(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — F. — article » pp. 264-267
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(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — F. — article » pp. 264-267

FAYE, [Jean-François Leriguet de la] de l’Académie Françoise, né à Vienne en Dauphiné en 1674, mort à Paris en 1731.

L’imagination, l’esprit & la délicatesse caractérisent le petit nombre de ses Poésies. C’est de lui qu’un Poëte a dit :

Il reçut deux présens des Dieux,
Les plus charmans qu’ils puissent faire :
L’un étoit le talent de plaire ;
L’autre, le secret d’être heureux.

Le plus connu de tous ses Ouvrages est son Ode apologétique de la Rime, contre le systême de M. de la Mothe en faveur de la Prose. On y trouve cette belle Strophe :

De la contrainte rigoureuse
Où l’esprit semble resserré,
Il reçoit cette force heureuse
Qui l’éleve au plus haut degré.
Telle, dans des canaux pressée,
Avec plus de force élancée,
L’onde s’éleve dans les airs :
Et la regle, qui semble austere,
N’est qu’un art plus certain de plaire,
Inséparable des beaux Vers.

FAYETTE, [Marie-Madelaine Pioche de La Vergne, Comtesse de la] née en 1633, morte en 1693.

Avant elle, les Romans étoient l’ouvrage de l’imagination, & jamais celui du sentiment. Elle en a banni, la premiere, un héroïsme chimérique, & en a réduit la fiction à la peinture des mœurs, des caracteres & des usages de la Société. A ce premier mérite, elle a joint celui d’un style naturel, élégant, correct, tel qu’il convient à ces sortes d’Ouvrages. On lit encore avec plaisir la Princesse de Cléves, tandis que mille autres Romans, publiés depuis, n’ont pu se soutenir au delà des bornes toujours étroites de la nouveauté.

Le Roman de Zaïs, qui parut d’abord sous le nom de Segrais, & fut attribué, après la mort de cet Auteur, à Madame de la Fayette, est aujourd’hui la matiere d’un problême. Si l’on en croit M. Huet, Evêque d’Avranches, c’est au beau sexe qu’il faut en attribuer l’honneur ; & voici les preuves qu’il en donne : « Madame de la Fayette négligea si fort la gloire qu’elle méritoit, qu’elle laissa sa Zaïde paroître sous le nom de Segrais ; mais lorsque j’eus rapporté cette anecdote, quelques amis de Segrais, qui ne savoient pas la vérité, se plaignirent de ce trait, comme d’un outrage fait à sa mémoire. Mais c’étoit un fait dont j’avois été long-temps témoin oculaire ; & c’est ce que je suis en état de prouver par plusieurs lettres de Madame de la Fayette, & par l’original du manuscrit de Zaïde, dont elle m’envoyoit les feuilles à mesure qu’elle les composoit ».

Nous serions tentés de croire que ces preuves sont insuffisantes. Segrais, qui, de l’aveu de tout le monde, & de Madame de la Fayette elle-même, avoit travaillé à la Princesse de Cléves, sans songer à s’en faire honneur, n’étoit pas capable d’adopter un Ouvrage, au préjudice d’une femme dont il se plaisoit à seconder les talens. On sait encore qu’il étoit peu jaloux de ses Productions. Ses succès dans l’Eglogue, où il est, jusqu’à présent, le seul qui ait su conserver la douceur & la simplicité qui conviennent à ce genre de Poésie, flattoient peu son amour-propre poétique. Il n’attacha jamais aucun mérite à ses Nouvelles Françoises, où l’on reconnoît la même trempe d’esprit & la même touche que dans Zaïde.

Comment imaginer, après cela, qu’il ait eu la malhonnêteté de se donner pour l’Auteur d’un Ouvrage qu’il n’avoit pas fait, & sur-tout d’un Ouvrage composé par une femme dont le nom avoit paru à la tête d’autres Productions moins estimées & moins estimables, telles que la Princesse de Montpensier, les Mémoires de la Cour de France, & Henriette d’Angleterre ? D’ailleurs il étoit très-facile à Madame de la Fayette d’envoyer les feuilles du manuscrit à M. Huet, à mesure qu’on les composoit : Segrais étoit alors logé chez elle, & cette Dame n’avoit que la peine d’écrire ou de transcrire.

Sans prétendre néanmoins décider la question, nous nous contenterons de dire que Zaïde est un des meilleurs Romans. Le plan en est bien concerté, les passions en sont sages, les détails agréables, le dénouement très-heureux. Ce seroit toujours beaucoup pour la gloire de Madame de la Fayette, d’y avoir mis le coloris après que Segrais en eut tracé le dessein.