(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 381-387
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(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 381-387

2. MOTHE, [Antoine Houdart de la] de l’Académie Françoise, né à Paris en 1672, mort dans la même ville en 1731 ; Bel-Esprit agréable, Ecrivain élégant, bon Poëte à certains égards, on trouveroit dans la diversité de ses Ouvrages de quoi former cinq ou six réputations préférables à celle d’un grand nombre de nos Littérateurs actuels, quoiqu’en embrassant trop de genres, il se soit montré foible dans presque tous, pour avoir méconnu ses talens.

Sa Traduction en Vers de l’Iliade est justement méprisée. Son génie n’étoit nullement propre à la haute Poésie. De là, le peu de succès qu’il a eu sur le Théatre. Inès de Castro est la seule de ses Tragédies ; le Magnifique, la seule de ses Comédies qui soient restées au Théatre : Inès même ne doit son succès qu’à quelques situations intéressantes. Cette Piece est généralement foible de versification & de coloris, sans parler de plusieurs défauts qui en gâtent l’économie. Dans ses Odes héroïques, il manque, de l’aveu de tout le monde, de cette élévation de pensées, de cette chaleur d’expression, de cette vivacité d’images, de cette énergie de tours, qui sont l’ame de la Poésie lyrique. Il a beau étaler un enthousiasme apparent, on sent d’abord qu’il le contrefait plus qu’il ne l’éprouve ; il est moins Poëte que Versificateur ingénieux, & moins Versificateur que Moraliste.

La Poésie galante paroissoit être plus du ressort de son génie ; c’est pourquoi son Théatre lyrique réunit tous les suffrages ; & personne, depuis Quinault, n’a mieux saisi le vrai caractere, n’a mieux développé le goût, n’a porté plus loin l’intelligence nécessaire dans cette partie de nos Spectacles. Par la même raison, ses Odes anacréontiques sont pleines de délicatesse, de douceur, & d’aménité. Les fictions en sont simples & ingénieuses ; les sentimens vifs & naturels, la versification harmonieuse & facile, qualités sans lesquelles il faut renoncer à ces sortes de compositions. Le seul défaut qu’on pourroit lui reprocher, est d’y avoir mis quelquefois trop d’esprit. Les graces n’ont pas besoin de fard, la nature est le plus bel ornement.

Qu’on excepte deux ou trois de ses Eglogues, où les pensées ingénieuses sont trop prodiguées & trop éloignées de ce qui convient au genre pastoral, M. la Mothe pourra passer encore pour un de nos bons Poëtes Bucoliques.

Il n’a pas été aussi heureux dans ses Fables ; aussi est-il bien éloigné de la simplicité d’Esope, de l’élégance de Phédre, & de la naïveté de Lafontaine. Les Etres moraux, les Personnages métaphysiques qui y figurent, révoltent un Lecteur délicat, & font tort à quelques-unes, qui ne sont jugées sans examen, que parce que les autres sont justement méprisées. Mais on doit lui tenir compte de la richesse de l’invention, de la variété des sujets, & de la solidité de la morale, genre de mérite qui manque à plusieurs Fabulistes de nos jours.

Ce Poëte a fait encore des Hymnes & des Cantates, qui prouvent que l’Ecriture Sainte, d’où elles sont tirées, n’a pas été mieux traitée que l’Iliade, & sont de nouveaux motifs pour nous confirmer dans l’idée que le génie de la Mothe n’étoit pas propre à la Poésie sublime.

Il s’en faut bien que cet Auteur soit aussi inégal dans sa prose. Rien de médiocre dans tout ce qu’il a écrit. Sa diction est constamment élégante, pleine de douceur & d’harmonie. Le coloris en est vif, le ton varié, la touche facile. Parmi ses pensées, il y en a de neuves, de brillantes, de profondes, d’agréables, qui toutes sont toujours bien exprimées. Son Discours sur la Poésie en général & sur l’Ode en particulier, ses Réflexions sur la critique, offrent un enchaînement de réflexions judicieuses, instructives, présentées avec grace & d’un ton séduisant dont il faut se défier dans quelques autres de ses Ouvrages, ceux, entre autres, où il veut prouver qu’on peut faire de bonnes Tragédies & de belles Odes en prose, ou détruire la supériorité des Anciens sur les Modernes. Ses Discours académiques, son Eloge funebre de Louis le Grand, sont d’un Ecrivain élégant, d’un Moraliste profond, d’un Philosophe raisonnable.

Il a su également traiter la critique d’une maniere intéressante, pleine de sel, d’agrémens, de politesse, & de modération ; ce qui le rend supérieur à ses Adversaires, du moins par la maniere de combattre, sur-tout à Madame Dacier, qui, dans la dispute sur les Anciens, employa quelquefois le ton du pédantisme & de l’âcreté. « On vit paroître dans la lice, dit M. de Fontenelle, d’un côté le Savoir, sous la figure d’une Dame illustre ; de l’autre, l’Esprit, je ne veux pas dire la Raison, car je ne prétends pas toucher au fond de la dispute, mais seulement à la maniere dont elle fut traitée. Envain le Savoir voulut se contraindre à quelques dehors de modération dont notre Siecle impose la nécessité ; il retomba malgré lui dans son ancien style, en laissant échapper de la chaleur & de l’emportement. L’Esprit, au contraire, fut doux, modeste, même enjoué, toujours respectueux pour le vénérable Savoir, & plus encore pour celle qui le représentoit ».

Ajoutons à ce passage ce que l’illustre Fénélon disoit de la Mothe, que son rang étoit réglé parmi les premiers des Modernes.

On ne sait pourquoi M. L. de F. traite cet Auteur d’Hypocrite de mœurs. S’il est vrai que la Mothe soit l’Auteur des Couplets qui ont occasionné la disgrace de Rousseau, comme il est vrai que Rousseau ne les a pas faits, il est incontestable que cette imputation lui convient ; mais en attendant que ce mystere soit débrouillé, il n’est pas moins vrai que M. de la Mothe étoit un homme qui avoit eu le talent de se faire beaucoup de partisans dans la Société. Nous aimons mieux croire qu’il les devoit à son mérite & à ses manieres, que d’aller chercher dans le fond de son cœur un vice qui déprécieroit tous ses talens.

Au reste, M. d’Alembert vient de publier, dans le Mercure, un Eloge de M. de la Mothe où les talens de cet Académicien nous ont paru appréciés avec beaucoup de justesse & de sagacité. C’est dommage que le style du Panégyriste ne réponde pas à la sagesse de sa critique : il est communément froid & maniéré, par l’affectation puérile de l’Auteur à vouloir toujours donner à ses pensées une physionomie fine & spirituelle.