(1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Essai sur la littérature merveilleuse des noirs. — Chapitre II. Le fond et la forme dans la littérature indigène. »
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(1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Essai sur la littérature merveilleuse des noirs. — Chapitre II. Le fond et la forme dans la littérature indigène. »

Chapitre II. Le fond et la forme dans la littérature indigène.

1° Fond : Thèmes favoris des noirs, 2° Forme : Leurs procédés de prédilection. Comparaison à ce point de vue avec les Aryens : Mythologie. — Allemands (Grimm et Bechsteitv). — Bretons (Barsaz-Breiz, Luzel, La Braz). — Russes (Sneegoroutchka). — Français (Perrault, Mme d’Aulnoy, Mme Leprince de Beaumont) ; Histoire de France. — Scandinaves (Andersen. Légende de Sire Olaf dans le bal des Elves) et sémites (1.001 nuits et légendes bibliques). — Procédés qui semblent exclusivement indigènes. — Thèmes indo-européens qui ne semblent pas avoir été traités dans la littérature merveilleuse des noirs. — Le chevaleresque dans les légendes indigènes. Les Torodo. — Le symbolisme indigène : les apologues. — L’onomatopée. — La forme du conte. Les parties rythmées et chantées. Un jugement prématuré rectifié par l’expérience.

Je vais, dans ce chapitre, être obligé une fois de plus à une sèche nomenclature, mais il va de soi que cette étude n’est pas destinée à tous les lecteurs de ce recueil. Elle n’a pour but que de faciliter leur travail à ceux qui entreprendraient d’étudier la matière plus à fond. Aussi ne conseillai-je qu’à ceux-là la lecture un peu aride de cet avant-propos.

Thèmes favoris des conteurs indigènes.

Il est certains thèmes pour lesquels les noirs ont une préférence marquée. Ces thèmes se retrouvent pour la plupart dans les littératures mythiques des autres races avec des variantes assez légères.

D’autres, au contraire, semblent — ici, comme dans tout le cours de cet essai, je préfère n’affirmer qu’au cas de certitude absolue — semblent, dis-je être spéciaux à la littérature indigène.

La faiblesse protégée. Un de ces thèmes, qui dénote de la part des noirs une sensibilité assez prompte à s’apitoyer, est celui qui a trait à l’existence misérable des orphelins de mère (la marâtre joue seule ici le rôle odieux qu’elle partage dans l’imagination des Européens avec la belle-mère proprement dite). Par bonheur les puissances surnaturelles viennent en aide à ces déshérités pour la cessation de leurs peines et le triomphe de la justice31 à moins que ce triomphe ne se voie assuré par reflet d’un hasard, apparent ou réel. Voir : Le sounkala de Marama, —L’orpheline de mère, —Les orphelines, —La marâtre punie, —Sambo et Dioummi, etc.

La vantardise humiliée. — Il n’est si fort sur terre qui ne puisse trouver plus fort encore que soi. A ce thème se rattachent des contes en grand nombre qui prouvent que tel est un colosse, comparé aux êtres de sa race, qui se trouve n’être plus qu’un nain minuscule et débile en regard des guinné. A citer en ce sens : Hâbleurs tfambaraLes six géants Môssi.

La bonne et la mauvaise petite fille. — C’est le thème de divers contes allemands et français (Bechstein : Die Bienenkoenigin, Goldmaria und Pechmaria ; Grimm : Bei Frau Holle. — Perrault : Les fées, etc.). Quelqu’un mène à bien certaine entreprise parce que ses qualités de cœur lui attirent des sympathies et des concours utiles. Tel autre, au contraire, à qui le succès de son compagnon a fait espérer même réussite, échoue dans une entreprise de même nature parce que ces qualités de cour lui font défaut. Voir : Le sounkala de Marama. — L’orpheline de mère. — La femme de l’ogre. — Les présents des faro. — Hammat et Mandiaye, etc.

Le sacrifice d’une vierge à un monstre et la libération par un héros d’un peuple contraint à ce tribut. — C’est la vieille légende de Persée et de Thésée vainqueur du Minotaure. On la retrouve aussi dans les contes allemands, celtes et méridionaux (V. Grimm. Voir aussi Le dragon d’Elorn, La Tarasque), Le monstre32 est tué soit par l’amoureux de la victime désignée (Le boa du puits. Amadou Sêfa Niânyi)33, soit par un sauveur désintéressé (Les 2 NtyiSamba Guénâdio Diêgui). Ce thème est très fréquemment développé.

Le dévouement d’un homme à sa race. — (V. Le Dévouement de Yamadou Hâvé et (peut-être) La fille du massa)34. Thème de Décius, de Codrus et d’Arnold de Winkebried.

Les enfants précoces. — V. NDar ou l’enfant-né-avec-des-dentsAmadou KékédiourouL’enfant de Salatouk, etc.35.

Le courage mis à l’épreuve. — (V. Les prétendants de FatoumataLe couard devenu brave).

La petite sœur ou le petit frère avisé. — C’est encore souvent un cas d’enfants précoces comme dans le conte Kado : Amadou Kékédiourou ou dans Khadidia l’avisée. Un enfant sauve sa sœur, ses frères, ses oncles, sa mère et, en général, le fait presque malgré eux, en passant outre à leur défense de les accompagner. (V. La bergère de fauvesLa femme de l’ogreLe boa marié, etc.).

Ce thème, sur lequel brode complaisamment l’imagination, tant indigène qu’indo-européenne, paraît s’inspirer de cette idée que les apparences sont presque toujours le contrepied de la vérité et que chez tel qui manifeste une évidente intériorité physique se rencontrent des ressources de perspicacité et de malice plus précieuses que la force brutale pour sortir indemne d’un mauvais pas, comme si la faiblesse faisait aux débiles une nécessité de se rattraper du côté de la malice. Semblable idée a dû faire incarner la roublardise dans le lièvre, si peu apte à se défendre par la force.

Les jettatori. — Une croyance vague au mauvais oeil se décèle dans les contes intitulés : Le Kitâdo vengéLa chèvre au mauvais œilL’hyène et le bouc à la pêcheLa lionne et l’hyène, etc.

Le voleur émérite. — V. Le fils du maître voleurLes fourberies de M. Baye Poull.36.

