Ponsard, François (1814-1867)
[Bibliographie]
Manfred, de lord Byron, traduction (1887). — Lucrèce, tragédie (1863). — Agnès de Méranie (1846). — Charlotte Corday (1850). — Horace et Lydie, comédie (1851). — Ulysse, tragédie avec chœurs, prologue et épilogue (1852). — L’Honneur et l’Argent (1853). — La Bourse, comédie (1856). — La Bourse, cinq actes (1856). — Ce qui plaît aux femmes, trilogie (1860). — Le Lion amoureux, cinq actes (1866). — Galilée, trois actes (1867).
OPINIONS.
Auguste Desplaces
Parce que M. Vacquerie aurait décoché sur Agnès des flèches bigarrées, il en faudrait conclure qu’Agnès est un bon ouvrage ? La beauté de cette tragédie serait la conséquence obligée des métaphores à tous crins d’un adversaire ? Voilà qui est assez peu logique pour un homme de tant de bon sens : on peut écrire en métaphores très rassises, on peut ne pas hanter la Place-Royale, et n’en pas moins refuser son suffrage à son Agnès qui n’a point succombé, comme il le voudrait établir, sous les attaques intolérables de l’école nouvelle, mais qui a péri très justement par l’absence des qualités qui donnent la vie et font la gloire.
Armand de Pontmartin
Honneur à M. Ponsard ! L’originalité et la gloire de son œuvre est justement d’avoir ramené vers les vérités fortes et salubres nos esprits égarés dans l’invraisemblable, le paradoxal et l’impossible, d’avoir exprimé ces vérités immortelles dans un style ferme, net, franc, de bonne école et de bonne race, d’avoir fait circuler dans les veines de la comédie moderne, après tant de fièvres et de langueurs, un reste de ce sang vigoureux et pur qui semblait▶ tari depuis les maîtres, et de n’avoir pas craint de nous paraître banal pour être plus sûr d’être vrai.
Alphonse de Lamartine
Ponsard qui retrouvait le neuf dans l’antique.
Jules Barbey d’Aurevilly
Oh ! lui, lui, il est à sa place à l’Académie ! Il est de la race des Viennet. Comme M. Viennet, il peut s’appeler la Fosse, Saurin, du Belloy, la Touche, c’est-à-dire du nom de tous les gens de lettres qui ont bâti des tragédies ! La première de ces choses qui l’a posé, comme on dit, et sur le souvenir de laquelle il vit toujours, fut Lucrèce, imitation grossière et faible, dans le détail et dans le style, de Corneille et d’André Chénier. Il est des mains qui ne respectent rien. Les mains lourdes et gourdes de M. Ponsard traînant sur la pourpre romaine du vieux Corneille et sur les diaphanes albâtres grecs d’André Chénier ! c’était à faire crier « À bas ! » à tous ceux qui ont le respect des belles choses. Eh bien, cela n’indigna personne dans les maisons où, pendant dix-huit mois, Vadius triomphant et pudibond, M. Ponsard alla lire sa tragédie tous les soirs ! Le comité de l’Odéon, composé de têtes si fortes, fut séduit par ce succès de société, qui était aussi un succès de réaction !… On était las des excès du romantisme, et la vieille rengaine classique parut neuve. M. Ponsard fut proclamé le poète du bon sens parce qu’il était le poète de la vulgarité, ces deux choses qu’en France nous confondons toujours.
Joseph Autran
Théâtre de Ponsard :
Lucrèce : Par ses familiarités charmantes, la langue de Lucrèce s’écarte, en maints endroits, du langage consacré ; non loin de certains vers dont la grâce exquise émane d’André Chénier, d’autres surviennent qui, dans leur franche et verte allure, apportent un souvenir de comédie.
