Chapitre V.
Histoire littéraire.
Fixer à des époques certaines la naissance, l’accroissement, la perfection, la décadence & le renouvellement de chaque art & de chaque science ; tracer avec netteté les principales actions & les traits les plus marqués du caractère de chaque auteur ou de chaque artiste, tel est le but de l’Histoire Littéraire. Ce champ est vaste ; il n’a pas manqué de cultivateurs. Il y a pourtant quelques parties qui sont encore en friche. Nous connoissons très-peu l’histoire des arts dans la Perse, dans le Mogol, dans les Indes ; mais en revanche, on a, pour ainsi dire, épuisé ce qui regarde l’Europe.
Les amateurs des faits littéraires ne peuvent guéres se passer des Mémoires pour servir à l’histoire des hommes illustres dans la république des lettres, par le P. Niceron, Barnabite. Cet ouvrage est trop volumineux ; & l’auteur n’auroit pas compilé près de cinquante volumes, s’il s’étoit borné aux hommes véritablement illustres. Ses mémoires auroient été bien-tôt épuisés. Il le sentoit, & il a associé aux grands auteurs des écrivains médiocres & presque inconnus. Ils figurent dans son livre comme les captifs à la suite des triomphateurs de l’ancienne Rome. Cependant, malgré ce défaut, il faut avouer que les mémoires du Pere Niceron sont curieux. Ils renferment les faits importans qui caractérisent le plus un écrivain, avec une liste de ses ouvrages & des éditions qu’on en a faites. L’auteur s’y montre un homme dégagé des préjugés de parti ou de corps ; il rend justice aux Protestans comme aux Catholiques, aux Jansénistes comme aux Molinistes, & dit la vérité avec une liberté judicieuse. S’il n’y a pas de la finesse dans ses éloges & dans ses critiques, il y a du moins de la simplicité & du naturel dans son style.
Presque chaque pays a son histoire littéraire ; mais cette carriere est trop vaste pour la parcourir. Il faut se borner dans ses lectures comme dans ses desirs. On peut donc se contenter de l’Histoire littéraire de la France depuis quelques années avant J. C. jusqu’au XIIme. siécle, par des Bénédictins de la Congrégation de St. Maur, en onze vol. in-4°. 1733-1760. Ce recueil a voûté des recherches pénibles ; & le style s’en ressent un peu. Mais on est dédommagé du peu d’élégance de la diction par l’érudition qui regne dans tout l’ouvrage. Peut-être eût-il été à souhaiter que les savans auteurs n’eussent pas fait entrer dans leur livre les vies de tant d’écrivains inconnus, qui n’ont produit quelquefois qu’un mandement, ou qu’une lettre moins étendue que l’article qu’on leur a donné dans l’histoire littéraire. On veut bien connoître les Généraux & les Officiers d’une armée ; mais l’on se soucie fort peu d’être instruit du nom & des actions des subalternes, sur-tout si leurs prouesses sont aussi obscures que leur nom.
Il y a plus de choix dans le Tableau historique des gens de lettres, par M. l’Abbé de Longchamps, 1767. quatre vol. in-12., qui seront suivis de plusieurs autres. L’auteur a profité des recherches des Bénédictins ; mais il a puisé aussi dans d’autres sources. Il écrit en homme d’esprit, & l’on sent que lorsqu’il sera parvenu aux siécles intéressans de notre littérature, il fera connoîtra nos richesses en homme de goût.
L’Histoire littéraire du regne de Louis XIV., par M. l’Abbé Lambert, 1751. trois vol. in-4°., n’est point précisément le tableau de ce que la littérature a fourni de plus utile & de plus agréable sous le regne de Louis XIV. C’est plûtôt un recueil d’éloges historiques des gens de lettres, des savans & des artistes du dernier siécle, avec un catalogue de leurs ouvrages. Ce titre étoit le seul convenable ; & l’auteur n’auroit pas dû mettre à son livre un frontispice qui promet plus qu’il ne donne. Il y a de gens sortis d’un sang obscur qui usurpent hardiment des titres de noblesse pour s’attirer des égards qui ne sont dus qu’à une illustre naissance. Il en est de même de certains livres, dit M. l’Abbé de la Porte en parlant de celui de M. l’Abbé Lambert. Il a pourtant un avantage, c’est de renfermer en un corps, ce qui est dispersé dans cent volumes différens.
