Chapitre VII.
Du style des écrivains et de celui des magistrats
Avant que la carrière des idées philosophiques excitât en France l’émulation de tous les hommes éclairés, les livres où l’on discutait avec finesse des questions de littérature ou de morale, lorsqu’ils étaient écrits avec élégance et correction, obtenaient un succès du premier ordre. Il existait, avant la révolution, plusieurs écrivains qui avaient acquis une grande réputation, sans jamais considérer les objets sous un point de vue général, et en ramenant toutes les idées morales et politiques à la littérature, au lieu de rattacher la littérature à toutes les idées morales et politiques.
Maintenant il est impossible de s’intéresser fortement à ces ouvrages, qui ne sont que spirituels, n’embrassent point les sujets qu’ils traitent dans leur ensemble, et ne les présentent jamais que par un côté, que par des détails qui ne se rallient ni aux idées premières, ni aux impressions profondes dont se compose la nature de l’homme.
Le style donc doit subir des changements, par la révolution qui s’est opérée dans les esprits et dans les institutions ; car le style ne consiste point seulement dans les tournures grammaticales : il tient au fond des idées, à la nature des esprits ; il n’est point une simple forme. Le style des ouvrages est comme le caractère d’un homme ; ce caractère ne peut être étranger ni à ses opinions, ni à ses sentiments ; il modifie tout son être.
Examinons donc quel style doit convenir à des écrivains philosophes, et chez une nation libre.
Les images, les sentiments et les idées représentent les mêmes vérités à l’homme sous trois formes différentes ; mais le même enchaînement, la même conséquence subsistent dans ces trois règles de l’entendement. Quand vous découvrez une pensée nouvelle, il y a dans la nature une image qui sert à la peindre, et dans le cœur un sentiment qui correspond à cette pensée par des rapports que la réflexion fait découvrir. Les écrivains ne portent au plus haut degré la conviction et l’enthousiasme, que lorsqu’ils savent toucher à la fois ces trois cordes, dont l’accord n’est autre chose que l’harmonie de la création.
C’est d’après la réunion plus ou moins complète de ces moyens d’influer sur le sentiment, l’imagination ou le jugement, que nous pouvons apprécier le mérite des différents auteurs. Il n’y a point de style digne de louange, s’il ne contient au moins deux des trois qualités qui, réunies, sont la perfection de l’art d’écrire.
Les aperçus fins, les pensées subtiles et déliées qui n’entrent point dans la grande chaîne des vérités générales, l’art de saisir des rapports ingénieux, mais qui exercent l’esprit à se séparer de l’âme, au lieu de puiser en elle sa principale force, cet art ne place point un auteur au premier rang. Si vous détaillez trop les idées, elles échappent aux images et aux sentiments, qui rassemblent au lieu de diviser. Les expressions abstraites qui ne rappellent en rien les mouvements du cœur de l’homme, et dessèchent son imagination, ne conviennent pas davantage à cette nature universelle dont un beau style doit représenter le sublime ensemble. Les images qui ne répandent de lumière sur aucune idée, ne sont que de bizarres fantômes ou des tableaux de simple amusement. Les sentiments qui ne réveillent dans la pensée aucune idée morale aucune réflexion générale, sont probablement des sentiments affectés qui ne répondent à rien de vrai dans aucun genre.
Marivaux, par exemple, ne présentant jamais que le côté recherché des aperçus de l’esprit, il n’y a ni philosophie, ni tableaux frappants dans ses écrits. Les sentiments qui ne peuvent se rapporter à des idées justes, ne sont point susceptibles d’images naturelles. Les pensées qui peuvent être offertes sous le double aspect du sentiment et de l’imagination, sont des pensées premières dans l’ordre moral ; mais les idées trop fines n’ont point de termes de comparaison dans la nature animée.
Dans les sciences exactes, vous n’avez besoin que des formes abstraites ; mais dès que vous traitez tout autre sujet philosophique, il faut rester dans cette région, où vous pouvez vous servir à la fois de toutes les facultés de l’homme, la raison, l’imagination et le sentiment ; facultés qui toutes concourent également, par divers moyens, au développement des mêmes vérités.
