(1870) Portraits de femmes (6e éd.) « M. DE LA ROCHEFOUCAULD » pp. 288-321
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(1870) Portraits de femmes (6e éd.) « M. DE LA ROCHEFOUCAULD » pp. 288-321

M. DE LA ROCHEFOUCAULD126

Il faut savoir montrer l’esprit de son âge et le fruit de sa saison. Il vient un moment dans la vie où La Rochefoucauld plaît beaucoup et où il paraît plus vrai peut-être qu’il ne l’est. Les mécomptes de l’enthousiasme jettent dans le dégoût. Mme de Sévigné trouve qu’il serait joli d’avoir un cabinet tout tapissé de dessous de cartes ; dans son imprudence aimable, elle n’en voit que le piquant et l’amusant. Le fait est qu’à un certain jour toutes ces belles dames de cœur, ces nobles et chevaleresques valets de carreau, avec lesquels on jouait si franc jeu, se retournent ; on s’était endormi en croyant à Hector, à Berthe ou à Lancelot ; on se réveille dans ce cabinet même dont parle Mme de Sévigné, et on n’aperçoit de tous côtés que l’envers. On cherche sous son chevet le livre de la veille : c’étaient Elvire et Lamartine ; on trouve en place La Rochefoucauld. Ouvrons-le donc ; il console, à force d’être criagrin comme nous ; il amuse. Ces pensées, qui aux jours de la jeunesse révoltaient comme trop fausses ou ennuyaient comme trop vraies, et dans lesquelles on ne voyait que la morale des livres, nous apparaissent pour la première fois dans toute la fraîcheur de la nouveauté et le montant de la vie ; elles ont aussi leur printemps à elles ; on les découvre : Que c’est vrai ! s’écrie-t-on. On en chérit la secrète injure, on en suce à plaisir l’amertume. Cet excès même a de quoi rassurer. S’enthousiasmer pour elles, c’est déjà en quelque façon les dépasser et commencer à s’en guérir.

M. de La Rochefoucauld lui-même, il est permis de le conjecturer, en adoucit sur la fin et en corrigea tout bas certaines conclusions trop absolues ; durant le cours de sa liaison délicate et constante avec Mme de La Fayette, on peut dire qu’il sembla souvent les abjurer, au moins en pratique ; et cette noble amie eut quelque droit de se féliciter d’avoir réformé, ou tout simplement d’avoir réjoui son cœur.

La vie de M. de La Rochefoucauld, avant sa grande liaison avec Mme de La Fayette, se divise naturellement en trois parties, dont la Fronde n’est que le milieu. Sa jeunesse et ses premiers éclats datent d’auparavant. Né en 1613, entré dans le monde dès l’âge de seize ans, il n’avait pas étudié, et ne mêlait à sa vivacité d’esprit qu’un bon sens naturel encore masqué d’une grande imagination. Avant le nouveau texte des Mémoires, découvert en 1817, et qui donne sur cette période première une foule de particularités retranchées par l’auteur dans la version jusqu’alors connue, on ne se pouvait douter du degré de chevalerie et de romanesque auquel se porta tout d’abord le jeune prince de Marsillac. Buckingham et ses royales aventures paraissent lui avoir fait un point de mire, comme Catilina au jeune de Retz. Ces premiers travers ont barré plus d’une vie. Tout le beau feu de La Rochefoucauld se consuma alors dans ses dévouements intimes à la reine malheureuse, à Mlle d’Hautefort, à Mme de Chevreuse elle-même : en prenant cette route du dévouement, il tournait, sans y songer, le dos à la fortune. Il indisposait le roi, il irritait le cardinal : qu’importe ? le sort de Chalais, de Montmorency, de ces illustres décapités, semblait seulement le piquer au jeu. Dans un certain moment (1637, il avait vingt-trois ou vingt-quatre ans), la reine persécutée, « abandonnée de tout le monde, nous dit-il, et n’osant se confier qu’à Mlle d’Hautefort et à moi, me proposa de les enlever toutes deux et de les emmener à Bruxelles. Quelque difficulté et quelque péril qui me parussent dans un tel projet, je puis dire qu’il me donna plus de joie que je n’en avois eu de ma vie. J’étois dans un âge où l’on aime à faire des choses extraordinaires et éclatantes, et je ne trouvois pas que rien le fût davantage que d’enlever en même temps la reine au roi son mari et au cardinal de Richelieu qui en étoit jaloux, et d’ôter Mlle d’Hautefort au roi qui en étoit amoureux. » Toutes ces fabuleuses intrigues finirent pour lui, à la fuite de Mme de Chevreuse, par huit jours de Bastille et un exil de deux ou trois ans à Verteuil (1639-1642) : c’était en être quitte à bon compte avec Richelieu, et cet exil un peu languissant se trouvait encore agréablement diversifié, il l’avoue, par les douceurs de la famille127, les plaisirs de la campagne, et les espérances surtout d’un règne prochain où la reine paierait ses fidèles services.

Cette première partie des Mémoires était essentielle, ce me semble, pour éclairer les Maximes, et faire bien mesurer toute la hauteur d’où l’ambitieux chevaleresque était tombé pour creuser ensuite en moraliste ; les Maximes furent la revanche du roman.

Il résulte de plus de cette première période mieux connue, que Marsillac, qui, en effet, avait trente-trois ans bien passés lors de son engagement avec Mme de Longueville, et trente-cinq ans à son entrée dans la Fronde, n’y arriva que déjà désappointé, irrité, et, pour tout dire, fort perverti : et cela, sans l’excuser, explique mieux la détestable conduite qu’il y tint. On le voit gâté tout d’abord. Il ne se cache pas sur les motifs qui l’y jetèrent : « Je ne balançai point, dit-il, et je ressentis un grand plaisir de voir qu’en quelque état que la dureté de la reine et la haine du cardinal (Mazarin) eussent pu me réduire, il me restoit encore des moyens de me venger d’eux. » Mal payé de son premier dévouement, il s’était bien promis qu’on ne l’y prendrait plus.

La Fronde présente donc la seconde période de la vie de M. de La Rochefoucauld ; la troisième comprend les dix ou douze années qui suivirent, et durant lesquelles il se refit, comme il put, de ses blessures au physique, et s’en vengea, s’en amusa, s’en releva au moral dans ses Maximes. L’intime liaison avec Mme de La Fayette, qui les adoucit et les consola véritablement, ne vint guère qu’après.

On pourrait donner à chacune des quatre périodes de la vie de M. de La Rochefoucauld le nom d’une femme, comme Hérodote128 donne à chacun de ses livres le nom d’une muse. Ce seraient Mme de Chevreuse, Mme de Longueville, Mme de Sablé, Mme de La Fayette ; les deux premières, héroïnes d’intrigue et de roman ; la troisième, amie moraliste et causeuse ; la dernière, revenant, sans y viser, à l’héroïne par une tendresse tempérée de raison, repassant, mêlant les nuances, et les enchantant comme dans un dernier soleil.

