(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — C — article » pp. 475-476
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(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — C — article » pp. 475-476

1. Chapelle, [Claude-Emmanuel Luillier, surnommé] né dans le village de la Chapelle, près de S. Denis, en 1624, mort à Paris en 1689, étoit fils naturel de François Luillier, Maître des Comptes, qui le légitima en 1642.

Son Voyage de Montpellier, auquel Bachaumont n’eut qu’une légere part, est un petit chef-d’œuvre d’enjouement, de finesse & de plaisanterie. Ses autres Poésies sont dans le même goût, mais n’ont pas toujours le même agrément.

La trempe de l’esprit & du caractere de Chapelle, le portoit naturellement à la Poésie légere, & ne lui permettoit pas d’autre genre de travail. Il est étonnant néanmoins qu’avec les secours qu’il trouva pour son éducation, il ne soit pas devenu un Auteur grave. Eleve de Gassendi, les Poëtes & les Historiens Grecs & Latins, les Philosophes & Moralistes modernes furent la matiere de ses études ; mais la nature l’emporta. Cette nature étoit dans Chapelle une gaieté assez continue, accompagnée d’une paresse qui le rendoit ennemi de la contrainte & du moindre travail. De là, la plus grande liberté dans ses goûts, comme dans ses idées : de là, plus de naturel que de politesse, moins de délicatesse que de licence & de débauche. Jamais Auteur ne s’est mieux peint dans ses Ouvrages. Ils sont tels que la premiere inspiration les a produits. Les beautés en sont vives & originales, mais presque toujours accompagnées de quelques négligences, moins fréquentes, à la vérité, que dans l’Abbé de Chaulieu, son disciple. Il excelloit sur-tout dans les vers à rimes redoublées. On conviendra, avec M. de Voltaire, qu’il n’en fut point l’inventeur ; cependant la raison que cet Ecrivain en apporte, n’est pas ce qui le prouve. D’Assouci, qui, selon l’Historien du siecle de Louis XIV, en avoit donné l’exemple, étoit contemporain de Chapelle, & par conséquent il est difficile de décider lequel de ces deux Poëtes en a fait usage le premier. Il falloit remonter plus haut dans les époques de notre Poésie. On auroit trouvé que François Habert, contemporain de Marot, est le premier de nos Poëtes qui ait employé les rimes redoublées, comme on peut en juger par le morceau que nous avons cité à son article.

Chapelle aimoit la bonne chere encore plus que la Poésie, & joignoit à ces deux goûts celui des bons mots. Un jour qu’il sortoit d’une table, où la chere avoit été mince, il dit à l’oreille d’un de ses amis, de façon pourtant que le Maître de la maison pût l’entendre : Où irons-nous dîner en sortant d’ici ?