Chapitre XX
Année 1665 (suite de la septième période). — Mort de la marquise de Rambouillet. — La duchesse de Montausier nommée dame d’honneur de la reine. — Injuste accusation du duc de Saint-Simon à ce sujet.
Le quatrumvirat, place sous les créneaux de Louis XIV, obtint une victoire facile sur le ridicule, mais il succomba devant l’honnêteté, parce qu’elle était appuyée sur la haute société, qui joignait le bon goût à la délicatesse des mœurs. Cette société faisait cause commune avec la cour contre le mauvais langage et les mauvaises manières, et eut peut-être la plus grande part à leur réprobation ; mais elle faisait cause commune avec les bonnes mœurs de sa préciosité contre la licence de la cour et contre celle des écrivains nouveaux et elle eut la plus grande part à leur défaite.
Avant de parler de cette révolution, l’ordre chronologique nous oblige à passer en revue plusieurs
événements qui affligèrent le parti honorable.
En 1664, la comtesse de Grignan mourut, laissant deux enfants, dont il est plusieurs fois question dans les lettres de Sévigné. Cette mort acheva ce qui restait de l’ancienne maison de Rambouillet.
Un an après avoir perdu sa fille, la marquise de Rambouillet, âgée de quatre-vingt-deux ans, succomba elle-même à sa douloureuse vieillesse. Elle mourut en 1665. Sa mort ne fut pas un grand événement. Son existence dans le monde était finie depuis longtemps ; les traditions de sa société étaient dispersées et en faisaient fleurir de nouvelles ; la duchesse de Montausier, sa fille, était employée à la cour ; des honneurs de cour remplaçaient, dans ce reste de sa famille, les honneurs personnels que la marquise avait obtenus ; on ne connaissait plus qu’une gloire, celle qu’on tenait de la faveur de Louis XIV. Quand un peu de terre eut couvert la marquise de Rambouillet, le roi ne laissa pas à la duchesse de Montausier le temps de pleurer sa mère : il la fit passer de la place de gouvernante des enfants de France, à celle de dame d’honneur de la reine, la première dignité du palais.
Funeste promotion ! qui compromit cette femme illustre, lui fit souffrir un long tourment, et finit par lui causer la mort.
Le duc de Saint-Simon, dans une de ses notes
sur les mémoires de Dangeau, sous la date du 10 mai 1690, reproche à madame de Montausier d’avoir accepté la place de dame d’honneur de la reine, dont la duchesse de Navailles avait été dépouillée pour avoir, dit Saint-Simon, fait murer une porte secrète par où le roi se rendait de nuit dans la chambre des filles de la reine.
« On eut lieu, dit Saint-Simon, d’être surpris de ce qu’un élève de l’hôtel de Rambouillet, et pour ainsi dire l’hôtel de Rambouillet en personne, et la femme de l’austère Montausier, succédât à madame de Navailles si glorieusement chassée. »
Le reproche d’avoir succédé à madame de Navailles, si glorieusement chassée pour avoir fermé au roi la porte des visites nocturnes, est absolument dénué de fondement, cette clôture, vraie ou supposée, n’a point été la cause de la disgrâce de madame de Navailles : ce fut l’imputation d’un fait qui, par sa gravité, était de nature à motiver la disgrâce et non à la rendre glorieuse. Le roi croyait que la duchesse avait fabriqué une lettre fausse au nom du roi d’Espagne, pour informer la reine de France, sa fille, des amours du roi avec madame de La Vallière. L’imputation fut reconnue fausse par la suite ; mais personne à la cour n’était juge des preuves sur lesquelles le roi se décida au renvoi de madame de Navailles ; bien d’autres y auraient été trompés, et, certes, le fait était grave.
Les coupables étaient le marquis de Vardes et le comte de Guiche. Voulant éloigner madame de La Vallière qui s’était refusée à solliciter des faveurs pour eux, ils composèrent ensemble une lettre en espagnol, par laquelle le roi d’Espagne était supposé instruire la reine de France de l’infidélité du roi. Le comte de Guiche glissa cette lettre dans le lit de la reine, où elle fut trouvée par la Molina, une de ses femmes, qui, au lieu de la lui remettre, la porta au roi60. Le roi, très irrité, demanda à Vardes, qu’il traitait avec faveur, de qui pouvait venir cette méchanceté ; et il conjectura que la duchesse de Navailles, femme scrupuleuse, pourrait bien avoir imaginé ce moyen de rétablir la fidélité conjugale. Vardes, qui était le coupable, appuya le soupçon du roi, et le roi ne douta pas qu’il ne fût bien fondé.
« Cette calomnie, dit le président Hénault, en parlant de la lettre glissée dans le lit de la reine, fit perdre au mari et à la femme leur emploi… La duchesse fut obligée de se défaire de sa charge de dame d’honneur de la reine en faveur de madame de Montausier, pour 150 000 liv
. » Hénault ajoute que le duc et la duchesse de Navailles étaient les plus honnêtes gens de la cour. Cela était vrai ; aussi le roi fut-il détrompé
à la suite, et ne laissa-t-il pas sans réparation son injustice involontaire. En 1669, on voit le duc de Navailles au siège de Candie. On le voit à Gray en 1674. Il se trouve en qualité de maréchal de France à Puycerda en 1678. Enfin, en 1683, il est fait gouverneur du duc de Chartres, et meurt l’année suivante dans cette place.
Il résulte de ce qui précède : i° que Saint-Simon s’est trompé sur le motif qui fit renvoyer madame de Navailles, et qu’ainsi son accusation contre madame de Montausier tombe ; 2° que la cause du renvoi de la maréchale fut une intrigue issue de main de courtisan, avec de telles circonstances, que ni le roi, ni les personnes instruites de ses motifs, ne pouvaient douter de la faute grave qui était imputée à la dame d’honneur, et qu’ainsi, madame de Montausier, en achetant sa charge, ne fit que partager le sentiment général qui la condamnait.
Cette place de dame d’honneur attira à la suite à la duchesse de Montausier des imputations plus graves, qui eurent une fatale influence sur le reste de sa vie, dont elles abrégèrent la durée par mi profond chagrin. Mais suivons le cours des temps.
Dans l’année 1665 parurent les Maximes de La Rochefoucauld.
Boileau publia dans le même temps son Discours au roi, dont j’ai déjà parlé : c’est un de ses meilleurs écrits.
Molière obtint pour sa troupe le brevet de comédiens du roi, au lieu du titre de troupe de Monsieur. Il obtint de plus une pension de 7 000 liv.