Agnès de Méranie : À Lucrèce, sujet classique dans un cadre à demi-romantique, succède Agnès de Méranie, sujet romantique dans un cadre malheureusement trop classique. Ce fut l’erreur du poète ; il oublia qu’une page de notre histoire empruntée aux annales du moyen âge — et quel tableau magnifique ! — ne pouvait se développer à l’aise que dans un large cadre. Le drame populaire s’accommode mal des unités. Renfermé dans leur enceinte, il y tourne sur lui-même comme un lion dans sa cage. Que n’eût pas été cet ouvrage, qui abonde, d’ailleurs en beautés de premier ordre et à qui toute justice n’a pas été rendue, si le poète, en l’écrivant, n’eût pas senti peser sur lui sa précoce gloire de chef de l’école de bon sens ?
Charlotte Corday : Ce n’est pas seulement la beauté des vers qu’il convient d’admirer dans le drame de Charlotte Corday, c’est aussi, et surtout, l’intelligence d’une époque, le sens intime et profond de la couleur historique.
L’Honneur et l’Argent : Le sujet est à peu près celui de Timon d’Athènes. Un homme dans la fortune, fêté, adulé, entouré
d’amis ; la ruine survient, et ce même homme se voit abandonné de tous. On
rencontre également dans Timon d’Athènes un certain philosophe
chagrin, du nom d’Apémantus, qui s’en va en disant à chacun son fait et exhalant à
chaque pas sa sagesse bourrue. Le Rodolphe de M. Ponsard n’est peut-être pas
sans parenté avec ce rude censeur. S’il a aussi quelques traits de notre immortel
Misanthrope, faut-il s’en étonner ? « Le Misanthrope est à recommencer tous les cinquante ans. »
C’est
Diderot qui l’a dit.
Le Lion amoureux : La passion parle dans cette pièce, l’amour, ce phénomène devenu si rare au théâtre !
Cuvillier-Fleury
M. Ponsard mérite de figurer au premier rang des poètes qui ont le mieux traduit les idées de notre temps, sans les outrer, sans s’y asservir. Ce fut une erreur de croire, quand sonna son heure, qu’un chef d’école était venu. Mais on le crut, et comme nous sommes un pays qui aime, quoi qu’on en dise, à être mené, on applaudit à ce jeune maître qui ◀semblait avoir caché une férule sous le manteau de Melpomène et qui débutait traîtreusement dans le drame par une imitation de Tite-Live.
Jules Lemaître
La reprise du Lion amoureux (au théâtre de l’Odéon) nous a montré, une fois de plus, que l’honnête Ponsard, tant raillé, est un bon et solide auteur dramatique, un de ceux qui parlent le mieux aux plus honorables instincts de la foule, un de ceux qui savent, le plus habilement et le plus naïvement à la fois, lui enseigner l’histoire simplifiée, lui donner les plus nobles et les plus claires leçons de vertu, lui développer les plus beaux traits de « morale en action », et la renvoyer, après un dénouement heureux, satisfaite, tranquille et toute pleine de bons sentiments dont elle se sait gré. Et tout cela, Ponsard ne le fait point par jeu ni avec le scepticisme d’un écrivain astucieux qui connaît son public, il le fait avec une conviction et une simplicité absolues. La probité et la candeur respirent dans son théâtre mi-héroïque et mi-bourgeois et en font presque toute la poésie. Il a, du reste, de la lucidité et de la largeur dans la composition. L’action se déploie lentement, régulièrement, — honnêtement (c’est le mot qui revient toujours lorsqu’on parle de lui). Ses vers, assez souvent gauches et gris, surtout quand il s’agit d’exprimer les détails de la vie extérieure, s’affermissent singulièrement pour traduire les beaux lieux communs de la morale, les sentiments généreux ou les généreuses pensées. Ils sont rudes et sans nul éclat d’images ; mais la langue en est saine, robuste et probe. On lui a joué, de son vivant, le mauvais tour de l’opposer à Victor Hugo et de le sacrer chef de l’« école du bon sens ». C’était un peu ridicule, et pourtant… Si Victor Hugo reste au théâtre, comme ailleurs, un incomparable poète lyrique, la vérité vraie, c’est qu’un drame du bon Ponsard n’est en aucune façon plus ennuyeux, à la scène, que Marion de Lorme ou le Roi s’amuse. Au contraire !