(1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Monsieur Arnault, de l’Institut. » pp. 496-517
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(1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Monsieur Arnault, de l’Institut. » pp. 496-517

Monsieur Arnault, de l’Institut.

Parmi les littérateurs et les poètes dits de l’Empire, M. Arnault est un de ceux qui ont une physionomie et un caractère ; il est bien de sa date, et il en est avec esprit, avec naturel et sans fadeur. Sa carrière honorable a de l’unité. Il fut véritablement attaché à la fortune de César, bien moins à son char qu’à sa personne. Jeune, il connut le général en chef de l’armée d’Italie ; il fut dans sa confiance et dans sa familiarité ; il le servit dans quelques missions transitoires qu’il n’eût tenu qu’à lui de pousser plus loin. Il accompagna l’expédition d’Égypte jusqu’à Malte. Il eut sa part dans la confidence et dans l’exécution du 18 Brumaire, et fut l’un des aides de camp civils les plus actifs de cette décisive journée. Puis en 1815, aux heures du désastre et de la ruine, on le retrouve. Ayant joui, sous l’Empire, d’une position justement acquise et d’une faveur modérée, il reste un des plus fidèles après la chute, et il est frappé à ce titre d’un ostracisme qui l’honore. On le rencontre aux deux extrémités d’une grande destinée. Bonaparte l’avait accueilli à son quartier général de Montebello ; Napoléon à Sainte-Hélène l’inscrit dans son testament. Cette sincérité d’attache distingue Arnault entre les hommes de lettres de son temps. Écrivain, il se recommande encore aujourd’hui par de véritables mérites : ses quatre volumes de Souvenirs sont d’une très agréable et instructive lecture ; ses tragédies, pour être appréciées, ont besoin de se revoir en idée et de se replacer à leur moment ; mais ses fables, ses apologues, plaisent et parlent toujours ; un matin, dans un instant d’émotion vraie et sous un rayon rapide, il a trouvé quelques-uns de ces vers légers, immortels, qui se sont mis à voler par le monde comme l’abeille d’Horace et qui ne mourront plus : c’est assez pour que, nous qui aimons à rechercher dans le passé tout ce qui a un cachet distinct et ce qui porte la marque d’une époque, nous revenions un instant sur lui et sur sa mémoire.

Il nous a raconté en détail ses premières années. Né à Paris, le 22 janvier 1766, d’une famille qui tenait à la riche bourgeoisie, il eut de bonne heure ce que de tout temps on trouve si aisément dans la bourgeoisie de Paris à tous les degrés, son franc-parler, de la malice, de la gaieté et de l’indépendance. Il fut élevé au collège de Juilly chez les Oratoriens, et y fit de bonnes études, sans trop de docilité toutefois, et se permettant déjà de juger ses maîtres. Quelques traits d’enfant, qu’il nous cite, prouvent de sa part, à cet âge, de la chaleur, de la générosité (c’est tout simple), mais aussi du mordant. Un de ses maîtres, et qui était le moins spirituel de tous, le père Herbert, connaissant le penchant du jeune Arnault à la raillerie, voulut un jour s’attaquer à lui et s’en mordit les doigts. Comme il le rencontra qui se promenait seul pendant la récréation, il l’interpella au milieu de ses camarades : « Eh bien, lui dit-il, vous cherchez un sujet d’épigramme ? » — « Je l’ai rencontré », lui répondit l’enfant en le regardant. On n’avait qu’à toucher M. Arnault, et toute sa vie il eut de ces traits-là ; on n’avait qu’à frapper, et il rendait de ces étincelles.

Le père d’Arnault, qui avait vingt-cinq mille livres de rentes, avait aliéné une partie de sa fortune pour acheter dans la maison du comte de Provence et du comte d’Artois, frères de Louis XVI, des charges qui étaient alors réputées une source de faveur ; de Paris, il était allé demeurer à Versailles et se faire homme de cour. Étant mort avant que ses enfants fussent en âge de lui succéder, il leur laissa une succession embarrassée, une survivance lointaine et précaire. Sur ces entrefaites, on lit des réformes dans la maison des princes ; les charges furent supprimées et non remboursées. Arrivé à l’âge de vingt ou vingt-deux ans, le jeune Arnault, que Madame (femme du comte de Provence) n’avait point perdu de vue, lui fut présenté, obtint sa protection et devint secrétaire de son cabinet ; c’était un dédommagement, mais très insuffisant, puisque les finances de cette bonne princesse étaient elles-mêmes atteintes dans la réforme. Pour réparer tous ces contretemps, Arnault crut que le plus simple était de s’attacher définitivement à Monsieur et d’acheter près de lui une charge qui, dans le moment, était vacante. Le voilà donc officier dans la garde-robe du futur Louis XVIII ; acheter ainsi une charge de cour en 1788 et à la veille du 14 Juillet, c’était, remarque-t-il spirituellement, se faire poissonnier à la veille de Pâques. Mais Arnault jeune, amoureux et déjà marié, ami de la poésie, du théâtre, faisant de jolis vers de société, et aspirant dès lors à la muse tragique, n’avait pas de théorie ni de prévision politique bien longue. Il appartenait à cette classe élevée de la bourgeoisie qui avait trop bien su s’accommoder de l’Ancien Régime pour lui en vouloir beaucoup. Doué de bon sens et d’une certaine philosophie naturelle, il n’avait point de ces passions personnelles d’envie ou d’ambition qui transportent les âmes hors d’elles-mêmes et leur mettent l’aiguillon au-dedans. Ses goûts étaient ceux d’un honnête homme qui avait du mouvement dans l’imagination, du trait dans l’esprit, et de bons sentiments dans le cœur. Poésie, famille et société, c’était assez pour l’occuper et le rendre heureux. Il assistera donc à toute la première moitié du grand drame révolutionnaire sans y prendre part ni action.

