Préface de la seconde édition
Le bon accueil fait à la première édition de cet ouvrage, depuis longtemps épuisée, me permettait de croire qu’une seconde était nécessaire. J’hésitais pourtant à la donner. Je redoutais mon goût de plus en plus sévère, et le travail de la correction, si menaçant pour qui craint d’avoir plus à refaire qu’à corriger. L’invitation de mes honorables éditeurs, derrière lesquels j’ai cru voir le public, a vaincu mes scrupules. Ce travail, commencé avec appréhension, a été plus facile et plus court que je ne l’espérais. Il m’a semblé que pour le fond des choses, je n’avais rien à regretter ni à changer. La pensée première de ce livre n’est pas une vue particulière : c’est ma foi aux grandes traditions classiques alors que sa ferveur était pure de toute arrière-pensée offensive, et que je songeais plus à en jouir qu’à la défendre. Rien n’est survenu depuis qui fût de nature à l’ébranler, et j’y persévère, comme en ce qui fait à la fois la règle et la joie de mon esprit.
L’autorité de critiques éminents a pu me faire douter que j’eusse le talent de la rendre communicative ; ils ne m’ont pas fait douter de ma foi elle-même. Qu’il me soit permis d’ajouter que je ne crois pas avoir fait tort à la littérature de mon pays, en l’admirant comme l’héritière des deux littératures universelles, et en lui reconnaissant pour trait distinctif, pour titre d’hoirie, la supériorité de la raison.
Je donne donc de nouveau ces trois volumes, tels qu’on les a lus dans la première édition. Les seuls changements que j’y ai faits sont quelques phrases raccourcies et rendues plus claires, quelques mots disant mieux les choses, ou plutôt les disant comme elles sont ; car il n’y a pas de mieux en fait de mots, il y a où il n’y a pas le mot qui dit la chose. Le désir du mieux, quand il ne mène pas tout simplement au bien, n’est que la tentation de se laisser aller à ce que les peintres appellent empâter les couleurs, ce qui est proprement charger de fard un visage où l’on n’a pas su mettre la vie. C’est le piège des éditions revues et corrigées. J’ai tâché de n’y pas tomber.
Un quatrième volume, consacré au dix-huitième siècle, suivra de près cette réimpression et terminera mon travail. Plusieurs causes l’ont retardé. Peut-être aurai-je à les faire connaître à ceux qui ont bien voulu témoigner quelque impatience d’avoir l’ouvrage complet. Je puis leur dire, dès à présent, que la principale a été le désir de me rendre digne de cette impatience, en ne la trompant pas.