Amédée Pommier
I
Je voudrais pouvoir tenir droite et ferme la plume avec laquelle je vais écrire et faire simplement ici de la critique littéraire sur les œuvres et le talent d’un homme le plus digne d’inspirer la Critique et de s’en faire respecter. Cet homme, qui fut mon ami, c’est Amédée Pommier. La Critique de son temps n’a pas toujours été pour lui ce qu’elle aurait dû être, et les raisons de cette injustice, je les dirai. Il en avait pris noblement son parti, mais ce qui était noble à lui, ce ne le serait pas, à moi, de l’oublier.
II
Amédée Pommier est du commencement de ce siècle. Il fut, au collège, le contemporain d’hommes qui ont marqué plus tard dans des directions différentes : Sainte-Beuve, Lerminier, Edelestand du Méril, Charma, etc., et qui arrivèrent tous à la vie de la publicité vers 1830. Il y arriva comme eux, robuste, armé, prêt à tout, se distinguant comme un des premiers et des plus solides de cette Légion de romantiques qu’on pourrait appeler : « les forts en Israël », et dont il ne restait plus guères, quand il mourut, que Victor Hugo, lequel nous semblait▶ — comme le Louis XIV qu’il haïssait certainement, mais qu’il n’eut peut-être pas été fâché de rappeler — devoir fermer probablement le cortège de son siècle. Amédée Pommier fut lié de bonne heure avec Victor Hugo, et il le fut tard ; car cette âme profonde et fidèle ne se détachait pas. On le voyait encore aux soirées de ce démocrate aux airs de roi, qui eut sa cour, et qui, s’il crut à l’égalité civile et politique, ne crut pas, du moins, plus que nous, à l’égalité littéraire ! Amédée Pommier, moins âgé que Hugo, aimait à se dire un des grenadiers de sa vieille garde.
C’était modeste. Il était plus qu’un simple grenadier, ou s’il en était un, c’était La Tour d’Auvergne. Il avait, en effet, poétiquement, les qualités militaires du grenadier. Il en avait la force, la bravoure, la crânerie (il a fait un livre intitulé : Crâneries de tête et de cœur), et son vers, éclatant et dru, était la grenade qui portait la mort dans le rang· Je dis bien, en disant la mort, car il était un satyrique Il l’était de tempérament et de vocation.
C’est, sauf erreur, par de la satire qu’il débuta, dans un moment où, excepté Barthélemy et Barbier, tous les poètes étaient emportés par le lyrisme contemporain. C’est à Barthélemy et à Barbier que se raccorde donc mieux qu’à personne le talent ferme de l’auteur du Livre de sang. Il est vrai que sa satire n’eut pas toujours cette portée historique restreinte et terrible. Elle tira à cible plus large. Elle fut, en somme, bien plus morale que politique. Mais les parentés de talent entre lui et l’auteur des Iambes et celui de la Némésis sont évidentes ; ce sont les chênes tordus et noueux de la même forêt. Ce qu’il y a de commun entre eux, c’est la force, — la force, bien plus que la couleur. — Barbier et Barthélemy sont supérieurs comme coloristes. Barthélemy, ce Phocéen, a l’éclat lumineux de sa mère méditerranéenne ; Barbier, l’insurgé des Iambes, jailli de dessous les pavés de 1830, est une flamme rouge qui s’est assombrie et qui est devenue noire dans le Pianto. Mais sous leur couleur, Barbier et Barthélemy sont nerveux et musclés comme les Esclaves de Michel-Ange. Eh bien, c’est ce muscle qu’Amédée Pommier a comme eux, et encore il l’a développé par la lutte avec les difficultés de la langue et du rythme, que personne n’a vaincues comme lui. Rappelez-vous L’Enfer, et Paris, et Les Colifichets 7. Seulement, Barthélemy et Barbier, ces Archiloques, sont des Tristes, des Violents, des Amers, et par ce côté-là ils sont plus romantiques que Pommier, qui, en revanche, mêle souvent à la vigueur de sa satire la vis comica de l’esprit gaulois.