Mme de Longueville fut la passion brillante : fut-elle une passion sincère ? Mme de Sévigné écrivait à sa fille (7 octobre 1676) : « Quant à M. de La Rochefoucauld, il alloit, comme un enfant, revoir Verteuil et les lieux où il a chassé avec tant de plaisir ; je ne dis pas où il a été amoureux, car je ne crois pas que ce qui s’appelle amoureux, il l’ait jamais été. » Lui-même, au rapport de Segrais, disait qu’il n’avait trouvé de l’amour que dans les romans. Si la maxime est vraie : « Il n’y a que d’une sorte d’amour, mais il y en a mille différentes copies, » celui de M. de La Rochefoucauld et de Mme de Longueville pourrait bien n’être, en effet, qu’une copie des plus flatteuses. Marsillac, au moment où il s’attacha à Mme de Longueville, voulait, avant tout, se pousser à la cour et se venger de l’oubli où on l’avait laissé : il la jugea propre à son dessein. Il nous a raconté comment il traita d’elle, en quelque sorte, avec Miossens129, qui avait les devants : « J’eus sujet de croire que je pourrois faire un usage plus considérable que Miossens de l’amitié et de la confiance de Mme de Longueville ; je l’en fis convenir lui-même. Il savoit l’état où j’étois à la cour ; je lui dis mes vues, mais que sa considération me retiendroit toujours, et que je n’essaierois point à prendre des liaisons avec Mme de Longueville, s’il ne m’en laissoit la liberté. J’avoue même que je l’aigris exprès contre elle pour l’obtenir, sans lui rien dire toutefois qui ne fût vrai 130. Il me la donna tout entière, mais il se repentit… » L’attrait s’en mêla sans doute ; l’imagination et le désir s’y entr’aidaient. M. de La Rochefoucauld aimait les belles passions et les croyait du fait d’un honnête homme. Quel plus bel objet pour s’y appliquer ! Mais tout cela, à l’origine du moins, n’est-ce pas du parti pris ?

Du côté de Mme de Longueville, il n’y aurait pas moins à raisonner, à distinguer. On n’a pas à craindre de subtiliser avec elle sur le sentiment, car elle était plus que tout subtile. En dévotion, nous avons par Port-Royal ses examens secrets de conscience : les raffinements de scrupules y passent toute idée. En amour, en galanterie, c’était de même, sauf les scrupules131. Sa vie et son portrait ne sauraient être ici brusqués en passant : elle mérite une place à part et elle l’aura. Sa destinée a de tels contrastes et de telles harmonies dans son ensemble, que ce serait une profanation d’y rien dégrader. Elle est de celles d’ailleurs dont on a beau médire, la raison y perd ses droits ; il en est de son cœur comme de sa beauté, qui, avec bien des défauts, avait un éclat, une façon de langueur, et un charme enfin, qui attachaient.

Ses vingt-cinq ans étaient déjà passés quand sa liaison avec M. de La Rochefoucauld commença. Jusqu’alors elle s’était assez peu mêlée de politique : Miossens avait pourtant tâché de l’initier. La Rochefoucauld s’y appliqua et lui donna le mouvement plus que l’habileté, qu’en ce genre il n’atteignit lui-même qu’à peu près.

Le goût naturel de Mme de Longueville était celui qu’on a appelé de l’hôtel de Rambouillet : elle n’aimait rien tant que les conversations galantes et enjouées, les distinctions sur les sentiments, les délicatesses qui témoignaient de la qualité de l’esprit. Elle tenait sur toute chose à faire paraître ce qu’elle en avait de plus fin, à se détacher du commun, à briller dans l’élite. Quand elle se crut une personne politique, elle n’était pas fâchée qu’on l’estimât moins sincère, s’imaginant passer pour plus habile. Les petites considérations la décidaient dans les grands moments. Il y avait chimère en elle, fausse gloire, ce que nous baptiserions aussi poésie : elle fut toujours hors du positif. Sa belle-fille132, la duchesse de Nemours, qui, elle, n’en sortait pas, Argus peu bienveillant mais très-clairvoyant, nous la montre telle dans les Mémoires si justes, qu’on voudrait toutefois moins rigoureux. La Rochefoucauld, à sa manière, ne dit pas autre chose, et lui, si bien posé pour le savoir, il se plaint encore de cette facilité qu’elle avait à être gouvernée, dont il usa trop et dont il ne resta pas maître : « ….. Ses belles qualités étoient moins brillantes, dit-il, à cause d’une tache qui ne s’est jamais vue en une princesse de ce mérite, qui est que, bien loin de donner la loi à ceux qui avoient une particulière adoration pour elle, elle se transformoit si fort dans leurs sentiments qu’elle ne reconnoissoit plus les siens propres. » En tout temps, que ce fût M. de La Rochefoucauld, ou M. de Nemours, ou à Port-Royal M. Singlin, qui la gouvernât, Mme de Longueville se servit moins de son esprit que de celui des autres.

M. de La Rochefoucauld, pour la guider dans la politique, n’y était pas assez ferme lui-même : « Il y eut toujours du je ne sais quoi, dit Retz, en tout M. de La Rochefoucauld. » Et dans une page merveilleuse où l’ancien ennemi s’efface et ne semble plus qu’un malin ami133, il développe ce je ne sais quoi par l’idée de quelque chose d’irrésolu, d’insuffisant, d’incomplet dans l’action au milieu de tant de grandes qualités : « Il n’a jamais été guerrier, quoiqu’il fût très-soldat. Il n’a jamais été par lui-même bon courtisan, quoiqu’il eût toujours bonne intention de l’être. Il n’a jamais été homme de parti, quoique toute sa vie il y ait été engagé. » Et il le renvoie à être le plus honnête homme dans la vie privée. Sur un seul point j’oserai contredire Retz : il refuse l’imagination à La Rochefoucauld, qui me semble l’avoir eue grande134. Encore une fois, il commença par pratiquer le roman, du temps de Mme de Chevreuse ; sous la Fronde, il essaya l’histoire, la politique, et la manqua. La vengeance et le dépit l’y poussaient plus qu’une ambition sérieuse : de beaux restes de roman venaient à la traverse ; la vie privée et sa douce paresse, par où il devait finir, l’appelaient déjà. A peine embarqué dans une affaire, il se montrait impatient d’en sortir : sa pensée essentielle n’était pas là135. Or, avec la disposition entraînée de Mme de Longueville, qu’on songe à ce qu’elle dut devenir en conduite dès l’instant que ce je ne sais quoi de M. de La Rochefoucauld fut son étoile : et autour de cette étoile, comme autant de lunes, ses propres caprices.

Ce serait trop entreprendre que de les suivre ; et, à l’égard de M. de La Rochefoucauld, ce serait souvent trop pénible et trop humiliant136, pour ceux qui l’admirent, que de l’accompagner. Le résultat chez lui vaut mieux que le chemin. Qu’il suffise d’indiquer que, durant la première Fronde et le siége de Paris (1649), son ascendant fut entier sur Mme de Longueville. Lorsque, après l’arrestation des princes, elle s’enfuit en Normandie, puis de là par mer en Hollande, d’où elle gagna Stenay, elle se déshabitua un peu de lui137. A son retour en France et à la reprise d’armes, on la retrouve gouvernée encore quelque temps par les avis de M. de La Rochefoucauld, qui cette fois les donne meilleurs à mesure qu’il va être plus désintéressé. Elle lui échappe enfin tout à fait (1652), et prête l’oreille à l’aimable duc de Nemours.

