Charles Monselet
Poésies complètes.
I
Je ne le connaissais pas encore, — mais ce livre-là me l’a fait connaître !… Je connaissais le Monselet de tout le monde, le Monselet du journal, du théâtre, du café, du restaurant, le Monselet du boulevard et de Paris, le Monselet légendaire, celui qu’on a représenté les ailes au dos, comme Cupidon, parce qu’il a écrit Monsieur de Cupidon, celui-là qu’on a peint en abbé du xviiie siècle, parce qu’il avait dans l’esprit comme dans le menton la voluptueuse rondeur des abbés du xviiie siècle. Je connaissais le Monselet de la gaieté, de la bonne humeur, de la grâce nonchalante, la pierre à feu qu’on peut battre éternellement du briquet pour en tirer d’infatigables étincelles ; je connaissais l’historien de Grimod de la Reynière, — qui est mort sans l’avoir eu à souper, le malheureux ! — l’auteur des Dédaignés, que personne ne dédaigne plus depuis qu’il y a touché et qu’il les a vengés. Je connaissais le Monselet de tant d’autres livres où l’érudition se cache sous l’agrément, ce qui n’est pas ordinairement sa couverture ! Je connaissais enfin le Monselet pimpant, retentissant, grisant, dont on remporte les mots dans sa serviette, quand on dîne avec lui, comme les miettes d’un dessert dont il est la fée. Mais je ne connaissais pas le Monselet intime, — le Monselet du Monselet, — la quintessence de l’essence, et c’est ce livre, intitulé tout uniment et tout simplement : Poésies complètes de Charles Monselet, qui me l’a fait connaître, qui m’a appris l’autre Monselet dont je ne connaissais que la moitié. La moitié, c’est bien gros ! Est-ce donc la moitié qu’il faut dire ?… Quoi qu’il en fût, ce que j’en connaissais n’était pas le meilleur de Monselet. Le meilleur, le voici. Ce n’est pas immense, mais c’est exquis. Cela n’est plus de ces espèces de vins joyeux qu’il a si largement versés et sablés toute sa vie, ce sont les gouttes précieuses d’un Lacryma Christi poétique des plus rares, et qui mérite ce nom mélancolique ; car il verse au cœur moins l’ivresse qu’une divine mélancolie.
Il l’avait, en effet, ce sentiment céleste sans lequel les poètes ne sont pas, et il en était un « Oui ! Monselet, ce gai, ce rieur, ce buveur, ce convive digne de Trimalcion, avait, au milieu de tout cela, dans un pli de son âme, comme une rose morte qui parfume plus étant morte que quand elle vivait, cette fleur coupée, la Mélancolie. Elle a parfumé non pas tous, mais quelques-uns de ses vers, et ces vers-là sont ses vrais vers parmi tous les autres, et ce sont ceux-là qui encharmeront le lecteur d’un recueil qu’il publia sur le tard, comme pour ajouter la tristesse de la vie écoulée à leur tristesse. Quelques vers, tout le passé d’un homme… tout le passé dont il veuille se souvenir. Ils ne sont pas nombreux. Ils tiendraient, dispersés qu’ils furent et ramassés ici, comme ces clous d’or, dont parle Bossuet quelque part, qui tiennent dans le creux de la main. Hélas ! c’est la faute de la vie s’il n’y en a pas davantage. Le pouce cruel de la Réalité appuie souvent sur la gorge du pauvre rouge-gorge qui ne demandait qu’à chanter, et empêche le son de sortir. Cet homme aimable, que tout le monde appelait Monselet tout court dans une chaleureuse et flatteuse sympathie et parce qu’il plaisait à tout le monde, ce nonchalant de mœurs, fait, à ce qu’il semblait▶, pour se chauffer, lazzarone d’esprit, au soleil de tous les printemps et au feu de toutes les cuisines, cette gloire de tout festin et que toute la terre qui sait dîner eut voulu avoir à sa table, hospitalité intéressée ! n’a pas toujours été de près ce qu’il paraissait à distance, à travers ses livres faciles et légers. Il était comme nous tous.
