DUFRESNY, [Charles Riviere] Valet-de-Chambre de Louis XIV, & Contrôleur de ses Jardins, né à Paris en 1648, mort dans la même ville en 1724.
Un goût universel pour les Beaux-Arts, des talens pour les cultiver avec succès, doivent le faire regarder comme un de ces génies heureux, propres à faire admirer les richesses de la Nature. La Musique, le Dessin, la Peinture, l’Architecture, la Poésie, ont exercé tour-à-tour son activité ; les Belles-Lettres, & sur-tout la Poésie comique, paroissent cependant avoir eu la préférence.
La plupart de ses Comédies offrent des caracteres neufs, peints avec finesse, & parfaitement soutenus. Le dialogue est juste & concis, le comique des personnages est tiré de la pensée, quelquefois de la situation, & ne consiste point dans des jeux de mots ou de froides saillies, ressources ordinaires des Auteurs médiocres. Les portraits qu’elles présentent tirent leur principal agrément de la Critique, & non de la Satire, comme ceux de quelques Poëtes comiques qui sont venus après lui. Avec autant de parties estimables, ses Pieces manquent, en général, du côté de l’intrigue, & leurs dénouemens ne répondent pas au jeu & à la vivacité des Scenes. Regnard, dit-on, lui doit son Joueur. Ce qu’il y a de certain, c’est que, lorsque Dufresny voulut faire représenter le sien, il n’étoit plus temps : celui de Regnard s’étoit emparé des suffrages ; ce qui acheva de brouiller irréconciliablement ces deux Auteurs.
Louis XIV honora toute sa vie Dufresny d’une bienveillance particuliere, & le combla de
bienfaits, sans jamais le pouvoir enrichir. Il avoit deux passions qui
dévoroient tout, l’amour de la table & celui des femmes. Un homme de
ce caractere sembloit ne devoir jamais se fixer ; cependant il se
maria deux fois. En secondes noces, il épousa sa Blanchisseuse, pour
s’acquitter de ce qu’il lui devoit. M. le Sage raconte▶
ainsi ce trait dans son Diable Boiteux. « Je
veux envoyer aux Petites Maisons un vieux garçon de bonne famille,
lequel n’a pas plutôt un ducat qu’il le
dépense, & qui, ne pouvant se passer d’especes, est capable de
tout faire pour en avoir. Il y a quinze jours que sa Blanchisseuse,
à qui il devoit trente pistoles, vint les lui demander, en lui
disant qu’elle en avoit besoin pour se marier à un Valet-de-chambre
qui la recherchoit. Tu as donc d’autre argent, lui dit-il ; car
où diable est le Valet-de-chambre qui voudra devenir ton mari pour
trente pistoles ? Hé mais ! répondit-elle, j’ai encore,
outre cela, deux cents ducats. Deux cents ducats !
répliqua-t-il avec émotion ; malpeste ! tu n’as qu’à me
les donner à moi, je t’épouse, & nous voilà quitte à
quitte ; & la Blanchisseuse est devenue sa
femme »
.
On ◀raconte que Dufresny ayant un jour reproché à l’Abbé Pellegrin qu’il portoit du linge sale : Tout le monde, lui répondit l’Abbé, n’est pas assez heureux pour pouvoir épouser sa Blanchisseuse.
Dufresny a travaillé au Mercure de France. Les volumes qui sont de lui, fourmillent de ces traits d’esprit & d’enjouement, qu’il savoit répandre dans toutes ses Productions. On a encore de lui des Amusemens sérieux & comiques, qui eurent dans le temps beaucoup de succès, & qui peuvent encore amuser aujourd’hui. Il y introduit un Siamois, faisant une critique de nos usages & de nos mœurs. Il est assez vraisemblable que cette ingénieuse Production a fourni l’idée des Lettres Persannes, des Lettres Turques, des Lettres Chinoises, &c. Mais les imitateurs n’ont pas été aussi sages & aussi réservés que lui.