M. de Nemours plaisait surtout à Mme de Longueville en ce qu’il lui sacrifiait Mme de Châtillon.

« On a bien de la peine à rompre, quand on ne s’aime plus. » On en était à ce point de difficulté : M. de Nemours le trancha, et M. de La Rochefoucauld saisit avec joie une occasion d’être libre, en faisant l’offensé : « Quand nous sommes las d’aimer, nous sommes bien aises qu’on nous devienne infidèle pour nous dégager de notre fidélité. »

Il fut donc bien aise, mais non pas sans mélange ni sans des retours amers : « La jalousie, il l’a dit, naît avec l’amour ; mais elle ne meurt pas toujours avec lui. » Le châtiment de ces sortes de liaisons, c’est qu’on souffre également de les porter et de les rompre. Il voulut se venger et manœuvra si bien que Mme de Châtillon reconquit M. de Nemours sur Mme de Longueville, et qu’en veine de triomphe, elle fit encore perdre à celle-ci le cœur et la confiance du prince de Condé qu’elle s’attacha également. Entre Mme de Châtillon, M. le Prince et M. de Nemours, La Rochefoucauld, qui était l’âme de cette intrigue, s’applaudissait cruellement. Vue et blessure trois fois aigrissante pour Mme de Longueville !

A peu de temps de là, M. de Nemours fut tué en duel par M. de Beaufort, et (bizarrerie du cœur !) Mme de Longueville le pleura comme si elle l’eût encore possédé. Ses idées de pénitence suivirent de près.

M. de La Rochefoucauld fut puni tout le premier de sa vilaine action ; il reçut, au combat du faubourg Saint-Antoine, cette mousquetade qui lui perça le visage et lui fit perdre les yeux pendant quelque temps. On a cité maintes fois, et avec toutes sortes de variantes, les vers tragiques qu’il tourna et parodia à ce sujet. Ils ne furent sérieux à aucun moment, puisqu’à cette époque il était déjà brouillé avec Mme de Longueville :

Pour ce cœur inconstant qu’enfin je connois mieux,
J’ai fait la guerre aux Rois : j’en ai perdu les yeux !

Chacun est ainsi. Du jour où on ne répond au jeu du sort que par une moquerie de cette devise héroïque de la jeunesse :

J’ai fait la guerre aux Rois, je l’aurais faite aux Dieux ;

de ce jour-là, plus de tragédie ni d’acte sérieux ; on est entré dans l’ironie profonde.

Ce fut, à lui, le terme de ses actives erreurs. Il a près de quarante ans : la goutte le tient déjà, et le voilà presque aveugle. Il retombe dans la vie privée et s’enfonce dans le fauteuil pour n’en plus sortir. Les amis empressés l’entourent, et Mme de Sablé est aux petits soins. L’honnête homme accompli commence, et le moraliste se déclare.

M. de La Rochefoucauld va nous paraître tout sage, du moment qu’il est tout désintéressé. Ainsi des hommes : sagesse d’un côté, et action de l’autre. Le bon sens est au comble quand on n’a plus qu’à juger ceux qui n’en ont pas.

Le je ne sais quoi dont Retz cherchait l’explication en M. de La Rochefoucauld se réduit à ceci, autant que j’ose le préciser : c’est que sa vocation propre consistait à être observateur et écrivain. Ce fut la fin à quoi lui servit tout le reste. Avec ses diverses qualités essayées de guerrier, de politique, de courtisan, il n’était dans aucune tout entier ; il y avait toujours un coin essentiel de sa nature qui se dérobait et qui déplaçait l’équilibre. Sa nature, sans qu’alors il s’en doutât, avait son arrière-pensée dans toutes les entreprises : cette arrière-pensée était d’y réfléchir quand ce serait passé. Toutes les aventures devaient finir chez lui, non comme la Fronde par des chansons, mais par des maximes ; une moquerie aussi, couverte et grave. Ce qui semblait un débris ramassé par l’expérience après le naufrage, composa le vrai centre, enfin trouvé, de sa vie138.

Un léger signe très-singulier me paraît encore indiquer en M. de La Rochefoucauld cette destination expresse de la nature. Pour un homme de tant de monde, il avait (Retz nous le dit) un air de honte et de timidité dans la vie civile. Huet (dans ses Mémoires) nous le montre comme tellement embarrassé en public, que s’il avait eu à parler d’office devant un cercle de six ou sept personnes, le cœur lui aurait failli. L’effroi de la solennelle harangue l’empêcha toujours d’être de l’Académie Française. Nicole était ainsi, et n’aurait pu prêcher ni soutenir une thèse. Un des traits du moraliste est dans cette observation à la dérobée, dans cette causerie à mi-voix. Montesquieu dit quelque part que s’il avait été forcé de vivre en professant, il n’aurait pu. Combien l’on conçoit cela de moralistes surtout, comme La Rochefoucauld, comme Nicole ou La Bruyère ! Les Maximes sont de ces choses qui ne s’enseignent pas : les réciter devant six personnes, c’est déjà trop. On n’accorde à l’auteur qu’il a raison, que dans le tête-à-tête. A l’homme en masse, il faut plutôt du Jean-Jacques ou du La Mennais139.

Les Réflexions ou Sentences et Maximes morales parurent en 1665. Douze ans s’étaient écoulés depuis la vie aventureuse de M. de La Rochefoucauld et ce coup de feu, sa dernière disgrâce. Dans l’intervalle, il avait écrit ses Mémoires qu’une indiscrétion avait divulgués (1662), et auxquels il dut opposer un de ces désaveux qui ne prouvent rien140. Une copie des Maximes courut également, et s’imprimait en Hollande. Il y para en les faisant publier chez Barbin. Cette première édition, sans nom d’auteur, mais où il est assez désigné, renferme un Avis au Lecteur très-digne du livre, un Discours qui l’est beaucoup moins, qu’on a attribué à Segrais, qui me semble encore trop fort pour lui, et où l’on répond aux objections déjà courantes avec force citations d’anciens philosophes et de Pères de l’Église. Le petit avis au lecteur y répond bien mieux d’un seul mot : « Il faut prendre garde…, il n’y a rien de plus propre à établir la vérité de ces Réflexions que la chaleur et la subtilité que l’on témoignera pour les combattre141. »

Voltaire, qui a jugé les Maximes en quelques lignes légères et charmantes, y dit qu’aucun livre ne contribua davantage à former le goût de la nation : « On lut rapidement ce petit recueil ; il accoutuma à penser et à renfermer ses pensées dans un tour vif, précis et délicat. C’était un mérite que personne n’avait eu avant lui, en Europe, depuis la renaissance des lettres. » Trois cent seize pensées formant cent cinquante pages eurent ce résultat glorieux. En 1665, il y avait neuf ans que les Provinciales avaient paru ; les Pensées ne devaient être publiées que cinq ans plus tard, et le livre des Caractères qu’après vingt-deux ans. Les grands monuments de prose, les éloquents ouvrages oratoires qui consa crent le règne de Louis XIV, ne sortirent que depuis 1669, à commencer par l’Oraison funèbre de la reine d’Angleterre. On était donc, en 1665, au vrai seuil du beau siècle, au premier plan du portique, à l’avant-veille d’Andromaque ; l’escalier de Versailles s’inaugurait dans les fêtes : Boileau, accostant Racine, montait les degrés ; La Fontaine en vue s’oubliait encore ; Molière dominait déjà, et le Tartufe, achevé dans sa première forme, s’essayait sous le manteau. A ce moment décisif et d’entrain universel, M. de La Rochefoucauld, qui aimait peu les hauts discours, et qui ne croyait que causer, dit son mot : un grand silence s’était fait ; il se trouva avoir parlé pour tout le monde, et chaque parole demeura.