Les hommes doués d’une force extrême ou d’une faculté extraordinaire. — Voir les 6 géants Môssi et leur mèreA la recherche de son pareilLe maître chasseur et ses 2 compagnonsAmatelengaHâbleurs bambara, etc. A ce thème se rattache le suivant :

Association d’hommes ou d’êtres merveilleusement doués en vue de parvenir à la fortune. — Ces contes rappellent ceux de Grimm et de Bechstein, intitulés Sechse kommen durch die ganze Welt. (Voir Ntyi, vainqueur du boaLes dons merveilleux du guinnârouLes 6 compagnons).

La révélation par l’intéressé du défaut de sa cuirasse. — V. Amadou Kêkédiourou, Le prince qui ne veut pas d’une femme niassée et divers contes des Gow (Dupuis-Yakouba).

La répulsion pour les marques cicatricielles. — Ce thème se retrouve parmi les populations qui usent elles-mêmes de ces marques et non pas seulement chez celles qui ne s’en font aucune. V. Le Boa mariéKhadidia l’aviséeLe prince qui ne veut pas d’une femme niasséeLa femme de l’ogreL’anguille et l’homme au canariUne leçon de courageLe cheval noirLe roi et le lépreux. — Engagement d’honneur, etc., etc.

L’avarice bafouée. — V. YbilisLe vieillard et les 7 têtesL’avare et l’étranger.

La jalousie conjugale tournée en dérision. — C’est le thème de maints contes gaillards de tous les pays et de toutes les races d’hommes. L’humanité ne se lasse pas de se gausser d’un sentiment que jamais pourtant elle ne cessera d’éprouver. V. La précaution inutileLe jaloux assagiLe mari jalouxBala et Kounandi.

La jalousie entre co-épouses. — Ce thème remplace, nous l’avons dit plus haut, dans la littérature indigène, le thème de la belle-mère jalouse de sa bru. V. Le riz de la bonne épouseLes sinamoussoJalousie de co-épouse, etc.37.

C’est cette haine jalouse d’une femme contre sa compagne qui se reporte souvent sur les orphelins de celle-ci, comme en témoignent divers contes cités plus haut et relatifs aux dits orphelins.

Il y aurait certainement un grand nombre d’autres thèmes à énumérer, mais ceux que je viens de citer sont les plus fréquemment mis en œuvre38.

Procédés de prédilection des conteurs noirs.

Il y a lieu maintenant de voir de quelle façon nos conteurs brodent sur leurs divers thèmes. Tout en indiquant les procédés d’intérêt dont ils usent le plus volontiers, nous signalerons les ressemblances de ces procédés avec ceux que les Indo-Européens emploient et nous constaterons au passage de très nombreuses ressemblances.

Voici les principaux de ces détails dont s’enjolivent nos récits :

L’avalement de l’adversaire. — V. Le fer qui coupe le fe.39. Ce procédé est employé aussi pour embellir celui à qui on l’applique (V. Les prétendants de Fatoumata).

Le corps où l’on pénètre sans difficulté. — V. Hâbleurs bambar.40.

La rémunération modeste demandée en échange d’un service qu’on va rendre. — Une vieille femme, en général demande comme récompense d’une précieuse révélation qu’elle se dispose à faire, soit de la viande sans os (des Œufs) soit un peu de son et une vieille pipe (V. La fausse fiancée. — L’homme touffu. — Les 3 femmes du sartyi, etc).41

La ruse de celui qu’on porte à noyer et qui persuade à un autre de prendre sa place en lui affirmant que c’est là un sûr moyen de gagner des trésors. V. MBaye Poullo, La fiancée de race yblisse, etc.42

Les épreuves bizarres auxquelles un prétendant est astreint pour se voir agréer. V. Le mariage de Niandon. — Affront pour affront, etc. Ces épreuves sont parfois scabreuses ; elles peuvent n’être qu’amusantes. (Les prétendants).

Le baobab aux fruits d’or ou contenant de l’or. (V. Déro et ses frères. Histoire de NMolo Diâra la crapule. — Les présents des faro, etc.)43

L’animal qui excrète de l’or — Voir Ntyi le menteur (M. Travélé)44.

Le dédain de l’athlète pour les armes qu’on lui présente. — V. Amatelenga.

Les procédés que je viens de rapporter sont, à ma connaissance, presque exclusivement indigènes. Ceux qui vont suivre ont des correspondants dans la littérature indo-européenne. Nous noterons ces rapports de ressemblance au fur et à mesure. Ils sont tellement fréquents qu’ils pourront faire croire à plus d’un lecteur que le noir est surtout un imitateur et que sa littérature merveilleuse n’est qu’un pastiche pur et simple.

Le lieutenant Lanrezac s’est élevé contre cette opinion dans son Essai de folklore au Soudan. Il a dit le nécessaire, à mon sens, pour condamner cette hypothèse et soutenu victorieusement la thèse que la littérature indigène est presque absolument originale. Nous verrons en effet que l’influence qui paraîtrait la moins probable — celle des races européennes avec lesquelles le noir est en contact depuis beaucoup moins de temps qu’avec les sémites musulmans — serait, en réalité, la plus manifeste, à en juger d’après les apparences. Les musulmans qui, auraient dû, semble-t-il, inspirer fortement la littérature merveilleuse des noirs, n’y laissent au contraire que de rares traces d’influence.

Sans doute il se rencontre quelques réminiscences de la Bible dans les contes des pays islamisés de longue date mais l’énumération en serait brève.

Ainsi on peut rapprocher l’histoire de Déro et de ses frères de celle de Joseph vendu par les siens et leur rendant le bien pour le mal. De même dans les contes des Gow de Dupuis-Yakouba on notera des réminiscences de l’histoire de Joseph et de la femme de Putiphar (histoire qui est d’ailleurs un peu celle de Phèdre et d’Hippolyte).

On peut encore rapprocher de la bénédiction d’Isaac mourant, surprise par Jacob au moyen d’un stratagème, celle du roi Dinah surprise par son second fils (Lanrezac, op. cit.) mais de telles rencontres, sont, je le répète, très peu fréquentes.

J’aurai à peu près épuisé les comparaisons entre les littératures islamique et indigène, au point de vue des procédés, en énumérant quelques détails, réminiscences des 1001 Nuits. Contre mon attente, ces ressouvenirs, qui peuvent d’ailleurs souvent se référer aussi bien à des procédés indo-européens, ne sont pas très nombreux. Ainsi : la condition imposée à un passager transporté par un génie de ne pas prononcer le nom de Dieu (Conte des calenders. Le cavalier d’airain) se retrouve dans le conte ouolof Ibrahima et les hafrit.45.

