Œuvres choisies de Charles Loyson
publiées▶ par M. Émile Grimaud
Avec une lettre du R. P. Hyacinthe,
et une Notice biographique et littéraire par M. Patin125.
La destinée de Charles Loyson a été assez particulière. Cet élève distingué de la première École normale, ce contemporain et ami intime de Victor Cousin, de bonne heure prosateur distingué, poète élevé et touchant, esprit mûr, est enlevé à la fleur de l’âge, à vingt-neuf ans, en 1820 ; il emporte avec lui les regrets, les adieux funèbres éloquemment exprimés de ses amis. Puis le silence se fait : d’autres générations succèdent, prennent la tête et s’emparent de la renommée dans le domaine de la poésie. Un critique de cette nouvelle école, — moi-même, — après vingt ans écoulés, je m’avise de rechercher dans le passé ceux de nos devanciers dont les reliques ont quelque prix et qui, sans être arrivés jusqu’à la gloire, méritent un pieux souvenir et l’honneur d’un modeste monument. Je parle de Charles Loyson dans la Revue des Deux Mondes (1840)126. Ses amis, et ils étaient nombreux encore, Cousin, Viguier, Patin, et bien d’autres m’en surent gré ; mais parmi les nouveaux venus, parmi ceux qui occupaient alors le devant de la scène et qui faisaient le plus de bruit, il y en eut d’assez pleins d’eux-mêmes, d’assez infatués et enivrés de l’orgueil de la vie, pour me reprocher ce souvenir donné à un humble mort, comme si par là on les volait eux-mêmes, insatiables qu’ils étaient, dans leur célébrité présente ; je recueillis de ce côté quelques injures127. Aujourd’hui vingt-huit autres années se sont écoulées, et tout à coup il arrive que dans la génération nouvelle on se ressouvient de Charles Loyson, on revient à lui jusqu’au point de croire qu’une édition choisie de ses Poésies et de sa prose n’est pas un contre-temps ni un hors-d’œuvre à l’heure présente. Que s’est-il passé ? Deux des neveux de Loyson, l’un ecclésiastique savant et distingué, professeur plein de doctrine et de mérite, l’autre prédicateur éloquent, dont la parole a de la flamme et des ailes, ont rajeuni ce nom et l’ont remis en circulation dans une partie de la jeunesse contemporaine. La mémoire de l’oncle en a aussitôt profité. Un reflet de l’éclat que jette la parole du Père Hyacinthe est allé éclairer un tombeau presque oublié, et voilà comment j’ai aujourd’hui à annoncer une édition nouvelle de ces Poésies dont j’avais été le premier à reparler autrefois. A y bien songer, on trouvera qu’il est convenable et juste que la gloire ainsi remonte, qu’il y ait réversibilité, que l’ancêtre (antecessor) profite de la célébrité du descendant, et que, par une sorte de culte religieux comme en Chine, les aïeux gagnent et croissent en honneur par les mérites mêmes de leurs petits-neveux.
Charles Loyson, né en 1791 à Château-Gontier, dans la Mayenne, après des études faites au collège de Beaupréau, et devenu déjà professeur, obtint en 1811 la faveur d’entrer à l’École normale pour y fortifier et y compléter son éducation classique, qui avait été un peu hâtive. Il fit partie de la génération dont Victor Cousin était le chef, et qui comptait dans ses rangs Viguier, Larauza, Théodore Gaillard, Mézières, Pouillet, Patin, une riche élite intellectuelle. Une anecdote que je tiens de la bouche même de M. Cousin se rattache à ce temps. Charles Loyson et lui, vers 1812, se décidèrent un matin de dimanche à aller faire visite à Chateaubriand qui logeait alors, je crois, à la place Louis XV. Annoncés comme élèves de l’École normale, ils furent accueillis avec politesse et exposèrent l’objet de leur visite, qui était de soumettre à l’illustre auteur des Martyrs un essai de traduction de l’Iliade que Loyson avait commencée. M. de Chateaubriand s’en fit lire quelque chose, approuva l’exactitude que cherchait le traducteur, lui demanda plus de fidélité encore et de littéralité, et l’engagea à poursuivre. La semaine ne se passa point sans que lui-même fût venu à l’École normale, alors au collège du Plessis, déposer sa carte à l’adresse des deux jeunes gens. Mais, lorsqu’à l’un des dimanches suivants les deux amis retournèrent pour lui rendre visite et pour jouir de sa conversation, tout en restant très-poli, il leur fit comprendre que d’autres intérêts et d’autres soins le réclamaient pour le moment. La politique, en effet, et ses fureurs vengeresses allaient déjà le ravir aux Lettres.