C’était un misanthrope poli, insinuant, souriant, qui précédait de bien peu et préparait avec charme l’autre Misanthrope.

Dans l’histoire de la langue et de la littérature française, La Rochefoucauld vient en date au premier rang après Pascal, et comme en plein Pascal142, qu’il devance même en tant que pur moraliste. Il a cette netteté et cette concision de tour que Pascal seul, dans ce siècle, a eues avant lui, que La Bruyère ressaisira, que Nicole n’avait pas su garder, et qui sera le cachet propre du dix-huitième siècle, le triomphe perpétuellement aisé de Voltaire.

Si les Maximes peuvent sembler, à leur naissance, n’avoir été qu’un délassement, un jeu de société, une sorte de gageure de gens d’esprit qui jouaient aux proverbes, combien elles s’en détachent par le résultat, et prennent un caractère au-dessus de la circonstance ! Saint-Évremond, Bussy, qu’on a comparés à La Rochefoucauld pour l’esprit, la bravoure et les disgrâces, sont aussi des écrivains de qualité et de société ; ils ont de l’agrément parfois, mais je ne sais quoi de corrompu ; ils sentent leur Régence. Le moraliste, chez La Rochefoucauld, est sévère, grand, simple, concis ; il atteint au beau ; il appartient au pur Louis XIV.

On ne peut assez louer La Rochefoucauld d’une chose, c’est qu’en disant beaucoup il n’exprime pas trop. Sa manière, sa forme est toujours honorable pour l’homme, quand le fond l’est si peu.

En correction il est de l’école de Boileau, et bien avant l’Art poétique. Quelques-unes de ses maximes ont été refaites plus de trente fois, jusqu’à ce qu’il fût arrivé à l’expression nécessaire. Avec cela il n’y parait aucun tourment. Ce petit volume original, dans sa primitive ordonnance qui s’est plus tard rompue, offrant ses trois cent quinze pensées si brèves, encadrées entre les considérations générales sur l’amour-propre au début et les réflexions sur le mépris de la mort à la fin, me figure encore mieux que les éditions suivantes un tout harmonieux, où chaque détail espacé arrêta le regard. La perfection moderne du genre est là : c’est l’aphorisme aiguisé et poli. Si Racine se peut admirer après Sophocle, on peut lire La Rochefoucauld après Job, Salomon, Hippocrate et Marc-Aurèle.

Tant d’esprits profonds, solides ou délicats, en ont parlé tour à tour, que c’est presque une témérité d’y vouloir ajouter. J’indiquerai parmi ceux dont j’ai sous la main les notices particulières, Suard, Petitot, M Vinet, tout récemment M. Géruzez. A peine s’il y a à glaner encore.

Nul n’a mieux traité de la philosophie des Maximes, que M. Vinet143. Il est assez de l’avis de Vauvenargues, qui dit : « La Bruyère étoit un grand peintre, et n’étoit pas peut-être un grand philosophe. Le duc de La Rochefoucauld étoit philosophe et n’étoit pas peintre. » Quelqu’un a dit en ce même sens : « Chez La Bruyère, la pensée ressemble souvent à une femme plutôt bien mise que belle : elle a moins de corps que de tournure. » Mais, sans prétendre diminuer du tout La Bruyère, on a droit de trouver dans La Rochefoucauld un angle d’observation plus ouvert, un coup d’œil plus à fond. Je crois même qu’il eut plus de système et d’unité de principe que M. Vinet ne voudrait lui en reconnaître, et que c’est par là qu’il justifie en plein ce nom de philosophe que l’ingénieux critique lui accorde si expressément. Les souvent, quelquefois, presque toujours, d’ordinaire, par lesquels il modère ses conclusions fâcheuses, peuvent être pris pour des précautions polies. Tout en mettant le doigt sur le ressort, il faisait semblant de reculer un peu ; il lui suffisait de ne pas lâcher prise. Après tout, la philosophie morale de La Rochefoucauld n’est pas si opposée à celle de son siècle, et il profita de la rencontre pour oser être franc. Pascal, Molière, Nicole, La Bruyère, ne flattent guère l’homme, j’imagine ; les uns disent le mal et le remède, les autres ne parlent que du mal : voilà toute la différence. Vauvenargues, qui commença l’un des premiers la réhabilitation, le remarque très-bien : « L’homme, dit-il, est maintenant en disgrâce chez tous ceux qui pensent, et c’est à qui le chargera de plus de vices ; mais peut-être est-il sur le point de se relever et de se faire restituer toutes ses vertus… et bien au delà144. » Jean-Jacques s’est chargé de cet au delà ; il l’a poussé si loin, qu’on le pourrait croire épuisé. Mais non ; on ne s’arrête pas en si beau chemin ; la veine orgueilleuse court et s’enfle encore. L’homme est tellement réhabilité de nos jours, qu’on n’oserait lui dire tout haut ni presque écrire ce qui passait pour des vérités au dix-septième siècle. C’est un trait caractéristique de ce temps-ci. Tel rare esprit qui, en causant, n’est pas moins ironique qu’un La Rochefoucauld145, le même, sitôt qu’il écrit ou parle en public, le prend sur un ton de sentiment et se met à exalter la nature humaine. On proclame à la tribune le beau et le grand dont on fait des gaietés dans l’embrasure d’une croisée, ou des sacrifices d’un trait de plume autour d’un tapis vert. Le philosophe ne pratique que l’intérêt et ne prêche que l’idée pure146.

Les Maximes de La Rochefoucauld ne contredisent en rien le Christianisme, bien qu’elles s’en passent. Vauvenargues, plus généreux, lui est bien plus contraire, là même où il n’en parle pas. L’homme de La Rochefoucauld est exactement l’homme déchu, sinon comme l’entendent François de Sales et Fénelon, du moins comme l’estiment Pascal, Du Guet et Saint-Cyran. Otez de la morale janséniste la rédemption, et vous avez La Rochefoucauld tout pur. S’il paraît oublier dans l’homme le roi exilé que Pascal relève, et les restes brisés du diadème, qu’est-ce donc que cet insatiable orgueil qu’il dénonce, et qui, de ruse ou de force, se veut l’unique souverain ? Mais il se borne à en sourire ; et ce n’est pas tout d’être mortifiant, dit M. Vinet, il faut être utile. Le malheur de La Rochefoucauld est de croire que les hommes ne se corrigent pas : « On donne des conseils, pense-t-il, mais on n’inspire pas de conduite. » Lorsqu’il fut question d’un gouverneur pour M. le Dauphin, on songea un moment à lui : j’ai peine à croire que M. de Montausier, moins aimable et plus doctoral, ne convenait pas mieux.