Les marques signalétiques faites à la maison d’un voleur pour la reconnaître et effacées par l’intéressé se rencontrent aussi bien dans Le fils du maître voleur que dans Ali Baba et dans le conte d’Andersen : Das blaue Licht.

L’art de se débarrasser d’un cadavre gênant est pratiqué de la même façon dans Le tailleur et le bossu (1001 Nuits) et dans Le fils adoptif du guinnârou.

A citer encore :

Le mutisme tenacement observé au milieu de provocations insultantes ou en présence d’événements de nature à faire rompre le silence ; cf. Les 3 sœurs jalouses de leur cadette (1001 Nuits) et L’orpheline de mère.

Les multiples transformations afin de se dérober à la poursuite d’un ennemi 46.

Le « Sésame ouvre-toi ! ». — Cf. La case de cuivre pâle.

L’ingratitude des frères pour leur sauveur et le meurtre répondant au bienfait. Cf. Codedad et ses frères (1001 Nuits), divers contes de Grimm et Fatouma Siguinné.

La curiosité punie. — Cf. conte des calenders et La mounou de la Falémé.

Les calomnies des co-épouses pour perdre l’épouse préférée, par exemple, en représentant celle-ci comme étant accouchée d’un monstre ; cf. Codedad et ses frères. Les sœurs jalouses de leur cadette (1001 Nuits) et Les 3 femmes du sartyi. (Voir aussi contes de Grimm et La belle au bois dormant).

Le dormeur éveillé. — Cf.(Moussa Travélé) : Le cultivateur et son fils. C’est le thème du conte des 1001 Nuits portant ce titre et aussi de la fable : Perrette et le Pot au lait.

Voyageurs retenus loin de leur pays par l’effet de circonstances obstinément hostiles à leur retour ; voir : Ibrahima et les haffritt. C’est le sujet même de l’Odyssée, dont les 1001 Nuits trahissent de multiples réminiscences.

Le tapis volant. — Voir Mamadou et Anta la guinné. Cf. conte du prince Ahmed et de la fée Péri-Banoum (1001 Nuits).

Influence indo-européennes.

Ces influences, nous les tenons pour plus apparentes que réelles. Il y a lieu cependant de constater que la littérature indigène reproduit surtout les détails des mythes indo-européens (Grèce antique, Bretagne, France, Allemagne, Russie même)47.

Je vais indiquer ces rencontres. Il s’en trouve même sur le terrain de la légende historique. Sous ce dernier rapport, j’appellerai l’attention sur les détails ci-après :

Procédé de Sévi écrasant le tas de pagnes et de bijoux apporté en tribut par le tounka (La geste de S.-G. Diêgui) Cf. Brennus jetant son épée dans la balance où se pèse le tribut libérateur de Rome et Noménoé faisant le poids avec la tête de l’envoyé du roi frank.

Procédé de Malick Sy 48, le rusé marabout obtenant, par sa diligence entendue, un terrain considérablement plus vaste que celui que comptait lui concéder le chef du pays. Cf. la ruse de Didon, faisant découper en lanières la peau de bœuf qui devait contenir la terre accordée pour la fondation de Carthage.

Les serments de bons desseins réciproques entre ennemis irréconciliables : cf. Jean-Sans-Peur et le duc d’OrléansLe Kitâdo vengé.

Procédé de Konkobo Moussa (Geste de S.-G. Diêgui) s’emplissant la culotte de terre afin de s’interdire toute tentative de fuite. Cf. les milices flamandes s’attachant avec des chaînes dans le même but à Roosebecque et les Cimbres49 à Verceil.

Les enfants reprochant à un futur héros de n’avoir pas de père. Cf. Contes des Sorkos : Farang Nabo. Contes des Gow : Misandé Sambadjo. Cf. Xénophon Cyropédie : Cyrus enfant et Mandane.

On en trouverait encore sans grand peine un certain nombre d’autres.

Procédés germaniques.

Au nombre des procédés qui sont communs aux littératures merveilleuses allemande et indigène, je citerai, tout en m’efforçant de rester aussi bref que possible :

La gifle qui semble décapiter la personne à qui on l’applique. Cf. L’amandier (Grimm et Bechstein) et La fille qui veut apprendre à chanter.

L’aide prêtée par les bêtes. — Cf. Ntyi vainqueur du boaLa femme de l’ogreLa protection des djihonLe cheval noir et Die Bienenkoenigin (Bechstein et Grimm) (Cf. aussi La belle aux cheveux d’or.)

Les armes dédaignées par le jeune géant. — Cf. Amatelenga et Der junge Riese (Grimm).

La capture de l’animal cornu, grâce à une ruse qui l’amène à enfoncer ses cornes dans un tronc d’arbre d’où il ne pourra plus les retirer. Cf. Le brave petit tailleur (Grimm et Bechstein) et Le fils du seigneur Ouinndé.

La poursuite retardée par des obstacles naturels suscités par la sorcellerie. Cf. La fiancée de race yblisseLa queue d’YboumbouniKhadidia l’avisée et Die Wassernixe (Grimm).

Le talisman de nourriture et les aliments qui se préparent d’eux-mêmes. Cf. Les 4 fils du chasseurLe sounkala de MaramaLa bergère de fauvesHammat et Mandiaye et Tischlein deck’dich (Grimm et Bechstein).

Le fouet qui frappe de lui-même. — Cf. La nyinkona et Knuppel aus dem Sack (Grimm et Bechstein).

Les animaux parias qui associent leur misère pour en diminuer les inconvénients. Cf. Die bremer Musikanten (Grimm et Bechstein) et L’hyène machiavéliqu.50.

La marchande de galettes soporifiques. — Cf. conte de l’Homme touffu et Sneewitche.51 (la pomme empoisonnée).

L’égoïsme féroce du cruel compagnon de route et l’aumône d’un peu d’eau, payée d’un prix exorbitant. Cf. Die beide Wanderer (Grimm) —FaladaLa fausse fiancéeLes 2 Ntyi.

La demande de cheveux d’un être puissant ou merveilleux, épreuve malaisée comme condition d’un pardon ou d’une faveur : Cf. Le fils du seigneur Ouinndé (cheveux de tyityirga) La queue d’Yboumbouni et Boccace (Décaméron) —Grimm : Der Teufel mit den 3 goldene Haaren.

