(1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « La princesse Mathilde » pp. 389-400
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(1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « La princesse Mathilde » pp. 389-400

La princesse Mathilde

Le libraire-éditeur Glaeser publiait, sous le titre de Galerie Bonaparte, une suite de portraits photographiés d’après nature, ou d’après les meilleurs originaux, des principaux membres de la famille de Napoléon. Des écrivains connus s’étaient chargés de faire les biographies qui devaient accompagner chaque portrait. Celui de S. A. I. la princesse Mathilde étant échu à M. Sainte-Beuve, il donna ce qui suit :

Elle a le front haut et fier, fait pour le diadème ; les cheveux, d’un blond cendré, relevés en arrière, découvrent de côté des tempes larges et pures, et se rassemblent, se renouent en masse ondoyante sur un cou plein et élégant. Les traits du visage nettement et hardiment dessinés ne laissent rien d’indécis. Un ou deux grains jetés comme au hasard montrent que la nature n’a pas voulu pourtant que cette pureté classique de lignes se pût confondre avec aucune autre. L’œil bien encadré, plus fin que grand, d’un brun clair, brille de l’affection ou de la pensée du moment, et n’est pas de ceux qui sauraient la feindre ni la voiler ; le regard est vif et perçant ; il va par moments au-devant de vous, mais plutôt pour vous pénétrer de sa propre pensée que pour sonder la vôtre. La physionomie entière exprime noblesse, dignité, et, dès qu’elle s’anime, la grâce unie à la force, la joie qui naît d’une nature saine, la franchise et la bonté, parfois aussi le feu et l’ardeur. La joue, dans une juste colère, est capable de flamme. Cette tête si bien assise, si dignement portée, se détache d’un buste éblouissant et magnifique, — se rattache à des épaules d’un blanc mat, dignes du marbre. Les mains, les plus belles du monde, sont tout simplement celles de la famille : c’est un des signes remarquables chez les Bonaparte que cette finesse de la main. La taille moyenne paraît grande, parce quelle est souple et proportionnée ; la démarche révèle la race : on y sent je ne sais quoi de souverain et la femme en pleine possession de la vie.

Le caractère est simple ; il est droit : rien dans l’ombre. Les violettes se cachent sous l’herbe : les petits de l’aigle aiment le soleil. Tout ce qui est duplicité, tortuosité, faux-fuyants, manège, tout ce qui ressemble de près ou de loin à de l’astuce ou à de la perfidie la révolte d’instinct, aujourd’hui comme au premier jour ; l’expérience ne l’a pas corrigée : elle s’étonne du mal, de tout ce qui n’est pas honorable ; elle a la faculté de l’indignation.

Elle a les amitiés longues, sûres, fidèles. Elle a besoin de confiance dans les relations : « J’ai besoin, dit-elle, de croire aux gens que je vois. » Ceux qui ont l’honneur de l’approcher, pour peu qu’ils l’aient connue en diverses rencontres, ont droit de parler de son cœur et des délicatesses qu’il lui suggère. Son premier mouvement est parfois impétueux, irrésistible, il peut excéder. La probité de sa nature, si elle est avertie, s’arrête d’elle-même et se modère. Femme et princesse, elle admet, elle appelle la contradiction.

Son intelligence, son esprit tient de son caractère ; il a de l’élévation et de la simplicité. La bonne foi s’y marque comme partout. Sa pensée nette n’a jamais un instant de trouble, d’hésitation ; elle ne conçoit que ce qui est clair et ce qui s’explique clairement. Ne lui parlez pas de ces idées complexes, ambiguës, où il entre du pour et du contre, de ces pensées entre chien et loup : ces nuances, ces crépuscules d’idées n’existent pas pour elle. Elle est bien du Midi en cela : ce qu’elle comprend, elle le voit. Il fait nuit, ou il fait jour. C’est un ciel d’Italie tout d’azur, avec un horizon net et arrêté ; pas un nuage, pas une vapeur : le bleu pur et les lignes certaines.

Intelligence ferme et décidée comme elle est, ennemie du vague, allant droit au fait, droit au but, — Elle et son frère, le prince Napoléon, en cela semblables, — si l’on se permettait d’être observateur en les écoutant, on se plairait à retrouver en eux, pour le trait général et le contour, quelque chose de la forme et du profil d’esprit du grand empereur leur oncle.