Les réflexions morales de La Rochefoucauld semblent vraies, exagérées ou fausses, selon l’humeur et la situation de celui qui lit. Elles ont droit de plaire à quiconque a eu sa Fronde et son coup de feu dans les yeux. Le célibataire aigri les chérira. L’honnête homme heureux, le père de famille rattaché à la vie par des liens prudents et sacrés, pour ne pas les trouver odieuses, a besoin de ne les accepter qu’en les interprétant. Qu’importe si aujourd’hui j’ai paru y croire ? demain, ce soir, la seule vue d’une famille excellente et unie les dissipera. Une mère qui allaite, une aïeule qu’on vénère, un noble père attendri, des cœurs dévoués et droits, non alambiqués par l’analyse, les fronts hauts des jeunes hommes, les fronts candides et rougissants des jeunes filles, ces rappels directs à une nature franche, généreuse et saine, recomposent une heure vivifiante, et toute subtilité de raisonnement a disparu.

Du temps de La Rochefoucauld, et autour de lui, on se faisait les mêmes objections et les mêmes réponses. Segrais, Huet, lui trouvaient plus de sagacité que d’équité, et ce dernier même remarquait très-finement que l’auteur n’avait intenté de certaines accusations à l’homme que pour ne pas perdre quelque expression ingénieuse et vive dont il les avait su revêtir147. Si peu auteur qu’on se pique d’être en écrivant, on l’est toujours par un coin. Si Balzac et les académistes de cette école n’ont jamais l’idée que par la phrase, La Rochefoucauld lui-même, le strict penseur, sacrifie au mot. Ses lettres à Mme de Sablé, dans le temps de la confection des Maximes, nous le montrent plein de verve, mais de préoccupation littéraire aussi ; c’était une émulation entre elle et lui, et M. Esprit, et l’abbé de La Victoire : « Je sais qu’on dîne chez vous sans moi, écrivait-il, et que vous faites voir des sentences que je n’ai pas faites, dont on ne me veut rien dire… » Et encore, de Verteuil où il était allé, non loin d’Angoulême : « Je ne sais si vous avez remarqué que l’envie de faire des sentences se gagne comme le rhume : il y a ici des disciples de M. de Balzac qui en ont eu le vent et qui ne veulent plus faire autre chose. » La mode des maximes avait succédé à celle des portraits : La Bruyère les ressaisit plus tard et les réunit toutes les deux. Les post-scriptum des lettres de La Rochefoucauld sont remplis et assaisonnés de ces sentences qu’il essaie, qu’il retouche, qu’il retire presque en les hasardant, dont il va peut-être avoir regret, dit-il, dès que le courrier sera parti : « La honte me prend de vous envoyer des ouvrages, écrit-il à quelqu’un qui vient de perdre un quartier de rentes sur l’Hôtel-de-Ville ; tout de bon, si vous les trouvez ridicules, renvoyez-les-moi sans les montrer à Mme de Sablé. » Mais on ne manquait pas de les montrer, il le savait bien. Courant ainsi d’avance, ces pensées excitaient des contradictions, des critiques. On en a une de Mme de Schomberg, cette même Mlle d’Hautefort, objet d’un chaste amour de Louis XIII, et dont Marsillac, au temps de sa chevalerie première, avait été l’ami et le serviteur dévoué : « Oh ! qui l’auroit cru alors, pouvait-elle lui dire ; et se peut-il que vous vous soyez tant gâté depuis ? » On leur reprochait aussi de l’obscurité ; Mme de Schomberg ne leur en trouvait pas, et se plaignait plutôt de trop les comprendre ; Mme de Sévigné écrivait à sa fille en lui envoyant l’édition de 1672 : « Il y en a de divines ; et, à ma honte, il y en a que je n’entends pas. » Corbinelli les commentait. Mme de Maintenon, à qui elles allaient tout d’abord, écrivait en mars 1666 à Mlle de Lenclos, à qui elles allaient encore mieux : « Faites, je vous prie, mes compliments à M. de La Rochefoucauld, et dites-lui que le livre de Job et le livre des Maximes sont mes seules lectures148. »

Le succès, les contradictions et les éloges ne se continrent pas dans les entretiens de société et dans les correspondances ; les journaux s’en mêlèrent ; quand je dis journaux, il faut entendre le Journal des Savants, le seul alors fondé, et qui ne l’était que depuis quelques mois. Ceci devient piquant, et j’oserai tout révéler. En feuilletant moi-même149 les papiers de Mme de Sablé, j’y ai trouvé le premier projet d’article destiné au Journal des Savants et de la façon de cette dame spirituelle. Le voici :

« C’est un traité des mouvements du cœur de l’homme qu’on peut dire avoir été comme inconnus, avant cette heure, au cœur même qui les produit. Un seigneur aussi grand en esprit qu’en naissance en est l’auteur. Mais ni son esprit ni sa grandeur n’ont pu empêcher qu’on n’en ait fait des jugements bien différents.

« Les uns croient que c’est outrager les hommes que d’en faire une si terrible peinture, et que l’auteur n’en a pu prendre l’original qu’en lui-même. Ils disent qu’il est dangereux de mettre de telles pensées au jour, et qu’ayant si bien montré qu’on ne fait les bonnes actions que par de mauvais principes, la plupart du monde croira qu’il est inutile de chercher la vertu, puisqu’il est comme impossible d’en avoir si ce n’est en idée ; que c’est enfin renverser la morale, de faire voir que toutes les vertus qu’elle nous enseigne ne sont que des chimères, puisqu’elles n’ont que de mauvaises fins.

« Les autres, au contraire, trouvent ce traité fort utile, parce qu’il découvre aux hommes les fausses idées qu’ils ont d’eux-mêmes, et leur fait voir que, sans la religion, ils sont incapables de faire aucun bien : qu’il est toujours bon de se connoître tel qu’on est, quand même il n’y auroit que cet avantage de n’être point trompé dans la connoissance qu’on peut avoir de soi-même.

« Quoi qu’il en soit, il y a tant d’esprit dans cet ouvrage et une si grande pénétration pour connoître le véritable état de l’homme, à ne regarder que sa nature, que toutes les personnes de bon sens y trouveront une infinité de choses qu’ils (sic) auroient peut-être ignorées toute leur vie, si cet auteur ne les avoit tirées du chaos du cœur de l’homme pour les mettre dans un jour où quasi tout le monde peut les voir et les comprendre sans peine. »

En envoyant ce projet d’article à M. de La Rochefoucauld, Mme de Sablé y joignait le petit billet suivant, daté du 18 février 1665 :

« Je vous envoie ce que j’ai pu tirer de ma tête pour mettre dans le Journal des Savants. J’y ai mis cet endroit qui vous est si sensible…, et je n’ai pas craint de le mettre parce que je suis assurée que vous ne le ferez pas imprimer quand même le reste vous plairoit. Je vous assure aussi que je vous serai plus obligée, si vous en usez comme d’une chose qui seroit à vous, en le corrigeant ou en le jetant au feu, que si vous lui faisiez un honneur qu’il ne mérite pas. Nous autres grands auteurs sommes trop riches pour craindre de rien perdre de nos productions… »

