(1874) Premiers lundis. Tome II « Poésie — I. La Thébaïde des grèves, Reflets de Bretagne, par Hyppolyte Morvonnais. »
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(1874) Premiers lundis. Tome II « Poésie — I. La Thébaïde des grèves, Reflets de Bretagne, par Hyppolyte Morvonnais. »

I.
La Thébaïde des grèves, Reflets de Bretagne, par Hyppolyte Morvonnais.

En quittant le romancier raffiné de la Torpille, on ne saurait passer dans un monde plus différent. Ici l’air est pur ; nous sommes aux grèves des mers, en Bretagne, dans ce que le poète appelle sa Thébaïde, c’est-à-dire dans le manoir de la famille, et au sein des joies intimes ou des douleurs d’une âme restée simple et chrétienne. M. Morvonnais a fait dès longtemps une étude approfondie et toute filiale de Wordsworth, de Crabbe, et lui-même il peut se dire à son tour le Lakiste des mers. Le volume qu’il publie contient ses propres impressions et les cantiques de son cœur dans la solitude d’un veuvage que remplit un souvenir aimé. La poésie de M. Morvonnais est abondante, cordiale, salubre pour ainsi dire, pleine d’images heureuses et particulières de la nature, féconde en effusions mystiques : le fond a beaucoup de richesse et de fertilité ; la forme en est souvent indéterminée et quelque peu inculte. Cette poésie doit ressembler au manoir même et au paysage qu’elle décrit : une végétation forte et plantureuse, d’odorantes senteurs qui s’en exhalent, des herbes hautes qui envahissent (même dans ce qu’on appelle jardin) les sentiers mal dessinés ; une source qui coule dans un lit peu tracé et en déborde souvent. Rarement il y a un tableau terminé dans ces poésies, le cantique revient toujours et recommence ; c’est comme une redite patriarcale, biblique, qui a son charme, qui a aussi sa satiété. Ce qui est vrai du peu de composition de l’ensemble, ne l’est pas moins pour le détail du style : la phrase ne finit pas, le vers enjambe sur le vers et sur la strophe, ¿ans qu’il en résulte beauté ni mouvement. Il y a des aspérités agrestes, il y a des duretés armoricaines. Et pourtant tout cela est bien d’un poète, d’un chantre de famille et de coin du feu, d’un peintre de landes et de bruyères. Les âmes tendres et naïves se plairont à l’entendre et retiendront son nom entre ceux d’aujourd’hui qui cheminent aux mêmes sentiers. Voici une pièce qui, en justifiant nos éloges, ne fera sentir qu’à peine ce que nous critiquons :

À l’enfant.

Enfant, tes jeux sont doux à mon cœur paternel,
Mon chant intérieur monte vers l’Éternel
    Quand j’entends tes pas dans les salles,
A cette heure où le jour s’éteint mystérieux ;
Lorsque le vieux château, décrépit glorieux,
    Nous cache ses tours colossales.

Le seul bruit de tes pas ravive dans mon cœur
Des souvenirs tout pleins d’une exquise douceur
    De repos et de rêverie.
Marche donc, mon enfant, image du passé ;
Ranime mon esprit qui, voyageur lassé,
    Se traîne vers l’hôtellerie.

L’hôtellerie est loin, et le ciel est chargé.
Oh ! qui m’enseignera le chemin ombragé,
    Car il fait chaud sous les nuées !
Le chemin ombragé, c’est toi, mon bel enfant,
Toi plus doux à mon cœur que le soupir du vent,
    Ou le bruit des mers refluées.

Tout s’en va, mon cher ange, avec le flot des jours :
L’homme voit au tombeau descendre ses amours
    Et ses espoirs les plus superbes.
Tu me tombas alors des trésors du Seigneur,
Comme un épi doré que trouve le glaneur
    Dans un champ dépouillé de gerbes.