Et, en effet, ces poètes, cette constellation de la Lyre de 1830, n’ont point le rire qu’avait le noir Shakespeare dans sa noire Angleterre, ni le rire autochtone de chez nous, fils de Rabelais, fils de Régnier, fils de Molière, fils de Voltaire, et même fils de Boileau, le raisonnable, qui ne riait pas aux éclats, mais qui riait. Victor Hugo ne l’a point, ce rire, qu’il veut avoir, pourtant, comme il veut avoir tout, mais qui lui manque comme la naïveté, cette indigence de son génie. De Vigny est un exquis pâle. Lamartine, un sentimental souvent faux, à travers quelques inspirations d’une passion sublime. Alfred de Musset, lui, n’a que le sourire, mais ce sourire-là est divin ! Seul, Amédée Pommier, de la même époque et de la même pléiade et qu’on peut citer après eux, a le rire encore plus que l’indignation, qu’il a tant ! C’est un Barbier rieur, du temps où le Barbier qui ne riait pas se forcenait dans ses Iambes ou dans son Pianto. C’est le rire qui est certainement la meilleure caractéristique du génie d’Amédée Pommier. Cet exaspéré, qui possédait le bon sens des grands Satiriques, le bon sens des Juvénal, des Régnier, des Agrippa d’Aubigné et dès Gilbert, l’a, comme eux, sous la forme la plus vibrante du verbe, et il y ajoute la vibration du rire, cet autre verbe qu’on entend plus fort que les mots ! Le poème de Paris est, tout le temps qu’il dure, un long rire éclatant ou étouffé avec toutes les nuances que le rire peut avoir, effrayant par places, comique à d’autres, burlesque, cordial et bonhomme. Il y a, en effet, de la bonhomie, comme il y a aussi de la gaminerie, dans le talent de Pommier. Il va du bonhomme au gamin, toujours par le chemin du rire, mais, chez lui, le bonhomme n’est jamais Prudhomme, et quand il est chauvin, car il se permet d’être chauvin, parfois, dans son poème, c’est un chauvin grandiose, — et un gamin grandiose aussi, un Gavroche monumental ! Et d’avoir sublimé ces deux types, de les avoir reproduits avec la grandeur de sa touche, parce qu’il les sentait profonds en lui, serait assez comme cela pour sa gloire de poète, n’y aurait-il pas autre chose dans ce fourmillant poème de Paris, qui n’a rien oublié de Paris.
Lui, ce grenadier de Hugo, est bien plus gaulois que son chef. Il est, je viens de le dire, de la famille française des Rabelais, des Régnier, des Molière, des Boileau, de ces esprits les plus mâles d’entre nous, et par là il se retrouve plus classique que Barthélemy et Barbier. Chose qui prouve l’étendue et la souplesse de ses facultés : foncièrement de nature classique, il n’en fut pas moins un romantique déterminé. Le xviie siècle et le xixe se rejoignaient en lui et s’y étreignaient pour faire un poète d’ordre composite, très rare et très équilibré, et dans lequel on ne savait qui, des deux génies de ces deux siècles, dominait le plus.
Et voilà ce qui fait sa personnalité poétique. C’est par le classique traditionnel de son fond et par l’accent et le tour particuliers à la race des esprits dont il descend, autant que par l’audace romantique de sa forme, aussi travaillée que celle des plus rudes ouvriers en rythme de 1830, qu’il frappa d’abord l’attention et obtint des succès divers, qui étonneraient par leur diversité si l’on ne se rendait pas compte de la double tendance qui vivait en lui. Par un écart plein de puissance, il allait de Boileau à Théophile Gautier ; classique et romantique à la fois ! C’est le classique raffiné (ne vous y trompez pas !), c’est l’esprit gaulois, c’est l’homme de la vis comica capable de tourner le large vers de Molière, que Balzac, le grand Balzac, qui filait alors dans son cocon la chrysalide de sa gloire, voulut un jour embaucher et s’associer pour le Théâtre. Ils devaient faire ensemble une comédie.