Notons bien tout ceci : Mme de Sablé dévote, qui, depuis des années, a pris un logement au faubourg Saint-Jacques, rue de la Bourbe, dans les bâtiments de Port-Royal de Paris ; Mme de Sablé, tout occupée, en ce temps-là même, des persécutions qu’on fait subir à ses amis les religieuses et les solitaires, n’est pas moins très-présente aux soins du monde, aux affaires du bel-esprit : ces Maximes, qu’elle a connues d’avance, qu’elle a fait copier, qu’elle a prêtées sous main à une quantité de personnes et avec toutes sortes de mystères, sur lesquelles elle a ramassé pour l’auteur les divers jugements de la société, elle va les aider dans un journal devant le public, et elle en travaille le succès. Et, d’autre part, M. de La Rochefoucauld, qui craint sur toutes choses de faire l’auteur, qui laisse dire de lui, dans le Discours en tête de son livre, « qu’il n’auroit pas moins de chagrin de savoir que ses Maximes sont devenues publiques, qu’il en eut lorsque les Mémoires qu’on lui attribue furent imprimés ; » M. de La Rochefoucauld, qui a tant médit de l’homme, va revoir lui-même son éloge pour un journal ; il va ôter juste ce qui lui en déplaît. L’article, en effet, fut inséré dans le Journal des Savants du 9 mars ; et si on le compare avec le projet150, l’endroit que Mme de Sablé appelait sensible y a disparu. Plus rien de ce second paragraphe : « Les uns croient que c’est outrager les hommes, etc. » Après la fin du premier, où il est question des jugements bien différents qu’on a faits du livre, on saute tout de suite au troisième, en ces termes : « L’on peut dire néanmoins que ce traité est fort utile, parce qu’il découvre, etc., etc. » Les autres petits changements ne sont que de style. M. de La Rochefoucauld laissa donc tout subsister, excepté le paragraphe moins agréable. Le premier journal littéraire qui ait paru ne paraissait encore que depuis trois mois, et déjà on y arrangeait soi-même son article. Les journaux se perfectionnant, l’abbé Prevost et Walter Scott y écriront le leur tout au long.

La part que Mme de Sablé eut dans la composition et la publication des Maximes, ce rôle d’amie moraliste et un peu littéraire qu’elle remplit durant ces années essentielles auprès de l’auteur, donnerait ici le droit de parler d’elle plus à fond, si ce n’était du côté de Port-Royal qu’il nous convient surtout de l’étudier : esprit charmant, coquet, pourtant solide ; femme rare, malgré des ridicules, à qui Arnauld envoyait le Discours manuscrit de la Logique en lui disant : « Ce ne sont que des personnes comme vous que nous voulons en avoir pour juges ; » et à qui presque en même temps M. de La Rochefoucauld écrivait : « Vous savez que je ne crois que vous sur de certains chapitres, et surtout sur les replis du cœur. » Elle forme comme le vrai lien entre La Rochefoucauld et Nicole.

Je ne dirai qu’un mot de ses Maximes à elle, car elles sont imprimées ; elles peuvent servir à mesurer et à réduire ce qui lui revient dans celles de son illustre ami. Elle fut conseillère, mais pas autre chose : La Rochefoucauld reste l’auteur tout entier de son œuvre. Dans les quatre-vingt-une pensées que je lis sous le nom de Mme de Sablé, j’en pourrais à peine citer une qui ait du relief et du tour. Le tond en est de morale chrétienne ou de pure civilité et usage de monde ; mais la forme surtout fait défaut ; elle est longue, traînante ; rien ne se termine ni ne se grave. La simple comparaison fait mieux comprendre à quel point (ce à quoi autrement on ne songe guère) La Rochefoucauld est un écrivain.

Mme de La Fayette, dont il est très-peu question jusque-là tans la vie de M. de La Rochefoucauld, y intervient d’une manière intime aussitôt après les Maximes publiées, et s’applique en quelque sorte à les corriger dans son cœur. Leurs deux existences, dès lors, ne se séparent plus. J’ai raconté, en parlant d’elle, les douceurs graves et les afflictions tendrement consolées de ces quinze dernières années. La fortune, en même temps que l’amitié, semblait sourire enfin à M. de La Rochefoucauld ; il avait la gloire ; la faveur de son heureux fils le relevait à la cour et même l’y ramenait : il y avait des moments où il ne bougeait de Versailles, retenu par cé roi dont il avait si peu ménagé l’enfance. Les joies, les peines de famille le trouvaient incomparable. Sa mère ne mourut qu’en 1672 : « Je l’en ai vu pleurer, écrit Mme de Sévigné, avec une tendresse qui me le faisoit adorer. » Sa grande douleur, on le sait, fut à ce coup de grêle du passage du Rhin. Il y eut un de ses fils tué, et l’autre blessé. Mais le jeune duc de Longueville, qui fut des victimes, né durant la première guerre de Paris, lui était plus cher que tout. Il avait fait son entrée dans le monde vers 1666, à peu près l’année des Maximes : le livre chagriné et la jeune espérance, ces deux enfants de la Fronde ! Dans la lettre si connue où elle raconte l’effet de cette mort sur Mme de Longueville, Mme de Sévigné ajoute aussitôt : « Il y a un homme dans le monde qui n’est guère moins touché ; j’ai dans la tête que s’ils s’étoient rencontrés tous deux dans ces premiers moments, et qu’il n’y eût eu personne avec eux, tous les autres sentiments auroient fait place à des cris et à des larmes que l’on auroit redoublés de bon cœur : c’est une vision. »

Jamais mort, au dire de tous les contemporains, n’a peut-être tant fait verser de larmes et de belles larmes que celle-là. Dans sa chambre de l’hôtel Liancourt, à un dessus de porte, M. de La Rochefoucauld avait un portrait du jeune prince. Un jour, peu de temps après la fatale nouvelle, la belle duchesse de Brissac, qui venait en visite, entrant par la porte opposée à celle du portrait, recula tout d’un coup ; puis, après être demeurée un moment comme immobile, elle fit une petite révérence à la compagnie, et sortit sans dire une parole. La seule vue inopinée du portrait avait réveillé toutes ses douleurs, et, n’étant plus maîtresse d’elle-même, elle n’avait pu que se retirer151.

Dans ses soins et ses conseils autour des gracieuses ardeurs de la princesse de Clèves et de M. de Nemours, M. de La Rochefoucauld songeait sans doute à cette fleur de jeunesse moissonnée, et il retrouvait à son tour à travers une larme quelque chose du portrait non imaginaire. Et même sans cela, le front du moraliste vieilli, qu’on voit se pencher avec amour sur ces êtres romanesques si charmants, est plus fait pour toucher que pour surprendre. Lorsqu’au fond l’esprit est droit et le cœur bon, après bien des efforts dans le goût, on revient au simple ; après bien des écarts dans la morale, on revient au virginal amour, au moins pour le contempler.

C’est à Mme de Sévigné encore qu’il faut demander le récit de sa dernière maladie et de ses suprêmes moments ; ses douleurs, l’affliction de tous, sa constance : il regarda fixement la mort152. Il mourut le 17 mars 1680, avant ses soixante-sept ans accomplis. C’est Bossuet qui l’assista aux derniers moments, et M. de Bausset en a tiré quelque induction religieuse bien naturelle en pareil cas. M. Vinet semble moins convaincu : on fera, dit-il, ce qu’on voudra de ces passages de Mme de Sévigné, témoin de ses derniers moments : « Je crains bien pour cette fois que nous ne perdions M. de La Rochefoucauld ; sa fièvre a continué ; il reçut hier Notre-Seigneur : mais son état est une chose digne d’admiration. Il est fort bien disposé pour sa conscience ; voilà qui est fait… Croyez-moi, ma fille, ce n’est pas inutilement qu’il a fait des réflexions toute sa vie ; il s’est approché de telle sorte de ses derniers moments, qu’ils n’ont rien de nouveau ni d’étranger pour lui. » Il est permis de conclure de ces paroles, ajoute M. Vinet, qu’il mourut, comme on l’a dit plus tard, avec bienséance.