Placé d’abord auprès d’un prince lettré, il semblait naturel qu’Arnault fût admis à sa faveur ; il n’en fut rien pourtant. Le futur Louis XVIII resta assez longtemps avant de le distinguer, de lui adresser la parole ; après un an ou deux seulement, lorsqu’il sut que ce jeune homme qui était de sa maison allait avoir une tragédie représentée au Théâtre-Français, Marius à Minturnes, le comte de Provence y prit intérêt, se fit donner la pièce à la dérobée, porta son pronostic, fut presque fier du succès que cependant il n’avait point prédit, et honora dès lors le jeune poète, à son lever, de quelques-unes de ces paroles perlées et de ces citations coquettes qu’il méditait toujours à l’avance et qu’il savait placer à propos. Arnault est assez piquant lorsqu’il parle de Monsieur, et il nous le définit bien dans sa nature et sa portée d’esprit littéraire ; pourtant il abuse un peu du droit que lui donne la proscription dont l’honora plus tard son ancien maître, lorsqu’il dit d’un ton cavalier : « Monsieur, à tout prendre, était un garçon d’esprit, mais il le prouvait moins par des mots qui lui fussent propres que par l’emploi qu’il faisait des mots d’autrui. » Est-ce de ma part une excessive délicatesse ? mais je ne trouve pas que ce mot un garçon d’esprit soit de bon goût appliqué à un prince qu’on a aspiré à servir, même lorsque plus tard il vous aurait exilé.

Le comte de Provence a dit d’ailleurs, sur Marius à Minturnes, un mot juste : « La pièce est d’un genre trop austère. » Ces trois actes représentés le 19 mai 1794, sans un rôle de femme, sans trop de déclamation, et avec les touches nues de l’histoire, font honneur à la simplicité sensée du jeune poète ; il y résonne comme un mâle écho de Lucain et de Corneille : mais l’action s’y dessine à peine ; l’émotion manque, le pathétique fait défaut. On le chercherait vainement dans les sujets romains traités par l’auteur ; il l’a rencontré dans les derniers actes de ses Vénitiens.

Les premières tragédies d’Arnault, Marius, Lucrèce, Cincinnatus, sont bien les contemporaines de la réforme que David avait introduite dans le style romain, et que Talma, de son côté, transportait au théâtre ; ce genre aujourd’hui nous paraît nu, roide et abstrait ; n’oublions pas qu’il a été relativement simple, et qu’il ne nous arrive, à la lecture, que dépouillé de tout ce qui le personnifiait à la scène et qui l’animait. Arnault, rendu à une entière indépendance par le départ et l’émigration de Monsieur, s’abandonna avec feu à sa verve tragique et littéraire, durant ces années orageuses dont sa jeunesse trompait de son mieux le péril et les atrocités ; il nous a tracé de cette époque, en ses Souvenirs, un tableau vrai, presque amusant, sans passion et sans colère ; il en a peint à merveille quelques-uns des acteurs principaux qu’il eut occasion de rencontrer. Son cardinal Maury, son Cazalès, son d’Éprémesnil, entre autres, sont dessinés avec autant de vérité que de finesse. Maury surtout et son audace, son front d’airain, son attitude athlétique, son ton de conversation, trouvent dans Arnault un peintre vigoureux et plein de relief, qui ne recule devant aucun trait de la ressemblance. Cazalès y est touché avec distinction, et avec plus de légèreté que la plume d’Arnault n’en aura d’ordinaire :

Les cas exceptés, dit-il, où la conversation roulait sur des questions d’intérêt public, Cazalès ne commandait pas à beaucoup près, dans un salon, l’attention qu’on ne pouvait lui refuser à la tribune. Il avait mieux que de l’esprit ; mais il ressemblait en cela à ces figures qui, pour paraître belles, veulent être placées à une certaine hauteur et vues en perspective ; de près, l’œil qui ne peut en saisir l’ensemble leur accorde moins d’attention qu’à une miniature. Aussi Cazalès n’obtenait-il guère en société qu’une faveur de souvenir

Les portraits qu’Arnault a donnés des personnages de sa connaissance, et qu’il s’est amusé à tracer dans les années de sa vieillesse, sont animés de ces traits heureux et vraiment spirituels, qui sortent tout à fait du commun. Dans ses tragédies, Arnault n’a qu’un demi-talent : dans ses apologues et dans sa prose, il a tout son esprit, et, par ce côté, il s’y est mis tout entier lui-même.

