(1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — D — Desbordes-Valmore, Marceline (1786-1859) »
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(1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — D — Desbordes-Valmore, Marceline (1786-1859) »

Desbordes-Valmore, Marceline (1786-1859)

[Bibliographie]

Élégies et romances (1818-1819). — Élégies et poésies nouvelles (1825). — Poésies inédites (1829). — Album du jeune âge (1829). — Les Pleurs, précédés d’une préface d’Alexandre Dumas (1883). — Pauvres fleurs (1839). — L’Inondation de Lyon (1840). — Contes en vers pour les enfants (1840). Poésies, précédées d’une préface de Sainte-Beuve (1842). — Bouquets et prières (1843). — Poésies inédites, réédition (1860). — Les Poésies de l’enfance, réédition (1881). — Œuvres choisies, avec préface d’Auguste Lacaussade (1886-1887). — Correspondance intime, 2 vol. (1896).

OPINIONS.

Alexandre Vinet

Dans aucun recueil de vers modernes, nous n’avons si souvent rencontré des mots sacrés ; mais jamais aussi nous ne les avons vus profaner d’une manière aussi affligeante. D’autres ont parlé dans leurs vers de Dieu, de Jésus-Christ et des anges, mais à titre de poésie, sans conséquence mauvaise ni bonne ; et cela même était triste. Les poésies de Mme Desbordes-Valmore sont remplies de ces grands noms ; le dernier surtout y est prodigué à un point qui frappe tout le monde et appliqué comme aucune femme ne s’en était encore avisée ; c’est que le ciel seul lui fournit des images proportionnées à une passion qui n’est qu’une perpétuelle apothéose :

Dieu, c’est toi pour mon cœur ; j’ai vu Dieu, je t’ai vu !
Et lui, mon Dieu, si ce n’est pas toi-même,
                                 Malheur à moi !

Ce sont là de grandes impiétés et mieux vaudrait cent fois l’absence de toute allusion aux idées religieuses qu’une aussi déplorable profanation.

[Le Semeur ().]

Sainte-Beuve

Elle et lui, Lamartine et Madame Valmore ont de grands rapports d’instincts et de génie naturel : ce n’est point par simple rencontre, par pure et vague bienveillance, que l’illustre élégiaque a fait les premiers pas au-devant de la pauvre plaintive ; toute proportion gardée de force et de sexe, ils sont l’un et l’autre de la même famille de poètes.

[Portraits contemporains ().]

Alphonse de Lamartine

À Madame Desbordes-Valmore :

…………………………………
Sous une voile dont l’orage
En lambeaux déroulait les plis,
Je voyais le frêle équipage
Disputer son mât qui surnage
Aux coups des vents et du roulis.
…………………………………
Cette pauvre barque, ô Valmore,
Est l’image de ton destin.
La vague, d’aurore en aurore,
Comme elle te ballotte encore
Sur un Océan incertain.
…………………………………
[Cours familier de littérature (-1868).]

Jules Michelet

Mon cœur est plein d’elle. L’autre jour, en voyant Orphée, elle m’est revenue avec une force extraordinaire et toute cette puissance d’orage qu’elle seule à jamais eue sur moi.

Que je regrette de lui avoir si peu marqué, de son vivant, cette profonde et unique sympathie !…

Je ne l’ai connue qu’âgée, mais plus émue que jamais, troublée de sa fin prochaine, et (on aurait pn le dire) ivre de mort et d’amour.

[Lettre du 25 décembre .]

Charles Baudelaire

Je rêve à ce que me faisait éprouver la poésie de Madame Valmore quand je la parcourus avec ces yeux de l’adolescence qui sont, chez les hommes nerveux, à la fois si ardents et si clairvoyants. Cette poésie m’apparaît comme un jardin : mais ce n’est pas la solennité grandiose de Versailles ; ce n’est pas non plus le pittoresque vaste et théâtral de la savante Italie qui connaît si bien l’art d’édifier les jardins (ædificat hortos) ; pas même la Vallée des flûtes ou le Ténare de notre vieux Jean Paul. C’est un simple jardin anglais, romantique et romanesque. Des massifs de fleurs y représentent les abondantes expressions du sentiment. Des étangs, limpides et immobiles, qui réfléchissent toutes choses s’appuyant à l’envers sur la voûte renversée des cieux, figurent la profonde résignation toute parsemée de souvenirs. Rien ne manque à ce charmant jardin d’un autre âge…

[Les Poètes français, recueil par Eug. Crépet (1861-).]

Théodore de Banville

Ne me demandez pas comment, née à une époque où la poésie s’était faite romance et chantait les hussards vêtus d’azur, — où les robes étaient, comme dans Marie, des « robes de bergère », cette muse, cette femme amoureuse et désolée, n’a pu être entachée par le ridicule environnant : ceci prouve seulement que le génie est une flamme pure, inextinguible, qui redonne à tout la splendeur native ! Oui, dans le premier et célèbre portrait, malgré la robe de moyen âge de pendule, malgré la coiffure à la Ninon, malgré la lyre venue de chez le luthier, la grande Marceline, avec ses beaux yeux enflammés et humides, avec ce front droit et ces sourcils fièrement tracés, avec ce nez si caractérisé, aux bosses hardies et spirituelles, avec ce menton pointu, finement pensif, ces lèvres épaisses et si arquées, ce col énergique, attire, charme et retient le regard, qui se sent en face d’une pensée et d’une âme. Et plus tard, dans le célèbre médaillon de David, vue de profil, — avec les mêmes traits, mais devenus si sérieux et si calmes, avec la grande paupière baissée, avec cette chevelure toujours courte qui s’arrange en masses, dignes de la statuaire, — comme à ce moment-là elle est épique et vraiment imposante ! Alors elle a laissé échapper tous les sanglots, toutes les larmes de son cœur déchiré, et pâle, austère, silencieuse, elle se repose un instant d’avoir loyalement exhalé vers les cieux tant de cris immortels, tant de plaintes désespérées !