Le remède indiqué à un blessé, par l’entretien d’animaux qui ne soupçonnent pas sa présence. Cf. Déro et ses frèresLes 2 Ntyi, et Grimm : Die beide WandererDer treue Johannes.

L’apparent déshérité tirant parti de son maigre lot. — Cf. Les 2 Ntyi et Die 3 Gluckskinder (Grimm) où le héros s’enrichit en vendant un chat dans un pays où il est inconnu et où foisonnent les souris.

L’enfant promis à un génie (de l’eau dans la plupart des cas), promesse qui n’est pas tenue : Cf. Die Nixe im Teich et Das Moedchen ohne Hoende (Grimm).

Les signes pour se faire reconnaître comme le vainqueur du monstre. Le vainqueur laisse sur place ses sandales et ses bracelets (Le boa du puitsSamba Guénâdio Diêgui) ; son couteau (Les 2 Ntyi) ; son chien (B.-F. Samba Poul) ; ou emporte un morceau de la bête (la peau du caïman, la langue du lion) Samba GuénâdioDie 2 Bruder (Grimm).

Dans le conte de Hammadi Diammaro, ce dernier use d’un moyen analogue pour confondre les imposteurs.

Le sabre destiné à un héros qui, seul, pourra s’en emparer. — Cf. B.-F. Faveurs accordées aux nouveaux convertis et Légende de Siegmund.

L’association de héros merveilleusement doués que j’ai signalée comme un des thèmes favoris des conteurs noirs est aussi un procédé commun aux littératures germanique et indigène.

Le langage des animaux devenu intelligible grâce a un aliment-talisman. — Cf. Le lièvre et le dioula et Die weisse Schlange (Grimm). Cf. également l’apologue de début des 1001 Nuits : L’âne, le bœuf et le cultivateur. Dans tous ces contes, il en coûte la vie à qui, détenteur de ce secret, se laisserait aller à le révéler.

La danse irrésistible par l’effet de certaine chanson ou d’un air joué sur un instrument magique. Cf. Le joli fils du roi et Der Jude im Dorn (Grimm). — Das blaue Licht (Andersen).

La révélation par quelqu’un du procédé grâce auquel on viendra à bout de lui. Voir Amadou Kêkédiourou. — Ntyi vainqueur du boa. — Der Mann ohne Herz (Bechstein). — Contes des Gow. — Le prince qui ne veut pas d’une femme niassée, etc. Cette révélation est souvent interrompue dans les contes indigènes ; d’où le salut de l’imprudent trop expansif.

L’âne qui excrète de l’or. Voir : Les trois menteurs (Arcin, op. cit.), Kalon Ntyi (M. Travélé) —Esel streck’dich (Grimm et Bechstein).

L’épreuve de la maîtrise en friponneries, notamment par l’enlèvement de quelqu’un qui s’y attend. V. Le fils du maître voleurLes fourberies de MBaye Poullo Kalon Ntyi. Cf. Die Probestucke des Meisterdiebes (Grimm et Bechstein) et le conte égyptien rapporté par Hérodote.

La femme fourbe et ambitieuse qui se substitue à la véritable fiancée qu’elle est chargée d’accompagner. Cf. La fausse fiancée et Falada (Paul Arndt. Es war einmal) ou à la femme qu’elle a fait périr : Die falsche Braut (Grimm). — Jalousie de co-épouse52.

Les promesses merveilleuses faites par des filles qui rêvent d’un époux. Cf. Les 2 sŒurs jalouses de leur cadette (1001 Nuits), Grimm : divers contes et Les trois femmes du sartyi.

Le stratagème pour s’introduire dans le paradis en dépit de celui qui en garde l’entrée. Cf. Bruder Lustig (Grimm) et L’intrus dans l’Aldiana (Dr Cremer).

La découverte d’une source là où ne la soupçonnaient pas les gens du village privé d’eau. Cf. Déro et ses frères et Der Teufel mit den 3 goldene Haaren (Grimm).

Je note, pour en finir avec cette longue comparaison entre contes allemands et contes indigènes, l’analogie qui existe entre la puérile explication de l’origine du soleil (D’où vient le soleil) et celle du conte de Grimm (Der Mond) relative à la lune.

Procédés français.

Si maintenant nous comparons les procédés des conteurs noirs à ceux des conteurs français, nous trouverons, outre les rapports déjà signalés accessoirement, les ressemblances suivantes.

Précaution détenir un enfant à l’écart de telle chose ou de telle personne qui doit lui être fatale. — Cf. La Fontaine (Fables) —La biche au boisLa belle au bois dorman.53.

La bête reconnaissante à qui l’a épargnée. V. contes des Gow. Sanou Mandigné. Cf. La belle aux cheveux d’o.54.

L’Œuf miraculeux de Florise (dans l’Oiseau bleu) a ses équivalents dans les oeufs du conte de L’orpheline de mère ou les calebasses de Hammat et Mandiaye et du Sounkala de Marama.

L’odeur de chair fraîche. Voir La femme de l’ogreLa lionne coiffeuseLa fiancée de race yblisse. Cf. Le petit Poucet.

L’ogresse ou la sorcière qui tue ses propres enfants, croyant tuer ses hôtes. — Cf. Amadou Kêkédiourou et Le petit Poucet.

Les choses semées sur la route pour retrouver son chemin au retour. Ce sont des graines de plantes rampantes (La femme de l’ogre) un sac de cendre troué, (L’hyène, le lièvre et le somono). (Arcin, op. cit.). Cf. Le petit Pouce.55.

La baguette magique 56. Voir : Les obligés ingrats de Ngouala.

Les petits animaux transformés en chevaux. Voir : Les jumeaux de la pauvresse. — Cf. Cendrillon : (les lézards, les souris et le rat).

Le héros ingénu lors de ses débuts dans la vie. — Cf. Guénâdio Diêgui et Pérédur (ou Perceval le Gallois)57.

L’oiseau voleur, cause des accusations portées contre un innocent. — (Voir Geste de S-G. Diêgui). — Cf. la légende populaire de la pie voleuse.

L’épreuve du triage de grains pénible à effectuer. — Cf. La protection des djihon. — Gracieuse et Percine.58.

Le mannequin qui trompe l’exécution des mauvais desseins. — Cf. La flûte d’YbilisLe forage du puitsLe pardon du guinnârou et L’adroite princesse (Mme d’Aulnoy).

La feinte d’un animal pour déjouer les invites doucereuses d’un ennemi de sa race. — Cf. L’hyène et le bouc à la pêche. — L’hyène et le pèlerin — et La Fontaine (Fables) : Le coq et le renard.