Née au seuil de l’Italie, à Trieste, dans l’exil, à l’époque de la plus grande proscription de sa race, la princesse fut emmenée dès l’âge de trois ans à Rome, où allaient se fixer pour plusieurs années ses augustes parents le roi Jérôme et la reine Catherine. Sans parler de sa gouvernante, la baronne de Reding, elle y reçut des soins particuliers d’une tante, la comtesse de Survilliers (née Clary). Dès l’âge de neuf ans, elle commençait à peindre. Ayant quitté Rome avec ses parents en 1831, elle passa le reste de son enfance et sa première jeunesse à Florence ; elle acheva de s’y nourrir et de s’y former dans la vue du beau ; elle copiait dans la galerie les chefs-d’œuvre des maîtres.

À quinze ans, ayant perdu sa mère, elle fut envoyée à la cour de Wurtemberg, où on l’accueillit avec la plus tendre affection ; elle y contracta particulièrement avec sa cousine germaine, qui est aujourd’hui la reine des Pays-Bas, une amitié de sœur. Après quelque temps de ce séjour à Stuttgartr, elle revint à Florence.

Fiancée d’abord avec son cousin Louis-Napoléon, les destinées du prince appelé à l’Empire, et y marchant à travers maint hasard, vinrent rompre presque aussitôt, à son égard, ces projets et ces arrangements de famille.

On était en plein exil alors, et aucun moyen, même détourné, de rentrer en France ne semblait à dédaigner. À vingt ans, la princesse Mathilde fut mariée à un riche sujet russe, ami des arts, qui vivait habituellement en Italie. Proche cousine ou nièce, par sa mère, de l’empereur Nicolas, dont la mère était également une princesse de Wurtemberg, elle se trouva avoir ainsi contracté un lien de plus, mais un lien de sujétion, envers le puissant tzar. Deux fois elle visita la Russie. Dans un voyage que lui-même il fit en Italie, l’empereur Nicolas, qui s’intéressait à cette belle jeune femme du sang des Napoléon jetée sous son aile et presque sous sa serre, envisagea de près sa situation domestique, déjà compromise, et estima qu’elle ne pouvait longtemps se prolonger. Il lui promit dès lors sa protection à tout événement, et il tint parole. On peut croire que cela ne déplaisait pas à son orgueil d’avoir à protéger la nièce de Napoléon. Il mit, d’ailleurs, à toute cette relation beaucoup de délicatesse. Une fois, dans une fête, une cérémonie solennelle à Pétersbourg, il s’agissait pour toutes les personnes de la cour de porter le costume russe national : cette condition, qui était de rigueur et ne soutïrait pas d’exception, était pénible au cœur français, au cœur impérial de la princesse. Le sang lui en montait au front. Elle n’hésita pas et s’adressa directement à l’empereur qui comprit son scrupule et la releva de l’étiquette. Une autrefois, dans une revue de troupes, dans une petite guerre, il y eut un accident, je ne sais quelle funeste méprise. Des fusils avaient été chargés à balle ; des coups de feu atteignirent des groupes de spectateurs : il se fit un grand tumulte. La princesse, au milieu de l’effroi et de la panique générale, garda son calme et son sang-froid : ce qui plut à l’empereur. — Il présida et tint constamment la main par la suite aux arrangements qui furent réglés dans l’intérêt de la jeune femme, lors de la séparation des époux.

La princesse Mathilde lui en resta profondément reconnaissante. Elle a cette faculté, qui tient à l’énergie du cœur, de ne jamais oublier. Lorsque les événements vinrent changer la face de la France et la remirent elle-même à sa place sur les degrés du trône impérial, un de ses premiers soins, pour le commencement de l’année 1853, fut d’écrire à l’empereur Nicolas et de remplir envers lui ses devoirs d’usage à titre de parente ; mais sa lettre portait naturellement la marque de sa situation nouvelle : il lui répondit (10 janvier 1853) :

J’ai eu grand plaisir, ma chère nièce, à recevoir votre bonne et aimable lettre. Elle témoigne de sentiments aussi honorables pour vous qu’ils sont agréables pour moi ; puisque, suivant votre expression, la nouvelle fortune de la France est venue vous chercher, jouissez des faveurs qu’elle vous donne : elles ne sauraient être mieux placées que dans des mains aussi reconnaissantes que les vôtres. Je suis charmé d’avoir pu vous prêter mon appui en d’autres temps. À défaut de la protection dont vous n’avez plus besoin aujourd’hui, ce qui vous reste acquis de ma part, c’est l’affection que je vous porte, etc.