Ton fracas me rappelle à de charmants tableaux,
Aux jours où je faisais retentir mes sabots
    Sur le parquet large et sonore.
J’eus une mère, enfant, un père, comme toi,
J’eus une aïeule aussi qui cultivait ma foi,
    Bien-aimés que je pleure encore.

J’éveillais le logis avant le point du jour.
Toute bouche pour moi n’avait que miel d’amour,
    Que caressantes gronderies.
De mon humeur fantasque on craignait les courroux ;
Et j’aurais, en jouant, toujours aimé de tous,
    Brisé glaces et pierreries.

Sur mon front de cinq ans, j’avais toujours des fleurs ;
Le temps, comme une plume, emportait les douleurs
    Et de mon corps et de mon âme ;
Une rose en avril me jetait en transports ;
De la vie en mes sens abondaient les trésors ;
    Je voltigeais comme une flamme.

Tels qu’un rayon de mai, tous ces trésors ont fui ;
Les heures de santé sont rares aujourd’hui ;
    Il a neigé sur la montagne ;
Mais j’ai, pour me charmer, ma lyre, don du ciel ;
J’ai l’amitié, ce vase aux flots d’or et de miel ;
    Mais j’ai la mer et ma Bretagne.

J’ai la vieille Bretagne avec ses bruits si beaux,
Ses maisons du Seigneur, au milieu des tombeaux,
    Comme des mères de familles
Assises au milieu de leurs enfants aimés,
Au soir d’un de ces jours où les cieux allumés
    Ont chauffé le fer des faucilles.

J’ai les amis venant en automne au manoir ;
J’ai, devant le foyer, les lectures du soir,
    Et l’étude des saintes choses ;
J’ai, quand le vent gémit dans le long corridor,
La prière dans l’ombre et de beaux songes d’or
    Sur la couche où tu te reposes.

Que M. Morvonnais consente à faire entrer l’art pour quelque chose dans ses préoccupations solitaires ; qu’en étudiant les Lakistes avec amour, il ne se borne pas à eux et ne s’y oublie pas jusqu’à laisser tout rivage. En France, on n’arrive au beau qu’avec des lignes terminées. Plus il avancerait dans le secret de l’art, et plus ses poésies, toujours vraies, paraîtraient naturelles. En réalisant ainsi le vœu de l’amitié, il élargirait le cercle des amis et gagnerait un public.

II.
Les Premières Feuilles, par M. Stanislas Cavalier

C’est le début d’une jeune âme qui obéit à sa sensibilité, à son amour de la nature, à ses rêves d’avenir. Ces sortes d’impressions, à un certain moment, sont communes à toutes les âmes : le poète les a rendues pour son compte avec simplicité et mélodie. Ce qu’on pourrait lui reprocher, c’est de ne pas les avoir montrées assez particulières, et d’être trop resté dans des variations générales du thème lamartinien. Mais le poète s’excuse d’avance ; il n’est pas né dans un pays de caractère, il n’a pas rêvé, enfant, aux grèves de l’Océan ; il n’a eu pour premier horizon que d’immenses plaines on le regard n’avait pas même de collines où se poser :

Et je n’eus pour parfums, dans ces plaines sans sites,
Que la senteur des blés et que l’odeur des foins,
Que le souffle embaumé des blanches marguerites,
Ou les exhalaisons d’autres fleurs plus petites
    Aux rebords des chemins.

Depuis lors, il est vrai, il a vu Rome, il s’est bercé au golfe de Baïa ; mais il vient un peu tard pour redire ce que les Méditations ont chanté. Ce qu’il faut conseiller à M. Stanislas Cavalier, après ce premier essai qui est comme un voyage de curiosité et une visite émue dans le monde de poésie, c’est de choisir, s’il se peut, quelque endroit non occupé, ne fût-ce qu’aux rebords des chemins, de le marquer pour sien, et de le féconder assez pour avoir le droit de dire : Ceci est à moi ! car le tien et le mien, c’est la première loi de l’art.