Le remède indiqué à un puissant et qui se compose des organes vitaux de celui qui a tenté de nuire au conseilleur du dit remède. — Cf. IngratitudeLe tailleur de boubous en pierreLa protection des djihonLa tortue et la pintade — le renard conseillant au lion malade de s’envelopper d’une peau de loup écorché vif. (La Fontaine, Fables).

Procédés celtiques.

Passant aux contes de la littérature celtique, nous trouvons, comme présentant des ressemblances évidentes avec les procédés des récits indigènes, les détails suivants :

La ronde de lutins 59 empêchant le voyageur attardé dans la nuit de poursuivre son chemin. — Cf. Le chasseur de Ouallalane et divers contes de korrigans.

Les substitutions d’enfants. — Un génie substitue un enfant de sa race à un enfant de race humaine. Cette tradition est également allemande et Scandinave (Les doeckâlfar). — Cf. Le fils des bâri et L’enfant supposé (Barsaz-Breiz)60.

Le procédé pour amener un muet volontaire à rompre le silence. — Cf. Légende de NDiadiane NDiaye et l’Enfant supposé (Barsaz-Breiz).

Nombre d’aventures et de détails évoquent en outre des souvenirs de l’histoire grecque ou romaine :

Le dévouement de Yamadou Hâvé rappelle celui du Romain Décius, du Grec Codrus ou du Suisse Arnold de Winkelried.

La folie d’Amady Sy, élevant une gueule tapée à la co-royauté n’est pas sans analogie avec celle de Caligula nommant consul son cheval Incitatus.

Le refus des parents de se sacrifier pour racheter la vie de leur enfant et le dévouement de l’épouse, contrastant à cette occasion avec leur conduite, c’est le thème de l’Alkestis d’Euripide et aussi ceux de La Mauresque et de Diadiari et Maripoua, comme du Kitâdo vengé.

Nous trouvons les conditions presque irréalisables imposées à quelqu’un, avec l’arrière-pensée de l’envoyer à la mort, dans le conte des Sorko.61 où Fatimata de Tigilem exige de son mari qu’il lui apporte de la graisse d’un hippopotame qui a jusqu’alors anéanti tous ses adversaires. — Cf. La protection des djihon. Ce thème est fréquent dans la littérature merveilleuse de tous les peuples. C’est l’histoire des travaux imposés à Hercule par Eurysthée. — Cf.

Conte de Gracieuse et Percinet (Mme d’Aulnoy) Le prince Ahmed et la fée Peri-Banoum (1001 Nuits), La belle aux cheveux d’orLe brave petit tailleur (Grimm).

La curiosité fatale de la femme. — Thème de Psyché, de Lohengrin, Serpentin Vert etc., de l’Apologue de l’Âne, le bœuf et le cultivateur (1001 Nuits), de la Mauresque, du Lièvre et le dioula, du Koutôrou porte-veine.

L’avis donné au moyen de présents symboliques. — Voir Namara SoundiétaLes 6 compagnonsLes 2 intimesQuels bons camarades !

Le sacrifice fait aux divinités des éléments pour obtenir le succès d’une entreprise. Voir : La conquête du Baoulé (Delafosse, Op. cit.) Iphigénie sacrifiée à Neptune, etc.

La transformation d’êtres humains en animaux inconnus jusqu’alors et, par suite, l’origine de cette nouvelle espèce d’animaux — L’explication de particularités physiques d’autres espèces. Voir les divers contes de pseudo-histoire naturelle.62 — Cf. Philomèle, Progné, etc.

La transformation d’une jeune fille en chose inanimée pour la soustraire aux désirs d’un être surhumain : Goloksalah et Penda Balou (Bérenger-Féraud, Op. cit.) Cf. Légende d’Apollon et de Daphné et autres légendes mythologiques grecques.

La femme essayant de séduire un proche parent de son mari (fils, frère) et, faute d’y parvenir, accusant celui-ci d’avoir voulu la violenter. Contes des Gow : Kelimabé — Cf. Phèdre, Joseph, les femmes de Camaralzaman (1001 Nuits).

L’énigme donnée à deviner sous peine de mort. — Cf. BilâliŒdipe et le Sphinx. — Contes de Grimm. Au cas où le mot de l’énigme est trouvé, celui ou celle qui l’a proposé meurt sur le champ ou tout au moins tombe sous le pouvoir de celui qui l’a résolue.

L’ami dévoué qui se porte garant, au péril de sa vie, du retour de son ami condamné. — Cf. Les 2 amis peulhs (B.-F., op. cit.), Damon et Pythias.

L’épreuve de l’amitié dans l’adversité. — Cf. L’homme aux nombreux amis (B.-F. op. cit) et Timon le misanthrope.

Le musicien qui attire les animaux par lecharme de son instrument. — Cf. Farang Nabo (contes des Sorkos) Légendes d’Orphée et d’Amphion.

Le bijoux perdu (ou rejeté) retrouvé dans un poisson 63. — Cf. Le marabout et le famaLa bague aux souhaitsL’anneau de Polycrate (Hérodote).

Le mari se séparant de sa femme pour sauver la vie d’un ami, malade de désir ou d’amour pour celle-ci. — Cf. Les 2 amis peulhs (B.-F. Op. cit). et Séleucus Nicanor répudiant Stratonice au profit de son fils Antiochus.

La révélation d’un forfait qui semblait devoir rester à jamais inconnu. — Cf. Le melon révélateur et Les grues d’Ybicu.64.

Enfin, sans comparer spécialement à telle ou telle fraction de la littérature indo-européenne, nous aurons à mettre en regard des procédés généraux communs de celle-ci les procédés indigènes ci-après :

La croyance à la voix du sang. — Voir Bala et KounandiLanséni et Maryama (Barot) —Le fils du seigneur OuindéL’épreuve de la paternitéFatouma SiguinnéHammadi BitâroLes 3 femmes du sartyi, etc.

Épreuves analogues aux ordalies : Voir Delafosse : La mort du chien et, contes des Gow, l’épreuve subie par Sanou Mandigné. Voir aussi l’interrogatoire du cadavre dans Le cheval de nuit et La taloguina.

L’indiscrétion punie. Histoires pour impressionner les touche-à-tout. Voir : Le canari merveilleux.