Je renvoie à ces récits, qui sont à lire dans leur variété et qui ne s’analysent pas. Arnault était donc légèrement aristocrate, comme on disait, ou plutôt il n’était nullement révolutionnaire durant ces années 1792, 1793 et 1794. Il retenait assez peu sa langue et sa plume, même sur Robespierre. Il aurait pu contribuer aux Actes des Apôtres par plus d’un de ses mots, comme plus tard il fit au Nain jaune. Un jour, au peintre David, qui lui faisait la grimace en voyant des fleurs de lis dessinées qu’il avait assez imprudemment sur son gilet, il répondit : « Que voulez-vous ? nous autres, nous montrons ce que vous cachez. » Et le mot était accompagné d’une petite tape significative sur l’épaule. La Terreur passée, il fut, avec Lemercier, avec Legouvé, avec Picard, avec Méhul, de cette génération jeune et active qui, dans tous les sens, redonna de la nouveauté et de la vie au théâtre. Il a très bien peint ces années confuses et à la fois brillantes. Il avait pour lui ces avantages de la jeunesse et de la nature qui ne sont pas inutiles pour assurer à l’esprit toute sa valeur aux yeux du monde. D’une haute taille élégante, d’une figure régulière, avec des yeux expressifs où riait la malice, avec la riposte prompte sur les lèvres, aimant franchement ceux qu’il aimait et se passant des autres, il payait de sa personne, il avait de l’esprit argent comptant et tenait sans effort son rang dans la société. Facile aux liaisons, camarade de bien des gens de lettres et de beaucoup de militaires, il dut à l’amitié du général Leclerc de faire son premier voyage d’Italie et d’être présenté à Bonaparte, général en chef, à Milan, au printemps de 1797.

Arnault avait trente et un ans ; il était célèbre par des succès dramatiques ; il était poète, et de la jeune génération qui promettait à la France des auteurs illustres. Le général en chef fut charmant et même coquet avec lui. Dans une première conversation qu’il eut avec Arnault, Regnault de Saint-Jean-d’Angély présent, il le fit causer de Paris et de l’esprit qui y régnait, puis ne dédaigna point de causer lui-même et de parler de ses opérations de guerre, de sa tactique et de l’esprit qu’il y apportait. Il retint Arnault pendant deux heures, et ne le laissa partir qu’après l’avoir conquis.

Arnault était depuis quelque temps au quartier général en amateur, lorsque Bonaparte, selon son usage, l’essaya. Il lui donna une mission de confiance pour Corfou et les îles Ioniennes. Le général Gentili, Corse, avait ordre d’en aller prendre possession. Arnault fut chargé, de concert avec ce général, d’y organiser le gouvernement et l’administration. Il reçut ses instructions à cet effet et partit. On a les dépêches qu’il écrivit de là au général Bonaparte. Arnault fit ce qu’il avait ordre de faire, et le fit bien, mais rien de plus. Le gouvernement une fois organisé aux îles Ioniennes, le général Gentili passa sur le continent de la Grèce et se mit en rapport avec le fameux Ali, pacha de Jannina, qui guerroyait alors contre la Porte ; pendant son absence, il voulait laisser le gouvernement général de Corfou à Arnault qui refusa :

Chargé par vous, écrivait celui-ci à Bonaparte, d’organiser le gouvernement des îles Ioniennes, je l’ai fait le mieux que j’ai pu. La Constitution que je leur ai donnée n’est pas plus mauvaise qu’une autre, si elle n’est pas meilleure. Ma tâche est remplie. J’ai donc insisté pour que le général Gentili ne mit pas mon dévouement à une plus dangereuse épreuve, et me permît de retourner auprès de vous… Permettez-moi de suivre l’exemple de Lycurgue, homme de sens, qui aimait mieux donner des lois que de les faire exécuter. Dès qu’il faut gouverner, j’abdique.

Cependant Bonaparte aurait voulu qu’Arnault ne bornât point là sa mission, qu’il passât en Épire avec le général Gentili, qu’il traitât avec le pacha : « Cela était essentiellement dans vos attributions », lui dit Bonaparte lorsqu’il le revit au retour. Mais Arnault, qui n’était qu’un gouvernant et un diplomate de circonstance, et un homme de lettres au fond, n’avait pas jugé à propos d’interpréter ses instructions dans ce sens étendu. Il s’était empressé de quitter Corfou dès qu’il s’était cru quitte de sa mission, et quand de nouveaux ordres de Bonaparte survinrent, il n’était plus à même de les exécuter. C’est ainsi que l’année suivante, après s’être associé d’abord à l’expédition d’Égypte, retenu à Malte par une fièvre de son ami et futur beau-frère Regnault de Saint-Jean-d’Angély, il profitera d’une première occasion pour s’en revenir en France sans pousser à bout sa fortune ; il interrompra une seconde fois la chance qui est entre ses mains. Est-il téméraire de conjecturer d’après cela que Bonaparte, tout en comptant désormais avec raison Arnault parmi les gens de lettres qui lui étaient dévoués et qu’il préférait, ne lui reconnut point cette ardeur et cette trempe qu’il voulait dans les grands instruments de son Empire, et qu’il rencontra en d’autres hommes qui avaient également débuté par les lettres, dans les Maret, dans les Daru ?