Cette comédie s’appelait Monsieur Orgon, et c’était Pommier qui devait y faire claquer le fouet du vers… C’est le classique encore, qui, dès sa jeunesse, avait, comme en se jouant, remporté plusieurs prix à l’Académie· Mais le romantique, qui n’a jamais défailli en Pommier, les eût bientôt méprisés. Certes ! Amédée Pommier, ce redoutable classique, bâti par l’instinct et l’étude pour tous les travaux d’Académie, aurait pu aisément, s’il l’avait voulu, se constituer, comme La Harpe, une rente perpétuelle de ces prix, qu’il eût relevés par son talent de l’abaissement dans lequel ils sont depuis longtemps tombés ; car ils sont tombés jusque dans des jupes !! Mais l’Académie était devenue promptement pour lui un anachronisme d’institution, sans signification et sans portée, et ce n’est pas lui qui eût jamais, comme, hélas ! bien d’autres, et en particulier ce Hugo, qu’il appelait « son empereur », amené bassement le pavillon romantique devant l’Académie, cette carcasse pourrie de vaisseau vide. Je l’ai dit, il s’appelait : « la vieille garde », et il ne mentait pas. Et il est mort sans s’être plus rendu qu’elle !
III
Fier et franc esprit s’il en fût jamais, artiste de lettres de la plus pure indépendance ! Dans un temps où la gloire n’était pas difficile et où Victor Cousin disait : « On a trois ou quatre amis. On les prie de vous faire de la gloire, et tout aussitôt, on en a ! » Pommier manqua de ces quatre amis. Ce poète, qui n’avait dans le rythme de rival que Théophile Gautier, et qui, comme âme poétique et comme inspiration, valait bien davantage, Amédée Pommier, qui n’a jamais su faire de visites pour l’Académie, n’en a jamais su faire non plus à la Critique et n’a demandé dix lignes d’article à personne. Il avait la chasteté du génie, et quand son talent fut oublié, — car il ne fut jamais méconnu ; c’était impossible ! — il eut cette fierté de ne pas se plaindre qui n’est pas la résignation, mais qui est plus belle que la résignation, parce qu’elle est plus douloureuse… Amédée Pommier, que la Revue des Deux-Mondes, cette boutique de publicité, avait accepté pendant quelque temps comme un de ses poètes » quoiqu’il en fût un, tomba dans l’oubli quand d’autres poètes, bien inférieurs à lui, tapageaient. L’attention publique qu’il avait frappée au début, cette attention qui n’est jamais ni profonde ni durable en France, se détourna de l’homme qui, coup sur coup, publiait Les Colifichets, L’Enfer et Paris, trois chefs-d’œuvre qui auraient dû la lui ramener. Mais l’attention publique a la tête petite. C’est une frivole et une étourdie, et quand on ne la prend pas par le chignon et par la nuque pour lui tourner la tête vers un chef-d’œuvre et lui mettre le nez dedans, elle ne le voit pas et ne songe même pas à le regarder. C’est cette main sur la nuque de l’attention publique que n’eût jamais Amédée Pommier, et qu’il ne réclama jamais de ceux qui pouvaient l’y mettre pour lui. Dans ce temps-là, Sainte-Beuve, cette femme de lettres qui passe encore pour un homme aux yeux de cette génération d’eunuques, Sainte-Beuve n’était pas dans l’opinion seulement un critique, mais la Critique elle-même. Il avait été le compagnon de jeunesse de Pommier, et il s’entendait trop bien en littérature pour ne pas dire, en passant, quelques mots flatteurs sur un talent dont la virilité devait être antipathique, à sa faiblesse (les femmes anémiques craignent les hommes vigoureux !), mais ce fut là tout. Sainte-Beuve n’a jamais consacré à l’auteur des Assassins, des Océanides, de L’Enfer, de Paris, une de ces Études qu’il méritait. Sainte-Beuve se dérobait à ce mérite. C’était pour lui une importunité. Il aimait mieux déterrer des cadavres oubliés, ce petit sergent Bertrand de la littérature ! Il aimait mieux, par exemple, exhumer ce mort trente-six fois mort et trente-six fois ridicule d’Abbé de Marolles, que de parler de ce robuste vivant qui s’appelait Amédée Pommier, et qui ne tendit jamais sa noble main à l’aumône d’un article. Si Amédée Pommier, au lieu d’être un artiste en lettres, avait été un intriguant de lettres qui aurait réussi, Sainte-Beuve, ce laquais du succès, qui, disait son ami Béranger, est toujours monté derrière les voitures, n’aurait pas manqué cette ascension derrière le cabriolet de Pommier· Malheureusement, Pommier n’en avait pas, et Sainte-Beuve resta par terre et se tut. Et les lâches moutons de Panurge de la Critique imitèrent tous le silence du bouc qui menait leur troupeau.