Loyson lui-même, en ces années de fin d’Empire et au début de la Restauration, était loin de rester étranger à la politique. Si l’on retranche certains cris violents et passionnés qui échappèrent à sa muse dans les premiers moments, de courts accès de la fièvre universelle qui atteignait en sens divers les meilleurs esprits, il était fait évidemment pour traiter de ces questions à l’ordre du jour, et pour en disserter en toute prudence et connaissance de cause. On pourrait même, si on l’étudiait avec suite, non-seulement dans ses poésies, mais dans ses articles de journaux et dans ses brochures, comme je viens de le faire rapidement, on pourrait le présenter comme un type parfait de cette première jeunesse royaliste et bourbonienne à bonne fin, amie et enthousiaste de la Restauration, de laquelle elle ne séparait pas l’idée de liberté ; datant en politique de la protestation de M. Lainé et de ses collègues, peu juste (on ne saurait lui demander des choses contraires) envers l’Empire tombé dont elle ne voyait que les désastres et les malheurs128. N’oublions pas qu’il s’y mêlait de plus, chez Loyson, une veine de sang vendéen. La Restauration, en durant et en faisant à son jour toutes ses fautes, se chargea plus tard de désenchanter ceux de ces jeunes esprits qui vécurent assez pour la voir dans tout son développement et dans ses extrêmes conséquences ; mais au début une grande espérance animait ces jeunes et loyaux admirateurs de Louis XVIII et de la Charte octroyée.
Le premier Recueil de Loyson, ◀publié en 1817, porte tout à fait le cachet du temps. La gravure qui est en tête et qui représente le poète mourant couché dans un lit à longs rideaux, entouré de ses amis vêtus encore à la mode de 1811, et lui-même, dans cette chambre à coucher d’un ameublement moderne, tenant à la main sa lyre, — une vraie lyre (barbiton) ; — la vignette du titre où une femme, une muse en costume d’Empire, apprend l’art de pincer du luth à un petit Amour à la Prudhon ; les bouts-rimés et les quatrains qui s’entremêlent dans le volume aux pièces sérieuses, tout cela retarde et montre que le nouveau goût qui va naître et qui signalera proprement l’ère de la Restauration n’en est encore qu’à de vagues et craintifs essais. La Dédicace au Roi offre une particularité qui caractérise bien aussi les prétentions littéraires de Louis XVIII et en même temps la critique méticuleuse qui régnait alors. L’auteur avait d’abord écrit ainsi cette phrase : « Les rois de France, Sire, ont toujours regardé l’amour des Français comme d’un prix égal à leurs plus grands bienfaits. » Cette Dédicace, avant d’être imprimée, fut soumise à Louis XVIII qui la lut et qui se donna le plaisir de faire remarquer que le mot de bienfaits, trop rapproché, rimait avec Français, et que de plus ce membre de phrase : comme d’un prix égal à leurs plus grands bienfaits, faisait un vers alexandrin dans une phrase de prose, ce qui est réputé un défaut. Le monarque puriste suggéra donc une correction, et à la place de : à leurs plus grands bienfaits, il proposa ou même il écrivit de sa main : à leurs plus hautes faveurs. Une note de l’auteur ne manqua pas de donner à deviner à quelle « auguste critique » il avait dû la correction de cette faute. Mais à côté de ces points minutieux qui aujourd’hui nous font sourire (comme peut-être on sourira de nous un jour pour des travers qui ne pèchent point par la minutie), on lit de beaux vers et bien sentis sur le bonheur de l’étude, sur les goûts du poète, d’élégantes imitations de Catulle, de Tibulle, et une ode intitulée le Jeune poète au lit de mort, écrite à une heure de maladie trop réelle et dans un pressentiment trop vrai qui ne faisait que devancer de bien peu le terme fatal.