Caractère fatidique des nombres 3 ou 7 et de leurs multiples. Il y aurait trop d’occasions de le souligner. Le lecteur le constatera en cours de lecture.

Le talisman d’invisibilité. L’anneau de Gygès, le bonnet (Hutlein) des contes allemands. Le bonnet magique de Sanou Mandigné (contes des Gow). Le sirikou bambara. La queue d’hyène (pour les voleurs).

La bague à souhaits. Le Wunschring des Allemands. Voir La bague aux souhaits. L’anneau de la tourterelle, etc.

Minuit, heure des apparitions et des crimes chez les noirs comme chez les blancs. Voir : Les jumeaux de la pauvresseAmadou Kêkédiourou.

Les loups-garous. — Voir : L’ensorcelée de Thiévaly. — La taloguina. — L’almamy caïman.

La mort aux porteurs de mauvaises nouvelles. — (Voir Amadou Kêkédiourou. — La geste de S.-G. Diêgui).

Procédés exclusivement indigènes.

En outre un certain nombre de procédés peuvent, jusqu’à plus ample informé, être considérés comme exclusivement indigènes :

La transformation de quelqu’un par l’avalement. — V. Hammadi DiammaroFatouma Siguinné, etc.

Certaines épreuves bigarres ou scabreuses. — Mariage de Niandou. — Affront pour affront. — Les prétendants, etc. Ces épreuves sont généralement des conditions posées pour l’acceptation d’un prétendant.

Les bêtes justicières. — Voir : Le châtiment de la diâto — La lionne coiffeuse.

Un animal de brousse ou un guinné se changeant en femme pour assurer sa vengeance. — Voir Mamady le chasseur. — La flûte d’Ybilis. — Kamankiri NDana (contes des Gow). — La lionne et le chasseur.

Le vol d’une autruche et la recherche de sa graisse. — V. Les fourberies de MBaye Poullo et Le fils du maître-voleur.

Le faux talisman qui passe pour ressusciter les morts par son contact et dont un personnage, dénué de scrupules, fait commerce. La résurrection d’un prétendu cadavre. Voir Kalon Ntyi (M. Travélé) —Les 3 menteurs (Arcin). — Les fourberies de MBaye PoulloMensonge et Vérité (Froger).

Les enfants élevés par des guinné. — V. Déro et ses frères. — Les jumeaux de la pauvresse. — Le Kitâdo vengé. — Le fils adoptif du guinnârou, etc.

Les griots excitant le courage des victimes qu’on mène au sacrifice. (Le geste de Samba Guenâdio Diêgui) par leurs chants ou leurs imprécations.

Les gestes magnétiques. — Voir : NDar — Kélimabé (contes des Gow).

La révélation interrompue des métamorphoses ou sortilèges successifs grâce auxquels un chasseur se dérobe à la colère des bêtes de la brousse. Voir Kamankiri NDana et divers autres contes des Gow et des Sorkos. (Dupuis-Yakouba et Desplagnes, op. cit.) Mamady le chasseur. — Le riche et son fils. — Le prince qui ne veut pas d’une femme niassée, etc.

La femme fourbe se faisant accompagner par le mari dont elle médite la perte et dissuadant celui-ci d’emporter chacune des armes qu’il prend successivement pour sa sûreté. Voir contes des Gow, —Mamady le chasseur. — La lionne et le chasseur. — Le prince qui ne veut pas d’une femme niassée.

L’hyène prise comme monture. — V. L’hyène et le pèlerin. — Les prétendants etc.

Le geste « jettatorique » de la barbiche braquée. — V. L’hyène et le bouc à la pêche. — La chèvre au mauvais œil. — La lionne et l’hyène.

La compagnie tenue, malgré eux, à des gens que l’on voudrait sauver et les multiples transformations de celui qui les accompagne. — V. Amadou Kêkédiourou. — Khadidia l’avisée. — La bergère de fauves et divers autres contes de petits frère ou sœur avisés.

L’enfant qui parle dans le sein de sa mèreet s’enfante de lui-même. — V. Misandé Sambadjo (contes des Gow) —Tiéoulé (Lanrezac) —Amadou KêkédiourouAmatelenga etc.

Le cadeau artificieux. — V. La chèvre grasse. — Les générosités de l’hyène.

La bête blessée emportant l’arme dans sa plaie et menant ainsi le chasseur jusqu’au village des animaux. — V. D’où vient le soleil et (contes des Gow) Sanou Mandigné chez les éléphants.

L’avalement comme mode de combat. — V. Misandé Sambadjo (contes des Gow). — Le fer qui coupe le fer.

Le retour irrésistible à son naturel. — V. Chassez le naturel… et Le lièvre et l’hyène aux cabinets. V. aussi Delafosse (op. cit.) Le Ciel, l’araignée et la mort.

Thèmes omis par la littérature indigène.

Par contre, il est des thèmes dont il ne semble pas que la littérature indigène ait tiré parti.

Rien d’analogue à Circé ou aux magiciennes des 1001 nuits, changeant, d’un geste, les hommes en animaux dans le but de leur nuire. Ce thème est pourtant très employé par les conteurs musulmans.

Il n’y a pas de conte qui manifeste la conception d’un Scharaffenland, d’un pays de Cocagne où les hommes vivraient heureux dans l’abondance et l’inaction. Cependant un rêve de cette nature semble plus conforme encore au tempérament des noirs qu’à celui de l’Indo-Européen65.

Pas d’histoires de brigands non plus, de ces récits cauchemardants dont la Roeuber-brautigam de Grimm est un type achevé et qu’on retrouve aussi dans les 1001 Nuits (Ali-Baba et les 40 voleurs).

Pas d’êtres minuscules de nature humaine. Rien qui équivaille aux voyages de Gulliver à Liliput ou au conte de Grimm et de Bechstein : Daumesdick. Certains héros des contes indigènes paraissent petits, mais c’est par contraste avec les géants, d’origine surnaturelle, qui figurent en même temps qu’eux dans le récit.

Pas de meurtres simulés dont l’exécution serait prouvée par la présentation des organes de certains animaux, comme on le voit dans Geneviève de Brabant, Camaral-zaman (1001 nuits) ou la 2e partie de la Belle au bois dormant (épisode d’Aurore et du petit Jour). Dans Déro et ses frères on présente bien au père le vêtement ensanglanté de Déro, mais ce conte n’est pas d’inspiration indigène. C’est une réminiscence incontestable de l’histoire de Joseph livré par ses frères.