Et croyez-vous que ce qui m’irrite l’irritât ? Croyez-vous qu’il en voulût à la Critique de son temps d’une si choquante injustice ? Croyez-vous qu’il eût seulement pour elle le mépris qu’il avait assurément le droit d’avoir ?… Vous vous tromperiez de le croire. Rareté inouïe ! Le proverbial genus irritabile vatum n’existait pas pour Amédée Pommier, pour ce poète encore plus exceptionnel par son âme que par son talent. Jamais il n’y eut dans Pommier ni ressentiment, ni colère. Toute sa vie, ce satyrique, qui avait pourtant à son service l’expression vengeresse, resta stoïque et doux. Ce Gaulois oubliait sa framée… L’Apollon d’Amédée Pommier, qui avait son carquois plein de flèches, ne fit tomber que des rayons sur les jaloux de son talent ou sur les traîtres à sa gloire. Il vanta jusqu’à sa dernière heure ceux-là même qui ne le vantaient pas. L’envie, ce mal de presque tous les hommes, qui est deux fois le mal des poètes, n’approchait point de sa candeur. Il n’était poète que de génie, mais il n’avait pas l’effroyable légèreté des poètes, de ces oiseaux charmants qui chantent et qui s’envolent, et dont le monde, dans un sens plus amer que ne le disait Lamartine :
Ne connaît rien d’eux que leur voix !
Ceux qui vécurent près de lui connurent autre chose. Ils connurent sa profondeur de sentiment dans toutes les affections de sa vie, et, jusque dans ses plus flottantes relations, son incorruptible fidélité. Il chantait, mais ne s’envolait pas !
Il est resté, au contraire, toute sa vie, qui fut longue, à la même place, — et c’est peut-être là que les poètes, ces malheureux inquiets, seraient le mieux, s’ils pouvaient y rester. Il avait, comme l’a dit Jean-Paul, les racines horizontales et verticales qui attachent un homme à la terre. Il avait une femme et une fille que le monde connaît, car il les lui a apprises dans cette poésie, qui fut la dernière qu’il ait écrite, et qu’il consacra, sous le titre de : Quelques vers pour Elle à sa femme, morte depuis à peine quelques mois. C’est, sans nul doute, de vivre entre elles deux, qui lui avait donné cette tranquillité d’âme avec laquelle il avait accepté une destinée littéraire que les hommes de son temps auraient dû lui faire plus brillante. Mais, au bout du compte, il avait ce que n’eût pas Byron avec toute sa gloire et dans toute sa gloire, et dont le regret lui avait fait verser tant de pleurs dans des vers immortels ! Il eut deux cœurs entre lesquels il mit son cœur, et ils vécurent tellement unis qu’un toit plus modeste encore que leur toit, qui était modeste, aurait pu les cacher. Ils se suffisaient, ces trois en un, — cette Trinité, comme l’autre, divine ! Il les aimait et elles l’admiraient, et lui, le poète trompé peut-être dans ses aspirations de renommée, buvait l’admiration dans la coupe de ces deux cœurs, qui en étanchaient, mieux que le monde, la soif infinie. Là, il était à côté ou au-dessus de tout… Là, il travaillait avec cet amour et cette puissance de travail qui n’ont jamais été, l’un refroidi, l’autre découragée. On se rappelle les vers qu’il publia, peu avant sa mort, dans le journal La Liberté, et avec lesquels il recommença le tour de force de Barthélemy, qui publiait chaque semaine un numéro de sa Némésis. Amédée Pommier fit le tour de force, pendant un an, d’un feuilleton hebdomadaire qui était un véritable poème, et jamais personne ne s’aperçut, dans le jet superbe du disque qui eût pesé à la main d’un autre, de la fatigue du discobole !