Le second Recueil de Charles Loyson, dans lequel étaient comprises les meilleures pièces du premier, et qui avait pour titre Épîtres et Élégies (1819), présente un tout autre caractère. L’ère de la Restauration a décidément commencé. Le volume s’ouvre par quatre Épîtres d’une bonne poésie philosophique, adressées à M. Royer-Collard, à M. Maine de Biran, le grand psychologiste, à M. Cousin et à M. Viguier. On sent que tout l’homme est désormais formé chez Loyson. Il entretient les esprits supérieurs auxquels il s’adresse des sujets élevés qui leur sont familiers, et dans une langue doucement égayée d’esprit, heureusement tempérée de raison, d’élégance et d’agrément. Le nom de Maine de Biran, son autorité qui a singulièrement grandi en ces toutes dernières années dans l’école philosophique universitaire, représentée par MM. Ravaisson et Lachelier, rendent particulièrement de l’intérêt à l’Epître à lui adressée par Loyson, qui aura eu l’honneur d’être son ami et son poète129. — Plus loin, parmi les Élégies du petit volume, à côté de la pièce reproduite, le poète au lit de mort, on en lit une plus forte et plus neuve, le Retour à la vie. De même qu’une conférence sur Millevoye serait privée de son plus gracieux ornement si l’on n’y récitait la Chute des feuilles, de même un article sur Loyson serait sans sa couronne si l’on n’y mettait cette élégie du Retour à la vie ; il y répond à des amis qui, le voyant revenu d’une terrible crise, lui conseillaient d’aller respirer l’air natal :
Quelle faveur inespéréeM’a rouvert les portes du jour ?Quel secourable dieu du ténébreux séjourRamène mon ombre égarée ?Oui, j’avais cru sentir dans des songes confusS’évanouir mon âme et défaillir ma vie ;La cruelle douleur, par degrés assoupie,Paraissait s’éloigner de mes sens suspendus,Et de ma pénible agonieLes tourments jusqu’à moi déjà n’arrivaient plusQue comme dans la nuit parvient à notre oreilleLe murmure mourant de quelques sons lointainsOu comme ces fantômes vainsQu’un mélange indécis de sommeil et de veilleFigure vaguement à nos yeux incertains.
Vous m’êtes échappés, secrets d’un autre monde,Merveilles de crainte et d’espoir,Qu’au bout d’un océan d’obscurité profondeSur des bords inconnus je croyais entrevoir !Tandis que mon œil vous contemple,L’avenir tout à coup a refermé son temple,Et dans la vie enfin je rentre avec effort :Mais nul impunément ne voit de tels mystères ;Le jour me rend en vain ses clartés salutaires,Je suis sous le sceau de la mort !Marqué de sa terrible empreinte,Les vivants me verront comme un objet de deuil,Vain reste du trépas, tel qu’une lampe éteinteQui fume encor près d’un cercueil.
Pourquoi me renvoyer vers ces rives fleuriesDont j’aurais tant voulu ne m’éloigner jamais ?Pourquoi me rapprocher de ces têtes chéries,Objet de tant d’amour et de tant de regrets ?Hélas ! pour mon âme abattueTous lieux sont désormais pareils :Je porte dans mon sein le poison qui me tue ;Changerai-je de sort en changeant de soleils ?J’entends… Ma fin prochaine en sera moins amère ;Mes amis, il suffit : je suivrai vos conseils,Et je mourrai du moins dans les bras de ma mère.
Le moment où Charles Loyson faisait entendre ce cri d’une sensibilité si vraie, ces accents d’une gravité attendrie, était précisément celui où Lamartine préparait ses premières Méditations, qui ne parurent que l’année suivante (1820). On dirait véritablement que l’histoire littéraire, comme la nature, à la veille d’une grande création, au moment où elle va enfanter et produire un grand individu nouveau, s’essaye et prélude par des ébauches moindres, par des moules préparatoires un peu indécis, mais approchants, qui donnent déjà quelque idée du prochain génie, mais qui, à son apparition, se brisent comme inutiles avant de s’achever et de s’accomplir.