Les attitudes naturelles de son esprit faisaient illusion sur sa vie. Cet homme de joie et de plaisir était, comme nous tous, un forçat de littérature, un homme de travail et de peine. Obligé au labeur de chaque jour, puisqu’il était journaliste, — un de ces Engoulevents de journalistes qui trouvent que le vent n’est pas un souper suffisant si l’on n’y ajoute quelque chose, — il fut l’esclave et la victime de cette publicité qui dévore le temps et ne permet pas de l’employer comme nous le voudrions, dans nos rêves et nos caprices ! Bénédictin du Journalisme, — car le Journalisme a ses bénédictins, qui font des in-folios dont le public ne se doute pas, et qui ont sur les in-folios la supériorité de ne se trouver jamais dans aucune bibliothèque, emportés qu’ils sont par la circonstance et bientôt oubliés comme elle, — ce Bénédictin trompeur, à airs de chanoine, n’a pas eu toujours le temps d’être poète largement, longuement, à pleine coupe, à bouche que veux-tu. Il ne l’a été que par veines rares ; il ne l’a été que par gouttes et par gouttelettes, retrouvées au fond de ce verre étroit qu’il a appelé ses Poésies complètes. Complètes ! une mélancolie encore, comme s’il avait su ne devoir plus jamais, jamais nous en donner…
II
Voulez-vous les déguster avec moi, ces gouttes de poésie qui filtrent et glissent dans ce recueil de vers comme les gouttelettes de rosée sur les fleurs d’un bouquet, — de cette rosée qui vaut mieux que les roses qu’elle baigne ? Ce recueil de vers, fait par un artiste toujours inspiré, n’a pas cependant partout la même valeur poétique, et, je vous en préviens, ce n’est pas de celui qui joue avec son talent et son style et qui, par exemple, a écrit ces fameux : Sonnets gastronomiques, — lesquels ne sont, par parenthèse, que de brillantes et charmantes difficultés vaincues — ce n’est pas de cet artiste que je veux vous parler. C’est du Monselet, de l’ancien Monselet, cela ; c’est trop du Monselet connu ! et ce que j’aime et veux vous montrer, c’est le Monselet nouveau, le Monselet inconnu tendre et chaste, et de cette nuance de mélancolie qui est le velouté de l’âme des poètes et que rien de la vie qu’ils ont menée ne détruit, quand une fois ils l’ont. Roger de Beauvoir, qui mourut de la sienne, l’avait en mourant. Ce soupeur de la Maison-d’Or, qui s’enivrait de son esprit comme on s’enivre de la poudre, et qui le brûlait, comme la poudre, au milieu de toutes les furies et de tous les délires de cet esprit dont il abusait, retrouvait parfois, insensé superbe, même dans l’orgie, tout à coup, ce soupir de flûte que Monselet le viveur a aussi, cette note triste et irrésistible qui est pour moi la note fondamentale du poète… J’ai assisté quelquefois au triomphe de la note divine. C’était à la fin de soupers fous. On n’en pouvait plus ; on pleurait à force de rire. Les éclats de ces rires faisaient danser les vitres, et les chansons déchevelées bondissaient comme des Bacchantes jusqu’à ce plafond qui ◀semblait tourner comme le ciel et contre lequel elles jetaient et brisaient leurs verres. C’était la gaieté déchaînée, et puisée à cette coupe de Circé qui change les hommes en bêtes rugissantes. Eh bien, si la note mélancolique et inattendue se mettait soudainement à vibrer dans quelque couplet de Beauvoir, cette note faisait à l’instant le silence et créait la rêverie. Les femmes qui étaient là, imbéciles de tout excepté de beauté physique, ces femmes qui n’avaient guères plus d’esprit que des pêches et plus de cœur que des ananas, sentaient leurs pulpes traversées. Émues, elles mettaient le front dans leur main, et peut-être qu’une larme furtive tombait dans leur verre… Monselet a cette note comme l’avait Beauvoir, perle qu’il a jetée dans tous les vins qu’il a sablés, depuis l’Αϊ jusqu’à l’Argenteuil, et qui ne s’y est pas dissoute. Plus heureuse que celle de Cléopâtre, car c’était pour elle le danger, nulle femme ne l’a avalée.
Elle est ici, et, je l’ai dit, non pas partout, mais à beaucoup de places, cette note triste qui s’en vient du fond de la gaieté comme un soupir impossible à étouffer. Le caractère du talent de Monselet est bien là. Ce qu’il est surtout, c’est dans beaucoup de viveur un peu de poète, mais ce peu de poète est si charmant qu’il fait pardonner au viveur. Monselet ne l’est pas, il est vrai, tout à fait à la façon de ce Beauvoir qu’il me rappelle. Il n’a ni le brio d’éblouissant mauvais sujet, ni la tournure, ni la fougue, ni l’élan du poète qui, parti de Cape et d’Épée, aboutit à Colombes et Couleuvres. Monselet est plus rassis, et d’un sybaritisme qui n’est pas celui de l’ardent et beau soupeur aux cheveux bouclés de la Maison-d’Or. Seulement, lui aussi, il y a soupé. Où n’a-t-il pas soupé ? Et il en rapporte des histoires comme celle qu’il a intitulée Clorinde :
C’était une petite blonde,Née à seize ans et morte à vingt ;
et qui s’en est allée de la vie :
L’estomac ruiné de ChampagneEt le cœur abîmé d’amour.