Pas de haine de la belle-mère contre sa bru. Cet élément d’intérêt dramatique est — nous l’avons déjà dit — remplacé par la haine des co-épouses entre elles ou des marâtres contre les enfants d’un autre lit.

Pas d’intersignes comme dans les contes bretons.

Pas de paysans naïfs jusqu’à la stupidité comme dans les contes allemands.

Pas d’existence, ou plutôt, de personnalité caractérisée donnée à des ustensiles usuels. Cf. avec le conte d’Andersen qui met en scène une théière un sucrier, des pinces à feu, etc. (Es war einmal. Paul Arndt).

Pas de races traditionnellement caricaturées comme les Souabes ou les Schildburger en Allemagne, à moins qu’on ne considère comme telle celle des Bagnoums (V. Bérenger-Féraud : La chasse au lion des Bagnoums).

Pas de professions raillées ou décriées comme, jadis en Bretagne, celle des tailleurs. Les griots n’ont pas un plus mauvais rôle que les autres indigènes, encore que dans la vie réelle ils bénéficient d’une très relative estime. Peut-être les contes sont-ils — en principe — leur œuvre, ce qui expliquerait que, sur ce point, la littérature ne soit pas le reflet toujours fidèle de l’esprit de la race qui en fait son moyen d’expression.

Pas de légende dans le genre de celles des 7 Dormants, de Rip van Winkle ou du moine extatique. Les conteurs noirs n’ont vu que le côté comique des sommeils indéfiniment prolongés.

Pas de contes de revenants proprement dits. — Tous ceux où l’on voit des morts agir n’ont pas ce caractère, à mon avis. Les mères d’orphelines revivent après être sorties de la tombe. Quant à celle de Marama (Le sounkala de Marama) c’est une vision de rêve et non pas un revenant réel. Le mort du Cadavre ambulant est un mort que l’on n’a pas enterré et non un véritable revenant.

Pas de légendes relatives aux génies de là terre ou du sous-sol, non plus qu’aux génies de la montagne. Je ne voudrais cependant pas me montrer trop catégorique à ce propos, n’ayant recueilli de contes que dans des régions dépourvues d’accidents de terrain bien caractérisés et étant insuffisamment renseigné, faute d’un séjour prolongé, sur la littérature merveilleuse des montagnards du cercle de Bandiagara.

Le chevaleresque dans la littérature des noirs

C’est principalement dans les récits des Torodo que nous relevons les traces d’une mentalité chevaleresque, analogue à celle de notre moyen âge. Je regarde ce que j’ai intitulé La geste de Samba Guénâdio Diêgui comme une chanson de geste véritable. Je renvoie le lecteur à cette légende, non sans avoir souligné les quelques détails ci-dessous :

Noms donnés aux armes et aux montures des héros. — Le fusil de Samba s’appelle Boussalarbi, tout comme l’épée de Charlemagne avait nom : Joyeuse et celle de Siegfried : Balmung. Le cheval de Samba s’appelle Oumoullatôma et celui de Birama NGourôri : Golo, de même que celui des 4 fils Aymon était appelé : Bayard et ceux de Gradlon, roi de Kérys : Morvarc’h et Gadifer.
Naïveté ingénue de Samba adolescent. — Il est honnête et ne soupçonne pas le mal chez autrui. Il prend pour argent comptant les fins de non-recevoir gouailleuses de son oncle Konkobo Moussa. Cette naïveté n’est pas sans analogie avec celle que manifestent Pérédur ou Lez-Breiz.
Combat singulier de 2 chefs. — (Duel de Samba et de Birama). Voir de même dans Amadou Sêfa Niânyi, le duel d’Amadou et de Samba Koumbelé.
L’offre généreuse, faite à l’ennemi désarmé, de moyens de continuer le combat. — Samba donne à plusieurs reprises, au cours du combat, un cheval à son oncle Konkobo qui a eu les siens tués sous lui.
L’étrange loyauté des adversaires de Samba qui vient dans leur camp la veille de la bataille et qu’ils traitent avec le plus grand respect des droits de l’hospitalité, par égard pour la bravoure confiante qu’il manifeste ainsi envers eux.
La volonté de vaincre ou de mourir dont fait preuve Konkobo en alourdissant sa culotte avec de la terre, pour s’interdire la fuite au cas où son courage aurait une défaillance.
7° La ressemblance déjà soulignée plus haut entre l’acte de Sévi et le geste de Brennus.
La générosité de Samba vainqueur de Birama rendant spontanément au vaincu — par solidarité raciale — la moitié des troupeaux qu’il a conquis sur lui.

Les notes de la légende compléteront ce qu’il y a d’un peu sommaire dans cette étude hâtive de l’esprit chevaleresque chez les Torodo.

Le symbolisme indigène. — Les apologues.

Ce symbolisme reste forcément assez obscur car les interprètes qui traduisent les termes abstraits de la langue indigène ne possèdent que rarement le français d’une façon suffisante pour rendre exactement l’idée. Aussi leurs explications, même comparées entre elles, ne m’ont-elles été que d’un faible secours pour découvrir ce qu’elles voulaient exprimer.

J’ai indiqué les principaux apologues, tant ouolofs (Adina-Guéhuel et Damel), que peuhls (Kahué l’omniscient — La tête de mort) gourmantié (Trois frères en voyage) et môssi (Enseignements d’un fils à son père ; Froger.)

Les thèmes favoris sont :

Celui des 3 puits dont 2, communiquant entre eux, représentent les puissants de la terre qui laissent à l’écart le troisième, lequel symbolise les pauvres gens.
Celui des 2 bœufs. — L’un reste maigre encore qu’il ait de la nourriture en abondance et qu’il mange plus qu’à sa faim. L’autre devient de plus en plus gras quoiqu’il n’ait rien à manger auprès de lui. Le premier maigrit sans cesse, miné par les soucis que lui donne sa parenté. Le second vit en égoïste et en solitaire et n’a même pas besoin de nourriture tant il prospère naturellement.
Celui d’Adina ou la misère humaine qui, ne pouvant soulever un fardeau, en augmente encore le poids après chaque tentative inutile qu’il a faite pour le charger sur sa tête.
Celui du guéhuel et du damel déjà enregistré par Bérenger-Féraud (Histoire de Cothi-Barma) et qui enseigne la défiance envers les femmes, la considération pour les vieillards et quelques autres menus axiomes de sens commun.