On a rassemblé dans les pages suivantes un certain nombre de pensées qui ont paru plus ou moins analogues de forme ou d’esprit aux Maximes. Si, au premier vent qu’on en eut, l’envie en prenait comme un rhume vers 1665, rien d’étonnant que nous l’ayons gagnée à notre tour par un long commerce avec le livre trop relu. Il faut y voir surtout un dernier hommage à l’auteur, et même d’autant plus grand qu’on aura moins réussi.

I.

Dans la jeunesse, les pensées me venaient en sonnets ; maintenant c’est en maximes.

II.

En entrant au bal masqué, tout paraît nouveau ; mais il vient un moment où l’on peut dire à toute cette bigarrure : Beau masque, je te connais !

III.

La vanité dans l’homme est comme du vif-argent : chez les uns en masse, en globules chez d’autres. Quelques-uns se flattent de la détruire. Dès qu’ils voient le moindre globule, ils y mettent le doigt et le réduisent en parcelles : mais il y a toujours le même poids et la même quantité.

IV.

Les humeurs et les mœurs sont diverses ; mais elles rentrent toutes dans une certaine quantité de formes qui se reproduisent invariablement.

V.

L’étude de la nature humaine est infinie : au moment où l’on croit la tenir et se pouvoir reposer un peu, elle échappe, et c’est à recommencer.

VI.

Nos opinions en tout résultent de la nature individuelle de notre esprit bien plus que des choses.

VII.

L’infirmité de l’esprit humain est telle que les impressions reçues des mêmes objets diffèrent selon les personnes, selon les âges et les moments : la forme ou le fond du vase fait la couleur de l’eau.

Ceci est bon, pour moi, quant à présent, disait l’abbé de Saint-Pierre quand il approuvait quelque chose. Le sage qui sait le revers de la trame humaine parle ainsi.

VIII.

Si nous serrions bien de près notre persuasion la plus chère, nous verrions que ce que nous appelons plus ou moins folie dans les autres. C’est tout ce qui n’est pas purement et simplement notre pensée propre et elle seule, tout ce qui n’est pas moi : fou, c’est le synonyme intime de toi.

IX.

En vain on tirerait argument, pour la vérité d’une idée, de son triomphe comme merveilleux sur la terre : il faut bien en définitive que quelque chose triomphe en ce monde, et comme l’homme n’est pas nécessairement sage, il y a toute chance pour que ce quelque chose soit une folie.

Les beaux raisonneurs viennent après, et sur le papier ils mettent de l’ordre à tout cela.

(Ou bien encore cette variante de la même pensée :)

Il arrive bien souvent que l’idée qui triomphe parmi les hommes est une folie pure : mais, dès que cette folie a éclaté, le bon sens d’un chacun s’y loge insensiblement, l’organise, la rend viable, et la folie ou l’utopie devient une institution qui dure des siècles. Cela s’est vu, et peut-être cela se voit encore.

X.

En avançant dans la vie, il en est déjà des pensées de la plupart des hommes comme il en sera bientôt de leurs corps, qui tous iront en poussière aux mêmes éléments. Quelle que soit la diversité des points de départ, les esprits capables de mûrir arrivent, plus qu’on ne croit, aux mêmes résultats ; mais les rôles sont pris, les apparences demeurent, et le secret est bien gardé.

XI.

Il me semble parfois que, dans le système d’équité de la nature inexorable, presque chaque homme ici-bas, malgré l’apparente inégalité des lots, obtient au fond sa part à peu près équivalente de bonheur et de malheur, et qu’aussi, faut-il le dire ? chaque âme atteint, en avançant, à tout le gâté dont elle est capable.

XII.

Le moment est dur où l’on s’aperçoit clairement qu’on n’a pas fait son chemin dans le monde à cause d’une qualité ou d’une vertu. Mais prenez garde : l’irritation qui en résulte, si elle se prolonge, vaut à elle seule ce mal qui révolte, et l’opère en vous.

XIII.

Par un sens profond, le mot innocence, qui littéralement veut dire qu’on ne fait pas le mal, signifie qu’on ne le sait pas. Savoir le mal, si l’on n’y veille aussitôt, c’est le faire.

XIV.

L’expérience est utile, elle est féconde ; oui, mais comme un fumier qui aide à pousser des blés et des fleurs. Mon étable, hélas ! en est remplie. Ah ! qu’un peu mieux valait cet âge où la terre facile donnait tout d’elle-même :

……..Tibi dædala Tellus
Submittit flores……… !

XV.

Il y en a qui, pour avoir trop fait, chaque matin et chaque soir, le tour extérieur du Palais-Royal dans les infections et les boues, ne savent plus jouir d’une heure de soleil dans la belle allée.

XVI.

Combien de gens meurent avant d’avoir fait le tour d’eux-mêmes !

XVII.

Il faut un peu d’illusion au train de la vie : quand on en sait trop le fin mot, la nature vous retire, parce que, rien qu’à le regarder d’un certain air, on empêcherait le drame d’aller.

XVIII.

Ce bas monde est une vieille courtisane, mais qui ne cesse d’avoir de jeunes amants.

XIX.

Si l’on se mettait à se dire tout haut les vérités, la société ne tiendrait pas un instant ; elle croulerait de fond en comble avec un épouvantable fracas, comme ces galeries souterraines des mines ou ces passages périlleux des montagnes, dans lesquels il ne faut pas, dit-on, élever la voix.

XX.

Une chose des plus faites pour étonner, c’est lorsque, venant à retrancher tout ce qui n’est que bonne éducation, bonnes intentions, bonnes manières, jugements appris, on découvre un matin combien de gens au fond sont bêtes.

Ce n’est pas là le contraire, c’est le correctif de ce qu’a dit Pascal, qu’à mesure qu’on a plus d’esprit, on trouve qu’il y a plus d’hommes originaux.

XXI.

La plupart des défauts qui éclatent dans la seconde moitié de la vie existaient en nous tout formés bien auparavant ; mais ils étaient masqués, en quelque sorte, par la pudeur de la jeunesse. On n’osait pas être tout à fait soi-même ; on avait égard aux autres. La rudesse venant, tout se découvre.

J’oserai dire aussi que ces défauts étaient masqués à nous-mêmes et ajournés par les distractions du bel âge : ces gracieux plaisirs cessant, les laideurs commencent.

Chez un petit nombre, ce sont des vertus qui, dérobées un moment par la poussière du char, reparaissent.

XXII.

Certaines âmes, après s’être saturées en leur temps du mal qu’elles goûtaient, redeviennent inoffensives en vieillissant et presque bonnes.

XXIII.

A un certain âge, tout l’art du bonheur, si cela méritait encore ce nom, serait de pouvoir s’isoler à point des hommes.