Arnault, que je ne m’attache point à suivre pas à pas, avait beaucoup causé avec le général en chef pendant la traversée de Toulon à Malte. Il avait été question d’Homère, de l’Odyssée, de la tragédie, de toutes sortes de choses littéraires. D’après ce qui nous est transmis de ces conversations, on sent combien l’instinct de Napoléon excédait et débordait le cadre de la littérature de son temps : soit qu’il causât avec Arnault, soit que plus tard il causât avec Fontanes, il demandait évidemment autre chose que ce qu’on lui offrait. Il provoquait des idées, un genre et un ordre de créations dont il cherchait vainement le poète autour de lui. Ossian, qu’il invoquait souvent, n’était qu’un thème vague et comme musical qui lui permettait de rêver ce que nul ne réalisait à son gré ; ce n’était qu’un nom dont il saluait un genre et un génie inconnu. En ce qui est de la tragédie, par exemple, il aspirait à quelque chose qu’on peut se figurer entre Shakespeare et Corneille :

Les intérêts des nations, les passions appliquées à un but politique, le développement des projets de l’homme d’État, les révolutions qui changent la face des empires, voilà, disait-il, la matière tragique. Les autres intérêts, qui s’y trouvent mêlés, les intérêts d’amour surtout, qui dominent dans les tragédies françaises, ne sont que de la comédie dans la tragédie. — Ce n’est qu’une comédie non plus, qu’un drame, si sérieux, si pathétique qu’il soit, tout y étant fondé sur les intérêts privés.

Zaïre, d’après son opinion, n’était qu’une comédie. — Un jour, à la suite d’une discussion sur la tragédie, il avait dit à Arnault : « Faisons une tragédie ensemble. » Le poète avait répondu avec plus de fierté et de malice que de curiosité et de confiance : « Volontiers, général, mais quand nous aurons fait ensemble un plan de campagne. » Revenu en France avant que Bonaparte fût de retour d’Égypte, Arnault avait fait représenter sa tragédie des Vénitiens qui eut beaucoup de succès (16 octobre 1799) ; il la dédia « à Bonaparte, membre de l’Institut », et reconnut dans la dédicace que l’idée du cinquième acte était due au général. Dans cette pièce, en effet, les deux amants d’abord ne mouraient pas : Blanche, malgré sa désobéissance à son père, Montcassin, malgré son infraction à la loi de l’État, trouvaient grâce devant des inquisiteurs généreux ; il y avait assaut et rivalité de grandeur d’âme, et la pièce finissait bien. Bonaparte, qui en avait entendu un soir la lecture avant son départ pour l’Égypte, et qui avait pleuré un moment, dit à l’auteur :

Je regrette mes larmes. Ma douleur n’est qu’une émotion passagère, dont j’ai presque perdu le souvenir à l’aspect du bonheur des deux amants. Si leur malheur eût été irréparable, la profonde émotion qu’il eût excitée m’aurait poursuivi jusque dans mon lit. Il faut que le héros meure.

Ce conseil d’Aristote, et qui partait ici de la bouche d’Alexandre, fut suivi par le poète qui s’en trouva bien ; sa pièce sortit ainsi du romanesque et atteignit à l’effet tragique. Cette pièce des Vénitiens, et surtout le cinquième acte, sont ce qu’Arnault a fait de mieux et de plus original au théâtre. Il y avait de l’innovation à la date où cela parut, de la couleur historique, de la simplicité de dialogue et de composition. Certes, il ne faut pas trop penser à l’Othello et à la Venise de Shakespeare en lisant cette pièce. La simplicité chez Arnault ressemble trop souvent à de la nudité ; la veine, chez lui, même lorsqu’elle est juste, n’est pas fertile. Il y a des anachronismes de ton, comme lorsque Constance, la suivante et la nourrice de Blanche, lui dit en la voyant prête à courir au secours de son amant : « Crains la publicité », et que celle-ci répond :

…………… C’est mon unique espoir…
L’opinion publique est mon dernier refuge.

Mais ces critiques, aujourd’hui faciles, ne doivent point fermer les yeux sur les mérites auxquels les contemporains furent sensibles, et Talma, dans le rôle de Montcassin, jouant en face de Mme Vanhove qui faisait Blanche et qu’il aimait réellement lui-même versait et faisait couler de vrais pleurs :

Contarini.

