(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — A — article » pp. 157-161
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(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — A — article » pp. 157-161

3. Arnaud, [Antoine] vingtieme fils de l’Avocat qui plaida contre les Jésuites, Docteur de Sorbonne, né à Paris en 1612, mort à Bruxelles en 1694.

Celui-ci avec du génie, de l’éloquence & une Littérature étendue, a prouvé combien un homme sage doit se défier de ses préventions, & combien il est essentiel, pour le bonheur & la véritable gloire, de savoir les réprimer, lorsqu’elles nous emportent trop loin. Il étoit né avec toutes les qualités qui forment les grands Ecrivains ; mais son esprit naturellement polémique, l’engagea dans des disputes qui aigrirent son humeur & dégraderent ses talens. Il lui falloit absolument des adversaires. Ennemi des Protestans, il écrivit contre eux avec cette vigueur & cette vivacité qui caractérisent autant le talent de la dispute, que le zele de la vérité. Dans ses Controverses contre le Ministre Claude, on admire une dialectique profonde, une méthode lumineuse, un enchaînement de preuves, une variété d’images, une force d’expression, qui captivent l’esprit & l’attachent agréablement. Ce qu’il a écrit contre les Jésuites, est de la même magie de style, de la même éloquence, sans pouvoir néanmoins y méconnoître une amertume, un acharnement, bien éloignés de ce ton qui fait valoir les raisons & prouve l’impartialité. On doit par conséquent se garder d’adopter inconsidérément tout ce qu’il leur impute dans sa Morale pratique & dans ses autres Ecrits, où l’animosité étouffe le discernement, & laisse une libre carriere à l’exagération, à la fausseté, aux contradictions. Ce n’est pas par des imputations étrangeres à la question, qu’on réussit à réfuter ou à confondre ses Antagonistes.

Tel étoit le caractere de M. Arnaud : une humeur prompte à s’enflammer, une grande facilité pour écrire, &, plus que tout cela, le désir de la célébrité, désir dont on sait si rarement se garantir, le précipiterent dans les disputes de son temps, & consumerent des travaux qu’il eût pu rendre infiniment plus utiles.

Il ne se borna pas à des discussions Théologiques ; il écrivit contre le Prince d’Orange ; & le titre(1) de son Ouvrage suffit pour faire connoître la trempe de son esprit. L’Auteur du Siecle de Louis XIV, prétend que ce Livre n’est pas de M. Arnaud, à cause du titre, qui tient du style du P. Garasse. Cet Historien n’a pas lu sans doute tous les Ouvrages de ce Docteur ; il en a composé incontestablement tant d’autres où le style du P. Garasse se fait souvent sentir, que l’on est autorisé à lui attribuer celui-ci, jusqu’à ce que l’on ait des preuves plus solides du contraire.

Il attaque aussi le P. Mallebranche sur sa Métaphysique. Celui-ci ne put lui pardonner d’avoir choisi parmi ses opinions celles qui prêtoient le plus à la satire, pour le rendre ridicule aux yeux de la plus grande partie du Public. Mallebranche avoit raison de se plaindre : mais pouvoit-il ignorer que cette méthode a été de tout temps la ressource favorite de tous les Auteurs qui ont voulu établir leur réputation sur les débris de celle des autres ? D’ailleurs la morale de M. Arnaud, en fait de disputes, étoit assez indulgente pour ceux à qui les égards pesent. Il ne craignit point de publier un Ouvrage sous ce titre : Dissertation selon la méthode des Géometres, pour la justification de ceux qui, en de certaines rencontres, emploient, en écrivant, des termes que le monde estime durs. Il s’efforce de justifier les emportemens de son style par l’autorité de l’Ecriture & des Saints Peres : mais on peut dire avec justice que cette Dissertation ne prouve autre chose, sinon qu’il est des esprits, pour ainsi dire, ambidextres, prêts au pour & au contre, & qui ont le talent d’en imposer un moment, par cette métamorphose que Juvénal leur reproche, Qui nigra in candida vertunt.

Nous le répéterons encore, il est fâcheux que la force, la chaleur & l’énergie du style de cet Homme célebre aient été consacrés à soutenir des rivalités, dont il ne tenoit qu’à lui de se défendre. Son génie, plus constamment appliqué à des objets convenables à son état & à sa plume, nous eût laissé des Productions utiles, au lieu de ces Ecrits polémiques qui tombent d’eux-mêmes avec les sujet qui les a fait naître. On peut en juger par l’Ouvrage immortel de la perpétuité de la Foi, fait en société avec Nicole ; par celui de l’Art de penser, non moins admirable dans son genre, & auquel il eut plus de part que ce dernier : la Grammaire générale & raisonnée qu’il composa avec Lancelot, est également digne du succès dont elle jouit. En se bornant à ce genre de travail, cet Auteur auroit obtenu, du consentement unanime de la postérité, le titre de Grand, que ses seuls partisans ont eu le courage de lui donner.