Chapitre IV.
Petits Symbolards
Deux mois nous séparent encore du nouvel an, des étrennes et des baraques Collet. Mais il faut que les expositions des grands magasins soient prêtes trente jours d’avance ; il faut que l’industrie produise en quantités énormes les joujoux ingénieux, destinés à l’amusement des parents et à l’incompréhension des petits ; il faut que d’étranges inventeurs (on choisit des mécaniciens retombés en enfance) disposent avec une nouveauté piquante et économique leurs rouages puérils. On n’a pas oublié les miss Helyett, le Meunier grimpeur, le Taureau et son picador. Pour le jour de l’an prochain un ancien élève de l’École Centrale, cette nursery des vaudevillistes, vient de trouver un « numéro » plus compliqué, plus littéraire, plus moderne, moderniste même et tout à fait « couchant de siècle ».
C’est le jeu du Petit Symbolard. Le nom est vulgaire, mais sonore pour la clameur des camelots :
« Demandez le Petit Symbolard, ses vingt-cinq positions pour dix-neuf sous… En voulez-vous, des symbolards ? »
* *
Essentiellement :
Sur une large boîte, assez basse et mystérieusement close comme l’échiquier de Maelzel, s’érige une minuscule forêt (de grossier bois peint). À chaque extrémité un personnage (en zinc estampé) : ici un Chevalier tout habillé, ganté, casqué, armure, — la cotte de mailles fabriquée avec des rayons de bicyclette cassés ; — là une dame, La Dame, héraldique, hiératique.
Sur le côté de la boîte, on aperçoit une collection de boutons. Dès qu’on y touche, les personnages se mettent en branle. À la pressée de chaque bouton consuit un mouvement particulier, correspond une attitude spéciale.
Voilà qui est curieux et bien fait, et c’est simple comme M. Hector Malot.
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Premier bouton, première, position.
La dame ne bouge pas. Le chevalier s’avance jusqu’à l’orée de la forêt, s’arrête, baisse la tête, se retourne et revient lentement, lentement.
(Les personnes suggestibles songeront : Rêves, longs espoirs, vastes pensées, désenchantement précoce, du regret, de la fatigue, de l’amer.)
Deuxième position.
Le chevalier pénètre dans le bois. Il se cogne aux arbres, se meurtrit, tombe. Il se relève et revient chancelant à son point de départ.
(Le Poème de l’Effort.)
Position III.
Le militaire se remet en route, aperçoit la personne du sexe, et, cette fois, court droit sur elle. Comme il va l’atteindre, elle glisse au fond de la boîte.
(L’Éternel Féminin.)
Position IV.
Il ne se décourage pas, il repart pour le bois, et enfin il rencontre…
— La Dame ?
— Non, une Licorne ! une mignonne licorne en caoutchouc, brusquement surgie du double-fond.
La licorne s’agenouille devant les médailles saintes qui pendent au col du Chevalier ; celui-ci s’en revient, édifié.
(Sacré-Cœur, esprit nouveau, banqueroute de la Science, Libre-Parole.)
* *
Ces quatre pantomimes, et plusieurs autres non moins riches de sens, la Madone les exécute à son tour, cependant que le Chevalier se repose.
Dans le modèle de luxe, le jeu se complique. Princesses latérales, féodaux compagnons. Corrida avec la licorne. Boite à musique dissimulée. On entend la romance de la Grande Duchesse, l’air des « Soldats de plomb » :
Le grenadier était bel hommeIl provenait de Nuremberg ;La princesse arrivait de RomeEt sortait du chemin de fer.
Le tout est enfermé dans un élégant étui, prasin, pers ou nacarat.
* *
Nul doute que ce joujou rigolo, suggestif et pas cher fasse fureur bientôt. Il développera parmi la prime jeunesse les vocations latentes de dramaturge et de poète genre chevalerie.
Voilà trop longtemps que Bernard Lazare m’articule qu’un bon rhétoricien sait faire un pantoum comme Leconte de Lisle.
Avant six mois je compte lui prouver qu’un médiocre élève de sixième moderne peut écrire un lied comme Camille Mauclair. Ah ?
En voulez-vous, des symbolards ?