XXIV.

Quel est donc le mystère de la vie ? elle devient plus difficile et on la sent qui se complique davantage à mesure qu’elle avance et qu’elle se dénue.

XXV.

Il y a des moments où la vie, le fond de la vie se rouvre au dedans de nous comme une plaie qui saigne et ne veut pas se fermer.

XXVI.

Jeunes, nous aimons, nous admirons à chaque pas ; nous croyons aimer les autres : c’est notre jeunesse que nous aimons en eux.

— Mais quelques-uns, après la jeunesse, continuent d’admirer et d’aimer. — Heureuses natures ! c’est leur jeunesse d’âme prolongée, c’est leur belle humeur heureuse et leur vive source de joie naturelle qu’ils continuent d’aimer autour d’eux.

XXVII.

Il est des hommes qui mènent un tel deuil dans leur cœur de la perte de la jeunesse, que leur amabilité n’y survit pas.

XXVIII.

Les lieux les plus vantés de la terre sont tristes et désenchantés lorsqu’on n’y porte plus ses espérances.

XXIX.

Il en est des lieux comme des œuvres des hommes : quand une fois leur réputation est faite, chacun y passe à son tour et les admire ; si elle était à faire, bien d’autres qui sont sans nom pourraient concourir avec eux.

Des lieux cités, la moitié est à rabattre, une moitié seule reste divine.

XXX.

Le souvenir est comme une plante qu’il faut avoir plantée de bonne heure ensemble ; sans quoi elle ne s’enracine pas.

XXXI.

Dans l’amour même, à le prendre au vrai, et si quelque vanité étrangère ne s’y mêle, on est beaucoup plus sensible à ce qu’on y porte qu’à ce qu’on y trouve. De là vient qu’à l’instant où l’on sent qu’on y porte moins, on s’en dégoûte souvent avec un cœur fier, et qu’on résiste si aisément à celui qu’on inspire.

XXXII.

Il y a assez de variété dans les choses pour que chaque esprit juste, à son jour et selon son humeur, puisse y prendre sa part, paraître se contredire et avoir raison.

XXXIII.

En appréciant La Rochefoucauld, on ne doit pas oublier ceci :

Tous ceux qui ont mal usé de leur jeunesse ont intérêt à ce que ce soit une duperie que les hautes pensées de la jeunesse.

Il est vrai que, de leur côté, ceux qui en ont bien usé, c’est-à-dire sobrement, ont intérêt à ne pas perdre le fruit de leur économie.

XXXIV.

Si l’on se demandait à quelle occasion particulière on a commencé à lire dans tel ou tel cœur, on trouverait que c’est presque toujours en une circonstance intéressée où l’amour-propre en éveil est devenu perçant ; mais il n’importe avec quelle vrille on ait fait le trou à la cloison, pourvu qu’on voie.

XXXV.

Montesquieu a dit des Maximes de La Rochefoucauld : « Ce sont les proverbes des gens d’esprit. » Et Voltaire : « C’est moins un livre que des matériaux pour orner un livre. » Ce sont des pierres fines gravées qu’on enchâsse ensuite dans le discours.

XXXVI.

Les proverbes de Franklin sont des grains de pur froment à mettre en terre et qui fructifieront.

XXXVII.

Il n’y a pas un seul nom propre dans les Maximes de La Rochefoucauld ; pour un penseur de cette condition, c’eût été déroger.

XXXVIII.

Il y a cela de singulier dans certaines Maximes de La Rochefoucauld, qu’on peut les retourner et avoir un sens tout aussi juste ou piquant. Il dit : « Nous n’avons pas assez de force pour suivre toute notre raison. » Ce que Mme de Grignan retournait ainsi : « Nous n’avons pas assez de raison pour employer toute notre force. » Il dit : « On pardonne tant que l’on aime. » On pourrait dire aussi bien : « On ne pardonne pas tant que l’on aime. » Hermione s’écrie :

Ah ! je l’ai trop aimé pour ne le point haïr !

Au reste, cette contradiction possible à l’égard des Maximes en justifie, s’il se peut, l’esprit ; elle ne fait que mieux trahir la contradiction même du cœur.

XXXIX.

Le philosophe systématique et le moraliste sont volontiers mal ensemble. Le moraliste, en souriant, importune l’autre ; il sait la ficelle secrète et gêne les grands airs du conquérant. Descartes et La Rochefoucauld, s’ils s’étaient vus, auraient pu difficilement se souffrir.

XL.

Une grande partie des qualités du style, chez tel auteur brillant, tient à un défaut du caractère. L’inquiétude chatouilleuse où il est de chacun le force de s’ingénier aux nuances : plus calme, il ferait moins153.

XLI.

Le gros du monde, même des gens d’esprit, est dupe des genres : il admire à outrance, dans un genre noble et d’avance autorisé, des qualités d’art et de talent infiniment moindres que celles qu’il laissera passer inaperçues dans de moyens genres non titrés.

XLII.

Il y a une certaine forme et comme un certain costume des idées contemporaines de notre jeunesse, qui s’efface plus ou moins en vivant et en causant, mais qui reparaît sitôt que nous écrivons : cela nous date plus que tout.

XLIII.

Le poëte, l’artiste, l’écrivain, n’est trop souvent que celui qui sait rendre : il ne garde rien.

XLIV.

Il y a des jours où l’esprit s’éveille au matin, l’épée hors du fourreau, et voudrait tout saccager.

XLV.

Aimez-le, admirez-le, couronnez-le ! mais pensez comme Platon, du poëte. Il jouerait à tout instant et sa vie et l’univers pour une imagination, pour un caprice, pour l’éclair d’un désir.

XLVI.

Le degré où l’ennui prend est l’indice le plus direct peut-être de la qualité de l’esprit. Ceux qui s’ennuient vite sont délicats, mais légers. Ceux qui ne s’ennuient pas aisément sont vite ennuyeux. Ceux qui, tout en ressentant l’ennui, le supportent trop longtemps, finissent par s’en imbiber et l’exhaler.

Ceux pour qui l’ennui est un charme sont amoureux ou poètes : la rêverie du poëte, c’est l’ennui enchanté.

XLVII.

Un peu de sottise avec beaucoup de mérite ne nuit pas : cela fait levain.

XLVIII.

A la philosophie du dix-huitième siècle, qui préconisait la nature de l’homme, a succédé le gouvernement parlementaire, qui lui fait des compliments soir et matin : comment ne serait-il pas gâté ?

XLIX.

A tous ces édifices fantastiques, à ces façades de palais enchantés que nos philosophes construisent au plus grand honneur et bonheur de l’homme, je lis toujours cette ironique inscription tirée du plus pieux des poëtes : Mortalibus œgris !

— C’est la même que le mot habituel du plus antique des chantres : Δειλοῑσι βροτοῑσιν.

L.

On a beaucoup parlé de la folie de vingt ans ; il y a celle de trente-cinq, qui n’est pas moins particulière ni moins fréquente : Alceste après Werther. Rousseau n’a écrit qu’après cette seconde folie et a continuellement mêlé les deux en un même reflet.

La Rochefoucauld l’a dit : En vieillissant on devient plus fou et plus sage.

Si quelqu’une des précédentes maximes choquait trop, je me promets bien de ne pas tarder à la réfuter.154