Fénelon accorde ensemble les sentiments doux et purs avec des images qui doivent leur appartenir ; Bossuet, les pensées philosophiques avec les tableaux imposants qui leur conviennent ; Rousseau, les passions du cœur avec les effets de la nature qui les rappellent ; Montesquieu est bien près, surtout dans le Dialogue d’Eucrate et de Sylla, de réunir toutes les qualités du style, l’enchaînement des idées, la profondeur des sentiments et la force des images. On trouve, dans ce dialogue, ce que les grandes pensées ont d’autorité et d’élévation avec l’expression figurée nécessaire au développement complet de l’aperçu philosophique ; et l’on éprouve, en lisant les belles pages de Montesquieu, non l’attendrissement ou l’ivresse que l’éloquence passionnée doit faire naître, mais l’émotion que cause ce qui est admirable en tout genre, l’émotion que les étrangers ressentent lorsqu’ils entrent pour la première fois dans Saint-Pierre de Rome, et qu’ils découvrent à chaque instant une nouvelle beauté qu’absorbaient, pour ainsi dire, la perfection et l’effet imposant de l’ensemble.
Malebranche a essayé de réunir, dans ses ouvrages de métaphysique, les images aux idées ; mais comme ses idées n’étaient pas justes, on n’a pu sentir que très imparfaitement la liaison qu’il voulait établir entre elles et ses images brillantes. Garat, dans ses Leçons aux Écoles normales, modèle de perfection en ce genre, et Rivarol, malgré quelques expressions recherchées, font concevoir parfaitement la possibilité de cette concordance entre l’image tirée de la nature physique, et l’idée qui sert à former la chaîne des principes et de leurs déductions dans l’ordre moral. Qui sait jusqu’où l’on pourra porter cette puissance d’analyse, qui, réunie à l’imagination, loin de rien détruire, donne à tout une nouvelle force, et, semblable à la nature, concentre dans un même foyer les éléments divers de la vie ?
Cette réunion, sans doute, est nécessaire à la perfection du style ; mais faut-il en conclure qu’on doive bannir absolument les ouvrages de pensée qui sont privés d’imagination dans le style, ou les livres d’imagination dépourvus de pensée ? Il ne faut rien exclure ; mais on doit convenir que les livres philosophiques qui n’en appellent jamais ni au sentiment, ni à l’imagination, servent d’une manière beaucoup moins utile à la propagation des idées, et que les ouvrages de littérature qui ne sont point remplis d’idées philosophiques, ou de cette mélancolie sensible qui retrace les grandes pensées, captivent tous les jours moins le suffrage des hommes éclairés.
Un livre sur les principes du goût, sur la peinture, sur la musique, peut être un livre philosophique, s’il parle à l’homme tout entier, s’il réveille en lui les sentiments et les pensées qui agrandissent toutes les questions. Un discours sur les intérêts les plus importants de la société humaine, peut fatiguer l’esprit, s’il ne contient que des idées de circonstance, s’il ne présente que les rapports étroits des objets les plus importants, s’il ne ramène pas la pensée aux considérations générales qui l’intéressent.
Le charme du style dispense de l’effort qu’exige la conception des idées abstraites ; les expressions figurées réveillent en vous tout ce qui a vie, les tableaux animés vous donnent la force de suivre la chaîne des pensées et des raisonnements. On n’a plus besoin de lutter contre les distractions, quand l’imagination qui les donne est captivée, et sert elle-même à la puissance de l’attention.
Les ouvrages purement littéraires, s’ils ne contiennent point cette sorte d’analyse qui agrandit tous les sujets qu’elle traite, s’ils ne caractérisent pas les détails, sans perdre de vue l’ensemble ; s’ils ne prouvent▶ pas en même temps la connaissance des hommes et l’étude de la vie, paraissent, pour ainsi dire, des travaux puérils. On veut qu’un homme, dans un état libre, alors qu’il se fait remarquer par un livre, indique dans ce livre les qualités importantes que la république peut un jour réclamer d’un de ses citoyens, quel qu’il soit. Un ouvrage qui n’est pas écrit avec philosophie, classe son auteur parmi les artistes, mais non parmi les penseurs.