Mais d’autres événements, bien imprévus, se précipitèrent : en moins d’un an, la guerre avec la Russie était résolue et sur le point d’éclater. Les sentiments d’une bonne et loyale Française, ceux de la nièce reconnaissante étaient désormais partagés et opposés. Que commandait le devoir ? que conseillait la délicatesse ? Un cœur droit n’a qu’à se consulter en pareille circonstance et à se bien écouter. La lettre du jour de l’an 1854 fut écrite sous cette inspiration du dedans qui sait démêler la ligne à suivre entre des obligations inégalement contraires et qui ne sacrifie rien de légitime. L’empereur Nicolas y répondit par une lettre qui touche de trop près à l’histoire pour que nous n’usions pas de la permission qui nous est donnée de la produire ici :

Je vous remercie bien sincèrement, ma chère nièce, des nobles sentiments que m’exprime votre lettre. Un cœur tel que le vôtre ne saurait changer selon les phases mobiles de la politique. J’en avais la certitude ; mais, dans la situation actuelle, je devais éprouver une satisfaction particulière à recevoir de bonnes et amicales paroles qui me parviennent d’un pays où, dans ces derniers temps, la Russie et son souverain n’ont cessé d’être en bulle aux plus haineuses accusations. Comme vous, je déplore la suspension des bons rapports entre la Russie et la France, qui vient de s’accomplir, malgré tous les efforts que j’ai faits pour ouvrir les voies à une entente amicale. En voyant l’avénement de l’Empire en France, je me plaisais à espérer que le retour de ce régime pourrait ne point entraîner, comme une conséquence inévitable, celui d’une lutte de rivalité avec la Russie, et d’un conflit à main armée entre les deux pays. Plût au ciel que l’orage prêt à éclater puisse se dissiper encore ! Après un intervalle de plus de quarante ans l’Europe serait-elle donc destinée à servir de nouveau de théâtre à la reprise des mêmes drames sanglants ? Quel en serait cette fois-ci le dénouement ? Il n’est point donné à la prévoyance humaine de le pénétrer ; mais ce que je puis vous assurer, ma chère nièce, c’est que dans toutes les conjonctures possibles, je ne cesserai d’avoir pour vous les sentiments affectueux que je vous ai voués, etc. (9 février 1854).

J’ai, sans y prendre garde, anticipé sur les temps. La princesse, mariée en Italie en 1840 avec la qualité de Française et les droits qui lui avaient été, comme telle, reconnus et pleinement rendus par le gouvernement français d’alors (disons-le à son éloge), put revenir en France dans le courant de l’année 1844. Tous ceux qui eurent l’honneur de la rencontrer dès lors se rappellent l’admiration et l’attrait qui rayonnait partout autour d’elle. La société, empressée à l’accueillir, se décorait et s’éclairait avec orgueil de cette belle et éblouissante Française que lui renvoyait l’Italie. La famille régnante fut parfaite en ces années pour la fille des Napoléon : la princesse Mathilde ne l’a jamais oublié ; et depuis, dans une circonstance pénible où la politique impériale eut à exercer sur les biens de la maison déchue une de ces mesures d’État, commandées sans doute et nécessaires, elle et la duchesse d’Hamilton, n’écoutant que leurs sentiments particuliers et de leur propre mouvement, s’honorèrent par une démarche dont l’intention doit leur être comptée. Jamais, devant elle, un discours désobligeant pour ceux qui l’ont protégée et servie en d’autres temps n’est goûté ni toléré.

Elle servit les siens dès son retour ; on aimait à faire réparation aux Napoléon en cette belle personne ; mais elle sut très bien distinguer le degré, le point juste, où la gratitude la mieux sentie pouvait aller ; et en sachant gré des bons offices envers les présents, elle n’avait garde d’oublier ceux qui restaient captifs ou dans l’exil. En un mot, les Tuileries ne purent se parer d’elle, tandis que sa race, malgré tout, dans la personne de son chef, restait proscrite et déshéritée.