N’êtes-vous pas aimé ?

Montcassin.

Je suis aimé, mais j’aime ;
Mais vers Blanche emporté par un attrait vainqueur,
Je suis séduit comme elle et non pas séducteur.

Quand Bonaparte fut de retour d’Égypte, Arnault fut des premiers à le saluer, et il redevint des plus assidus au petit hôtel de la rue de la Victoire. La journée du 18 Brumaire était décidée ; Arnault, dans la confidence, allait et venait entre le général et les principaux initiés. Le coup d’État avait d’abord été fixé pour le 17. Dans la soirée du 16, Arnault sortit du salon de M. de Talleyrand, rue Taitbout, où étaient réunis Regnault, Roederer, n’attendant plus que le mot d’ordre qui ne venait pas ; il se rendit chez Bonaparte. En arrivant dans le salon, il y trouva le président du Directoire Gohier ; survint le ministre de la Police Fouché ; on y plaisanta, et Fouché tout le premier, de la conspiration dont le secret commençait à transpirer. Écoutons le récit d’Arnault :

« À quelle heure demain ? » dis-je à Bonaparte, dès que le départ des deux témoins m’eut permis de lui parler librement. — « Rien demain » ; me répondit-il. — « Rien ! » — « La partie est remise. » — « Au point où en sont les choses ! » — « Après-demain tout sera terminé. » — « Mais demain que n’arrivera-t-il pas ? Vous le voyez, général, le secret transpire. » — « Ces Anciens sont gens timorés ; ils demandent encore vingt-quatre heures de réflexion. » — « Et vous les leur avez accordées ! » — « Où est l’inconvénient ? Je leur laisse le temps de se convaincre que je puis faire sans eux ce que je veux faire avec eux. Au 18 donc ! » ajouta-t-il avec cet air de sécurité qu’il conservait sur le champ de bataille, où il me semblait ne s’être jamais autant exposé qu’il s’exposait alors au milieu de tant de factions, par ce délai que rien ne put le déterminer à révoquer57.

Après le 18 Brumaire, Arnault fut attaché à Lucien, alors ministre de l’Intérieur, et placé par lui à la direction des Beaux-Arts et de l’Instruction publique ; bientôt il suivit ce frère du consul dans son ambassade de Madrid, et revint après quelques mois reprendre sa place de directeur sous Chaptal, ministre. Dans cette position secondaire, mais essentielle, il se montra des plus serviables aux talents nouveaux et anciens, à Marie-Joseph Chénier disgracié et frappé, comme à Béranger inconnu et naissant. Je pourrais raconter là-dessus des anecdotes intéressantes qui prouveraient combien Arnault, cet homme d’esprit un peu caustique, était droit et bon. Lors de la création de l’Université, Arnault devint sous Fontanes conseiller secrétaire général. Rapproché ainsi de Fontanes par ses fonctions, Arnault ne put jamais se fondre avec lui. L’auteur de La Feuille était fait pourtant, ce semble, pour s’entendre avec le chantre du Buste de Vénus, avec l’auteur de plus d’une ode délicate et exquise. Mais il y avait dans l’écorce de tous deux, et, si l’on peut dire, dans leurs atomes extérieurs, je ne sais quoi qui ne permit point à leurs esprits de communiquer jamais entièrement et de se pénétrer. Fontanes, dans l’habitude de la vie, était tranchant ; Arnault était peu endurant. Celui-ci était plus prompt à lâcher un bon mot que disposé à s’ouvrir à ce qui s’éloignait de ses idées habituelles. Tout ce côté élevé d’avenir ou de passé religieux et monarchique que Fontanes appréciait et admirait dans son ami Chateaubriand, n’allait point à Arnault qui prenait les choses de plus près, plus à bout portant, et en bourgeois de Paris qui gardait de la Fronde même sous l’Empire. Vers ce temps, Arnault, âgé de trente-cinq ans environ et devenu administrateur, renonça à peu près au théâtre58. Une tragédie de lui, Don Pèdre, ou Le Roi et le Laboureur, représentée en 1802, réussit peu devant le public et n’agréa pas davantage à Saint-Cloud. Le consul en entendit la lecture avec froideur et dit à Arnault pour tout compliment : « Arnault, votre Laboureur est un tribun. » La pièce avait retardé et venait à contretemps. En se détournant de la muse tragique, Arnault, dans cette seconde moitié de sa vie, prit goût insensiblement à faire des fables ; il trouva de ce côté à employer et à fixer, sous une forme courte et vive, les qualités de son esprit. Il lui arriva alors ce qui est arrivé à bien d’autres gens de talent : ce genre, qu’il n’adopta d’abord que comme diversion et comme un simple délassement sans importance, lui devint peu à peu essentiel et lui procura ses plus naturelles inspirations ; il mit en œuvre et comme en jolie monnaie ses trésors de raison, d’expérience, de malice et de gaieté ; et, si l’on voulait aujourd’hui prouver à quelque incrédule, à quelqu’un de ceux qui nient absolument la littérature de l’Empire, qu’Arnault était un homme de beaucoup d’esprit et un homme de talent, il faudrait laisser ses grands ouvrages et dire simplement : Prenez ses fables.