Depuis la révolution, on s’est jeté dans un défaut singulièrement destructeur de toutes les beautés du style ; on a voulu rendre toutes les expressions abstraites, abréger toutes les phrases par des verbes nouveaux qui dépouillent le style de toute sa grâce, sans lui donner même plus de précision69. Rien n’est plus contraire au véritable talent d’un grand écrivain. La concision ne consiste pas dans l’art de diminuer le nombre des mots ; elle consiste encore moins dans la privation des images. La concision qu’il faut envier, c’est celle de Tacite, celle qui est tout à la fois éloquente et énergique ; et loin que les images nuisent à cette brièveté de style justement admirée, les expressions figurées sont celles qui retracent le plus de pensées avec le moins de termes.
Ce n’est pas non plus perfectionner le style, que d’inventer des mots nouveaux. Les maîtres de l’art peuvent en faire recevoir quelques-uns, lorsqu’ils les créent involontairement, et comme entraînés par l’impulsion de leur pensée ; mais il n’est point, en général, de symptôme plus sûr de la stérilité des idées, que l’invention des mots. Lorsqu’un auteur se permet un mot nouveau, le lecteur qui n’y est point accoutumé, s’arrête pour le juger ; et cette distraction nuit à l’effet général et continu du style70.
Tout ce que nous avons dit sur le mauvais goût, peut s’appliquer également à tous les défauts du langage employé par plusieurs écrivains depuis dix ans ; cependant il est quelques-uns de ces défauts qui tiennent plus directement à l’influence des événements politiques. Je me propose de les relever en parlant de l’éloquence.
Le style se perfectionnera nécessairement ; d’une manière très remarquable, si la philosophie fait de nouveaux progrès. Les principes littéraires qui peuvent s’appliquer à l’art d’écrire, ont été presque tous développés ; mais la connaissance et l’étude du cœur humain doivent ajouter chaque jour au tact sûr et rapide des moyens qui font effet sur les esprits. En général, toutes les fois que le public impartial n’est pas ému, n’est pas entraîné, par un discours ou par un ouvrage, l’auteur a tort ; mais c’est presque toujours à ce qu’il lui manquait comme moraliste, qu’il faut attribuer ses fautes comme écrivain.
Il arrive sans cesse en société, lorsqu’on écoute des hommes qui ont le dessein de faire croire à leurs vertus ou à leur sensibilité, de remarquer combien ils ont mal observé la nature, dont ils veulent imiter les signes caractéristiques. Les écrivains font sans cesse des fautes semblables, quand ils veulent développer des sentiments profonds ou des vérités morales. Sans doute il est des sujets dans lesquels l’art ne peut suppléer à ce que l’on éprouve réellement ; mais il en est d’autres que l’esprit pourrait toujours traiter avec succès, si l’on avait profondément réfléchi sur les impressions que ressentent la plupart des hommes, et sur les moyens de les faire naître.
C’est la gradation des termes, la convenance et le choix des mots, la rapidité des formes, le développement de quelques motifs, le style enfin qui s’insinue dans la persuasion des hommes. Une expression qui ne change rien au fond des idées, mais dont l’application n’est pas naturelle, doit devenir l’objet principal pour la plupart des lecteurs. Une épithète trop forte peut détruire entièrement un argument vrai ; la plus légère nuance déroute entièrement l’imagination prête à vous suivre ; une obscurité de rédaction que la réflexion pénétrerait bien aisément, lasse tout à coup l’intérêt que vous inspiriez ; enfin le style exige quelques-unes des qualités nécessaires pour conduire les hommes. Il faut connaître leurs défauts, tantôt les ménager, tantôt les dominer ; mais se bien garder de cet amour-propre qui, accusant une nation plutôt que soi-même, ne veut pas prendre l’opinion générale pour juge suprême du talent.