Le Retour à la vie de Loyson peut se comparer avec quelqu’une des pièces où Lamartine, — le Lamartine des Méditations, — après une première langueur, revient aussi à la vie et renaît à l’espérance ; avec la pièce intitulée Consolation, par exemple. Mais l’élégie de Loyson, même à l’heure de la convalescence, est d’un homme qui garde du frisson en soi, qui doit bientôt retomber et mourir : la méditation de Lamartine, jusque dans son mélodieux gémissement au contraire, est celle d’un poète qui doit vivre et qui recèle encore en lui des torrents de sève et de force. On les sent déborder sur ses lèvres, du sein de sa prière à l’Éternel, auprès duquel il ne craint pas de se prévaloir de la guérison miraculeuse d’Ézéchias.
Tous les jours sont à toi : que t’importe leur nombre ?Tu dis : le Temps se hâte, ou revient sur ses pas.Et n’es-tu pas celui qui fit reculer l’ombreSur le cadran rempli d’un roi que tu sauvas ?
Si tu voulais, ainsi le torrent de ma vie,A sa source aujourd’hui remontant sans efforts,Nourrirait de nouveau ma jeunesse tarie,Et de ses flots vermeils féconderait ses bords,
Ces cheveux dont la neige, hélas ! argente à peineUn front où la douleur a gravé le passé.S’ombrageraient encor de leur touffe d’ébèneAussi purs que la vague où le cygne a passé :
L’amour ranimerait l’éclat de ces prunelles.
Et tout ce qui suit. Veuillez bien remarquer et noter la gradation, dont la trace est sensible dans l’histoire littéraire. Parny, le premier en date, un élégiaque élégant et passionné ou du moins brûlant, n’est plus que libertin et sec quand il est sur le retour. Millevoye, lui, rencontre et introduit un soupir de l’âme que n’avait pas l’élégie sensuelle de Parny ; il est au fond tout païen encore, mais déjà mélancolique et d’une veine de sensibilité qui mène et achemine de loin à la première manière de Lamartine.
Loyson, spiritualiste et même expressément chrétien, est tout voisin de cette muse prochaine des Méditations ; il l’est par l’élévation de la pensée, par le sentiment ; mais l’imagination n’est pas à la hauteur, et trop nourri de l’ancien goût, trop plein des formes classiques un peu usées, il n’atteint pas à l’expression puissante. L’image et le style lui font défaut.
La sincérité du moins, chez lui, est entière et sans mélange. Les poètes en général, si l’on excepte le grand Lucrèce, ont considéré le spiritualisme et les idées religieuses comme la région naturelle où respire et se meut à l’aise la poésie. On a vu des poètes eux-mêmes dont la pensée était volontiers en révolte et en humeur de secouer tous les jougs rentrer par instants, et comme par un mouvement involontaire, dans cette atmosphère et ce courant de croyances élevées. Tout récemment encore, dans un fort bon article sur Byron, M. Claveau, un de nos meilleurs critiques, discutant sur le degré de croyance ou d’incrédulité de l’auteur de Childe Harold, a montré qu’il y a bien des fluctuations chez lui et du va-et-vient. « Après tant d’épreuves, dit-il, il en était revenu à son point de départ, ou plutôt il ne s’en était jamais éloigné ; il n’avait pu dépasser, dans le blasphème et la révolte, ce qu’on peut nommer l’étape des poètes. Quand leur raison essaye de la franchir, leur imagination et leur cœur les y ramènent ; leur sensibilité les y attache ; ils sont religieux par leur instinct le plus sincère : toute poésie croit en Dieu. » — Il y a bien du vrai dans cette remarque, et l’étape des poètes est bien trouvée. On pourrait en faire des applications à nos grands poètes du jour depuis Lamartine jusqu’à Musset. Mais, pour Charles Loyson, il n’en était pas ainsi : cette étape des poètes était pour lui la région fixe et définitive, celle où sa raison comme son cœur se reposait. On le vit bien à sa mort, lorsqu’il poussa l’humilité et le repentir jusqu’à sacrifier et livrer tout de bon aux flammes une élégante et innocente traduction de Tibulle, qu’il s’était permise en ses plus vives années.