Les Fables de M. Arnault ne ressemblent pas à d’autres ; il les conçoit à sa manière et en invente les sujets ; il ne songe point à imiter La Fontaine, il songe à se satisfaire et à rendre d’une manière vive un résultat de son observation propre ; il obéit à son tour d’esprit, à son jet d’expression, et on ne peut s’étonner si, comme lui-même l’avoue, « l’apologue a pris peut-être sous sa plume un caractère épigrammatique ». Très souvent, en effet, la fable chez M. Arnault n’est qu’une épigramme mise en action ou traduite en emblème. De même que le talent principal et le plus naturel d’Andrieux, quoi qu’il fasse, est d’être un conteur, on peut dire que le talent le plus marqué d’Arnault est d’être un épigrammatiste. Pour être juste, je prendrai le mot épigramme dans le sens un peu étendu où le prenaient les anciens. Mais, dans quelque sens qu’on le prenne, ce sont des épigrammes excellentes que Le Riche et le Pauvre, que Les Cygnes et les Dindons, que Le Chien enragé, que Le Coup de fusil, que Les Taches et les Paillettes, et surtout Le Colimaçon. Je ne citerai que la première et la dernière de ces pièces que je viens d’énumérer ; la dernière d’abord, qui est parfaite :

Le Colimaçon.

Sans amis, comme sans famille,
Ici-bas vivre en étranger ;
Se retirer dans sa coquille
Au signal du moindre danger ;
S’aimer d’une amitié sans bornes ;
De soi seul emplir sa maison ;
En sortir, suivant la saison,
Pour faire à son prochain les cornes ;
Signaler ses pas destructeurs
Par les traces les plus impures ;
Outrager les plus tendres fleurs
Par ses baisers ou ses morsures ;
Enfin, chez soi, comme en prison,
Vieillir de jour en jour plus triste,
C’est l’histoire de l’égoïste
Et celle du Colimaçon.

Comme cela est bien frappé et tout d’une venue ! Même en si courte composition, on sent de la verve. Voici l’autre fable ou épigramme, d’un ton tout différent, mais également excellente :

Le riche et le pauvre.

— « Penses-y deux fois, je t’en prie :
À jeun, mal chaussé, mal vêtu,
Pauvre diable, comment peux-tu
Sur un billet de loterie
Mettre ainsi ton dernier écu ?
C’est par trop manquer de prudence ;
Dans l’eau c’est jeter ton argent :
C’est vouloir… » — « Non, dit l’indigent,
C’est acheter de l’espérance. »

Ce ton légèrement attendri n’est pas le plus habituel chez Arnault. Dans bien des cas le trait final part à la manière d’un ressort un peu brusque, mais joliment tourné. Beaucoup de ses fables semblent être faites exprès pour ce trait qui les termine : elles sont données à l’auteur par le bon mot et pour le bon mot. On a remarqué qu’en général il y a peu d’action, peu de drame, point de caractères dessinés, et que l’auteur n’a pas le détail fertile. Il ne prend ses personnages ou acteurs que pour amener le trait piquant et acéré, et tout est dit. Dussault qui, dans un très bon article, a rendu justice au mérite des Fables d’Arnault à leur naissance (17 janvier 1813), remarque « que l’auteur semble n’avoir acheté l’avantage de l’originalité qui distingue ses fables qu’aux dépens d’une certaine douceur, d’une certaine aménité, qui forme un des caractères les plus aimables de l’apologue, et qu’on regrette de ne pas trouver dans un certain nombre de ses compositions : cette physionomie nouvelle qu’il a su donner à la fable a parfois quelque chose de passionné, de brusque et même de violent ; quelquefois le ton du nouveau moraliste paraît âpre… ». Tout cela est très juste, mais M. Arnault en a su faire un mérite et une distinction même de son recueil ; il est maître dans la fable serrée et laconique59. J’ai été très frappé, en le lisant, de voir combien ces espèces de moralités ou de mots incisifs qui terminent chaque pièce, ressemblent souvent à certains traits également aiguisés et limés qui brillent dans les chansons de Béranger : celui-ci, à ses débuts, a profité évidemment du voisinage de M. Arnault, et c’est un honneur pour ce dernier60. Il ne faudrait point croire toutefois, d’après ces éloges, que M. Arnault n’a point composé quelques fables véritables et de la meilleure sorte ; je me bornerai à en indiquer deux : Le Secret de Polichinelle, et surtout Le Chêne et les Buissons. Marie-Joseph Chénier a proclamé celle-ci une des plus belles fables proprement dites qu’on ait composées depuis La Fontaine. Voici le début qui est plein de grandeur et de poésie :

