Rodenbach, Georges (1855-1898)
[Bibliographie]
Le Foyer et les Champs (1877). — Tristesses (1879). — La Mer élégante (1881). — L’Hiver mondain (1884). — La Jeunesse blanche (1885). — Du silence (1888). — L’Art en exil (1889). — Le Règne du silence (1891). — Bruges-la-Morte (1892). — Le Voyage dans les yeux (1893). — Le Voile, un acte, en vers (1894). — Musée de béguines (1894). — La Vocation (1895). — Les Vierges (1895). — Les Tombeaux (1890). — Les Vies encloses (1896). — Le Carillonneur (1897). — L’Arbre (1898). — Le Miroir du ciel natal (1896). — L’Élite (1899).
OPINIONS.
François Coppée
Les amateurs de poésie intime et de modernité — il y en a beaucoup en nous comptant — apprécieront fort la Mer élégante, car c’est l’œuvre d’un sentimental et d’un raffiné.
Gaston Deschamps
L’auteur de la Vie des chambres , du Cœur de l’eau, des Cloches du dimanche et de Au fil de l’âme murmure si bas, si bas, ses chansons tristes, que souvent sa voix hésite, s’éteint et que sa pensée fuit, dans un clair-obscur de limbes. Je me demande avec inquiétude ce que va dire le lecteur bien portant de cette poésie débile, anémiée, valétudinaire, voilée de crêpes… Cela est fait pour être susurré en sourdine, dans une chambre close, près du lit blanc d’une convalescente, parmi des meubles vieux, bien rangés, sous un rameau de buis bénit, tandis que le tic-tac monotone d’une vieille pendule semble la palpitation légère des heures qui dépérissent et meurent comme nous… Pour moi, je le déclare, au risque de scandaliser les Voltairiens, cette mélodie en mineur ne me déplaît pas. À mesure qu’on l’écoute pleurer, il semble qu’on s’en aille je ne sais où, sans secousse et sans heurt, que le moi s’éparpille goutte à goutte, perdu en pluies, évaporé en brouillards. Les lettrés de Rome, au temps des mauvais empereurs, auraient peut-être savouré cette forme délicieuse du suicide.
Gustave Kahn
M. Rodenbach nous satisfait par ses condensations de mots lorsqu’il dépeint, par exemple, des eaux :
Une eau candide où le matin se clarifieComme si l’Univers cessait au fil de l’âme,
ou définit des yeux :
Reliquaires du sang de tous les soirs tombants
ou bien
Sites où chaque automne a légué de ses brumes.
Il a de même donné d’un peu longues, un peu insistantes, mais intéressantes sensations sur les vitres où meurt le soir, sur les malades à la fenêtre ; c’est souvent ténu, aigu et délicat. Mais il nous est difficile de goûter ses Lignes dans la main.
Le procédé est ici trop visible : réunir en une seule pièce, pour les décrire, toutes les variétés de mains, malgré la solidité du travail rhétorique, apparaît de l’énumération trop voulue et pas très utile. C’est quand il parle des eaux calmes, des eaux presque mortes, et qu’il assimile les silencieux aquariums aux cerveaux humains, où les idées glissent ou rampent, où les actinies s’entr’ouvrent un instant, c’est par le détail heureux qu’il est poète.
Maintenant, il faut dire que cette technique de l’alexandrin, il est vrai, admettant des coupes diverses, a dû contribuer à fausser l’expression de quelques aspects de ses idées ; ses rimes, et comment pourrait-il en être autrement ? faussant parfois d’une sonorité lourde ses essais de fluide et ductile poésie.
M. Georges Rodenbach est un des meilleurs écrivains belges qui soient venus se servir de notre langue, et l’acquisition pour la littérature française est bonne.
Charles Maurras
J’ai lu ce « poème » des Vies encloses. Il n’y a rien d’aussi prodigieusement ennuyeux. Non, le registre d’aucune littérature n’offre le souvenir d’un si complet, d’un si exact, ni d’un si glorieux alambic de l’ennui ! Et cependant, à chaque page, M. Rodenbach imagine un nouveau moyen d’être mauvais d’une façon recherchée et curieuse, d’écrire mai, de rythmer de travers avec mille soins délicats.
Francis Vielé-Griffin
C’est un art indubitablement mièvre, fluide et décadent que professe l’auteur de l’Aquarium mental ; l’aberration esthétique que dénote, seul, le choix d’un pareil titre, l’a mené loin — trop loin, pour que cette notice reste, comme nous l’eussions souhaitée, totalement élogieuse.
M. Rodenbach, que nous n’avons pas l’honneur de connaître, serait-il collectionneur ? Invinciblement, son œuvre fait songer à quelque patient Hollandais, grand créateur de tulipes, colleur de timbres-poste, et qui, dans ses vitrines jalonnées d’insectes rares, en serait venu, maniaque mégalomane, à piquer d’abondance, sur le liège des coléoptères de hasard, de vagues cloportes, de banales araignées, des feuilles mortes, que sais-je ? des mouches ! et qui grouperait dans tels tiroirs à compartiments — entre un cristal alpestre, une perle grise et du minerai d’argent — des cailloux, de la ferraille, et tout un assortiment de boutons de chemise.
Charles Merki
On doit la vérité aux morts, dit-on ; j’ai trop souvent regretté de voir Rodenbach s’en tenir à Bruges-la-Morte et à ses puérilités exquises cependant, pour ne pas le dire une fois. Sa fin prématurée, d’ailleurs, vient, témoigner pour lui-même, et aujourd’hui je puis penser qu’après tout j’ai pu mal le comprendre… Toute l’œuvre de Rodenbach atteste sa préoccupation de mourir jeune et la crainte de ne rien laisser de sa vie et de ses émotions. « Seigneur, s’écriait-il déjà aux pages de la Jeunesse blanche, donnez-moi cet espoir de revivre
Dans la mélancolique éternité du livre. »
Edmond Pilon
Elles parurent bien faibles et très hésitantes les voix tremblantes des vierges de Bruges et de Malines, à côté du robuste plain-chant que scandaient les chœurs des Moines de Verhaeren. Pourtant, elles furent si charmantes ! On les aima quelquefois pour la douceur berceuse de leurs inflexions, on les écouta à cause de l’apaisement que cela donnait, à cause des beaux vers dont la musique imprécise charmait.
Paul Léautaud
Achevée depuis si peu de temps, la vie de Georges Rodenbach n’a pas besoin d’être rappelée longuement. On sait le rang qu’il s’était conquis par son talent et l’estime que lui avait méritée sa belle tenue littéraire. Après avoir vu ses débuts encouragés et soutenus, il nous semble bien, par M. François Coppée, toujours favorable aux jeunes poètes, il était devenu le familier du grand écrivain Edmond de Goncourt. Mais ce n’est pas seulement parmi les maîtres que Georges Rodenbach comptait des sympathies, et sa collaboration fréquente aux jeunes Revues montre combien les nouveaux venus goûtaient son œuvre. On lira plus haut la liste de ses ouvrages. Déjà nombreux et très variés, ils avaient fondé solidement sa réputation. Ce n’est pourtant pas la toute son œuvre. De nombreux articles, en effet, et des contes, qu’il écrivit et publia dans des journaux et dans des revues, demeurent épars. Et de même qu’un comité de littérateurs s’occupe d’élever à Bruges un monument au poète de qui le nom est pour jamais lié à celui de cette ville, il faut souhaiter que soient rassemblés tous ces éléments complémentaires de l’œuvre de Georges Rodenbach.