(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 223-229
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(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 223-229

MARMONTEL, [Jean-François] Historiographe de France, né à Bort, petite ville du Limousin en 1719.

Dès qu’il s’agira de Tragédies, de Pastorales lyriques, de Poésies légeres, le Public a déjà décidé que cet Auteur ne figureroit jamais parmi les bons Poëtes de notre nation.

M. Marmontel s’est lui-même rendu justice. Du Théatre tragique & du lyrique, il s’est jeté dans l’Opéra Bouffon, qui paroît être plus de son genre. Le Huron, Lucile, Silvain, l’Ami de la Maison, sont des preuves que son esprit est précisement fait pour les bagatelles, sur-tout quand une Musique agréable vient relever un peu la fadeur de sa Poésie.

On peut ajouter que sa Poétique n’est nullement propre à servir de guide aux jeunes Auteurs qui voudront se former le goût. Elle a l’air d’un Ouvrage de commande, dont l’objet est d’affoiblir l’estime due aux grands Littérateurs, pour ériger en Héros du Parnasse, des Ecrivains que le bon sens ne regardera jamais comme des modeles. On est sur-tout fatigué d’y voir régner un style énigmatique, qui obscurcit les choses les plus claires, en voulant les expliquer par principe & les prouver par raisonnemens. Ce n’étoit pas la peine de prendre un ton dogmatique, de se complaire à disserter, pour n’avoir raison que dans les choses dites & prouvées avant lui, & s’égarer en avançant des nouveautés paradoxales, que personne n’a été tenté d’adopter.

La Traduction de Lucain est encore une preuve de la particularité de ses idées. Il a voulu réhabiliter ce Poëte, mais il l’a traduit de maniere à n’en montrer que les défauts, sans en faire connoître le mérite.

M. Marmontel a cependant lui-même de quoi servir de modèle, en un genre ; &, après tous les grands essais auxquels il s’est attaché, on aura peine à croire que ce genre se réduise à des Contes. Il faut convenir que les siens, quoiqu’en Prose, peuvent occuper agréablement l’oisiveté. Un style délicat & correct, un petit ton de minauderie, une morale légere & tout-à-fait du bel air, les rendent un Code amusant pour les têtes frivoles, sans qu’il puisse prétendre au suffrage des ames sensées. Personne n’a su, mieux que lui, développer les petits caracteres, faire valoir les petites circonstances, & répandre sur de petits événemens un jour riant & quelquefois instructif. Quand il traite le sentiment, le sentiment sous sa plume n’est ni chaud ni énergique ; en revanche, il chatouille, il effleure, ce qui est beaucoup dans un Siecle où l’on veut être ému avec précaution. Son Dialogue est naturel & rapide. Qu’on ne dise cependant pas que M. Marmontel soit l’inventeur de la suppression des dit-il, des répondit-il, dont ses Enthousiastes se sont efforcés de lui faire honneur. Plus de deux cents ans avant lui, cette façon d’écrire étoit en usage parmi nous. Rabelais, & l’Auteur du Moyen de parvenir, en fournissent de fréquens exemples.

Malgré cela, les Contes moraux seront toujours des Productions qui feront honneur à M. Marmontel, si l’on excepte Bélisaire. Ceux qui ont osé comparer ce Conte à Télémaque, ont outragé, tout à la fois, la raison & la gloire de la Nation Françoise. Quelle comparaison entre un Ouvrage marqué au coin du génie, conduit avec un art qui enchante, enrichi de tableaux & de sentimens qui attachent & pénetrent l’ame, embelli par des peintures qui ravissent l’imagination & la captivent ! un Ouvrage, où la richesse des détails, la grandeur des événemens, la vérité des caractères, la sublimité de la morale, l’harmonie de la prose, l’emportent sur la pompe de la versification, & prouvent qu’un Ecrivain de génie peut s’en passer dans un Poëme épique ! quelle comparaison entre cet Ouvrage & un Roman dénué de toute vraisemblance, parsemé de caracteres baroques, inondé d’un radotage insipide ! un Roman, où la monotonie des incidens, l’uniformité des ressorts, l’afféterie du style, l’imbécillité des personnages, forment un contraste perpétuel avec le bon sens, le bon goût, & la nature des objets qu’on y traite ! un Roman enfin, dont le scandale a fait le succès passager, dont il n’y a que les premiers chapitres qui soient soutenables, & dont tout le reste fait tomber le Livre des mains du Lecteur, tantôt ennuyé, tantôt révolté !

Pour les Incas, on est généralement d’accord que ce Roman héroïque est beaucoup plus ennuyeux, & suppose beaucoup moins de talens que le Séthos de M. l’Abbé Terrasson, qu’on ne lit plus.

Ce que M. Marmontel a fait de mieux, après ses petits Contes, ce sont, à notre avis, les Articles qu’il a composés pour l’Encyclopédie & pour le Supplément de ce même Ouvrage. Ces Articles prouvent combien cet Ecrivain est capable de joindre le mérite de penser avec justesse, à celui de s’exprimer avec grace, quand il ne cherche pas à sortir de lui-même, & à appliquer ses talens à des sujets qui leur sont étrangers.

Nous voudrions bien pouvoir applaudir également aux succès du zele de M. Marmontel, & apprendre au Lecteur que le débit de son Epître, intitulée La VOIX DES PAUVRES, vendue à leur profit, a procuré de grands secours à cette portion souffrante de nos Concitoyens. Mais sa Muse n’a pas été heureuse à seconder les transports de sa générosité. On ne peut la louer que de ses bonnes intentions ; car pour ses Vers, ils sont prosaïques, boursouflés, le plus souvent d’une expression assez pauvre, & peu propres à produire un grand effet.

Heureusement la Religion a suppléé abondamment aux vains efforts de la charité poétique. Elle a fait éclater, dans l’événement * malheureux, qui a donné lieu à la Voix du Pauvre, ce qu’on a éprouvé dans tous les temps de sa part, des traits héroïques de courage & de sentiment, qu’on attendoit en vain de la verbeuse & stérile humanité. Les Victimes, arrachées aux flammes, ont trouvé un asile dans ses Sanctuaires : ses Ministres ont été leurs consolateurs & leurs nourriciers : ses vrais Disciples leurs bienfaiteurs & leur soutien. Et tandis qu’au milieu de l’alarme générale, le Philosophe murmuroit peut-être contre la Nature, ou ne songeoit qu’à sa gloire en préparant le froid projet d’un nouvel Edifice, le Peuple, ce Peuple qui ne raisonne pas, mais qui fait toujours agir efficacement pour le bien général, exposoit sa vie, la sacrifioit, afin de retarder, de quelques momens, le trépas de tant d’Infortunés. Quelle honte pour les lumières ! quel sujet pour une Epître ! Et quel Poëte, même médiocre, n’eût pas réussi avec un pareil sujet ?