Le vent s’élève : un gland tombe dans la poussière ;
Un Chêne en sort. Un Chêne ! Osez-vous appeler
Chêne cet avorton qu’un souffle fait trembler ?
Ce fétu, près de qui la plus humble bruyère
Serait un arbre ?……………………………

C’est ce que commencent par dire tous les Buissons du voisinage, jaloux et envieux de leur métier, et qui nient que cet avorton puisse jamais devenir leur égal. Pourtant le germe tant méprisé,

Le germe, au fond du cœur Chêne dès sa naissance,

demande grâce et indulgence pour sa jeunesse ; il demande du temps pour croître et grandir ; le temps lui vient en aide :

Les Buissons, indignés qu’en une année ou deux
        Un Chêne devînt grand comme eux,
        Se récriaient contre l’audace
De cet aventurieur qui, comme un champignon,
Né d’hier, et de quoi ? sans gêne ici se place,
Et prétend nous traiter de pair à compagnon !
L’égal qu’ils dédaignaient cependant les surpasse ;
D’arbuste il devient arbre, et, les sucs généreux
        Qui fermentent sous son écorce
De son robuste tronc à ses rameaux nombreux
Renouvelant sans cesse et la vie et la force,
Il grandit, il grossit, il s’allonge, il s’étend,
        Il se développe, il s’élance ;
        Et l’arbre, comme on en voit tant,
        Finit par être un arbre immense.
De protégé qu’il fut le voilà protecteur,
Abritant, nourrissant des peuplades sans nombre ;
        Les troupeaux, le chien, le pasteurj
        Vont dormir en paix sous son ombre ;
L’abeille dans son sein vient déposer son miel.
        Et l’aigle suspendre son aire
À l’un des mille bras dont il perce le ciel,
Tandis que mille pieds l’attachent à terre.

Ainsi se poursuit cette fable vraiment magnifique et digne d’un poète que la Muse tragique n’a point dédaigné. Voyant désormais ce Chêne devenu leur supérieur, les Buissons, qui l’avaient repoussé d’abord, invoquent à présent l’égalité, mais trop tard :

L’orgueilleux ! disent-ils, il ne se souvient guère
        De notre ancienne égalité ;
        Enflé de sa prospérité,
A-t-il donc oublié que les arbres sont frères ?…

Le Chêne n’a pas de peine à leur répondre. On comprend la haute moralité sociale qui ressort de cette fable grandiose et tout à fait classique entre celles du recueil d’Arnault.

Arnault, dans cette partie de sa vie, prit donc l’habitude de mettre sous titre et sous enseigne de fable ce qu’il aurait pu appeler aussi bien d’un tout autre nom. Au milieu d’une vie occupée de devoirs administratifs ou mêlée au monde, c’était sa forme favorite de poésie morale ou légère. Cependant la chute de l’Empire atteignit Arnault dans sa fortune d’abord, et bientôt dans sa sécurité. Destitué en février 1815, il rentra pendant les Cent-Jours au ministère de l’Instruction publique, dont il tint même le portefeuille en attendant qu’on eût trouvé un dignitaire pour grand maître. Il y ménagea toutes les situations et les existences : c’est une justice que M. de Fontanes lui a rendue depuis. Il fut en même temps député de Paris à la Chambre des représentants, seule législature dont il ait jamais fait partie. Mais la seconde abdication de 1815 laissa Arnault exposé à toutes les vivacités de la réaction politique. Louis XVIII se donna le plaisir de laisser mettre cet ancien officier de sa maison sur la liste des exilés ; sans doute quelque propos malin, quelque épigramme attribuée plus ou moins exactement à Arnault, aura excité cette rancune d’un roi trop littéraire61. Quoi qu’il en soit de la cause qu’on n’a jamais bien sue, Arnault dut se préparer au départ. Peu de jours auparavant, se trouvant au Val, près de L’Isle-Adam, chez Regnault de Saint-Jean-d’Angély, par une pâle matinée de janvier de 1816, par un de ces ciels d’hiver qui ressemblent à l’extrême automne et qui ne laissent point encore deviner le printemps, il sortit du salon où sa famille était réunie et y rentra après une demi-heure de promenade pour y réciter comme un adieu cette épigramme vraiment digne de l’antique, cette légère et douce élégie :

La feuille.

— « De la tige détachée,
Pauvre Feuille desséchée,
Où vas-tu ? » — « Je n’en sais rien.
L’orage a frappé le chêne
Qui seul était mon soutien.
De son inconstante haleine
Le Zéphyre ou l’Aquilon
Depuis ce jour me promène
De la forêt à la plaine,
De la montagne au vallon.
Je vais où le vent me mène
Sans me plaindre ou m’effrayer ;
Je vais où va toute chose,
Où va la Feuille de rose
Et la Feuille de laurier. »

Comme Millevoye, Arnault avait rencontré là une de ces feuilles qui surnagent, un parfum qui devait à jamais s’attacher à son nom. Il avait eu, une fois, de la mélancolie et de la mollesse.