À ce moment, des amitiés vives et sincères se nouèrent tout naturellement entre elle et les hommes éminents ou distingués qui exerçaient ou disputaient le pouvoir avec tant d’esprit et d’éloquence. Ces amitiés ont été plutôt suspendues et interrompues que brisées par les événements qui suivirent, et qui jetèrent dans le mécontentement et le dénigrement toute une moitié de la haute société. Mais qu’un malheur, une perte cruelle vienne frapper un de ces anciens amis refroidis et devenus silencieux, la première pensée de la princesse Mathilde est de tenter cette ancienne amitié dont elle sent une part toujours vivante en elle, et de voir si on n’accueillera pas une parole de sympathie et de consolation. Un soir, elle était joyeuse, et semblait avoir eu dans la journée un bonheur ; qu’était-ce donc ? Un ancien ami avec qui elle se croyait brouillée et qu’elle savait blessé, mortifié et à jamais éloigné par la politique, avait passé près d’elle, près de sa voiture, n’avait point paru la reconnaître, et, l’instant d’après, en descendant, elle l’avait trouvé qui l’attendait pour lui prendre et lui serrer cordialement la main. Elle en avait éprouvé une vive et douce surprise, une joie sensible, visible, et qu’elle ne pouvait contenir.

Je ne sais de pendant à cette joie que celle dont le hasard me rendit témoin, un jour que la princesse recevait la nouvelle qu’une médaille venait de lui être accordée par un jury de province pour l’exposition de quelques-uns de ses dessins et tableaux72. Le jury était en partie composé de républicains, disait-on : il n’y avait donc pas eu de faveur dans la récompense ; et le front de l’artiste s’éclairait de satisfaction à l’idée de n’avoir pas seulement une qualité d’emprunt et de reflet, mais de valoir par soi-même quelque chose.

La princesse Mathilde est, en effet, artiste dans l’âme, et je me suis réservé exprès jusqu’à ce moment le plaisir de parler avec quelque détail de ce côté si caractérisé de sa nature. Élevée dans le pays de la lumière, des grands horizons, des belles formes et des nobles contours, elle avait reçu l’organisation la plus propre à en profiter et à s’en inspirer : le moule en elle était en parfait accord avec le spectacle et avec les images. Elle a le sens visuel et pittoresque remarquablement développé, et elle n’a cessé de le cultiver par l’étude et par le travail. Son bonheur, chaque jour, est de dérober quelques heures, et les meilleures de la matinée ou de l’après midi, pour les consacrer à sa chère peinture. Alors, soit dans l’atelier élégant et curieux que le tableau d’un peintre d’intérieur a fait connaître au public, soit plutôt encore dans un atelier retiré et plus modeste où elle se rend tout à fait inaccessible, — là, devant des modèles, ou ceux des maîtres ou ceux de la nature vivante, elle travaille et jette sur le papier ses aquarelles hardies et franches qui luttent de vigueur et d’éclat avec l’huile. Sa manière n’a rien de petit ni de léché, ni qui sente le faire de la femme ; on croirait plutôt avoir devant soi les productions d’un jeune homme de talent qui s’exerce avec largeur et se développe. Elle passe tour à tour de la copie des maîtres à des études vivantes, soit à celles de modèles à caractère, soit aux portraits de ses amis. Après le plaisir de travailler, elle n’a rien de plus agréable que de visiter les grandes galeries, notre musée du Louvre, et d’y revoir les chefs-d’œuvre ; et si on lui parle des tableaux modernes qu’elle a chez elle et dont ses salons sont ornés : « Ici ce sont mes amis, dit-elle, mais là-bas ce sont mes admirations. »

Le goût de la princesse est classique : on a remarqué que le goût des princes l’est naturellement73. Quoique le sien n’ait rien d’exclusif, elle fait grande acception des genres : elle maintient le premier rang dans son estime à la peinture d’histoire, et ne considère rien tant que la réunion des qualités que les compositions de cet ordre exigent. Elle goûte les chefs-d’œuvre du pinceau en tout genre, mais elle ne les classe pas indifféremment ; elle ne met pas sur une même ligne et ne comprend pas dans une admiration égale et souveraine tout ce qui peut-être y aurait droit, je veux dire tout ce qui excelle. De là, autour d’elle, des sujets inépuisables et sans cesse renaissants de conversation et de contradiction qu’elle permet, ou, bien mieux, qu’elle provoque et qu’elle anime. Parmi les différents arts, ceux de la forme et du dessin sont, à ses yeux, les préférés ; son goût, à cet égard, est même prédominant, et il entre un peu de condescendance pour ses amis et pour sa société dans ce qu’elle accorde à cet autre art si transportant et si ravissant, mais un peu vague d’objet et de moyens, à la musique.

