(1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Les Femmes de l’Évangile » pp. 89-93
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(1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Les Femmes de l’Évangile » pp. 89-93

Les Femmes de l’Évangile

P. Ventura, Les Femmes de l’Évangile.

Et, puisque nous venons de nommer le P. Ventura, c’est presque au moment où l’on annonçait Les Femmes de la Révolution que paraissaient Les Femmes chrétiennes 12, du théologien-philosophe. Nous l’avouerons, avant d’ouvrir ce livre d’un titre qui nous fit rêver, nous pensions que c’était aussi, comme le livre de Michelet, un livre d’histoire ; dans notre pensée, nous l’opposions au livre de Michelet, et nous faisions de tous les deux une grande et frappante antithèse.

Les femmes chrétiennes, les héroïnes historiques du Christianisme, mises en regard des héroïnes de la Révolution, c’était là un spectacle et c’était là une leçon !… Où qu’on prît ces héroïnes, qui ne forment pas un bataillon, mais toute une armée dans l’histoire ; qu’on les prît sur notre terre de France, que ce fût sainte Radegonde, sainte Geneviève, sainte Clotilde, et tous ces cœurs vaillants de la vaillance de Dieu jusqu’à Jeanne d’Arc et depuis elle, n’importe où l’historien allât les choisir, elles étaient dignes de s’aligner en face des plus grandes (s’il y en avait) de la Révolution française, et de faire baisser les yeux à leurs portraits, plier le genou à leurs cadavres. Peintes par un homme de talent qui, sans être austère, aurait eu le chaste pinceau de la force, quelle galerie magnifique elles auraient formée devant le petit Panthéon de terre cuite de Michelet ! Le P. Ventura, homme d’immense doctrine, de foi profonde, de vigueur de parole, un vrai lion évangélique enfin, n’aurait-il pas pu se reposer de ses travaux de prédicateur en nous écrivant cette majestueuse histoire ? Nous l’avions cru, et il nous eût été doux de rendre compte d’un tel ouvrage ; il nous eût été doux de démontrer la différence qu’il y a entre les héroïnes de la foi en Dieu et les héroïnes de la foi en soi-même ; car, malgré l’éternelle mêlée des systèmes et le fourré des événements, il n’y a que cela dans le monde : le parti de Dieu ou le parti de l’homme ; et il faut choisir !

Mais, encore une fois, nous avions rêvé. Les Femmes chrétiennes du P. Ventura ne sont pas le travail d’histoire que nous avions espéré, et que nous désirons encore… C’est tout simplement un substantiel recueil d’homélies, prononcées par le célèbre prédicateur du haut de cette chaire française qu’il illustre de son talent étranger. Ses Femmes chrétiennes sont les femmes de l’Évangile : la Chananéenne, la femme malade, la fille de Jaïre, la femme adultère, la veuve de Naïm, la Samaritaine, Madeleine, Marthe, Marie, les saintes femmes au tombeau, etc., créatures de grâce ou de conversion, d’humilité et de repentance, ces perles dont l’écorce était l’amour de Dieu, les premières que l’Évangile propose à nos imitations ! Trop élevé, trop pratique, trop acte, en un mot, pour tomber sous le regard d’une critique purement littéraire, le livre du P. Ventura ne pourrait être examiné que dans un travail spécial de la plus haute gravité et par une plume plus compétente que la nôtre. Tel qu’il est cependant, et au point de vue où le livre de Michelet nous a placés, c’est un enseignement qui fait du bien et qui redresse… Les Femmes de l’Évangile sont plus que de l’histoire ; mais elles sont aussi de l’histoire, et, comme tout se tient dans la vérité et dans le Christianisme, elles peuvent démontrer, à ceux qui croiraient à l’héroïsme des femmes là où le met Michelet, l’erreur profonde dans laquelle il s’enfonce sur leur destinée et sur leurs vertus.

En effet, Michelet, qui a une passion malheureuse pour les idées générales, Michelet, qui veut toujours aller du fait à l’idée, — ce qui est un glorieux chemin, mais dans lequel il tombe toujours, — Michelet se préoccupe beaucoup, dans son histoire des Femmes de la Révolution, de la destinée future de la femme, et nous vous dirons qu’à plus d’une page il n’est pas médiocrement embarrassé. Que seront et que doivent être les femmes dans la société de l’avenir ? Il y a un chapitre du livre intitulé : « Chaque parti périt par les femmes » ; un autre : « La réaction par les femmes dans le demi-siècle qui suit la Révolution ». Ne sachant trop que penser, lancé dans un sens par sa passion politique ou philosophique, relancé dans la voie contraire par ce que l’Histoire, dont on n’éteint pas complètement la lueur en soi, lui a pendant si longtemps enseigné, il ne sait à quoi se résoudre. Auront-elles la responsabilité politique ou ne l’auront-elles pas ?… Rien de plus orageux, de plus étranglé, rien qui se débatte plus que la pensée de Michelet sur ce point. Troublé comme tous les philosophes, qui ont altéré ou ruiné la grande notion de la famille chrétienne, il ne sait plus que faire de la femme qu’il a tirée de la fonction sublime entre le père et l’enfant pour la voir sur la place publique et, que sais-je ? partout où les idées philosophiques s’obstinent aujourd’hui à la voir, et où elle est si profondément déplacée. Il est des penseurs dans les infiniment petits qui ont beaucoup parlé des nuances infinies de la femme, et qui nous en ont compté les variétés sans les épuiser. Laissons ces enfants ! Pour les esprits qui ne passent pas leur vie à couper en quatre des fils de la Vierge avec de microscopiques instruments, il n’y a que trois femmes en nature humaine et en histoire : La femme de l’Antiquité grecque (car la matrone romaine, qui tranche tant sur les mœurs antiques, n’est qu’une préfiguration de la femme chrétienne), la femme de l’Évangile, et la femme de la Renaissance, — pire, selon nous, que la femme de l’Antiquité, pire de toute la liberté chrétienne dont la malheureuse a si indignement abusé. En trois mots, voilà toute la question de la femme historique, et à ces trois termes nous défions d’en ajouter un de plus ! Les héroïnes de Michelet, toutes ces femmes modernes qui ne sont pas de vraies chrétiennes, toutes ces femmes plus ou moins libres, avec les droits politiques qu’elles rêvent ou jalousent, avec leurs vaniteuses invasions dans les lettres et dans les arts, avec cet amour de la gloire, le deuil éclatant du bonheur, disait madame de Staël, et qui est le deuil aussi de la vertu ; toutes ces femmes, il ne faut pas s’y tromper ! continuent les femmes de la Renaissance. Or, Michelet sait bien, au fond de sa conscience d’historien (et les embarras de son livre, et le vague tourment de sa pensée dans les conclusions de ce livre, le prouvent avec éloquence), que ce n’est pas aux femmes de la Renaissance qu’une société qui fut chrétienne peut rester aujourd’hui sans périr !