[Camées parisiens ().]

Victor Hugo

… Vous êtes la femme même, vous êtes la poésie même. — Vous êtes un talent charmant, le talent de femme le plus pénétrant que je connaisse…

[Cité par Sainte-Beuve, Mme Desbordes-Valmore, sa vie et sa correspondance ().]

Alfred de Vigny

Le plus grand esprit féminin de notre temps.

[Cité par Sainte-Beuve, Mme Desbordes-Valmore, sa vie et sa correspondance ().]

Auguste Lacaussade

C’est dans l’élégie que Mme Valmore se révèle tout entière, dans l’originalité de sa nature et de son talent. Là, nulle trace de réminiscence, nulle trace des influences d’alentour ; forme et fond, tout y est bien elle et rien qu’elle, le cœur à nu, l’âme palpitante sous le coup de foudre de la passion… l’élégie était le vrai domaine lyrique de Mme Valmore, le champ d’inspirations où son expansif et doux génie se donnait carrière.

[Commentaire aux poésies de Marceline Desbordes-Valmore, édition Lemerre (1886-).]

Comte Robert de Montesquiou-Fezensac

La vraie Valmore à édifier et déifier est une Valmore de vers, de ses vers groupés à l’entour de son nom en la délicate élite et la délicieuse prédilection d’une dédicace réversible… Telles pièces sont plus parfaites, plus délibérément réussies, mais qu’on n’oserait guère déclarer plus que d’autres adéquates à leur visée, mieux moulées sur nature. Fût-ce les trop célèbres romances, plusieurs drôlement datées et démodées et pour lesquelles l’indulgence tourne presque à du goût. « Dans Shakespeare, j’admire tout comme une brute », fait un dire célèbre de Victor Hugo. Dans Valmore faudrait-il varier ? J’aime tout comme une âme ; d’amant ? non, d’enfant.

[Félicité ().]

Sully Prudhomme

Au pied du vert laurier, la Muse, un jour, pleurait.
« Ah ! que ma gloire est loin de sa candide aurore,
 Quand, sur le luth nouveau, le cœur novice encore
Cherchait l’être naïf de son tourment secret !
Qui donc les lui rendra les accords sans apprêt,
Les cris jumeaux des siens dans la fibre sonore ? »
— Comme un appel sacré, Marceline Valmore,
Tu la sentis dans l’ombre exhaler ce regret…
Tel un saule épuisé, relique d’un autre âge,
Que remue et soudain ranime un veut d’orage,
Le grand luth soupira tout entier palpitant !
Ce long soupir, mouillé d’une larme qui tremble,
Ma sœur, c’était ton âme, où l’âme humaine entend
Vers l’infini gémir tous les amours ensemble.
[Monument de Marceline Desbordes-Valmore ().]

Anatole France

Disons tout de suite qu’elle était douée entre toutes les femmes pour aimer et souffrir, et montrons ses premières douleurs, ses premières blessures, avec respect, comme la source cachée d’où coula un flot abondant et pur de poésie… Faible, elle obsédait les puissants pour leur arracher des grâces. Ainsi elle mérita d’être appelée, comme l’a fait Sainte-Beuve, « l’âme féminine la plus pleine de courage, de tendresse, de miséricorde ». Elle était en sympathie avec toute la nature ; ce fut son don précieux, et c’est par là qu’elle fut poète…

[Discours prononcé à Douai, pour l’inauguration du monument de Marceline Desbordes-Valmore (le 13 juillet ).]

Marcel Prévost

Marceline Desbordes-Valmore incarne le type classique de la femme française, lettrée et sensible, de son temps. Goût de l’amour dès l’enfance, avant même de se douter de ce qu’est l’amour ; sentiment un peu sanglotant de la nature ; aspiration à se dévouer sans relâche, avec un secret contentement de souffrir pour son dévouement ; félicité de la meurtrissure sentimentale, optimisme extraordinairement vivace, abrité du scepticisme comme par une ouate de mélancolie douce… Ajoutez à ces dons naturels la vie la plus romanesque, romanesque jusqu’à l’invraisemblable, une gageure du destin tenue et gagnée contre les caprices de l’imagination : l’héritage sacrifié à la foi religieuse, les voyages tragiques, la guerre, la tempête, la séduction, l’abandon, le théâtre avec le succès d’abord, et bientôt la perte de la voix, la misère, la mort de l’enfant adoré, de quoi défrayer vingt romans conçus avec quelque économie. L’échappement sur la littérature était inévitable. Marceline fut donc poète par la force expansive de sa sensibilité.

[Le Journal (13 juillet ).]

Georges Rodenbach

Marceline Valmore est la plus grande des femmes françaises. À ceux qui insistent, aujourd’hui, sur l’infériorité des femmes, sur leur incapacité foncière et pour ainsi dire organique, il suffit de répondre par ce nom-là, une femme tout uniquement de génie, mieux que George Sand, trop consacrée, et qui, vraiment, ne fut, elle, qu’un homme de lettres.

[L’Élite ().]