Sévigné, [Marie de Rabutin, Marquise de] née en 1626, morte en 1696.
Elle est dans le genre épistolaire ce que Lafontaine est dans le sien, négligée & originale. On s'est souvent efforcé d'imiter son style, & elle a encore ceci de commun avec notre Fabuliste, d'être inimitable comme lui. Le mérite de ses Lettres, qu'on lit toujours avec un nouveau plaisir, ne consiste pas dans un étalage d'esprit ou dans une emphase de sentiment, comme celui d'une infinité d'Auteurs qui nous ont donné des volumes d'Epîtres, sans approcher en aucune façon du naturel, de l'aisance, de la délicatesse, du sel, & de l'agrément, qui présidoient à tout ce que Madame de Sévigné écrivoit. La maniere noble & variée, dont elle exprime sa tendresse pour sa fille, n'empêche pas qu'on ne s'apperçoive de la répétition trop fréquente de ce sentiment ; mais elle la fait pardonner, & jamais les redites ne furent plus agréables & plus intéressantes. Si l'expression de la sensibilité inépuisable de son cœur paroît quelquefois emprunter le langage de l'esprit, ce n'est que pour produire de ces traits fins & délicats, fruit d'une imagination tendre & vive, & rendus dans un style qui peint & anime tout. Les anecdotes curieuses, les particularités intéressantes, les applications ingénieuses, prennent, sous sa plume, une tournure & des graces qui la rendent le modele & le désespoir de ceux qui voudroient tenter de l'imiter. Elle a l'art de faire partager tous ses sentimens à son Lecteur ; on rit ou l'on s'afflige avec elle, on adopte ses intérêts, on souscrit à ses louanges & à ses censures, on applaudit aux jugemens qu'elle porte sur les plus célebres Auteurs de son Siecle ; mais on ne croit pas toujours ses prédictions, sur-tout quand elle dit de Racine, qu'on s'en dégoûtera comme du Café. On ne s'est dégoûté ni de l'un ni de l'autre, mais bien des Tragédies de Pradon, qu'elle protégeoit ; ce qui prouve combien les séductions de Société sont excessives, & principalement dans l'esprit des femmes.
L'originalité & la grace qu'elle a dans ses Ecrits, elle les avoit dans sa conversation. Un jour, entendant un Credo en musique, elle s'écria tout haut : Ah ! que cela est faux ! & ajouta tout de suite : C'est du chant que je parle.