On ne s’en douterait pourtant pas à voir le choix heureux des morceaux de musique instrumentale ou vocale qu’on lui doit d’entendre chaque hiver. Elle a pour amies de bien belles voix.

Littérairement, dans les lectures d’une ou deux heures qu’elle fait ou se fait faire chaque matin, il y a bien de la variété et il se mêle de toute espèce de choses, mais sa prédilection marquée est pour l’histoire.

On le voit, tout se tient et concorde dans cette organisation ferme et accomplie. Elle ne rêve en rien ni ne raffine. La subtilité en tout genre la choque et lui est antipathique ; et dernièrement, à propos des écrits fort vantés d’une femme d’esprit, mais alambiquée, mais subtile et étrangement mystique, elle se refusait à comprendre qu’il fallût être aussi parfaite pour bien vivre et bien mourir : « L’un, disait-elle, est facile à faire avec un bon cœur et de la droiture, l’autre avec la résignation et la confiance. »

La princesse Mathilde passe régulièrement une moitié de l’année à Paris, et l’autre moitié à la campagne, au château de Saint-Gratien. À la voir l’hiver, chaque soir, dans le monde perpétuel et brillant quelle reçoit, toujours présente et toujours prête, parlant à chacun, variant l’accueil et l’à-propos, elle semble née pour la représentation : à la retrouver à la campagne, entourée de quelques amis toujours les mêmes, on dirait plutôt qu’elle est faite pour l’intimité, pour un cercle d’habitudes paisibles, riantes et heureuses. Elle ne porte dans aucune de ces deux vies si distinctes ni regret, ni fatigue, ni ennui de l’autre. Un de ses premiers soins, à Saint-Gratien, a été de faire élever dans l’église du village un monument convenable à l’illustre et modeste Catinat. Sa bonté envers les malheureux est connue ; son nom, sa personne, sont populaires : elle a visité à Paris tous les asiles de la misère et de la souffrance en ce qui est de son sexe. Elle a fondé un établissement qui porte son nom, destiné aux jeunes filles incurables. — Il faut l’avoir vue, me dit-on, au milieu de cette enfance, partout ailleurs aimable, ici disgraciée, qui n’a que des laideurs et des misères à offrir : elle apparaît et console. — Sa maison est une sorte de ministère des grâces. Tout ce qu’elle peut solliciter et appuyer, elle le fait ; elle considère cette charge, dit-elle, comme un des devoirs de sa condition.

Elle a, depuis un an, acheté en Italie, près du lac Majeur, une terre où elle va passer les dernières semaines de l’automne ; elle y a retrouvé cette Italie, son premier amour, qu’elle avait connue si belle, mais enchaînée ; elle l’a retrouvée libre, reconnaissante et saluant en elle la proche parente et comme l’ambassadrice de l’empereur des Français. Elle a senti tout le prix et toute l’intention de ce sympathique accueil, et elle en a rapporté l’hommage à qui de droit, à celui qui, du fond de sa prudence, ne perd pas un seul instant de vue la consommation et la confirmation d’un si bel ouvrage.

On serait heureux d’avoir donné une idée, qui ne fût pas trop incomplète, d’une nature riche, loyale, généreuse, d’une personne qui, dans le plus haut rang, unit le don de beauté au feu sacré de l’art ; qui a le courage de ses pensées et le charme de ses sentiments.

Comprendre ainsi la vie, quand on est des privilégiés du sort, accorder le moins possible aux opinions vaines, s’en remettre à l’impression vraie, à la lumière naturelle ; distribuer ce qui vous est donné en surcroît ; remplir sa part d’un rôle auguste, et mener une existence ornée, mais simple ; jouir des arts, des élégances, de la nature aussi et de l’amitié, ce n’est pas seulement avoir un beau lot, ce n’est pas seulement savoir être heureuse, c’est répandre le bonheur et cultiver l’affection autour de soi.

On a de la princesse Mathilde un grand portrait en pied et d’apparat, par Édouard Dubufe ; un beau profil au pastel, par Eugène Giraud ; un buste en marbre, par Carpeaux. Charles Giraud (le jeune) a peint l’intérieur de l’atelier de la princesse, et le spirituel peintre d’animaux, Jadin, nous a rendu au naturel et avec finesse ses chiens favoris, ce qu’elle appelle sa petite Meute.