Dumas, Alexandre (1802-1870)
[Bibliographie]
Élégie sur la mort du général Foy (1825). — La Chasse et l’Amour, vaudeville (1825). — Dithyrambe en l’honneur de Canaris (1826). — Nouvelles contemporaines (1826). — La Noce et l’Enterrement, vaudeville (1826). — Henri III et sa cour, drame en cinq actes, en prose (1829). — Stockholm, Fontainebleau et Rome, trilogie en cinq actes, en vers, avec prologue et épilogue, intitulée d’abord Christine (1830). — Antony (1831). — Napoléon Bonaparte ou Trente Ans de l’histoire de France (1831). — Charles VII chez ses grands vassaux, tragédie en cinq actes et en vers (1831). — Richard Darlington, pièce en trois actes et en prose (1831). — Térésa, drame en cinq actes (1832). — La Tour de Nesle, pièce en cinq actes et 9 tableaux (1832). — Angèle, drame en cinq actes (1833). — Impressions de voyage en Suisse (1833). — Catherine Howard, drame en cinq actes (1834). — Souvenirs d’Antony, nouvelles (1835). — Don Juan de Marana ou La Chute d’un ange, drame en cinq actes (1836). — Kean, drame en cinq actes et en prose (1836). — Piquillo, opéra-comique en trois actes, en collaboration avec Gérard de Nerval (1837). — Caligula, tragédie en cinq actes et en vers (1837). — Paul Jones, drame en cinq actes (1838). — Mademoiselle de Belle-Isle, drame en cinq actes et en prose (1839). — L’Alchimiste, drame en cinq actes, en vers (1839). — Bathilde, pièce en trois actes, en prose (1839). — Quinze jours au Sinaï (1839). — À clé, suivi de Monseigneur Gaston de Phébus (1839). — Une année à Florence (1840). — Aventures de John Davy (1840). — Le Capitaine Pamphile (1840). — Maître Adam le Calabrais (1840). — Othon l’Archer (1840). — Un mariage sons Louis XV, cinq actes, en collaboration (1841). — Excursions sur les bords du Rhin (1841). — Praxédès, suivi de Dom Martin de Freytas et de Pierre le Cruel (1841). — Le Speronare (voyage en Sicile) (1842). — Lorenzino, pièce en cinq actes et en prose (1842). — Aventures de Lydéric (1842). — Les Demoiselles de Saint-Cyr, pièce en cinq actes et en prose (1843). — Louise Bernard, pièce en cinq actes et en prose (1843). — Georges (1843). — Ascanio (1843). — Le Chevalier d’Harmental (1843). — Le Laird de Dumbicky (1843). — Le Corricolo (1843). — La Villa Palmieri (1843). — Le Château d’Eppstein (1844). — Cécile (1844). — Gabriel Lambert (1844). — Sylvandrie (1844). — Fernatule, avec Hippolyte Auger (1844). — Les Trois Mousquetaires (1844). — Amaure, avec P. Meurice (1844). — Histoire d’un casse-noisettes (1845). — La Bouillie de la comtesse Berthe (1845). — Le Comte de Monte-Cristo (1844-1845). — Le Garde forestier, comédie en deux actes et en prose (1845). — Une fille du Régent (1845). — La Reine Margot (1845). — Les Frères corses (1845). — Vingt ans après (1845). — La Guerre des femmes (1845-1846). — Michel-Ange et Raphaël (1846). — Le Chevalier de Maison-Rouge (1846). — La Dame de Montsoreau (1846). — Le Bâtard de Mauléon (1846). — Mémoires d’un médecin (1846-1848). — De Paris à Cadix (1848). — Le Véloce ou Alger, Tanger et Tunis (1848). — Dix ans plus tard ou Le Vicomte de Bragelonne (1848-1850). — Les Quarante-Cinq (1848). — Les Mille et Un Fantômes (1849). — La Guerre des femmes (1849). — La Jeunesse des Mousquetaires, drame (1849). — Louis XV (1849). — La Régence (1849). — Louis XVI (1850). — Le Drame de 93 (1850). — La Femme au collier de velours (1851). — Le Comte de Morcerf et Villefort (1851). — Olympe de Clèves (1852). — Histoire de deux siècles (1852). — Histoire politique et privée de Louis-Philippe (1852). — Urbain Grandier, drame (1852). — Mes mémoires (1852-1854). — Un Gil Blas en Californie (1852). — Isaac Laquedem (1852). — Ange Pitou (1853). — La Comtesse de Charny (1853-1855). — Le Pasteur d’Ashbourn (1853). — Et Salteador (1853). — Conscience d’innocent (1853). — Souvenirs de 1830 à 1842 (1854). — Catherine Blum (1854). — Ingénue (1854). — Les Mohicans de Paris (1854-1858). — Romulus, comédie en un acte, en prose (1854). — L’Arabie heureuse (1855). — L’Orestie, tragédie en trois actes et en vers (1856). — Le Verrou de la reine, trois actes (1856). — L’Invitation à la valse, comédie en un acte (1857). — Les Compagnons de Jéhu (1857). — Les Grands hommes en robe de chambre (1857). — L’Honneur est satisfait, un acte (1858). — Salvator (1855-1859). — Les Louves de Machecoul (1869). — Le Caucase (1869). — La Dame de Montsoreau, drame en cinq actes (1860). — De Paris à Astrakan (1860). — La Route de Varennes (1860). — Le Père Gigogne (1860). — Les Baleiniers, journal d’un voyage aux antipodes (1861). — Madame de Chambly (1863). — La Jeunesse de Louis XIV, comédie en cinq actes et en prose (1864). — Les Mohicans de Paris, drame en cinq actes (1864). — La San-Felice (1864-1865). — Les Blancs et les Bleus (1867-1868).
OPINIONS.
Alfred Nettement
Un caractère aventureux dans une destinée d’aventurier, tel est toujours l’idéal de M. Alexandre Dumas qui aime à mettre l’individu aux prises avec la société et à donner l’avantage à la force individuelle coutre l’autorité sociale. Ce type lui est d’abord apparu sous les traits de Saint-Mégrin, dans son drame de Henri III ; puis quand il a cédé à l’influence transitoire de la passion révolutionnaire, sous les traits de Robespierre dans l’histoire, d’Antony dans le drame ; dès que la passion de 1830 est refroidie, on voit reparaître dans ses ouvrages toute une famille de personnages dont Saint-Mégrin est l’aîné, intelligences avisées et pleines de ressources, caractères sans peur et sans scrupules, poignets vigoureux, beaux joueurs qui se font place dans le monde à la pointe de l’épée et de l’esprit : Saint-Mégrin, dans Henri III ; d’Artagnan, dans les Mousquetaires ; Bussy, dans la Dame de Monsoreau… Sans doute, M. Dumas est un remarquable conteur ; il sait intéresser le lecteur par les qualités d’une imagination brillante qui, au don heureux de l’invention dramatique, joint la verve, l’action, la rapidité du récit, l’agilité d’un style qui court à son but et s’arrête peu pour décrire, encore moins pour prouver, car l’auteur n’a pas de systèmes ; mais cependant avec tous ces avantages, ses succès n’auraient pas été aussi grands s’il ne s’était pas servi de ces trois mobiles : la glorification de la personnalité humaine, les peintures hardies qui troublent les sens, les lieux communs du scepticisme voltairien. Il remplace par ces trois torts une qualité littéraire qui manque à tous ses écrits, la maturité qui donne la réflexion… Si le bruit et le mouvement n’y manquent pas, la vérité, l’harmonie, la raison y manquent presque toujours. Par suite de cette même habitude d’improvisation, son style, semblable à ces plantes éphémères qui naissent à la surface du sol, n’a ni couleur ni caractère…
Jules Janin
La scène du IVe acte, entre Monaldeschi et Sentinelli (dans
Christine), représente l’action la plus puissante du drame
moderne, et les plus vieux dramaturges en seraient fiers. Rien de plus terrible
que le piège infernal de ce meurtrier Sentinelli priant et suppliant Monaldeschi,
son rival, par tous les motifs d’une ancienne amitié : enfants de la même patrie,
esclaves des mêmes ambitions. « Que ferais-tu, Monaldeschi, si j’étais à
tes pieds, demandant grâce et pitié ? — Je te repousserais.
— C’en est donc fait, ni grâce ni pitié, rien ! »
Alors, voilà
Sentinelli qui se relève avec ce grand cri, digne au moins du dernier mot que dira
la reine :
Au nom de notre reine indignement trompée,Comte Monaldeschi, rendez-moi votre épée.
