(1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre second. Philosophie. — Chapitre III. Des Philosophes chrétiens. — Métaphysiciens. »
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(1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre second. Philosophie. — Chapitre III. Des Philosophes chrétiens. — Métaphysiciens. »

Chapitre III.
Des Philosophes chrétiens. — Métaphysiciens.

Les exemples viennent à l’appui des principes ; et une religion qui réclame Bacon, Newton, Bayle, Clarke, Leibnitz, Grotius, Pascal, Arnauld, Nicole, Malebranche, La Bruyère (sans parler des Pères de l’Église, ni de Bossuet, ni de Fénélon, ni de Massillon, ni de Bourdaloue, que nous voulons bien ne compter ici que comme orateurs), une telle religion peut se vanter d’être favorable à la philosophie.

Bacon doit sa célébrité à son Traité, on the advancement of learning, et à son novum organum scientiarum. Dans le premier, il examine le cercle des sciences, classant chaque objet sous sa faculté ; facultés dont il reconnaît quatre : l’âme ou la sensation, la mémoire, l’imagination, l’entendement. Les sciences s’y trouvent réduites à trois : la poésie, l’histoire, la philosophie.

Dans le second ouvrage, il rejette la manière de raisonner par syllogisme, et propose la physique expérimentale, pour seul guide dans la nature. On aime encore à lire la profession de foi de l’illustre chancelier d’Angleterre, et la prière qu’il avait coutume de dire avant de se mettre au travail. Cette naïveté chrétienne, dans un grand homme, est bien touchante. Quand Newton et Bossuet découvraient avec simplicité leurs têtes augustes, en prononçant le nom de Dieu, ils étaient peut-être plus admirables dans ce moment, que lorsque le premier pesait ces mondes, dont l’autre enseignait à mépriser la poussière.

Clarke, dans son Traité de l’existence de Dieu, Leibnitz, dans sa Théodicée, Malebranche dans sa Recherche de la vérité, se sont élevés si haut en métaphysique, qu’ils n’ont rien laissé à faire après eux.

Il est assez singulier que notre siècle se soit cru supérieur en métaphysique et en dialectique au siècle qui l’a précédé. Les faits déposent contre nous : certainement Condillac, qui n’a rien dit de nouveau, ne peut seul balancer Locke, Descartes, Malebranche et Leibnitz. Il ne fait que démembrer le premier, et il s’égare toutes les fois qu’il marche sans lui. Au reste, la métaphysique du jour diffère de celle de l’antiquité, en ce qu’elle sépare, autant qu’il est possible, l’imagination des perceptions abstraites. Nous avons isolé les facultés de notre entendement, réservant la pensée pour telle matière, le raisonnement pour telle autre, etc. D’où il résulte que nos ouvrages n’ont plus d’ensemble, et que notre esprit, ainsi divisé par chapitres, offre les inconvénients de ces histoires où chaque sujet est traité à part. Tandis qu’on recommence un nouvel article, le précédent nous échappe ; nous cessons de voir les liaisons que les faits ont entre eux ; nous retombons dans la confusion à force de méthode, et la multitude des conclusions particulières nous empêche d’arriver à la conclusion générale.

Quand il s’agit, comme dans l’ouvrage de Clarke, d’attaquer des hommes qui se piquent de raisonnement, et auxquels il est nécessaire de prouver qu’on raisonne aussi bien qu’eux, on fait merveilleusement d’employer la manière ferme et serrée du docteur anglais ; mais dans tout autre cas, pourquoi préférer cette sécheresse à un style clair, quoique animé ? Pourquoi ne pas mettre son cœur dans un ouvrage sérieux, comme dans un livre purement agréable ? On lit encore la métaphysique de Platon, parce qu’elle est colorée par une imagination brillante. Nos derniers idéologues sont tombés dans une grande erreur, en séparant l’histoire de l’esprit humain de l’histoire des choses divines, en soutenant que la dernière ne mène à rien de positif, et qu’il n’y a que la première qui soit d’un usage immédiat. Où est donc la nécessité de connaître les opérations de la pensée de l’homme, si ce n’est pour les rapporter à Dieu ? Que me revient-il de savoir que je reçois ou non mes idées par les sens ? Condillac s’écrie : « Les métaphysiciens mes devanciers se sont perdus dans les mondes chimériques, moi seul j’ai trouvé le vrai ; ma science est de la plus grande utilité. Je vais vous dire ce que c’est que la conscience, l’attention, la réminiscence. » Et à quoi cela me conduira-t-il ? Une chose n’est bonne, une chose n’est positive qu’autant qu’elle renferme une intention morale ; or, toute métaphysique qui n’est pas théologie, comme celle des anciens et des chrétiens, toute métaphysique qui creuse un abîme entre l’homme et Dieu, qui prétend que le dernier n’étant que ténèbres, on ne doit pas s’en occuper : cette métaphysique est futile et dangereuse, parce qu’elle manque de but.

L’autre, au contraire, en m’associant à la Divinité, en me donnant une noble idée de ma grandeur, et de la perfection de mon être, me dispose à bien penser et à bien agir. Les fins morales viennent par cet anneau se rattacher à cette métaphysique, qui n’est alors qu’un chemin plus sublime pour arriver à la vertu. C’est ce que Platon appelait par excellence la science des Dieux, et Pythagore, la géométrie divine. Hors de là, la métaphysique n’est qu’un microscope, qui nous découvre curieusement quelques petits objets que n’aurait pu saisir la vue simple, mais qu’on peut ignorer ou connaître, sans qu’ils forment, ou qu’ils remplissent un vide dans l’existence.