La prose tenait une grande place dans le talent de Charles Loyson. De ce côté et presque du premier jour, sa plume fut celle d’un excellent esprit et d’un bon écrivain : comme ceux qui sont destinés à mourir jeunes et en qui les saisons intérieures anticipent sur l’âge, il eut la maturité précoce. Je viens de parcourir un recueil auquel il a fort collaboré, le Spectateur politique et littéraire, de 1818 : c’était une feuille périodique ou à peu près, créée en opposition à la Minerve, et qui bientôt tint le milieu entre elle et le Conservateur, c’est-à-dire entre les libéraux-bonapartistes du temps et les ultra-royalistes. Loyson s’y dessine à la fois dans sa modération et dans la fermeté de sa ligne ; royaliste attaché à la Charte, mais faisant feu à droite et à gauche, — à droite contre Benjamin Constant et M. Étienne, — à gauche contre MM. de Bonald et de La Mennais. Je suis fâché que l’éditeur des Œuvres choisies n’ait pas connu notamment un article que Loyson écrivit au sujet du tome Ier de l’Essai sur l’Indifférence, à l’occasion de la deuxième édition. Cet article était digne d’être lu et reproduit. La Mennais en écrivait à son frère, l’abbé Jean, le 26 mai 1818 :
« Plusieurs personnes regrettent comme toi quelques-uns des passages que j’ai retranchés ; d’autres trouvent encore trop d’images. On ne sait que faire entre tant d’avis et si divers. Un M. Loyson parle de mon ouvrage dans le Spectateur, journal semi-périodique et ministériel. Il me reproche deux graves erreurs : d’avoir dit (ce que je n’ai ni dit ni pensé) qu’aucune société ne peut subsister sans la religion catholique, et d’être peu sensible à la beauté des gouvernements représentatifs. Ceci est plus vrai. Du reste, beaucoup d’honnêtetés, tout ce que je pourrais désirer d’égards, et des louanges plus que je n’en mérite. On me crée une réputation dont je me passerais bien volontiers : je ne sais que faire de cela. »
Cet article de Loyson, dans lequel il saluait avec joie l’avénement d’un esprit éminent, d’un talent nouveau du premier ordre, comme il le fera plus tard pour Lamartine, contenait plus d’une réserve prévoyante et se terminait par une véritable profession de foi de christianisme libéral et de libéralisme chrétien. Sans compter que c’est un des meilleurs morceaux de l’auteur, le réimprimer eût été certainement un à-propos et presque une flatterie à l’adresse de son éloquent neveu.
Dans ce recueil du Spectateur, Loyson se trouvait en compagnie de MM. Droz, Auger, Campenon, tous exacts et honnêtes esprits, mais un peu froids, un peu ternes et sans nouveauté : il se retrouvait plus à sa place et dans son vrai monde, lorsqu’il était en compagnie des Royer-Collard, des de Serre, ses vrais maîtres, et qui lui témoignaient par leur considération qu’ils le tenaient, malgré sa jeunesse, pour l’un des leurs. C’est en cela que Loyson est fort supérieur à Casimir Delavigne, son contemporain, et à côté de qui il débuta dans les concours de l’Académie française. Delavigne, qui avait bien des avantages comme poète, n’approchait pas de Loyson dans l’ordre des idées, dans l’intelligence des questions philosophiques et politiques : il eût été profondément incapable de manœuvrer en prose et de tenir campagne en face d’un Bonald, d’un Benjamin Constant et d’un La Mennais. — Delavigne, confiné dans son art, ne s’intéressait qu’aux vers et y bornait sa vue : Loyson s’intéressait à tout130.