Sa vie littéraire, pour moi, finit à ce moment : non qu’il n’ait encore écrit, causé, raillé, ou même risqué des tragédies et comédies62 ; mais, si l’on excepte ses agréables Souvenirs, il n’a plus rien fait qui accroisse réellement cet héritage de choix, le seul dont la postérité se soucie. Accueilli en Belgique avec une hospitalité cordiale, il y écrivit des articles de journaux vifs, mordants, satiriques, qui étaient, dans la presse libérale, le pendant de ce que Michaud faisait ailleurs dans la presse royaliste. Il contribua aux journaux de Bruxelles, comme plus tard, après sa rentrée en France, au Miroir, et distribua des coups de lancette en s’amusant. L’inconvénient de ce genre facile est, pour les gens d’esprit, de les trop livrer à leur penchant et de trop marquer leur humeur : le talent demande à être plus gêné et plus contrarié que cela. Pendant l’absence de M. Arnault et son exil, on donnait au Théâtre-Français son Germanicus (mars 1817), composé depuis plusieurs années, et dont les circonstances d’alors faisaient une allusion continuelle : les partis s’y donnèrent rendez-vous comme à un combat. La littérature n’a rien à voir là où les passions politiques sont à ce point exaspérées. La France devait pourtant à M. Arnault des réparations ; elle les lui donna. Il y était rentré en 1819. Membre de l’Institut dès 1799, puis rayé en 1816, il fut de nouveau nommé à l’Académie française en 1829. Il y succédait à Picard, et y fut reçu par M. Villemain. Cet ingénieux et charmant panégyriste loua M. Arnault de tout ce qui était à louer en lui, et, jouant avec les mêmes armes, lui fit sentir la pointe de l’épigramme, même en le chatouillant. Parlant de ses Fables et rappelant le nom inévitable de La Fontaine : « Vous avez trouvé à cueillir, lui disait-il, dans ce champ moissonné. Là où nulle comparaison n’est possible, une part d’originalité vous est acquise. Vos Fables ont un caractère à vous. Elles sont, j’en conviens, quelque peu satiriques ; en les lisant, on ne s’écriera pas à chaque page : Le bonhomme ! » — Et ici, une suspension avec sourire, une pause malicieuse laissa place à de longs applaudissements : « Mais on dira, reprit le panégyriste d’un ton sérieux et convaincu, on dira toujours : L’honnête homme, dont l’âme est généreuse et droite, lors même que son esprit se blesse et s’irrite ! » Et l’éloge continuait, d’autant plus délicat qu’il avait été assaisonné d’un grain piquant.

Pour moi, qui n’ai pas eu l’honneur de connaître personnellement M. Arnault et qui servais alors sous des drapeaux littéraires tout différents, j’ai pu me convaincre de la réalité de l’éloge en ce qui touche le caractère. Plus je me suis approché de la source en interrogeant ceux qui l’ont connu et aimé, mieux j’ai pu m’assurer des qualités morales et des vertus de famille dont il a laissé en eux le vivant souvenir. Il mourut en septembre 1834, à l’âge de soixante-huit ans, plein de force et sans vieillesse. J’ai dû à son digne fils, M. Lucien Arnault, plus de renseignements biographiques intéressants qu’il ne m’a été possible d’en employer ici. J’aurais eu à ajouter bien des détails sur la conversation d’Arnault et sur le genre de traits dont elle était remplie. On ferait de ses bons mots et de ses ripostes tout un petit chapitre. Parlant de l’honorable historien Lémontey qui, en petit comité, sous la Restauration, avait tout son courage libéral et tout son trait, mais qui, à la seule vue d’un étranger, rentrait aussitôt dans sa circonspection et s’y renfermait : « Une goutte d’eau, disait Arnault, suffisait pour mouiller toute sa poudre. » Pour lui, c’était tout le contraire ; sa poudre partait par tous les temps. La présence de plusieurs ne faisait que le mettre en train et l’exciter. Quand ses amis rédigeaient Le Nain jaune, en 1814, ils le venaient voir le soir dans le salon de Mme Davillier ; ils le faisaient causer et pétiller, et, profitant de ses mots, ils se le donnaient à son insu pour collaborateur involontaire ; ils appelaient cela battre le briquet. Un ami, un inconnu, tout lui était bon à riposte. Un jour, dans un salon, son ami le général Leclerc l’aborde en disant : « Te voilà donc, toi qui te crois un poète après Racine et Corneille ! » — « Te voilà donc, lui réplique Arnault, toi qui te crois un général après Turenne et Condé ! » — Un jour, au coin d’une rue, heurté par un cavalier maladroit, Arnault se retourne et parle haut ; une altercation s’ensuit ; les passants regardent, et le cavalier, se piquant d’honneur, lui dit en lui présentant sa carte : « Au reste, voilà mon adresse. » — « Votre adresse, reprend Arnault, gardez-la pour conduire votre cheval. » Et chacun de rire. À bon chat bon rat, était sa devise. Mais, encore une fois, je renvoie aux fables et apologues où ce côté de son esprit revit tout entier.