IV
Dans ces conditions de vie cachée et de paix domestique, que ne pouvait-il faire encore ?… Amédée Pommier était de cette génération d’hommes nés pendant l’Empire, qui ◀semblent avoir gardé sous leur peau un peu de la trempe bronzée des canons du temps. Il était resté actif d’esprit comme un jeune homme. Que de fois je l’ai entendu parler de vingt projets de travaux différents ! entre autres d’une traduction en vers, qui devait être avancée, des Métamorphoses d’Ovide, le seul poète, disait-il, romantique, de l’Antiquité. Hélas ! traductions, projets, travaux ont été interrompus par la mort de sa femme, qu’il prévoyait pourtant. Les trois en un tombèrent à deux· L’heureuse Trinité ne fut plus qu’une dualité douloureuse. Les deux tronçons, restés sur la terre, de celle qui n’était plus, s’étreignirent en vain davantage ; le père et la fille cherchèrent à se consoler l’un l’autre. Mais les consolations attendrissent les blessures et ne les ferment pas. Ce fut alors que le poète de tant de poésies vigoureuses se mit à écrire ces Quelques vers pour Elle, qui ont été ses derniers vers. Ils auraient pu jaillir impétueusement comme des sanglots et des larmes, mais ils ne furent ni une déchirante élégie, ni une ode désespérée et saignante qui jette son sang contre le ciel. Amédée Pommier contint son cœur, et par piété pour la mémoire de sa femme, il s’attendit… il attendit qu’il fût capable d’écrire simplement cette vie à trois dont ils avaient vécu, et, simplement, il l’a écrite. Ces Quelques vers pour Elle n’ont point, à mon sens, d’analogue dans la littérature. La simplicité en est si grande, si étrangement grande, que j’ai entendu dire à plusieurs personnes que ce n’était plus là des vers. Mais quelquefois n’a-t-on pas dit aussi que l’Évangile n’avait pas le style d’une belle prose ?… Cela décontenançait les amateurs. Certes ! s’il faut que des vers aient des ailes pour être des vers, il n’y a point d’ailes à ceux-ci. La Poésie, oiseau mort, s’est aplatie sur le sol et ne chante plus… mais, dans le plus poignant des calmes et avec un gosier déchiré, elle dit, à voix basse, des notes plus touchantes que si elle les chantait. La merveille, c’est que ces notes soient distinctes et pénètrent dans nos âmes comme la pointe aiguë d’un ciseau dans le marbre. Le poète, c’est vrai, est ici moins que l’homme, moins que l’historien, plus puissant que le poète, qui a forcé le poète à regarder dans son cœur et à nous en faire l’écorché.
Et il a été fait ! L’impression de cela ne peut pas s’écrire, et bien des âmes en furent remuées. Mais ce qui rend cette impression encore plus profonde, c’est qu’immédiatement après avoir tracé cet écrit qu’on ne sait trop comment nommer, cette espèce de révélation testamentaire de sa vie, Amédée Pommier soit mort, après l’avoir signée· Cette mort presque subite donne, je trouve, à sa vie, la grandeur d’une destinée. Après avoir dit ce que furent ces deux femmes pour lesquelles il a exclusivement vécu, après avoir levé ces deux empreintes, il ne s’est plus trouvé ni rien à dire, ni rien à faire, et il s’est tu et a croisé les bras dans la mort. Eh bien, je ne peux m’empêcher d’admirer cette fin de poète, d’un poète qui a perdu sa Muse, — la Muse humaine qui ne doit plus le faire chanter ! Et moi, je ne reproche rien à cette œuvre accomplie, si ce n’est pourtant l’absence d’une croix, que j’y voudrais… Il n’y a que les croix qui fassent bien sur les tombes. Amédée Pommier eut les vertus chrétiennes, s’il n’eût pas la foi absolue du chrétien. La croix qu’il avait dans le cœur, il l’a mise ici, mais j’aurais voulu qu’il en mît une autre, — celle-là qui descend du ciel et qui peut nous y faire monter.