M. Cousin, dans un de ces éloquents discours funéraires, tels qu’il les savait prononcer, a très-bien défini Charles Loyson en ce peu de mots : noble esprit, âme tendre, jeune sage, et le pied sur cette tombe entrouverte, le bras solennellement étendu, il s’écriait en finissant :
« Encore un mot, mon cher Loyson. J’ai la confiance que tu as été jusqu’à la fin fidèle à l’amitié, et qu’à tes derniers instants, où nos consolations te manquèrent131, tu n’as pas cessé de croire que tu avais été et seras toujours présent à tous ceux qui te connaissent, et particulièrement à celui auquel tu aurais dû survivre, et que tu n’attendras pas longtemps. »
Ces dernières paroles produisirent, on peut le croire, une impression profonde sur l’assistance : rien ne manquait au dramatique ; Cousin était alors souffrant, pâle, affecté ou se croyant affecté de la poitrine, comme il convenait à un disciple du Phédon qui aspire à jouir le plus tôt possible de l’immortalité. Cette espèce de rendez-vous à prochaine échéance qu’il n’hésitait pas à donner à l’âme de Loyson se trouva heureusement fort ajournée : mais il est juste de dire que, s’il tarda de près d’un demi-siècle à le rejoindre, il ne l’oublia jamais ; il aimait à s’en entretenir avec nous ; il provoquait notre ami M. Patin à entreprendre une édition de ses Œuvres, et s’il vivait, il saluerait aujourd’hui avec bonheur l’accomplissement d’un de ses vœux. Nous lui aurions dû peut-être une dernière page, un dernier portrait définitif de son ami.
Publiciste et poète, la courte vie de Loyson, si amoindrie encore par la maladie, fut partagée entre ces deux vocations opposées ; il a vivement exprimé cette gênante contrariété de goûts et d’occupations dans son Épitre à M. de Biran ;
Quelle étoile sinistre, à me nuire obstinée,En guerre avec mes goûts a mis ma destinée !…
D’une part l’amour des champs, le rêve à la Tibulle, le vœu d’Horace ; de l’autre, la guerre aux brouillons, aux charlatans, aux faux esprits, aux exagérés et aux violents. Ce n’était pas la seule contradiction qu’il trouvait au dedans de lui ; il avait coutume de dire encore, en regrettant de ne pas rester un simple amateur, ce qui est si doux et si désirable aux délicats : « Quel dommage que j’aie toujours envie d’écrire ! j’aurais tant de plaisir à lire ! » — Il exprimait ainsi une contradiction qui est en plus d’une nature littéraire, et plus d’un d’entre nous, que la démangeaison de produire a trop détourné de la douceur d’étudier, pourrait dire en ceci comme Louis XIV : « Je connais ces deux hommes en moi132. »
Il s’est engagé une sorte de polémique bien tardive sur Charles Loyson ; dans un livre intitulé Victor Hugo et la Restauration (1869), M. Edmond Biré s’est attaché à réfuter (pages 251-255) un mot entre autres échappé à l’illustre auteur des Misérables. Dans ce roman, il y a en effet un chapitre intitulé l’Année 1817, qui est tout rempli de contrastes et de singularités historiques ou littéraires, tournant au ridicule et au grotesque ; par exemple : « Il y avait un faux Chateaubriand appelé Marchangv, en attendant qu’il y eût un faux Marchangy appelé d’Arlincourt… La critique faisant autorité préférait Lafon à Talma… L’opinion générale était que M. Charles Loyson serait le génie du siècle ; l’envie commençait à le mordre, signe de gloire, et l’on faisait sur lui ce vers :
Même quand Loyson vole, on sent qu’il a des pattes.
M. Edmond Biré, qui a fait tout un volume pour réfuter les cinq ou six pages de Victor Hugo, et qui les considère comme outrageuses à la Restauration, objet pour lui d’un culte rétrospectif, n’a pas eu de peine à montrer qu’en 1817 Loyson ne passait nullement pour un génie, et que le vers satirique qu’on lui lança ne fut décoché qu’un peu plus tard. J’avais toujours négligé, dans les deux articles que j’ai consacrés à Loyson, de rappeler cette mauvaise plaisanterie à laquelle son nom donna lieu. Je pense que ce qui est dû surtout aux mauvaises plaisanteries de ce genre, c’est d’être méprisées et oubliées. Mais puisque celle-ci est devenue décidément un objet de controverse, puisque c’est la première chose, et la seule, que cite plus d’un de nos beaux esprits du jour quand il s’agit de Loyson, force m’est bien d’en parler. C’est Delatouche qui en est l’auteur et qui trouva plaisant de parodier le vers de Lemierre (dans les Fastes, chant V, vers 40) :
Même quand l’oiseau marche, on sent qu’il a des ailes.