C’était vraiment superbe…
Goethe, en son paradis de Weimar, fut très préoccupé des commencements de ce jeune homme (Alexandre Dumas) : « Ami, lui disait-il, n’allez pas plus loin que vos maîtres, Casimir Delavigne et Béranger, Schiller et Walter Scott. Gardez-vous d’exagérer votre activité… Il faut que l’art soit la règle de l’imagination pour qu’elle se transforme en poésie… »
Critique admirable et digne absolument de l’esprit sans règle et sans frein dont les premiers tumultes se faisaient entendre à tout le genre humain.
Alexandre Dumas fils
Il y a dans mon enfance un souvenir qui secrètement battait en brèche mes jeunes vanités. C’est celui de la première représentation de Charles VII à l’Odéon. Ce fut un four, comme on dirait aujourd’hui… Les cinq actes se déroulèrent au milieu d’un silence morne… Je ne suis jamais revenu d’une de mes premières représentations les plus bruyantes et les plus applaudies sans me rappeler le froid de cette grande salle… et sans me dire tout bas, pendant que mes amis me félicitaient : « C’est possible ; mais j’aimerais mieux avoir fait Charles VII qui n’a pas réussi ».
Jules Lemaître
Il y a deux choses dans Charles VII : un drame d’amour qui
semble directement inspiré d’Andromaque, quoique, peut-être,
l’auteur n’y ait point songé, et un morceau d’histoire de France accommodé à la
Dumas. Le père de d’Artagnan a une
philosophie de l’histoire éminemment agréable et facile, où tout s’explique par
l’amour, par la vaillance ou la subtilité des aventuriers généreux aimés des
femmes et par l’influence des grandes dames scélérates ou des courtisanes
sympathiques. Ici, nous voyons arriver chez le comte de Savoisy le petit roi de
Bourges, gai, pimpant, insouciant, appuyé sur Agnès Sorel. Savoisy lui remontre
avec éloquence que la France est perdue ; le petit roi répond d’un ton dégagé
qu’il est venu pour chasser au faucon. Puis nous le voyons dans les bras d’Agnès,
le canon tonne ; ce sont ses derniers fidèles qui se battent pour lui. Savoisy
survient : « Réveillez-vous, sire ! »
Puis il s’adresse à Agnès, et
la bonne courtisane promet de rendre un roi à la France. Vous voyez, on ferait de
cela une série d’images populaires. Le dramaturge ne fait que réaliser une
métaphore que vous trouverez, j’en suis sûr, dans plus d’un manuel de l’histoire
de France : « Le roi s’endormait dans les bras de la mollesse ; le canon de
l’étranger le réveilla enfin. »
C’est l’histoire de France à l’usage des
masses, tout en action, tout en vignettes, tout en reliefs, les traits grossis et
forcés, avec de la générosité, du romantisme, du bric-à-brac, de la galanterie, du
troubadourisme et même du sublime. C’est amusant, on ne peut le nier…
J’ai eu cette impression que Charles VII qui est, si je ne me trompe, un peu antérieur à Hernani 1, ressemblait à la fois à une tragédie de Voltaire et à un drame romantique. Les effets sont ceux qu’aimait et que recherchait Voltaire (voyez Alzire, Zaïre et Tancrède). Mais un certain éclat, une certaine outrance de la forme, la couleur « moyenâgeuse », le cerf du premier acte, le chapelain, le burnous de Jacoub sentent déjà le romantisme. Il y a des vers qui n’auraient pu être écrits avant 1825 ; par exemple, quand Bérengère, suppliant une dernière fois Savoisy qui reste muet, lui dit :
On répond quelque chose à cette pauvre femme !
En réalité, je ne sais pas si c’est à une tragédie de Voltaire ou à un drame d’Hugo que Charles VII ressemble le plus, et M. Deschanel avait peut-être beaucoup plus raison que je ne prétendais en faisant de Voltaire un préparateur du drame romantique.