Histoire vulgaire, poignante de réalité, et qui, sous sa plume, est devenue une poésie.
Dans ce recueil des Poésies complètes, les soupers, le bal masqué, le carnaval, tous les plaisirs de ce débauché de Paris, tiennent une large place comme sources d’inspiration, mais l’émotion du poète les attendrit et les idéalise : Monselet est, avant tout, un élégiaque. Par-dessus l’élégiaque, il y a le lyrique, qui fait à tout instant des vers comme ceux-ci, par exemple (dans Le Harem) :
L’une, soulevant ses cheveuxPar un geste de canéphore,Montre au fond de ses deux grands yeuxUne caverne de phosphore.
Ou ailleurs (dans Seule) :
Son cœur, son pauvre cœur jusqu’à la mort fidèle,S’était pris sans espoir d’un amour éclatant !
Ou encore (dans Muezzin) :
Vous pensiez aux jours de courte durée,Qui laissent en nous si longs souvenirs ;À l’espoir qui passe en robe dorée.Haillons rattachés avec des saphirs !
Mais l’élégiaque est encore plus fort que le lyrique. C’est le génie de l’élégiaque qui a dicté ces choses adorables d’émotion et de simplicité : le poème intitulé Médoc, Le Musicien, Le Paresseux, Le Ruisseau, Les Espagnoles, Encore à Madame X…, etc. ; surtout cette pièce de La Leçon de flûte, que je citerai tout entière pour donner une idée de ce poète qui rappelle ici André Chénier et le Poussin :
J’étais resté longtemps les yeux sur un tableauOù j’avais retrouvé Théocrite et Belleau,Fraîche idylle aux bosquets de Sicile ravieAyant bu la lumière et respiré la vie.Ce tableau représente, en un verger sacré,Un vieux pâtre taillant une flûte, entouréD’un beau groupe d’enfants aux têtes attentives,Qui se pressent, muets, dans des poses naïves.Et, parmi ces enfants, que l’Art déjà soumet,Un surtout, sérieux et bouclé, me charmait.
Je m’étais éloigné de cette aimable toile,Et je voyais toujours l’enfant aux yeux d’étoile ;Et je me surprenais, en marchant, à songer :« Je veux dire à mes fils les leçons du berger,« Leur tailler des pipeaux, et leur faire comprendre« À quel point l’Art est doux, consolateur et tendre ! »
Je raisonnais ainsi, quand soudain, au détourD’une place, je vis dans le fond d’une courUn homme pâle, usé, front courbé par la lutte.Il tenait aussi, lui, dans ses doigts une flûte.Et son chapeau fangeux, sur le pavé placé,Dénonçait la misère et l’orgueil terrassé.Or, je ne sais par quel sortilège exécrable,Dans cet homme flétri, dégradé, lamentable,Je revoyais l’enfant du tableau contemplé,Les traits purs de l’enfant sérieux et bouclé.— Ainsi fait le hasard dans ses jours d’ironie ! —Je m’enfuis, inclinant ma tête rembrunie.
Ô musique ! Ô tableaux ! ô Sicile, ô verger !
Mes fils ignoreront les leçons du berger.
Tel le voilà, ce petit chef-d’œuvre accompli. Quelle perfection dans le détail et quelle longueur de rêverie !
Ce n’est pas un simple son mélancolique qui passe, c’est toute une série de sons qui nous donne tout un poème de mélancolie. Et c’est une leçon de flûte, aussi, donnée à ceux qui adorent la Poésie par un poète au lieu d’un berger, et dont la flûte est enchantée !
III
Ainsi, un poète, un poète de plus parmi les vrais poètes, voilà ce qu’apprend ce recueil des Poésies complètes de Monselet, réunissant tous les rayons éparpillés de son talent et nous faisant choisir entre tous celui-là qui plaît davantage, — le plus pénétrant et le plus pur… Certes ! on savait, bien longtemps avant ce recueil, que Monselet était un chanteur plein de verve et de fantaisie et dont on citait et on répétait les chansons, mais le poète d’âme, on le savait moins, et lui-même se méconnaissait :
Entre les noms dont se contenteAvec grand’peine maint rimeur,Il n’en est qu’un seul qui me tente :Poète de la bonne humeur.
Il était plus que cela, et ce dernier recueil le met à sa place parmi les touchants.
Il a dit encore, dans ce recueil, avec une modestie pleine de grâce, qu’il n’avait pas de lyre, mais une lyrette… Et qu’importe, d’ailleurs, lyre ou lyrette, si nous sommes touchés ! Et nous l’avons été jusque dans le cœur.