La parodie parut pour la première fois dans les Lettres Normandes (tome VIII, page 238) sous ce titre : Êpigramme-quatrain sur un jeune doctrinaire qui fait de gros articles et de petits vers :
Au Pinde pourquoi voltiger,Lorsque toujours vous y rampâtes ?N’essayez plus d’être léger ;Même quand l’oison vole, on sent qu’il a des pattes,
Voilà le vrai texte. La rime est mauvaise, le quatrain a des longueurs, et il n’est fait évidemment que pour amener le dernier vers. La pointe finale est purement fortuite et due au hasard du nom ; elle porte à faux et n’atteint pas le faible du talent, car si Loyson a un défaut, ce n’est pas la lourdeur, c’est la pâleur. Mais n’est-il pas honteux qu’une telle malice, curieusement et froidement élaborée, nous occupe encore après des années et s’éternise ? Delatouche, l’homme de ces malices-là, était né comme exprès pour être l’ennemi et l’envieux de Loyson, si Loyson avait vécu. Il était en tout son contraire. Esprit amer et coquet qui distillait douloureusement des vers érotiques ; qui, en politique, passait aisément à l’extrême ; qui combinait les lascivetés de boudoir avec la haine des rois, et insinuait à plaisir un coin de priapée dans le républicanisme, il n’était pas fait pour comprendre le sentiment libéral, sincère et modéré, le sentiment religieux, également sincère et philosophique, le talent simple, élevé, et toute l’âme morale de celui qu’il croyait avoir suffisamment accablé en l’appelant un doctrinaire, et en faisant une pointe digne de Brunnet sur son nom. Quant au chapitre de Victor Hugo sur l’année 1847 et que je ne me charge pas de justifier dans les points inexacts, je ne puis m’empêcher pourtant de trouver qu’il est bien étrange qu’on en soit venu à faire un volume tout entier, là où deux ou trois pages eussent amplement suffi. C’est d’ailleurs se méprendre, selon moi, que de penser que Victor Hugo ait voulu être systématiquement malveillant pour la Restauration, et l’idée générale du chapitre me paraît autre. Je l’ai écrit à M. Biré lui-même, en le remerciant de l’envoi de son volume : « Moi aussi, lui ai-je dit, j’ai vu l’année 1817, et je m’en souviens. Mettez si vous voulez 1816 ou 1818, on n’en est pas à quelques mois près ; mais ce qui est certain, c’est que, de quelque point de vue qu’on prenne la Restauration, le caractère de ce régime n’était point encore prononcé et tranché à cette date. Il y avait amalgame, mélange, tâtonnement ; la forme nette n’était pas encore dégagée et sortie de sa gaine. Il y a dans l’âge de l’homme et de l’enfant un certain moment de transition qu’on appelle l’âge bête. Eh bien, l’an 1817 répondait assez fidèlement, du moins dans les choses de la littérature et du goût, à ce premier âge intermédiaire et gauche. Le régime n’eut tout son éclat et tout son développement heureux que vers 1828. Je me figure que c’est cette idée qui a inspiré les pages de M. Hugo. » Il y aurait lieu certainement, en choisissant bien ses points, à exécuter pour l’année 1817 une variation analogue sur le canevas et le thème où il s’est joué, et d’y observer une parfaite justesse. Quant aux détails inexacts et aux erreurs de fait, il est toujours bien de les relever, sauf toutefois à éviter l’excès de chicane et la minutie. M. Edmond Biré ne s’en est pas toujours préservé, et il serait aisé de le lui montrer, si ce n’était l’imiter que de l’y suivre. Ce jeune auteur possède à un remarquable degré la faculté du détail ; il est armé d’un instrument d’investigation très-fin, et il a poussé plus d’une fois la précision jusqu’au piquant. Mais, ces points obtenus, l’ensemble fait défaut ; la juste proportion des choses et des hommes n’y gagne pas. Il est, à mes yeux, des inexactitudes d’un autre ordre, et dont l’auteur ne paraît pas assez se douter ; elles consistent, par exemple, à prendre M. Nettement pour un historien considérable, M. Mennechet pour un témoin de poids, M. Laurentie pour un des personnages distingués et des noms principaux de la Restauration, etc. Ce sont des erreurs d’optique qui tiennent à l’etmosphère particulière où l’on vit. Charles Loyson, s’il eût vécu, n’aurait pas commis de ces méprises.