Chénier, André (1762-1794)
[Bibliographie]
Avis au peuple français sur ses véritables ennemis (1789)
Le Jeu de Paume, à David, peintre (1789). — La Jeune Captive, publiée le 20 nivôse an III dans la « Décade philosophique » ; La Jeune Tarentine, dans le « Mercure » du 1er germinal an XI. — Œuvres complètes, sous la direction de Henri de Latouche (1819). — Œuvres (éditions de 1862 et de 1872) avec commentaires de Becq de Fouquières.
OPINIONS.
Chateaubriand
La révolution nous a enlevé un homme qui promettait un rare talent dans l’églogue, c’était M. André Chénier. Nous avons vu de lui un petit recueil d’idylles manuscrites où l’on trouve des choses dignes de Théocrite. Cela explique le mot de cet infortuné jeune homme sur l’échafaud ; il disait, en se frappant le front : Mourir ! J’avais quelque chose là. C’était la Muse qui lui révélait son talent au moment de la mort.
Victor Hugo
L’autre jour, j’ouvris un livre qui venait de paraître, sans nom d’auteur, avec ce simple titre : Méditations poétiques. C’étaient des vers.
Je trouvai dans ces vers quelque chose d’André Chénier. Continuant à les feuilleter, j’établis involontairement un parallèle entre l’auteur de ce livre et le malheureux poète de la Jeune Captive . Dans tous les deux mêmes originalités, même fraîcheur d’idées, même luxe d’images neuves et vraies, seulement l’un est plus grave et même plus mystique dans ses peintures ; l’autre a plus d’enjouement, plus de grâce, avec beaucoup moins de goût et de correction. Tous deux sont inspirés par l’amour. Mais, dans Chénier, ce sentiment est toujours profane ; dans l’auteur que je lui compare, la passion terrestre est presque toujours épurée par l’amour divin. Le premier s’est étudié à donner à la Muse les formes simples et sévères de la muse antique ; le second, qui a souvent adopté le style des pères et des prophètes, ne dédaigne pas de suivre quelquefois la muse rêveuse d’Ossian et les déesses fantastiques de Klopstock et de Schiller. Enfin, si je comprends bien des distinctions, du reste assez insignifiantes, le premier est romantique parmi les classiques, le second est classique parmi les romantiques.
Arnould Frémy
Le Daphnis français dit :
Suis-moi sous ces ormeaux, viens, de grâce, écouterLes sons harmonieux que ma flûte respire.
J’en demande pardon aux personnes qui ont cru apercevoir dans les idylles d’André Chénier tout le naturel et l’ingénuité de l’ancienne Grèce, mais si elles eussent trouvé dans Delille un vers du genre de celui-ci : Les sons harmonieux que ma flûte respire, elles n’eussent pas manqué de se récrier contre l’affectation d’une telle périphrase. Or, pourquoi ce qui est digne de blâme chez Delille ne le serait-il pas également pour André Chénier ?…
On prépare, dit-on, une nouvelle édition des œuvres de ce poète, que plusieurs pièces inédites ont rendue nécessaire. Il serait à souhaiter qu’elle fût revêtue d’un caractère critique que n’ont pas eu les éditions précédentes, qui semblent avoir été entreprises surtout dans un esprit de panégyrique et d’hommage rendu à la mémoire du poète. Alors seulement, la place d’André Chénier pourra être marquée dans le rang des lettrés contemporains. Cette place ne sera jamais, je pense, celle des écrivains classiques dignes d’être proposés comme modèles, sans restriction, aux étrangers et aux jeunes esprits dont le goût n’est pas encore entièrement formé. On cessera de louer en lui ce titre de novateur qui a fait sa première gloire, et on regrettera même de l’avoir vu appliquer les efforts de sa muse à changer les détails d’une langue poétique fixée par l’autorité d’un grand siècle. On continuera à louer en lui ces images vives et brillantes que sa muse a répandues ; toutefois on ne le considérera plus comme notre seul et premier peintre poétique ; on n’oubliera pas que La Fontaine, Racine, Fénelon, et même Boileau, avaient ouvert, bien avant lui, la pure et vraie source des comparaisons et des images, sans jamais tomber dans la prodigalité ; on n’oubliera pas non plus que Chénier vécut dans un siècle descriptif et que ce don de peindre ou même de colorier les objets, qu’il a perfectionné sans doute, a pourtant été celui de plusieurs de ses contemporains. En admirant ses poésies, où l’on aperçoit plusieurs des parties des grands poètes, on y verra aussi la marque de l’inexpérience et de l’inachèvement ; on les regardera, non comme des pièces accomplies, mais comme des fragments, des ébauches, qui ne présentent guère, si ce n’est dans une ou deux pièces, une page entière où l’on ne reconnaisse, à côté des plus heureuses qualités de l’harmonie, de la sensibilité, de la grâce, les traces de l’affectation et de faux goût.