Les idées en elles-mêmes sont indépendantes de l’effet qu’elles produisent ; mais le style ayant précisément pour but de faire adopter aux hommes les idées qu’il exprime, si l’auteur n’y réussit pas, c’est que sa pénétration n’a pas encore su découvrir la route qui conduit à ces secrets de l’âme, à ces principes du jugement dont il faut se rendre maître pour ramener à son opinion celle des autres.
C’est dans le style surtout que l’on remarque cette hauteur d’esprit et d’âme qui fait reconnaître le caractère de l’homme dans l’écrivain. La convenance, la noblesse, la pureté du langage ajoutent beaucoup dans tous les pays, et particulièrement dans un état où l’égalité politique est établie, à la considération de ceux qui gouvernent. La vraie dignité du langage est le meilleur moyen de prononcer toutes les distances morales, d’inspirer un respect qui améliore celui qui l’éprouve. Le talent d’écrire peut devenir l’une des puissances d’un état libre.
Lorsque les premiers magistrats d’un pays possèdent cette puissance, elle forme un lien volontaire entre les gouvernants et les gouvernés. Sans doute les actions sont la meilleure garantie de la moralité d’un homme : néanmoins je croirais qu’il existe un accent dans les paroles, et par conséquent un caractère dans les formes du style, qui atteste les qualités de l’âme avec plus de certitude encore que les actions même. Cette sorte de style n’est point un art que l’on puisse acquérir avec de l’esprit, c’est soi, c’est l’empreinte de soi.
Les hommes à imagination, en se transportant dans le rôle d’un autre, ont pu découvrir ce qu’un autre aurait dit ; mais quand on parle en son propre nom, ce sont ses propres sentiments que l’on montre, même alors que l’on fait des efforts pour les cacher. Il n’existe pas un seul auteur qui ait, en parlant de lui, su donner de lui-même une idée supérieure à la vérité : un mot, une transition fausse, une expression exagérée révèlent à l’esprit ce qu’on voulait lui dérober.
Si l’homme du plus grand talent, comme orateur, était accusé devant un tribunal, il serait impossible de ne pas juger, à sa manière de se défendre, s’il est innocent ou coupable. Toutes les fois que les paroles sont appelées en témoignage, on ne peut dénaturer dans le langage le caractère de vérité que la nature y a gravé ; ce n’est plus un art mensonger, c’est un signe irrécusable ; et ce qu’on éprouve échappe, de mille manières, dans ce qu’on dit.
L’homme vertueux serait trop à plaindre, s’il ne lui restait pas quelques preuves que le méchant ne pût lui dérober, un sceau divin que ses pareils ne dussent jamais méconnaître. L’expression calme d’un sentiment élevé, l’énonciation claire d’un fait, ce style de la raison qui ne convient qu’à la vertu, l’esprit ne peut le feindre : non seulement ce langage est le résultat des sentiments honnêtes, mais il les inspire encore avec plus de force.
La beauté noble et simple de certaines expressions en impose même à celui qui les prononce, et parmi les douleurs attachées à l’avilissement de soi-même, il faudrait compter aussi la perte de ce langage, qui cause à l’homme digne de s’en servir l’exaltation la plus pure et la plus douce émotion.
Ce style de l’âme, si je puis m’exprimer ainsi, est un des premiers moyens de l’autorité dans un gouvernement libre. Ce style provient d’une telle suite de sentiments en accord avec les vœux de tous les hommes honnêtes, d’une telle confiance et d’un tel respect pour l’opinion publique, qu’il est la preuve de beaucoup de bonheur précédent, et la garantie de beaucoup de bonheur à venir.
Quand un Américain, en annonçant la mort de Washington, disait :
Il a plu à la divine Providence de retirer du milieu de nous cet homme, le premier dans la guerre, le premier dans la paix, le premier dans les affections de son pays
, que de pensées, que de sentiments étaient rappelés par ces expressions ! Ce retour
vers la Providence ne nous indique-t-il pas qu’aucun ridicule n’est jeté dans ce pays éclairé, ni sur les idées religieuses, ni sur les regrets exprimés avec l’attendrissement du cœur. Cet éloge si simple d’un grand homme, cette gradation qui donne pour dernier terme de la gloire les affections de son pays, fait éprouver à l’âme la plus profonde émotion.