Dans l’apologue de Kahué l’omniscient il y a beaucoup de puérilité et le symbole est parfois inintelligible. Malgré de nombreux efforts et quoique je me sois renseigné près de divers Indigènes, je n’ai pu trouver d’explications satisfaisantes ni surtout concordantes du sens de ces mots : soutoura, hakilé et dyiké, et, par suite, il m’est impossible de déterminer le sens des symboles auxquels ils correspondent. Peut-être le parfait symbolisme est-il après tout celui qui se prête à mille interprétations différentes.

On peut aussi cataloguer sous l’étiquette : symbolisme, les dons faits à certains personnages des contes, soit pour les avertir, soit pour les menacer. Ainsi, dans « Les 6 compagnons », la femme d’un roi haoussa répond aux propositions d’un soupirant par l’envoi d’un os, de feuilles de tôro et d’une poignée d’herbes. Elle lui indique ainsi, sans commentaires, les précautions qu’il aura à prendre selon les périls qu’il doit éviter. Dans Namara Soundiéta, celui-ci menace le chef qui lui refuse un terrain où enterrer sa mère, de détruire ses villages (balles et poudre), de tuer quiconque accepterait le prix de la concession (un couteau) de démolir ses cases où les volailles viendront prendre leurs ébats (poules et pintades) et de mettre ses villages en tel état que les arachides et le coton y pousseront sans être cultivés ni récoltés.

On peut encore voir du symbolisme dans le procédé de la sœur de Birama NGourôri (La geste de S.-G. Diêgui) qui, pour annoncer d’une façon moins brutale à son frère que ses troupeaux ont été enlevés, lui fait apporter pour son repas un couscouss uniquement composé d’herbes, sans le moindre morceau de viande, lui donnant ainsi à entendre qu’à moins de reconquérir ses bestiaux dérobés, il n’aura plus désormais que les produits du sol pour le nourrir.

Je ne m’étendrai pas plus longuement sur le symbolisme indigène. Il serait aisé d’en multiplier les exemples. Les contes de ce recueil en offriront un certain nombre à ceux qui seraient tentés d’étudier la question plus à fond.

L’onomatopée chez les noirs.

De même, je n’effleurerai ce sujet qu’en passant. L’oreille des noirs ne perçoit pas, semble-t-il, les sons de la même façon que la nôtre, sinon, il faudrait conclure qu’ils interprètent leurs perceptions d’une manière très différente de nous. J’ai cru devoir transcrire les sons comme ils m’ont été figurés plutôt que de les traduire par les onomatopées françaises correspondantes, quitte à indiquer en note ces dernières.

Ces onomatopées indigènes, comme les nôtres, rendent non seulement les bruits, mais encore les mouvements silencieux tels que le tortillement du serpent ou le balancement d’un objet. A côté de cela, on trouve dans les chansons des noirs des mots sans signification spéciale qui forment une sorte de refrain analogue aux « tra dé ri dera » ou aux « et lon lon laire et lon lon la » de nos chansons françaises.

Voici quelques-unes de ces onomatopées :

Ouellêni iô ! : bruit des grelots attachés en bracelets aux chevilles des enfants = Dindelinn ?
Gouinsinkélé gouinsan : aucune signification.
Kénié kéniéndé : frottement des écailles du serpent les unes contre les autres = Frik ! Frak !
Bayevélé ! Vélébaya ! : bruit de l’eau jetée à la volée et qui retombe dans l’eau = Floc ! Flac !
Bataou ! : bruit d’un objet tombant dans l’eau et s’y engloutissant = Plouf ?
Miniki manaka ! : allure sinueuse du serpent (impression visuelle) = Tortilli, tortilla ?
Kourmé diendien dienkou : bruit de sonnailles du harnachement =  ?
Kouhoukou : Roucoulement des tourtourelles = Tourdourou ?
Yérébéré : onomatopée rendant l’impression visuelle produite par un objet qu’on balance =  ?
Fim ! Fim ! Crissement des éperons dans les flancs de la monture = Kriss ! Kriss !
Figuilan ndianyeu : bruit de la queue d’Yboumbouni fouettant l’air = Flips ! Flaps !

[Conclusion]

Quelques mots me restent à ajouter touchant la forme des récits que je publie. Sa relative correction a surpris plus d’un de mes collègues à qui j’avais communiqué mon manuscrit. Moi-même je suis resté quelque temps indécis, me demandant si je ne devais pas les présenter dans la forme brute sous laquelle ils m’avaient été contés. Le résultat obtenu par quelques folkloristes qui avaient adopté cette méthode m’a tout à fait détourné de l’employer à mon tour.

En ce qui concerne les parties rythmées, et chantées je les ai transcrites textuellement. J’étais d’abord assez sceptique sur la réalité de leur existence et les ai tenues longtemps pour une fantaisie de traducteurs qui auraient voulu imiter la forme des contes de Perrault ou de Mme d’Aulnoy. Je le croyais d’autant plus que dans aucun des récits recueillis par moi, au Sénégal et en Guinée, je n’en avais trouvé la moindre trace et que les contes des Mille et une Nuits n’en présentaient point d’exemple dans la traduction, d’ailleurs médiocrement fidèle, de Galland. Depuis mon arrivée au Haut-Senégal-Niger, j’ai eu au contraire maintes fois l’occasion d’en entendre chanter et une traduction des contes inédits des Mille et une Nuits, lue depuis cette époque, m’a convaincu que dans toutes les littératures merveilleuses le petit couplet est une partie essentielle du conte. C’est en souvenir de ce démenti donné à ma première opinion que je n’avance que sous réserves les convictions que je me suis formées en matière de folklore, préférant n’être formel qu’en cas de certitude absolue.

Ces petites strophes se chantent sur un rythme monotone. Le conteur, pour les chanter, adoucit la rudesse de sa voix masculine en prenant une voix de tête dont l’effet devient assez comique, par contraste, lorsque c’est, par exemple, un garde-cercle qui raconte.

Quant au style, en général, je renvoie à ce que j’ai dit au début de la préface. La traduction a été aussi littérale que possible, tout en tâchant de garder à ces contes faits pour être dits à haute voix toute la saveur qu’y ajoute la mimique expressive des conteurs. J’avoue toutefois que pour leur donner plus de vivacité, j’ai substitué parfois le style direct au style indirect et que j’ai remplacé, de temps à autre, par des noms les périphrases qui désignaient les personnages. S’il y a péché, le fait de l’avouer me vaudra, je l’espère, un demi-pardon.