L’histoire générale des sciences & des arts demanderoit une société savante, capable de tout connoître & de tout apprécier. Pour un tel ouvrage, il faudroit réunir les plus illustres Membres de l’Académie des sciences & belles-lettres. Nous aurions alors quelque chose de complet, au lieu que nous n’avons que des essais informes. Je n’en excepte pas ceux de M. Juvenel de Carlencas sur l’histoire des belles-lettres, des sciences & des arts, en 4. vol. in-8°., Lyon, 1757. Ce livre est une preuve des connoissances de son auteur ; mais il n’est pas propre peut-être à tirer le commun des lecteurs de leur ignorance. Pour qu’il eût produit cet effet, il auroit fallu traiter chaque article plus au long & avec plus de profondeur, connoître tous les bons auteurs sur chaque matiere ; en porter des jugemens réfléchis, & laisser dans l’oubli une foule d’écrits vains qu’on ne peut pas lire. Le style est en général pur, net & précis ; mais on y désire plus de finesse & d’énergie. Ces essais, tels qu’ils sont, doivent être regardés comme un repertoire utile ; mais tels qu’ils pourroient être, ils formeroient un livre excellent qui manque à notre littérature.
Le Tableau des révolutions de la littérature ancienne & moderne, traduit de l’italien de M. Denina, par le P. de Livoy, 1767. in-12., est un précis assez bien fait. Il y a des vues & du style. Mais l’auteur a trop indisposé M. de Voltaire contre lui, en faisant sentir qu’il avoit autant contribué à pervertir qu’à éclairer son siécle.
L’Origine des loix, des arts & des sciences chez les anciens peuples, par M. Goguet, en trois vol. in-4°. 1758., ne laisse rien à désirer sur cet objet. Mais l’auteur n’a conduit son ouvrage que jusqu’à Cyrus. S’il avoit continué dans le même goût, l’histoire des connoissances humaines, nous pourrions nous flatter d’avoir un ouvrage aussi intéressant qu’approfondi. Mr. Goguet trop tôt enlevé à la république des lettres, avoit commencé un grand traité sur l’Origine & les progrès des loix, des arts & des sciences en France depuis le commencement de la Monarchie jusqu’à nos jours. Sa premiere production, écrite avec beaucoup d’ordre, de lumiere & de goût, avoit prévenu favorablement le public. On ne sauroit trop en recommander la lecture à ceux de nos Ecrivains qui traitent superficiellement les matieres qui demandent les recherches les plus profondes.
Les éloges qu’on prononce dans les différentes Académies, à la mort de chaque Académicien, sont de bons matériaux pour l’histoire littéraire, pourvu qu’on réduise certaines louanges à leur juste valeur. Nous avons fait connoître la plûpart de ces Eloges, dans le chapitre des Orateurs, à l’article des discours académiques.
Un autre ouvrage qui peut servir de guide à quiconque voudra connoître l’état présent des sciences & de la littérature, est la France littéraire. Ce n’étoit d’abord qu’un petit Almanach in-24. & c’est à présent un Dictionnaire en deux vol. in-8°. Paris 1769. Cet ouvrage contient la liste des Académies établies à Paris & dans les différentes villes du Royaume, & celle des auteurs vivans & des écrivains morts depuis 1751. inclusivement, avec le catalogue de leurs écrits. Les notices qu’on y donne sur les gens de lettres, sont quelquefois inexactes ; mais ce n’est pas toujours la faute du rédacteur. Plusieurs auteurs n’ont pas voulu fournir leur article ; de-là des omissions & des erreurs.
Pour que les mémoires qui concernent les écrivains morts depuis peu, ne s’égarent point, M. M. Palissot & Castillon les consignent dans un ouvrage digne des encouragemens du public. Le Necrologe des hommes célébres qu’ils publient tous les ans, renferme les éloges historiques des gens de lettres & des artistes morts dans l’année. Ce livre est fait avec impartialité & écrit d’une maniere ingénieuse ; ce sera un jour un recueil aussi curieux qu’utile à consulter.