Sainte-Beuve
Notre plus grand classique en vers, depuis Racine et Boileau.
Alphonse de Lamartine
Cet Orphée républicain du Bosphore déchiré pour sa modération par les femmes thraces de la Terreur…
Maintenant, voici quelques strophes de sa dernière élégie (La Jeune Captive), écrite la veille de son supplice, pour déplorer le prochain supplice de Mlle de Coigny, sa compagne de captivité. Jusqu’alors la France n’avait jamais pleuré ainsi. Ce sanglot donna le ton de l’élégie moderne à Mme de Staël, à Bernardin de Saint-Pierre, à Chateaubriand, à moi peut-être à mon insu.
Alphonse de Lamartine
Bien qu’André Chénier, dans son volume de vers, ne soit qu’un Grec du paganisme et, par conséquent, un délicieux pastiche, un pseudo-Anacréon d’une fausse antiquité, l’élégie de la Jeune Captive avait l’accent vrai, grandiose et pathétique de la poésie de l’âme. L’approche de la mort, qui attendait le poète à la porte de sa prison sur l’échafaud, avait changé le diapason de ce jeune Grec en diapason moderne. L’amour et la mort sont deux grandes muses ; grâce à leur inspiration réunie, la manière trop attique d’André Chénier était devenue du pathétique. Voilà le secret de cette élégie tragique de la Jeune Captive, qui ne ressemble en rien à cette famille d’élégies grecques que nous avons lues plus tard dans ses œuvres.
Becq de Fouquières
Vers 1800, dans le groupe littéraire qui entourait M. de Chateaubriand, on s’occupait beaucoup d’André. Fontanes et Joubert avaient lu ses manuscrits. Le goût pur de Fontanes, la grâce attique de Joubert s’étaient laissé séduire à la fraîche muse du poète. Madame de Beaumont avait connu André Chénier chez « la belle Madame Hocquart » et avait su apprécier sa vive et puissante organisation poétique. Elle fit connaître à Chateaubriand la Jeune Captive, un peu perdue, il faut l’avouer, dans les recueils de l’époque.
Victor Hugo
… C’est surtout dans l’élégie qu’éclate le talent d’André de Chénier. C’est là qu’il est original, c’est là qu’il laisse tous ses rivaux en arrière. Peut-être l’habitude de l’antiquité nous égare, peut-être avons-nous lu avec trop de complaisance les premiers essais d’un poète malheureux ; cependant nous osons croire et nous ne craignons pas de le dire, que, malgré tous ses défauts, André de Chénier sera regardé comme le père et le modèle de la véritable élégie…
Il est hors de doute que si André de Chénier avait vécu, il se serait placé un jour au rang des premiers poètes lyriques. Jusque dans ses essais informes, on trouve déjà tout le mérite du genre, la verve, l’entraînement et cette fierté d’idées d’un homme qui pense par lui-même ; d’ailleurs, partout la même flexibilité de style ; là, des images gracieuses, ici des détails rendus avec la plus énergique trivialité…
Il n’y aura point d’opinion mixte sur André de Chénier. Il faut jeter le livre ou se résoudre à le relire souvent ; ses vers ne veulent pas être jugés, mais sentis.
Anatole France
Loin d’être un initiateur, André Chénier est la dernière expression d’un art expirant. Il est la fin d’un monde ; voilà précisément pourquoi il est exquis, pourquoi il est parfait. Il achève un art et il en recommence un autre. Il ferme un cycle. Il n’a rien semé, il a tout moissonné. Novateur ! personne ne le fut moins. Il est étranger à tout ce que l’avenir prépare. Il n’a soupçonné ni le spiritualisme, ni la mélancolie de René, ni l’ennui d’Oberman, ni les ardeurs romanesques de Corinne.