, c’est la pensée de Dieu.
« V. H. »
Les quelques lignes qu’on vient de lire, préface d’un livre mutilé, contenaient l’engagement de publier le livre complet. Cet engagement, nous le tenons aujourd’hui.