Que de vertus, en effet, l’amour d’une nation libre pour son premier magistrat ne suppose-t-il pas ! l’amour constant pour une réputation de près de vingt années, pour un homme qui, redevenu par son choix simple particulier, a traversé le pouvoir dans le voyage de la vie, comme une route qui conduisait à la retraite, à la retraite honorée par les plus nobles et les plus doux souvenirs !
Jamais, dans nos crises révolutionnaires, jamais aucun homme n’aurait parlé cette langue dont j’ai cité quelques mots remarquables ; mais dans tout ce qui nous est parvenu des rapports qui ont existé par écrit entre les magistrats d’Amérique et les citoyens, l’on retrouve ce style vrai, noble et pur dont la conscience de l’honnête homme est le génie inspirateur.
J’oserai dire que mon père est le premier, et jusqu’à présent le plus parfait modèle de l’art d’écrire, pour les hommes publics, de ce talent d’en appeler à l’opinion, de s’aider de son secours pour soutenir le gouvernement, de ranimer dans le cœur des hommes les principes de la morale, puissance dont les magistrats doivent se regarder comme les représentai, puissance qui leur donne seule le droit de demander à la nation des sacrifices. Malgré nos pertes en tout genre, il existe un progrès sensible, depuis M. Necker, dans la langue dont se servent les chefs de plusieurs gouvernements. Ils sont entrés en discussion avec la raison, quelquefois même avec le sentiment ; mais alors ils ont été, ce me semble, inférieurs à cette éloquence persuasive, dans laquelle aucun homme n’a, jusqu’à présent, encore égalé M. Necker.
Les gouvernements libres sont appelés sans cesse, par la forme même de leurs institutions, à développer et à commenter les motifs de leurs résolutions. Lorsque, dans les moments de péril, les magistrats n’adressaient aux François que les phrases banales, l’éloquence usitée par les partis entre eux, ils n’agissaient en rien sur l’opinion. L’esprit public s’affaiblissait à chaque inutile effort qu’on tentait pour le relever ; on sollicitait l’enthousiasme, et l’enthousiasme était plus que jamais loin de renaître, par cela même qu’on l’avait en vain évoqué.
Quand une fois la puissance de la parole est admise dans les intérêts politiques, elle devient de la plus haute importance. Dans les états où la loi despotique frappe silencieusement sur les têtes, la considération appartient précisément à ce silence, qui laisse tout supposer au gré de la crainte ou de l’espoir ; mais quand le gouvernement entre avec la nation dans l’examen de ses intérêts, la noblesse et la simplicité des expressions qu’il emploie peuvent seules lui valoir la confiance nationale.
Sans doute les plus grands hommes connus n’ont pas tous été distingués comme écrivains ; mais il en est très peu qui n’aient exercé l’empire de la parole. Tous les beaux discours, tous les mots célèbres des héros de l’antiquité, sont les modèles des grandes qualités du style : ce sont ces expressions inspirées par le génie ou la vertu que le talent s’efforce de recueillir ou d’imiter. Le laconisme des Spartiates, les mots énergiques de Phocion, réunissaient autant, et souvent mieux que les discours les plus soutenus, les attributs nécessaires à la puissance du langage ; cette manière de s’exprimer agissait sur l’imagination du peuple, caractérisait les motifs des actions du gouvernement, et faisait connaître avec force les sentiments des magistrats.
Tels sont les principaux secours que l’autorité politique peut retirer de l’art de parler aux hommes ; tels sont les avantages qu’assure à l’ordre, à la morale, à l’esprit public, le style mesuré, solennel et quelquefois touchant des hommes qui sont appelés à gouverner l’état. Mais ce n’est là qu’une partie encore de la puissance du langage ; et les bornes de la carrière que nous parcourons vont reculer au loin devant nous ; nous allons voir cette puissance s’élever à un bien plus haut degré, si nous la considérons lorsqu’elle défend la liberté, lorsqu’elle protège l’innocence, lorsqu’elle lutte contre l’oppression ; si nous l’examinons, en un mot, sous le rapport de l’éloquence.