(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — V. — article » pp. 448-452
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(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — V. — article » pp. 448-452

Voisenon, [Claude-Henri de Fusée de] Doyen du Chapitre de Boulogne-sur-Mer, Ministre du Prince Evêque de Spire à la Cour de France, de l’Académie Françoise, mort en 1775.

Ceux qui aiment l’esprit, les graces la finesse & la gaieté, trouveront ces heureuses qualités éminemment reconnues dans presque toutes les Productions de cet Académicien. La connoissance du monde, la facilité à en saisir les ridicules, l’art plus piquant encore de les peindre agréablement, donnent à ses Romans un caractere qui les distingue de ces Productions frivoles, chargées d’aventures & de sentimens parasites, rebattues cent fois, & toujours exprimées d’une maniere insipide ou bizarre. Au moins apprend-on quelque chose dans ceux de M. l’Abbé de Voisenon. L’Histoire de la Félicité, entre autres, est un Ouvrage où l’imagination, les traits ingénieux, les portraits originaux, les pensées saillantes, fourmillent, & amusent le Lecteur en l’intéressant. On y voit un tableau de la Société, aussi vif que juste, finement dessiné, & capable de guérir les ridicules, si les ridicules n’étoient encore plus difficiles à vaincre que les vices.

Dans ses Pieces de Théatre, il est le même. Les Mariages assortis, la Coquette fixée, le Retour de l’Ombre de Moliere, sont d’une touche vraiment comique ; & avec une intrigue mieux combinée, mieux suivie, un dénouement mieux préparé, on pourroit le comparer à ce que nous avons eu de meilleur depuis Moliere & Regnard.

Les petites Poésies, du même Auteur, ont la même trempe d’esprit & le même ton de vivacité.

M. de Voltaire appelle l’Abbé de Voisenon un des Conservateurs de la gaieté Françoise ; il auroit pu ajouter qu’il est également Conservateur du goût. En effet, en sacrifiant à l’esprit, il n’a jamais méconnu les regles ; il leur a même rendu hommage dans plusieurs endroits de ses Ouvrages, où il reproche au Siecle avec autant d’agrément que de vérité, les caprices qui le dégoûtent des bonnes choses, pour le faire courir après les Productions médiocres & puériles. Il a encore la gloire d’avoir été le Conservateur de ses pensées & de ses sentimens, en résistant à la contagion de la maladie philosophique. Il ne s’est jamais permis le moindre trait contre la Religion ; mais ce qui honore bien davantage la mémoire de ce véritable Bel-Esprit, comme l’a fort bien remarqué M. l’Evêque de Senlis*, « c’est que pouvant monter facilement aux premieres dignités de l’Eglise qui vinrent le chercher de bonne heure, il résista par probité aux offres les plus flatteuses. Un ambitieux les eût saisies comme un don imprévu de la fortune ; l’homme foible & facile à se laisser éblouir, se seroit trompé lui-même : l’homme de société, mais de bonne foi, ne vit dans ces honneurs, que la gravité d’un ministere capable d’alarmer par l’étendue des devoirs qu’il impose ; & ce qui pouvoit peut-être l’en rapprocher, c’est qu’il fut très - éloigné de s’en trouver digne. On sent très-bien quelle est la fin qu’un tel refus donnoit lieu d’espérer. Celle de M. l’Abbé de Voisenon fut ce qu’elle devoit être, chrétienne & consolante ».

Cet Auteur a conservé sa gaieté jusqu’au dernier moment de sa vie. Il avoit fait faire d’avance un cercueil de plomb ; il se le fit apporter quelques jours avant sa mort : Voilà donc ma derniere redingote , dit-il ; & se tournant vers un de ses laquais, dont il avoit eu quelquefois à se plaindre : J’espere, ajouta-t-il, qu’il ne te prendra pas envie de me voler celle-là.

Au reste, on a attribué à M. l’Abbé de Voisenon différens Ouvrages qui n’étoient pas de lui. Telle est, entre autres, une Traduction du Poëme Italien de l’Abbé Parini, intitulée les Quatre parties du jour à la Ville. Nous savons de certitude que c’est à la plume de M. l’Abbé Desprades, Instituteur des enfans de Monseigneur le Comte d’Artois, qu’on doit cette élégante Traduction. Cet Auteur estimé, chéri, & recherché de tous ceux qui le connoissent, est peu connu dans les Lettres, parce qu’il ne les cultivent que pour son amusement, & qu’il dédaigne l’éclat. Nous connoissons de lui plusieurs Ouvrages de Poésie, que nos meilleurs Poëtes n’auroient pas désavoués ; une Ode, entre autres, dont nous avons retenu la Strophe que voici. Il s’agit dans celle qui précede, d’un grand Roi qui avoit cédé à un de ses Ministres une partie de son pouvoir.

Tel Jupiter, du haut de la voûte azurée,
Fait part de sa puissance aux Dieux de l’Empirée :
Pouvant d’un seul regard éclairer l’Univers,
Il cede à d’autres mains le Char de la lumiere,
Qui doit, dans sa carriere,
Féconder de ses feux & la terre & les mers.