Jean-Jacques Weiss
De son propre aveu, d’ailleurs, la trilogie en vers de Christine, quoiqu’elle n’ait été représentée que le 30 mars 1830 à l’Odéon, fut, elle aussi, composée bien antérieurement à Henri III. En 1829, Dumas avait vingt-six ans ; c’est le bel âge, dans toutes les branches de l’activité humaine, pour déployer ce qu’on porte en soi ; c’est l’âge du Béarnais à Cahors et de Bonaparte en Italie. Heureux ceux qui, ayant le génie, obtiennent, à cet âge, le théâtre où ils le mettront en lumière ! Dumas eut ce bonheur. Il le dut au flair littéraire du baron Taylor et au flair artistique de Mlle Mars, qui, parvenue alors à la cinquantaine, devina, dans le personnage de Catherine de Clèves, un rôle où elle se renouvellerait à sa gloire. La pièce fut reçue d’acclamation par le comité de lecture du Théâtre-Français. On en parla tout aussitôt dans Paris comme de quelque chose de neuf et qui porterait coup. À la première représentation, tout Paris était là. Le duc d’Orléans, qui comptait Dumas parmi les commis aux écritures de sa maison, occupait la première galerie avec sa famille et ses amis. Dans une loge, la Malibran, haletante d’admiration. Quand Firmin vint nommer l’auteur, ce fut une explosion d’enthousiasme, le duc d’Orléans se tenant debout et découvert pour écouter le nom de son employé. Quel beau commencement d’une vie littéraire qui reste l’une des plus dignes d’envie de ce siècle, malgré les fréquentes misères dont elle a été troublée par l’imprévoyance, la prodigalité et le désordre !
Eugène Lintilhac
Charles VII chez ses grands vassaux ; Kean et Caligula (qui fit créer le verbe caliguler dans le sens de se dépenser beaucoup et de n’amuser guère), pour ne citer que les plus fameux de ces drames innombrables bâclés par Dumas père, avec une si remarquable entente de la scène, qu’une demi-douzaine d’entre eux supportent encore fort bien l’épreuve de la représentation, en dépit de l’improvisation du style, laquelle reste sensible même à la représentation.
Gustave Larroumet
Dans la première partie de son livre (Le Drame d’Alexandre
Dumas), M. Parigot démêle la part des influences anglaises et allemandes sur
la formation de Dumas.
C’est un modèle d’information et d’analyse. Dumas
« n’a guère compris Shakespeare, mais il s’est découvert en lui »
. À Walter Scott il doit beaucoup : le
cadre, le décor et le magasin de son drame ; or on sait l’importance de tout cela
pour le genre nouveau. À , il
n’emprunte guère qu’un masque, le satanisme : « Il a pris l’empreinte de ce
curieux visage, plutôt que la mesure de cet esprit. »
Goethe avait
trop peu le don du théâtre pour lui fournir grand-chose et Manfred le dispensait de Werther, car le révolté anglais
est autrement scénique que le révolté allemand. En revanche, il doit beaucoup à
Schiller, qui,
s’il n’a pas le « don » du théâtre, en a le « sens ». C’est même à travers
l’influence de Schiller qu’il a subi le plus celle de Shakespeare. En somme, le drame de
Dumas est « une
imitation de Shakespeare d’après Schiller et Walter Scott »
.
Dans cette imitation, Dumas a mis son individualisme de plébéien, son tempérament d’athlète sensuel et bon, son imagination puissante et foncièrement scénique, son style vivant et lâché. Pour un coup de maître, il a créé dès son premier essai le drame historique et populaire : Henri III et sa cour. Une série de tâtonnements, Christine, Caligula, Catilina, lui ont fait éliminer les éléments tragiques, qu’il s’efforçait d’abord de retenir par respect pour le genre noble (mais je ne verrais pas, comme M. Parigot, une tragédie manquée dans Charles VII chez ses grands vassaux, qui me paraît être, malgré les vers, un des meilleurs drames historiques de Dumas). Il a créé le drame populaire de cape et d’épée par un chef-d’œuvre en son genre, la Tour de Nesle, qui est bien à lui, malgré la collaboration de Gaillardet, et que M. Parigot a bien raison d’étudier à fond et de mettre très haut, malgré les dédains des lettrés.
Enfin il a créé le drame moderne avec Antony, où s’incarnent, d’une part, le plébéien révolté contre les contrats et les hiérarchies sociales, de l’autre, la femme de la société nouvelle, unissant sa propre révolte à celle de l’homme qui la désire passionnément et par-dessus tout comme le bien suprême, le plus défendu par cela même et le plus attaqué. Pour tout le reste du siècle, leur double révolte va défrayer le théâtre.
Ce bilan établi, M. Parigot est en droit de proclamer Dumas père comme le créateur du théâtre romantique. Il est en droit aussi de déclarer que nul, en son temps, ne posséda aussi complètement et au même degré le don spécial du théâtre, le génie dramatique, qu’il pratiqua « le métier » en ouvrier incomparable, qu’à ce point de vue, Hugo, malgré Hernani et Ruy Blas, Vigny, malgré la Maréchale d’Ancre et Chatterton, lui furent bien inférieurs.